Articles avec #aide aux femmes yezidies tag
Le sort des minorités après la chute Bachar el-Assad
Réaction de ma correspondante yézidie à la chute de Bachar el-Assad en Syrie ce matin :
"Dear Frederic.
I am thankful that you remembered me and remembered my people today. It is good that Syria got rid of the dictatorial regime. But at the same time, I have a lot of fears. And I feel that my heart is broken from the morning because those who overthrew the regime are extremist Islamic groups. So I am really afraid of the future.
Have a good day"
La biographie de Nadia Murad
Bien sûr je ne détourne pas le regard de ce qui se passe à Gaza, ni des sites qui dénoncent le conditionnement idéologique (même si certains vont un peu trop loin, comme Le Grand Soir à propos d'Astérix - je n'approuve pas du tout ce qu'il en dit). Mais on ne peut se concentrer seulement sur cette tragédie contre laquelle on se sent bien impuissant. Il y a d'autres sujets d'intérêt aussi, comme cette histoire d'élus de la NUPES devenus relais du Qatar (c'est le Canard Enchaîné qui a révélé l'affaire).
Je lisais par exemple hier "The Last One" (en version française "Pour que je sois la dernière") de la prix Nobel de la Paix yézidie irakienne Nadia Murad.
Il est toujours mieux que la vie d'un personnage soit raconté par un écrivain, mais il faut ici reconnaître que le "nègre" comme on dit en littérature (ou peut-être la "négresse" si c'est une femme ?) auteur probable du livre a fait un travail remarquable pur pousser cette femme symbole du génocide commis par Daech en 2014 raconte par le menu son histoire. Ayant moi-même écrit des biographies de gens ordinaires, je sais par expérience qu'il est difficile de faire raconter le passé, de faire émerger des anecdotes pertinentes, des images qui font mouche. Les personnes qu'on questionne peinent à trouver intéressant ce qui leur est arrivé, c'est un travail de maïeutique très compliqué. Dans le cas de Nadia Murad, c'est réussi.
Personnellement je ne cherchais pas spécialement à connaître les horreurs qu'elle a subies entre les mains de Daech. C'est un sujet que je connais par coeur (voyez mes autres billets sur les Yézidis sur ce blog). Mais je voulais comprendre la vie de cette communauté, de ses rapports avec les Arabes, les Kurdes etc, avant 2014. Près d'un tiers du livre de la Prix Nobel est consacré à cela et c'est réellement limpide.
Et cependant j'avoue qu'affectivement je peine à entrer dans ce monde là. Peut-être est-ce un effet du début de ma vieillesse - mais je reconnais que je ne suis jamais vraiment entré non plus dans l'univers mental des Serbes, des Abkhazes, ni d'aucun des peuples qui ont été mis sur mon chemin ; je me suis contenté de parler avec bienveillance de leur histoire. Le monde de cette fille de paysan née dans les années 1990, onzième de sa fratrie, ses petites joies et peines quand elle va planter des oignons avec ses frères et soeurs à Kocho ou fêter le Nouvel An à l'arrière du pick up familial sur la montagne de Sinjar est trop éloigné du mien puisque je puisse vraiment comprendre ses rêves ou ses colères. Je peux seulement imaginer ce que c'est que d'évoquer cela comme on parle d'un objet précieux sauvagement brisé.
Sur le plan plus "géopolitique" on entrevoit en tout cas le regard que cette minorité a pu poser sur l'occupant américain (un soldat yankee lui a offert une bague), ce qui illustre peut-être le regard qu'on posé toutes les minorités instrumentalisées par l'empire occidental par le passé (les Hmongs au Vietnam, les Albanais dans les Balkans etc). Et l'on comprend mieux le processus d'enfermement des voisins sunnites dans l'islamisme radical quand les Kurdes prenaient le pouvoir dans la plaine de Ninive. Engrenage des injustices qui ouvre le cycle interminable des vengeances... Hélas notre regard sur les injustices est toujours très sélectif, partout, et en suscite toujours de nouvelles...
