Une option historique qui a échoué : le patriotisme de gauche
2 Février 2010 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #La gauche
La IIIème République française a failli incarner cette option. Mais le capitalisme l'a poussée sur la voie du colonialisme sous Ferry, et de la guerre dans les années 1910 (à une époque où elle était déjà plus à droite que du temps de Ferry).
La seconde république espagnole aussi au début des années 1930 baignait dans cette ambiance patriote "de gauche" comme je le découvre quand je lis les mémoire de mon grand père. Peut-être aussi la République de Weimar à ses débuts. L'aristotélisme d'Hannah Arendt, surtout dans ses pages contre l'impérialisme, me paraît lui aussi se rattacher à ce courant de pensée.
Je retrouve ce trait aussi chez les communistes français alliés au gaullisme pendant la seconde guerre mondiale - j'y songeais à propos de la résistante communiste que j'ai rencontée, et qui parlait de son foulard avec le papillon tricolore signe de reconnaissance des filles résistantes pendant la guerre. Ces gens étaient des patriotes de gauche, dans le même sens que l'était Clémenceau en 1880 (du temps où il était encore anticolonialiste). Leur façon de raisonner en fonction des emblèmes et des frontières de l'Etat-nation les a largement empêché de comprendre l'élan anticolonialiste des années 1945-46 (sauf quand cet élan était aux ordres de Moscou comme Ho Chi Minh, et encore, ont-ils été vraiment solidaires d'Ho Chi Minh en leur for intérieur ?).
Peut-être ce "patriotisme" là, présent au sein du PCF issu de la résistance, et dans les tendances "jauressiennes" du PS, eût-il encore quelques chances de l'emporter en 1981 avec le projet de "socialisme à la française" incarné par des gens comme Claude Cheysson.
Deux facteurs, tous deux liés à la mondialisation du capital, ont compromis cette option dans les pays riches.
Le premier, c'est le néo-colonialisme : la résistance à la décolonisation (en Algérie), la Françafrique, l'organisation de l'immigration massive en provenance du Tiers-monde sous Pompidou et Giscard, ont largement dynamité l'idéal de relative autharcie qui sous-tend le patriotisme de gauche, en même temps qu'il le ramenait sans cesse à ses péchés de complicité avec le colonialisme depuis la fin du 19ème siècle. Le second facteur, bien sûr, c'est l'européisme, devenu l'alpha et l'oméga des socialistes de tous les pays d'Europe après 1983.
Jean-Pierre Chevènement aura incarné une dernière fois en 2002, après la participation de la France à la guerre de Yougoslavie (1999) et d'Afghanistan (2001) une chance pour ce patriotisme de gauche, abreuvé du souvenir de Valmy, mais ce ne fut qu'un feu de paille.
Aujourd'hui il existe des miettes de cette option là, dans le blog anti-européen La lettre volée, dans l'association Initiatives citoyenneté défense, chez certaines recrues du parti des travailleurs déçues du chevènementisme (je ne sais plus quel est son nouveau nom). En Russie des gens comme Natalia Narotchnitskaïa (citée dans mon précédent billet) incarnent aussi cela. Ce courant partout où il essaie encore de survivre ne me paraît guère solide. Il n'intéresse ni les milieux issus de l'immigration postcoloniale, ni la petite bourgeoisie européenne (qui est pourtant son électorat "naturel") plus intéressée à rêver d'une improbable "Europe sociale" ou d'un monde sans frontière.
Voilà donc une option politique qui semblait viable sur le papier mais qui n'a pas tenu le choc face aux mouvements de fond du capitalisme. Aujourd'hui il faut sans doute imaginer autre chose. Prende acte d'une tendance à la globalisation des imaginaires des Occidentaux (même si cette globalisation est biaisée par le consumérisme et l'impérialisme). Seule une profonde crise systémique (d'ailleurs ouvertement souhaitée par beaucoup) aurait des chances de pousser les gens à se replier sur les symboles nationaux, mais même dans cette hypothèse ces chances me paraissent des plus faibles. Il est devenu bien trop aléatoire de miser sur pareille évolution. Ainsi voyons nous s'éloigner le seul cadre intellectuel possible dans lequel le patriotisme eût pu avoir des effets acceptables.
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