Syrie / George Sand "Histoire de ma vie"
Vous savez ce que j'ai fait ce soir ? J'ai parcouru les pages en anglais qu'on trouve quand on clique sur "report" sous ce lien. Le dernier rapport de l'ONU qui parle notamment des massacres de Houla en Syrie. En juin j'avais un peu expliqué sur le blog de l'Atlas alternatif en quoi cette affaire avait l'air assez embrouillée. Il fallait donc que je lise quand même dans le texte (ce que les militants "alternatifs" ne font jamais), en anglais, les pages des derniers éléments d'enquête de l'ONU. Elles ne sont pas bonnes pour le gouvernement syrien : elles hachent menu la version des rares témoins pro-gouvernementaux avec des éléments d'une précision confondante. Bien sûr il est toujours possible qu'il y ait du bidonage onusien, mais le moins qu'on puisse dire est que quand même l'acte d'accusation ne repose pas que sur du sable. Je me devais d'attirer l'attention des anti-ingérence sur ce rapport, parce qu'à force d'entendre dire n'importe quoi dans nos grands médias, on finit par penser que, dans ce genre de guerre, toute la propagande repose sur de falsifications aussi grossières que les flacons de Colin Powell à l'ONU fin 2002. C'est loin d'être le cas. Je ne dis pas que l'ONU a raison, mais je signale juste que l'acte d'accusation cette fois est très circonstancié.
Voilà pour la Syrie. Dois-je aussi signaler la grande mobilisation de certains "alternatifs" pour une très jolie journaliste syrienne enlevée dans je ne sais quelles collines par des fanatiques islamistes et dont on nous livrera peut-être bientôt la photo du cadavre ? (j'espère bien sûr qu'il n'en sera rien et que cette personne sera retrouvée saine et sauve). Il paraît que des gens en France se mobilisent pour elle et écrivent à l'Elysée. Mais non, je n'appellerai pas à agir pour sa libération, parce qu'alors on m'objecterai à juste titre qu'il est injuste de le faire sans alarmer symétriquement l'opinion publique sur les enlèvements commis par l'armée loyaliste syrienne. Et puis je me souviens aussi de toute la confusion qui a régné fin 2011 autour de la journaliste de télévision libyenne qui, si je me souviens bien, portait le nom de la ville de Misrata, et avait brandi un pistolet devant la caméra lors de la prise de Tripoli. On l'a dite morte (certains "alternatifs" l'ont dite morte), puis ça a été démenti, puis on ne sait plus du tout aujourd'hui si elle est encore de ce monde, si elle est toujours prisonnière des milices ou si elle a été libérée tant les communiqués contradictoires se sont succédés. Tout cela me conduit à prôner, encore et toujours, la plus grande prudence quand on parle de ce genre de guerre civile. Tout ce que je puis dire ici, c'est que l'appel M. Bernard Henri-Lévy à l'ingérence aérienne est selon moi complètement idiot, mais cela, mes lecteurs le savent déjà.
Alors mes amis, si nous laissions un peu de côté cette guerre que nous serons impuissants à arrêter, cette guerre, et avec elle, le bikini de Mme Trierweiler, et l'alternance de nouvelles tragiques et futiles dont les journaux nous abreuvent, pour regarder en arrière et ... parler un peu de George Sand ?
Hé, pourquoi pas, oui, allons, pourquoi pas ? un peu de douceur dans ce monde de brutes. Rassurez vous, je serai bref. Ne serait-ce que parce que je n'ai pas lu en entier son "Histoire de ma vie". J'ai juste picoré des passages ici et là. Les aventures des petites filles rêveuses mal à l'aise dans leur milieu familial m'intéressent, mais jusqu'à un certain point seulement. Pas de longue dissertation sur le sujet, juste quelques brèves remarques.
Mme Sand écrivait délicieusement bien, même si parfois ses petites leçons existentielles sont un peu assomantes. Et c'était une femme très honnête, non seulement courageuse (ça chacun le savait, on ne se fait pas un nom dans le milieu littéraire à cette époque quand on était femme sans cette vertu), mais pétrie de principes et capable de les respecter au delà de ce que j'imaginais avant d'ouvrir le livre. C'est ce qui rend le personnage à la fois admirable et attachant. C'est une femme qui voulait le Bien, et le voulait passionnément. Elle tâcha toute sa vie de ne pas laisser cet idéal dans la sphère des abstractions mais de le répandre tout autour d'elle d'une façon très pratique (ce que beaucoup d'idéalistes, surtout dans la gent masculine, oublient souvent de faire).
J'aurais pu scanner sur ce blog la page où elle raconte comment elle est devenue "communiste" comme elle le dit., à 14 ou 15 ans Je pense que le PCF devrait la citer (mais le PCF sait-il qu'Aurore Dupin alias George Sand fut classée communiste au moins jusqu'à Napoléon III ?). Je n'ai pas bien compris si l'écrivain est restée communiste de coeur après 1850 (son '"Histoire de ma vie" date de 1848). Je sais qu'elle s'est accomodée de l'Empire, mais Proudhon aussi, et qu'elle n'a pas soutenu la Commune, mais ça ne suffit pas à mes yeux à en faire une renégate.