A propos d'un documentaire féministe sur les Yézidies
Mylène Sauloy est une journaliste apparemment fascinée par les femmes combattantes kurdes, un peu comme la protégée de Bernard Henry Lévy, Caroline Fourest (dont j'ai critiqué le film "Soeur d'armes" ici), au point qu'elle leur a consacré une bande dessinée. Elle a livré en 2022 un reportage diffusé sur Arte qui fait le point sur la situation des Yézidis.
Le reportage commence par des images du programme "boxing sisters" un programme de réhabilitation psychologique mené par "The Lotus Flower" dans un centre au nord de l'Irak. C'est un programme qui a été inventé par Cathy Brown, boxeuse professionnelle britannique à la retraite et thérapeute cognitivo-comportementale certifiée. L'association a été fondée par Taban Shoresh, la fille d'un intellectuel kurde qui a failli être enterrée vivante sous Saddam Hussein dans les années 1980. "Toutes les encadrantes sont yézidies" dans le centre, dit le reportage. Les femmes yézidies y participent, nous dit-on, malgré le refus des hommes. On soupçonne une inspiration bouddhiste ou New Age derrière le logo, mais on n'en saura pas plus. L'association dit être financée par le "Prism the Gift Fund" dont la présidente a été nominée comme conseillère anthropique de l'année 2022 des Awards du Cercle Magique de la prospérité urbaine... Il faudrait faire un peu de journalisme d'investigation pour savoir ce que recouvrent ces termes...
Puis on nous parle de "Rosa", 19 ans, qui retrouve sa famille dans un village après huit ans aux mains de Daech (tout comme sa soeur cadette). Elle ne sait plus parler kurde. Elle a été achetée par un homme de Tel-Afar cinquantenaire grand-père, revendue à un Libanais qui meurt rapidement. Puis elle erre entre Syrie et Irak. On nous montre la visite du "chef de la tribu" chez la jeune fille. La grand mère a aussi été captive pendant 10 mois. Le petit cousin capturé à 2 ans a été racheté pour 7 000 dollars au bout de 4 ans. Une vingtaine de membres de sa famille sont toujours portés disparus.
On nous montre le rituel de purification au sanctuaire de Lalish qui semble avoir été adapté ad hoc pour les femmes violées. Le rituel est effectué par une femme qui semble faire une invocation à la "source blanche" (min. 5'50). "Ce sont les religieux qui ont sauvé (les femmes violées rejetées par leurs familles) en proposant cette cérémonie" dit la présentatrice (mais en réalité on va voir que le reportage n'est pas spécialement orienté en faveur des forces religieuses de cette communauté, au contraire). On nous parle rapidement de cette religion qui leur a valu d'être accusés de vénérer le diable "par un Islam rigoriste", dit la commentatrice (personnellement je ne vois pas où est le rigorisme à refuser le paganisme, en d'autre temps on aurait seulement dit "orthodoxe"... quant à l'accusation de vénérer le diable, elle n'a pas grand chose à voir avec l' "islam rigoriste"). "Tout ce qu'on demande c'est la libération de nos captifs" dit la jeune fille qui se pose ainsi en porte-parole autoproclamée "on ne demande rien à personne, on ne veut ni argent ni visa, on veut nos captifs" (7e minute) - pas sûr que tous les yézidis aient une revendication aussi limitée.
Pour expliquer où peuvent se trouver le tiers de femmes et enfants qui manquent toujours à l'appel, la journaliste va enquêter au Rojava, dans un village de la province de Hassaké où une association bénévole a pu libérer plus de 400 femmes et enfants captifs. Ce sont eux qui ont accueilli Rosa avant qu'elle ne retrouve sa famille. Rosa avait dit à l'association explique un de ses responsables, que tel ou telle captif de Daech s'est fait exploser dans des attentats suicides, car Daech leur ont "lavé le cerveau et leur ont même fait croire que des Yézidis ont tué leur famille" (min 9). Pour mémoire en mai 2018 Paris Match avait interviewé un Yézidie au Maroc qui était sincèrement convertie à l'Islam. Il n'y a pas eu que du "lavage de cerveau"...
