Un point d'histoire sur la question du rapport du Parti communiste à l'immigration
Vous le savez, je n'ai jamais été membre du Parti communiste français (PCF), et je cultive une position anti-impérialiste qui n'est pas marxiste stricto sensu. Cependant je tiens toujours à ce qu'une certaine vérité objective soit respectée lorsqu'il s'agit d'évoquer les mouvements révolutionnaires en France et dans le monde, ceux d'aujourd'hui et ceux d'hier, car les courants conservateurs ont tôt fait de verser dans la calomnie sur ce genre de sujet et d'égarer l'opinion commune sur ce genre de sujet.
Dans cet esprit, je me permets de publier sur ce petit blog, avec l'autorisation de son auteur, la lettre ouverte adressée par M. Jean-Pierre Page, qui fut jadis responsable des relations extérieures de la CGT, à Mme Laurence Cohen, secrétaire départementale de la fédération du PCFdu Val-de-Marne, au sujet de l'exposition "30 ans de communisme dans le Val de Marne" dont le journal le Parisien du 5 juin dernier, et l'Humanité du 3 juin ont parlé. Le texte mérite une certaine attention, car il corrige des erreurs répandues dans l'opinion publique depuis 30 ans en ce qui concerne le rapport du PCF à l'immigration. Sur ce sujet on peut aussi jeter un coup d'oeil aux vidéos ci-dessous.
Pour aller dans le sens de cette lettre, on peut rappeler que l'ex-dirigeante du groupe d'aide aux immigrés GISTI Danièle Lochak a fait ses débuts dans un groupe d'alphabétisation des immigrés organisé par la CGT, et elle n'était sans doute pas un cas isolé. Le rôle du PCF aux côtés des immigrés dans les années 1960-70 (même s'il mérite des critiques sur bien des plans), doit quand même être intégré à la mémoire de la gauche.
FD
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"La Havane, 4 janvier 2010
Chère camarade,
Je suis informé d’une exposition sur “ 30 ans de communisme dans le Val de Marne”, dont la fédération du PCF serait à l’initiative et qui rapporte dans des termes inexacts et politiciens les événements intervenus à Vitry en relation avec l’expulsion de travailleurs immigrés du foyer de St Maur, en décembre 1980. Je souhaite donc te faire part de mon indignation!
En dénaturant de façon grossière les principes de solidarité internationaliste qui furent pendant de nombreuses années les valeurs sur lesquelles s’est construit l’identité du PCF, les responsables de cette exposition insultent la mémoire, la générosité et l’engagement de nombreux militants communistes. Pire ils participent à cette réécriture de l’histoire qui n’est pas étrangère au fiasco politique qui caractérise aujourd’hui ce parti dont la perte de crédibilité est une caractéristique que l’on peut vérifier non seulement en France mais aussi dans le monde.
Pour avoir assumé d’importantes responsabilités à la CGT comme secrétaire général de l’Union Départementale du Val de Marne ainsi qu’au PCF comme membre de la direction fédérale, puis comme membre du Comité central, il m’est insupportable qu’on travestisse à ce point la réalité de ce que furent nos positions véritables. J’ajouterai que je ne suis pas étonné de voir le PCF se livrer à cette énième séance d’exorcisme dans le but de se libérer de ses prétendues fautes. Toutefois je conteste avec la plus grande énergie que cela se fasse en se servant de nous comme de simples boucs émissaires !
Si les responsables de cette exposition n’avaient pas été obsédés par l’idée de reprendre à leur compte la campagne des médias relayés à l’époque et depuis par le PS, le PSU, la LCR, la CFDT ils auraient consulté comme je viens encore de le faire le livre d’Alain Bertho, historien et à cette époque rédacteur en chef de Société Française écrit en collaboration avec notre regretté Roland Foucard : « Ceux du Val de Marne » ! Ils y auraient découvert des faits et des documents incontestables dont d’ailleurs un grand nombre se trouvent maintenant aux Archives départementales du Val de Marne.
Ainsi comment parler de ces événements sans évoquer la bataille que menait depuis plusieurs années en Val de Marne la CGT avec le soutien du PCF et des associations de travailleurs migrants en particulier l’Amicale des Algériens en Europe et l’Association des Maliens pour le respect des droits des résidents des foyers ADEF et SONACOTRA gérés par les marchand de sommeil du patronat de la Métallurgie et du Bâtiment avec le soutien de la droite et du PS.
C’est à cette époque et chaque fois avec l'engagement du PCF et de ses élus que furent organisés non sans succès de nombreuses manifestations, rassemblements, conférences de presse avec les résidents des foyers qui déboucheront et pour la première fois sur l’organisation en France de « Comités de résidents CGT des foyers ». Forts de milliers d’adhérents dans le Val de Marne ce sont eux qui permirent d’imposer au Ministre de Giscard Lionel Stoleru un statut national qui devait permettre après négociations les importantes rénovations des foyers du Val de Marne en particulier celui de Chevilly-Larue , la gestion des activités par les résidents eux-mêmes, de véritables contrats de locations, une réduction importante des loyers, le droit de s’organiser librement et tenir réunions, le droit de recevoir, le respect des cultes, etc….