Ce qui est certain c'est qu'on devrait envoyer ses livres à Hugo Chavez, car elle fut communiste et chrétienne, chrétienne parce que communiste et réciproquement, elle y insiste beaucoup. Je comprends que Flaubert ait été fatigué par toute la religiosité du socialisme français du XIXe siècle...
Il y a des passages de son livre que j'aime beaucoup. Le bel hommage qu'elle rend à ses parents (quoiqu'il soit un peu long). Le charme se glisse dans les détails : par exemple cette page où elle explique qu'elle ne sait pas pleurer, que, lorsque les émotions gagnent sa gorge, elle parvient pas à jeter des larmes et se contente de gémir. Une femme qui compta beaucoup dans ma vie jadis était comme ça aussi. Or c'était une époque où il était important de savoir pleurer car on sanglotait souvent, plus ouvertement qu'aujourd'hui, et l'on accordait beaucoup d'importance aux larmes (n'avais je pas au fait fait la même remarque à propos du XVIIIe siècle et d'une lecture publique de Casanova qui s'était terminée à grands sanglots ? il faudrait rechercher dans mes billets du mois dernier). Un des symptômes de la déshumanisation actuelle est bien sûr que les pleurs n'ont plus du tout bonne presse !
Evidemment vous n'aurez jamais ce genre de détail dans un téléfilm contemporain sur la vie de George Sand ou de n'importe quel auteur des années 1830, parce qu'on ne nous mettra en scène que des acteurs porteurs des styles d'expression émotionnels les plus répandus, et plus précisément les plus répandus à notre époque (car il n'y a aucun effort pour rejoindre les manières d'être du passé). Comment Mme Sand gémissait-elle dans les périodes les plus dures de sa vie ? Nous ne le saurons jamais. Elle dit que peut-être un jour elle mourra de recevoir un grand choc affectif qu'elle ne saura "gérer émotionnellement" (pour utiliser une tournure actuelle) par les larmes. Elle était hantée par l'idée (plusieurs fois exprimée dans son livre) que nous portons en nous mêmes le principe qui causera notre mort.
J'aime certaines de ses émotions, quand par exemple elle conte son désarroi de mère à amener son fils Maurice très déprimé faire sa rentrée au collège Henri IV. Par contre, je ne supporte pas les portraits qu'elle dresse des contemporains illustres qu'elle rencontre, et qui tous sont débordants de compliments généreux mais ne permettent jamais de retenir quelque image intéressante que ce soit du personnage dont elle parle.
Un épisode a retenu mon attention songeuse : quand elle décrit sa tristesse de jeune adolescente de 11 ans devant le spectacle de la démobilisation de l'armée de la Loire (les dernières restes de la Grande Armée napoléonienne) qui défile non loin de chez elle. J'avais gardé le souvenir de l'introduction de la Confession d'un Enfant du siècle de Musset qui soulignait les causes politiques du spleen de la génération romantique qui avait vu revenir la médiocre restauration après la glorieuse épopée napoléonienne. Je n'avais pas mesuré à quel point tous ces auteurs avaient eu, dans leur propre famille, des anciens officiers de l'Empereur - dans le cas d'Hugo, et de George Sand elle-même, ce furent leurs propres pères. Et surtout je n'avais pas mesuré toute la bassesse morale de cette aristocratie revenue dans les fourgons des armées étrangères, qui se permet de faire exécuter des maréchaux d'Empire héroïques comme Ney, alors qu'eux-mêmes n'avaient été bons qu'à se planquer outre-Rhin ou outre-Manche pendant les heures les plus grandioses et les plus tragiques de l'histoire de notre pays.
On comprend à quel point pour ces adolescents-là l'air devait être irrespirable. Cela fait penser à Vichy, au franquisme en Espagne, à toutes ces périodes terribles dans l'histoire des peuples quand les lâches et les menteurs tiennent le haut du pavé, et font qu'ainsi toutes les valeurs de la société sont falsifiées.
"Histoire de ma vie" présente une Sand jeune, un peu comme "La première moitié de ma vie" écrite par le dernier empeur de Chine quand il eût 40 ans. Que fut Sand à 70 ans ? Que représentait-elle pour des gens qui n'étaient pas nés sous l'Empire comme elle ? Une espèce d'antiquité respectable mais un peu lassante et encombrante comme l'étaient par exemple dans les années 1980 les vieux barons du gaullisme ? J'ai entendu il y a peu un extrait de l'éloge funèbre que prononça pour elle Victor Hugo (qui était pourtant plus âgé). J'ai trouvé qu'elle manquait singulièrement de vibration et d'inspiration. On avait l'impression qu'Hugo n'avait fait que le "minimum syndical". Pourquoi ? Reprochait-il à Sand de ne s'être point exilé comme lui sous Napoléon III ? La profondeur politique de Sand s'était-elle émoussée avec l'âge ? J'aimerais bien le savoir...
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