L'association mène parfois des recherches au camp d'Al-Hol, l' "incubateur de djihadistes" comme l'appelait Le Point en janvier dernier... 60 000 personnes y vivaient en 2022, et bourreaux et victimes s'y mélangeaient. C'est un "bourbier de violence" nous dit-on, où "Daech fait la loi"... Bon, on réservera une analyse plus approfondie de ce microcosme là pour un autre jour peut-être. On nous décrit les méthodes de recherche de l'association, à partir de quelques photos ils essaient de reconnaître les gens à travers de minces indices comme des rictus de lèvre, des arcades sourcilières.
Certaines femmes ont été emmenées en Turquie et y restent pour ne pas être séparées de leurs enfants. On nous montre un orphelinat dans un lieu tenu secret au Rojava. Il s'y trouve des orphelins de guerre et des enfants yézidis.
Celle qui est présentée comme la ministre des femmes du Rojava en visite dans cet orphelinat regrette que les lois de Syrie et d'Irak attribue à l'enfant la religion du père de sorte qu'ils ne peuvent plus être repris par leur communauté (min 12'48). Très bizarrement on ne nous indique pas le nom de cette ministre. Il semble qu'au Rojava chaque canton ait un ministre des femmes (cf ici)... La dame dit qu'il faudrait faire pour les yézidis des sortes de villages de femmes, comme les Kurdes du Rojava en ont déjà...
"Au Rojava une révolution a eu lieu,s'enthousiasme la voix off (min 14'23). La loi protège les femmes et les enfants portent le nom de leur mère" (sic). S'esquisse ici la dimension la plus clairement idéologique du reportage, qui va être de plus en plus martelée.
La caméra nous amène à Sinjar avec un journaliste qui fait visiter les décombres du centre-ville. Il explique que les forces irakiennes et les peshmergas ont abandonnés les Yézidis en 2014. La voix off dit qu'aujourd'hui (16'14) "ces mêmes forces irakiennes discréditées tentent de prendre le contrôle du territoire par la menace, sans investissement aucun pour le retour des yézidis sur leurs terres" (sic)... Sauf qu'on aurait tendance quand même à penser qu'il n'est pas illégitime que la police d'un Etat chercher à en contrôler le territoire qui lui appartient (surtout si l'on sait, comme on le verra plus loin, quelles forces assez suspectes sont en train d'en prendre le contrôle à leur place...).
"Cette fois les femmes sont en première ligne pour s'y opposer" exulte la voix. Et là on entre dans la dimension "éloge des amazones" qui était en fait le but ultime de tout ce reportage (comme avant lui du film de Caroline Fourest). "Sous l'influence des combattantes du PKK" ajoute la voix. "Ici le check point est féminin et les bombardements turcs fréquents", poursuit-elle. Une Yézidie (ou une Kurde ?) déclare en 17ème minute "Pendant les combats nous les mères on vivait sous des tentes isolées quand les 'femmes camarades du PKK' (sic) so,t venues pour alléger nos peines. Elles nous ont aidées et on a créé l'assemblée des femmes ici même".
"Le destin des femmes était aux mains des hommes, dit une autre, ils avaient droit de vie et de mort sur nous, mais ça ne peut plus être comme ça". On nous montre des femmes criant "femme ! vie ! liberté !" en nous disant que l'assemblée des femmes a "pris de la voix", et des manifestations féminines contre les forces de sécurité irakiennes et les bombardements turcs. On nous dit que ces femmes veulent pour Sinjar un gouvernement autonome, paritaire, avec sa propre armée comme au Rojava syrien.