C’est à cette époque que nous dénoncions la ségrégation à laquelle se livraient les municipalités de droite vis-à-vis des travailleurs migrants en refusant l’installation de foyers sur le territoire de leurs communes. Le 21 janvier 1978 dans une initiative au foyer ADEF de Chevilly Larue je faisais remarquer au nom de la CGT « Il n’est pas juste que des communes comme Champigny compte 4 foyers d’autres 3 comme à Vitry, Choisy, Ivry, Villejuif et d’autres n’en comptent pas comme à Nogent, le Perreux, Bicêtre, La raison de cette situation est simple les élus réactionnaires refusent et s’opposent violemment à la présence des travailleurs immigrés ou à la construction de foyers dans leurs localités. Il faut mettre un terme à ce comportement scandaleux ! »
C'est dans ces circonstances que Beaumont, Maire de St Maur qui rêvait de faire de sa ville, « le Neuilly de l’Est Parisien » avait avec la complicité de l’ADEF, du Préfet et l’aide des CRS décidé d’expulser plusieurs centaines de résidents d’origine Malienne d’un foyer en grève de loyers avec le soutien de la CGT et du PCF. Le 21 décembre on amena par bus, quasi clandestinement, sans aucune explications, avec l'aide de la police et depuis St Maur une partie d’entre eux dans des locaux de Vitry, appartenant aux HLM et devant être reconverti en foyer de jeunes cheminots. Pourquoi ne pas évoquer tout cela pour expliquer la décision du Maire de Vitry de prendre un arrêté d’interdiction d’habiter dans ce lieu insalubre et de surcroît dangereux qui devait faire l’objet d’une reconversion.
Pourquoi ne pas rappeler enfin que le 10 janvier 1981 à l’initiative de la CGT et du PCF eu lieu une grande manifestation à Vitry « contre les provocations du pouvoir, des élus réactionnaires et de l’officine patronale qu’était l’ADEF . Ce jour là, les organisateurs de cette exposition devraient montrer au lieu de chercher à effacer notre histoire comment les Maliens expulsés de St.Maur étaient tous fraternellement à nos cotés pour crier ensemble « Français
immigrés, même patron même combat ». Marcel Zaidner organisateur de cette exposition et membre du Comité Central à cette époque ne s’en souvient il pas ?
Ces événements intervenant quelques jours avant Noël dans le contexte de l’élection présidentielle donnèrent lieu à une campagne d’une rare violence dans les médias contre le candidat du PCF : Georges Marchais. Elle fut relayée d’ailleurs dans la CGT au niveau national par Pierre Feuilly secrétaire général du syndicat CGT des journalistes et membre du comité directeur du PS, qui appartenait comme moi à la direction nationale de la CGT. Les organisateurs de cette exposition auraient ainsi pu consulter les exemplaires de la Vie Ouvrière relatant sur ce sujet les débats et les faits de cette époque, les reportages, à moins ce qui doit être le cas qu’ils contestent également l’opinion de la CGT et de celui qui en était le directeur à ce moment-là : Henri Krazucki.
On peut avoir et c’était une qualité des communistes l’esprit critique bien chevillé et une infatigable capacité d’indignation devant l’injustice, l’intolérance et l’arbitraire. Fort heureusement un grand nombre d’entre eux continuent non seulement à s’indigner, mais à se rebeller, à se révolter devant la barbarie de cette société capitaliste. Par contre comment ne pas trouver affligeant de voir certains qui pour plaire aux princes en arrivent à capituler, à renoncer de façon subalterne au point de caricaturer leur propre histoire. Renoncer c'est se ranger du côté de l'idéologie dominante, et l'idéologie dominante comme disait Marx, "c'est l'idéologie de la classe dominante".
Que ne leur demandera t’on pas demain ? Qu’ils s’empresseront d’accepter ? Par exemple et comme c’est le cas actuellement refuser que le PCF s’associe à la liste des signataires de la protestation des PC d’Europe contre la campagne visant à criminaliser le communisme.
Pardonne moi encore cette citation, j’espère qu’elle ne sera pas inutile ! Le philosophe Italien Domenico Losurdo faisait remarquer récemment« les communistes doivent savoir regarder de façon autocritique leur histoire mais n’ont pas à avoir honte et ne doivent pas se laisser aller à l’autophobie ; c’est le mouvement communiste qui a mis fin aux horreurs qui ont caractérisé la tradition coloniale».
S’agissant de ces évènements cela me semblait être une réflexion de circonstances !
Reçois chère camarade mes salutations,
Jean-Pierre Page
Ancien secrétaire général de lUD CGT du Val de Marne( 1979-1992),
ancien membre de la commission exécutive de la CGT(1982-2000)
PS : il va sans dire que je me réserve le droit de faire connaître cette opinion"
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