On nous montre une nouvelle assemblée de femmes "émancipées". On ne nous explique pas trop quelle est cette structure. C'est une assemblée du mouvement Tevgera Azadiya Jinên Êzidî ( Mouvement pour la liberté des femmes yézidies). La commissaire politique (qui a tout à fait le physique de l'emploi, surtout le regard) incite les femmes assises sur des coussins à faire sortir de chez elles les soeurs et belles soeurs de celles qui sont venues. La voix off fait l'éloge de Yadê Şemê
Si l'on veut un aperçu de ce personnage, on peut se reporter à cet article d'un site kurde de 2021 dans lequel on nous dit :
"Un nouveau massacre a été commis hier à Shengal (Sinjar, au Kurdistan irakien /// En fait Sinjar ne fait administrativement pas du tout partie du Kurdistan !///) qui a entraîné la mort de Hesen Seîd, commandant de l'YBS [Unités de résistance yézidies] et père du martyr Beriwan et d'Isa Xwedêda, combattant de l'YBS. Alors que l’État turc a entrepris de massacrer les Yézidis, tâche que l’État islamique n’a pas réussi à accomplir, il continue d’attaquer Shengal avec le soutien de l’Irak et du Parti démocratique du Kurdistan (PDK), et avec le consentement des États-Unis et d’autres acteurs internationaux. pouvoirs.
Les caméras ont capturé la colère d’une mère yézidie à côté d’une voiture accidentée et d’un enterrement. Elle appelait à des représailles contre les tueurs, contre leurs complices. Les gens autour qui essayaient de la calmer avaient également leur part de cette colère. Cette femme en colère qui a crié au visage des soldats irakiens en disant : « C'est le résultat de vos plans, de votre trahison. Que Melek Tawus /// l'ange suprême des yazidis /// vous détruise tous », était Yadê Şemêi."
On le voit donc, cette dame est la voix de la colère et de la vengeance. Le reportage la montre parlementant avec l'armée irakienne qu'elle empêche de laisser passer (alors que, rappelons le, techniquement Sinjar ne fait pas partie du Kurdistan autonome même si les peshmergas s'y étaient installés en 2014, de sorte que le gouvernement irakien a parfaitement le droit de la gouverner). "Même si vous me crevez les yeux vous ne passerez pas" crie-t-elle aux soldats qui rebroussent chemin. Elle se plaint ensuite devant la caméra de ne pas pouvoir sortir de la région sans risquer de se faire arrêter soit par le gouvernement kurde soit par le gouvernement irakien. La commissaire politique (dont jamais le nom n'est donné) lui emboîte le pas pour déplorer qu'aussi sur les réseaux sociaux comme Facebook et TikTok on se moque d'elle "Ils mènent une guerre psychologique" dit-elle pour se moquer des femmes dans des vidéos et leur faire baisser les bras. Elle montre des vidéos sur son portable. Elle ajoute qu'il y a aussi des menaces de mort des services turcs par téléphone.
On nous vante le "Nisan Café" la cafétéria en préfabriqué construite "pour les familles" par l'assemblée des femmes "loin des cafés réservés aux hommes", le parc pour les enfants, le centre de formation professionnelle, tout cela créé par le PKK (avec quel argent ? le reportage de propagande ne le dit pas...). "C'est l'assemblée des femmes qui a mis en place ce projet pour que les jeunes femmes yézidies puissent travailler", nous dit la responsable de cette structure devant son four à pain (minute 22). "On distribue 300 à 400 pains par jour gratuitement aux pauvres et aux plus précaires".
Puis le reportage enchaîne avec un meeting dans la montagne ("journée festive d'hommage aux femmes") où l'on voit des femmes "ninja" libérer d'autres femmes au terme de combats. "Le génocide a agi comme un détonateur pour l'émancipation des femmes d'une société ultra-conservatrice", nous dit-on.
La parole est donnée à une commandante qui dit sur un air de défi "maintenant les femmes sont armées". Ce qui, du coup, donne un sens très différent, rétrospectivement, au début du documentaire : l'éloge des exercices de "réparation psychologique" par la boxe, n'était en fait qu'un éloge de la haine et de la violence.
Pour mémoire j'avais déjà remarqué qu'à l'ONU en mai 2019 les clients de Soros comme Amal Clooney instrumentalisaient la cause des yézidis pour faire passer un discours pro-ingérence et pro-avortement. Puis avec Caroline Fourest on avait un discours de revanche contre la masculinité en général. Cette fois, avec Mylène Sauloy c'est l'éloge de la haine, des femmes "entre elles" armées, qui lancent des malédictions contre les gouvernements en place (aussi bien kurde qu'irakien) comme le fait cette Yadê Şemêi. Il faut que les femmes sortent de leurs foyers avec leurs enfants (et pas seulement les foyers de leurs violeurs en Syrie, mais aussi leurs foyers à Sinjar en Irak), rejoignent des camps militaire, coupent les ponts avec les hommes et avec les gouvernements légaux. Qu'elles se mettent aux ordres du PKK, en ordre de marche, et leurs enfants aussi !
Divers éléments ont démontré que Daesh était un rejeton de la CIA. Il en résulte qu'on peut avoir beaucoup de soupçons sur les véritables commanditaires du massacre des Yézidis d'Irak en 2014. S'est-il agi d'un génocide "spontané" ou planifié ? et s'il fut planifié dans quel but était-ce ? Ce qu'on voit aujourd'hui dans l'ordre de la récupération de la colère des Yézidis a-t-il été aussi planifié et à quel moment ? Qui aujourd'hui finance ces centres de formation du PKK à Sinjar ? Ceux qui, comme cette journaliste ou ceux qui la diffusent sur Arte, cautionnent un féminisme extrémiste et militariste chez les rescapées yézidies ont-ils conscience que, ce faisant, ils ne vont faire que parachever le travail de Daech, c'est à dire la destruction de cette communauté, ? car séparer les femmes et les enfants des maris à Sinjar ne mènera à rien qu'à couper les Yézidis de leurs traditions, renforcer le totalitarisme du PKK, et encourager en représailles le gouvernement irakien, les Turcs et le gouvernement régional kurde à réprimer ces pauvres Yézidis embrigadés. En tout cas les Yézidi(e)s ont tout à perdre à mettre le doigt dans l'engrenage du féminisme extrémiste. Et Arte enfonce un clou de plus dans le cercueil des yézidis morts en versant dans ce genre de délire.
Prisme médiatique
Une amie journaliste yézidie irakienne m'envoie un mail intitulé : "Pray for France". Elle m'y écrit : "Dear Frédéric, I am so sorry for what is happening now in your country. It is painful to see all those violences and damaged cars in the streets. I hope you and your family are doing well and wish your country peace as soon. Best regards" (Je suis si désolée de voir ce qu'il se passe en ce moment dans ton pays. Ca fait de la peine de voir toute cette violence et les voitures brûlées dans les rues. J'espère que toi et ta famille allez bien et souhaite à ton pays de retrouver la paix très bientôt)
J'arrive à peine à y croire ! Bon sang ! Cette femme appartient à un peuple qui a été victime d'un génocide en 2014. En 2015 elle prospectait de tous côtés pour essayer de retrouver ses soeurs devenues esclaves de Daech à Shingal et aux quatre coins du Proche-Orient. Et voici qu'elle m'écrit comme si mon pays était la nouvelle Bosnie-Herzégovine ! Le prisme médiatique dans les grands journaux planétaires produits des déformations incroyables. Il est plus que temps que les gens se déconnectent de ce labyrinthe de miroirs.
---
PS : Une de mes correspondantes dans le Sud-Ouest m'écrit après avoir lu ce billet :
"Titre de la nouvelle République des Pyrénées : Tarbes s'embrase avec une photo d'un incendie....
En lisant l'article on apprend qu'il y a eu de " violents affrontements", mais curieusement aucun blessé.
En rentrant, nous passons dans les deux quartiers concernés ( il y a tellement de danger qu'il est possible de les traverser sans aucun souci de jour comme de nuit), pour voir les dégâts.
Total : une poubelle incendiée de chaque côté..."
Ca ne m'étonne pas car la presse quotidienne régionale est encore plus mensongère que les médias nationaux et internationaux. Même agenda.
D'un autre côté, un type d'un quartier populaire de province, pour sa part m'écrit :
"En tout cas ici je te garantis que ça a bien brûlé, que les gens ont eu peur, qu’on a vidé l’école de ce qui pouvait être sorti, qu’on a craint tout le week-end et que seuls les CRS ont pu arrêter le déchaînement de violence. Les gens n’ont pas dormi du week-end.
Oui ce qu’il se passe est grave. Non il n’y a pas que le miroir déformant de la télé pour le dire. La maire de la ville a vu une foule lui foncer dessus et a eu la peur de sa vie, m’a-t-elle dit. Des gens ont surveillé leurs entreprises en s’armant. Oui les quartiers bourgeois n’ont pas vu ce qu’il s’est passé. Les quartiers populaires et les petites villes l’ont vu. Oui je te l’affirme ce qu’il se passe est très inquiétant. Les gens ont eu peur. Pas en regardant la télé, en regardant inquiets par leur fenêtres les flammes et les hordes.
Ne te trompe pas de diagnostic.
La faillite morale est avancée, la faillite nationale est avancée, la France est malade, bien plus que tu ne le croies. Sa jeunesse est perdue. Son avenir est sombre. "
C'est comme à l'époque du Covid. Ceux qui disaient que cette épidémie n'était rien avaient tort, et ceux qui disaient que c'était un danger apocalyptique aussi. Difficulté de trouver la juste mesure.
Dans le train...
Dans un train, en première classe, un titre accroche mon attention sur la tablette d'un quadragénaire à côté de moi "Comment l'Europe abandonne les Yézidis". Le Journal s'appelle "Franc Tireur" numéro 6. Sur le site de ce média, on apprend qu'il a été fondé par des journalistes mainstream que je déteste. C'est un magazine très anti-chrétien, pro-ingérence. Un de ses fondateurs veut envoyer la police chez les non-vaccinés.
Il y a quelques mois, quand une faiseuse d'anges yézidie est morte avec les hommages de CNN alors qu'elle était très controversée dans sa communauté, j'ai dit à un éditorialiste chrétien américain qu'il faudrait quand même expliquer à l'opinion publique un jour que les Yézidis sont un peuple "sociétalement" très conservateur, pas du tout sur la longueur d'ondes de ceux qui, sous nos latitudes, les défendent. Mais il n'a pas publié l'article que je lui proposais sur ce thème.
Je n'ose pas trop demander à ce passager comment il a connu l'existence de ce magazine qui n'est pas beaucoup cité sur le Net... Je ne pourrai pas retirer beaucoup d'informations sociologiques sur ce personnage, à part le fait que, quand il a fini de lire "Franc Tireur", il ouvre "Il fait beau à Paris aujourd'hui" de Fred Uhlman...
Des Yézidis, des Kurdes, des Syriens, la frontière polonaise
Un Yézidi de Sinjar coincé dans une forêt avec en Europe de l'Est des gens de son clan explique "notre situation en Irak était difficile, nous sommes venus ici. Aidez nous s'il vous plait. Il y a ici des filles, des enfants, des vieux. Ils vont vous raconter leur histoire. Un Kurde de Zakho ajoute : "Nous sommes ici depuis dix jours, des gens sont morts. On ne nous laisse pas entrer en Pologne ni retourner en Biélorussie. On a faim et soif. On ne nous donne ni nourriture ni eau. Ceux-là sont des Syriens." Les Syriens disent : "Portez nous secours, nous sommes ici avec nos frères Yézidis. Il n'y a pas de nourriture ici." Une femme yézidie ajoute "Une personne meurt ici chaque jour".
Le chef du Parti de la Loi et de la Justice et vice-premier ministre en Pologne Jarosław Kaczyński affirme que les autorités de Minsk envoient des "migrants économiques" en Pologne pour se venger du soutien de Varsovie à l'opposition biélorusse. Il parle d'une "guerre hybride". Il précise que les autorités biélorusse les amènent dans une zone tampon comme cette forêt où ils peuvent avoir une chance de traverser la frontière. Ils sont délibérément placés dans une position précaire pour faire pression sur Varsovie.
Ces gens ne sont pas des pauvres, précise Kaczyński, car ils ont pu payer leur billet jusqu'à Minsk. Ils font simplement l'objet d'une énorme manipulation.
Chrétiens et Yézidis
En novembre dernier, je vous avais parlé de ce Yézidi interviewé dans un camp de réfugiés en Irak par un chrétien américain en mai dernier, qui déclarait avoir survécu miraculeusement à la lapidation par Daech et à une tentative de le brûler avec 80 litres de kérosène et que Jésus-Christ lui était apparu (voir la vidéo en anglais ici).
J'ai demandé à une amie yézidie irakienne ce qu'elle en pensait et si les communautés de yézidis ne risquaient pas de le détester pour son témoignage, et voici en quels termes (fort mesurés) elle réagit à cette vidéo :
"Cher Frédéric, En tant que Yézidie issue de cette société, je suis convaincue à 100% qu'il ment et aussi que les Yézidis ne feront jamais de mal ou ne détesteront pas quelqu'un qui aime Jésus.
Je ne comprends pas pourquoi il dit ça et quel est son objectif!
D'un autre côté, j'ai rencontré beaucoup de groupes de chrétiens qui viennent spécialement des États-Unis et qui travaillent dur pour convertir les yézidis et autres réfugiés. Cela m'a rendue si triste et j'arrête de les aider à se rendre dans les camps après cela parce qu'ils sont allés avec de la nourriture et d'autres aides, mais ils se concentrent sur ce qu'ils peuvent leur afin de leur enseigner Jésus et leur dire qu'ils souffrent parce qu'ils sont positionnés sur de mauvaises croyances. Nous pourrons en parler de vive voix plus tard :)"
Je dois préciser tout d'abord que si j'ai interrogé mon amie à ce sujet, c'était en premier lieu pour essayer d'avoir une vision un peu complète de cette scène, pas seulement du point de vue chrétien. Et aussi, parce que je sais que les Yézidis en tant que groupe ethno-religieux peuvent difficilement s'accommoder d'une dissidence religieuse qui peut miner leurs traditions et leur identité, surtout après l'horrible génocide qu'ils ont subi en 2014, l'exil massif des survivants (avec l'impossibilité de maintenir les rituels à l'étranger etc)... On l'a vu dans le cas extrême d'une esclave yézidie convertie à l'Islam au Maroc dont parlait Paris-Match en mai 2018 (je dis extrême parce qu'on conçoit que les Yézidis ne supportent pas en ce moment que les filles de leurs communautés rejoignent la religion de leurs bourreaux dans un contexte qui peut évoquer le syndrome de Stockholm...
Il y a des enjeux politico-religieux extrêmement importants autour de cette communauté. Vous savez que beaucoup d'occultistes à la suite de Mme Blavatsky et de Gurdjieff (une des références de la chanteuse Kate Bush) les ont crus détenteurs de savoirs secrets (au point qu'on peut même se demander si les sociétés secrètes à l'oeuvre au sein du parti démocrate américain n'ont pas favorisé la montée de Daech justement pour les inclure dans un vaste trafic d'esclaves comme victimes sacrificielles, et l'empressement de gens également liés à des sociétés secrètes comme Amal Clooney et Angelina Jolie). En 2016-2017 un Sikh les aidait avec zèle dans les camps, tandis que beaucoup d'hindouistes prétendent que les Yézidis sont leurs frères, et qu'un étrange gourou de secte que Léo Zagami considère comme crowlésien fait de la propagande pour eux en Amérique du Nord.
Et il existe un enjeu spécifique au christianisme qui impose à ses adeptes de libérer l'humanité des emprises démoniaques. D'un point de vue biblique, la religion yézidie présente des aspects de sorcellerie. Sans même se demander si leur Dieu-paon est Lucifer, ni si leur rapport "dialectique" au Mal, qui existe aussi dans le soufisme, est compatible avec la Bible, on voit bien que leur culte du soleil, et leurs rituels qui engagent des entités invisibles sont antithétiques du message de libération christique. Mais il est clair aussi que la réponse de mon amie pose à juste titre la question de la manière dont la prédication se fait : "dis que tu as vu Jésus et je te donne un sac de riz" relève de la pure brutalité impérialiste, un peu comme les bombardiers américains qui balançaient en 1999 des tracts disant "si vous ne renversez pas Milosevic nous vous écraserons". Ce n'est plus du "spiritual warfare" (du combat spirituel), c'est du chantage odieux et méprisable dépourvu de tout respect pour les vies et les coutumes d'autrui. J'observe que le type qui interviewe ce Yézidi est guitariste de Bethel Music. Or les communautés de Bethel sont critiquées par beaucoup de chrétiens bibliques comme ayant recours à des procédés charismatiques quasi-démoniaques de type New Age (voir le témoignage de Lindsay Davis, interviewée par la médium repentie Doreen Virtue). Par ailleurs ce guitariste a été candidat républicain à la députation pour le parti républicain en Californie. On a là une forme de prédication chrétienne inféodée à des intérêts impérialistes très active au Proche-Orient et très dangereuse qui, en réalité, dénature très profondément la démarche évangélique proposée par la Bible.
Le flop du film de Caroline Fourest sur les Yézidis
Diffusion du film de Caroline Fourest "Sœurs d'armes" le 24 octobre dernier au 4e festival international du film Souleimaniye. Dana Taib Menmy pour Al Monitor relevait l'accueil assez hostile du public. Le journaliste Rawshab Qasim regrettait que la journaliste n'ait pas mentionné le rôle libérateur des YPG. L'acteur irakien a dénoncé les faiblesses du scénario. Bref une façon diplomatique de dire que le film est mal fait et qu'il ment sur la réalité factuelle.
Déjà en octobre au moment de la sortie du film en France Libération avait rendu compte d'un communiqué publié sur les réseaux sociaux, par le collectif des combattantes et combattants francophones du Rojava qui protestait contre la représentation des combattantes kurdes dans le film et l'accusait notamment d'avoir «travesti la réalité historique dans son film» en présentant «les forces kurdes comme une entité unique, aux contours politiques flous», enjolivant notamment le rôle des Peshmergas dans la lutte contre les djihadistes. Le collectif dénonçait aussi des scènes de combat «médiocrement inspirées d'une vision hollywoodienne de la guerre (le budget en moins) à laquelle même un enfant ne pourrait croire» ou fustige le comportement de la réalisatrice et son actrice Camélia Jordana, qui «ont répété sur le plateau de Quotidien cette semaine combien elles s'étaient "éclatées" à faire un film de guerre» : «La guerre n'est pas un divertissement [...] Cette guerre, nous l'avons faite et nous ne nous sommes pas "éclatés"».
Enfin, le CCFR notait plusieurs incohérences et caricatures, et estimait que Caroline Fourest cherche avant tout «à défendre sa propre vision de cette lutte pour lui faire dire ce qui sert son propre combat politique et sa propre vision du féminisme». Combattant aux côtés des Kurdes syriens et auteur du livre Jusqu'à Raqqa, André Hébert, porte-parole du collectif, dans un entretien à la Nouvelle République, avait dénoncé quant à lui "un tissu d'invraisemblances et de contresens lourds insultant la mémoire de ceux qui se sont vraiment battus et qu'elle n'a jamais joints." "C'est un rapt de cause au profit de son agenda politique personnel, avait-il déclaré, et une réécriture complète de cette histoire au profit d'une vision du féminisme très occidentalisée qui reste son fond de boutique".