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Le blog de Frédéric Delorca

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Les prophéties chez Lucain

11 Février 2015 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Antiquité - Auteurs et personnalités

romans.jpgQuand César franchit le Rubicon, Lucain dans le livre I de la Pharsale décrit la terreur qui s'empare de nombreux Romains ("Oh ! Qu'aisément les dieux nous élèvent au comble du bonheur ! Que malaisément ils nous y soutiennent !").

 

On consulte les devins étrusques, selon la tradition, dit Lucain, à commencer par Arruns de Luca, qui lit dans le mouvement des oiseaux et émet un oracle au vu des entrailles d'un taureau : "O dieux ! Dois-je révéler au monde tout ce que vous me laissez voir ? Non, Jupiter, ce n'est pas à toi que je viens de sacrifier, j'ai trouvé l'enfer dans les flancs de ce taureau. Nous craignons d'horribles malheurs, mais nos malheurs passeront nos craintes. Fasse le ciel que ces signes nous soient favorables, que l'art de lire au sein des victimes soit trompeur, et que Tagès qui l'inventa nous en ait imposé lui-même."

 

C'est Figulus qui est chargée de l'expliciter :

 

"Figulus, qu'une longue étude avait admis aux secrets des dieux, à qui les sages de Memphis l'auraient cédé dans la connaissance des étoiles et dans celle des nombres qui règlent les mouvements célestes, Figulus éleva sa voix : "Ou la voûte céleste, dit-il, se meut au hasard, et les astres vagabonds errent au ciel sans règle et sans guide ou, si le Destin préside à leur cours, l'univers est menacé d'un fléau terrible. La terre va-t-elle ouvrir ses abîmes ? Les cités seront-elles englouties ? Verrons-nous les campagnes stériles ? les airs infectés ? les eaux empoisonnées ? Quelle plaie, grands dieux ! quelle désolation prépare votre colère ? De combien de victimes un seul jour verra la perte ! Si l'étoile funeste de Saturne dominait au ciel, le Verseau inonderait la terre d'un déluge semblable à celui de Deucalion, et l'univers entier disparaîtrait sous les eaux débordées. Si le soleil frappait le Lion de sa lumière, c'est d'un incendie universel que la terre serait menacée ; l'air lui-même s'enflammerait sous le char du dieu du jour. Ni l'un ni l'autre n'est à craindre. Mais toi qui embrases le Scorpion à la queue menaçante, terrible Mars, que nous réserves-tu ? L'étoile clémente de Jupiter est à son couchant, l'astre favorable de Vénus naît à peine, le rapide fils de Maïa languit ; Mars, c'est toi seul qui occupes le ciel. Pourquoi les astres ont-ils abandonné leur carrière, pour errer sans lumière dans le ciel ? Pourquoi Orion qui porte un glaive, brille-t-il d'un si vif éclat ? La rage des combats va s'allumer ; le glaive confond tous les droits ; des crimes qui devraient être inconnus à la terre obtiennent le nom de vertus. Cette fureur sera de longue durée. Pourquoi demander aux dieux qu'elle cesse ? La paix nous amène un tyran ! Prolonge tes malheurs, ô Rome ! traîne-toi d'âge en âge à travers des ruines. Il n'y a plus de liberté pour toi qu'au sein de la guerre civile."

 

Et une matrone qui, habitée par Phébus, va compléter :

 

"Telle des sommets du Pinde descend la bacchante pleine des fureurs du dieu d'Ogygie, telle à travers la ville consternée s'élance une matrone révélant par ces mots le Dieu qui l'oppresse. "Où vais-je, ô Péan ! Sur quelle terre au-delà des cieux suis-je entraînée ? Je vois le Pangée et ses cimes blanches de neiges, et les vastes plaines de Philippes au pied de l'Hémus. Phébus, dis-moi, quelle est cette vision insensée ? Quels sont ces traits, quelles cohortes romaines en viennent aux mains ? Quoi ! une guerre et nul ennemi ? Où suis-je ailleurs emportée ? Me voici aux portes de l'Orient où la mer change de couleur dans le Nil des Lagides. Ce cadavre mutilé qui gît sur la rive du fleuve, je le reconnais. Je suis transportée aux Syrtes trompeuses, dans la brûlante Libye, où la cruelle Erinys a jeté les débris de Pharsale. Maintenant je suis emportée par-dessus les cimes nuageuses des Alpes, plus haut que les Pyrénées dont le sommet se perd dans les airs. Maintenant je reviens dans ma patrie. La guerre impie s'achève au sein du Sénat. Les partis se relèvent ; je parcours de nouveau l'univers. Montre-moi de nouvelles terres, de nouvelles mers, Phébus, j'ai déjà vu Philippes (50)." Elle dit, et tombe épuisée sous le dernier effort de sa fureur."

 

A la suite de Cicéron, les historiens attribuent au sénateur Nigidius Figulus (98-45 av JC), médium et voyant, la renaissance du pythagorisme à Rome.

 

Cicéron dit de lui:

 

« Cet homme fut à la fois paré de toutes les connaissances dignes d'un homme libre et un chercheur (investigator) vif et attentif pour tout ce que la nature dissimule (quae a natura involutae videntur). Bref, à mon avis, après les illustres pythagoriciens dont l'enseignement s'est de quelque façon éteint après avoir fleuri pendant plusieurs siècles en Italie et en Sicile, il est l'homme qui s'est levé afin de le renouveler. » (Timaeus, I, 1, 2)

 

Plusieurs choses me surprennent dans ce passage. D'abord le fait que Rome au bord du chaos remette la lecture de son avenir à ses vaincus : les Etrusques - seul peuple non indo-européen d'Italie, qui, après avoir dominé Rome, ont vu leur région soumise et ravagée par elle - et une femme, une matrone.

 

Je suis surpris de voir qu'un vieil augure est interrogé avant Figulus. Dans les traditions africaines les vieux parlent en dernier, mais peut-être est-ce l'inverse au Sénat romain (j'ai oublié), et comme la religion fonctionnait sur le modèle du Sénat (comme la congrégation d'Isis sur le modèle des municipes si l'on ne croit Apulée) ce serait un point à vérifier.

 

Dans le propos de Figulus divers points m'échappent. " Si l'étoile funeste de Saturne dominait au ciel, le Verseau inonderait la terre d'un déluge semblable à celui de Deucalion, et l'univers entier disparaîtrait sous les eaux débordées. Si le soleil frappait le Lion de sa lumière, c'est d'un incendie universel que la terre serait menacée ; l'air lui-même s'enflammerait sous le char du dieu du jour", "toi qui embrases le Scorpion à la queue menaçante, terrible Mars", "Orion qui porte un glaive"... Je note que l'astrologie est très présente dans la Pharsale puisqu'elle revient lorsque Pompée navigue vers sa mort au large de l'Egypte.

 

La femme qui sort dans la rue est possédée par Apollon Phébus (plus Phébus d'ailleurs qu'Apollon dont le titre grec n'est introduit que par Auguste, mais Lucain peut commettre un anachronisme en pensant aussi ici à l'Apollon grec), comme la Pythie de Delphes. On sait que la mère d'Auguste a été fécondée par le serpent d'Apollon pour enfanter Auguste selon Suétone (et l'on se souvient de l'importance de l'oracle d'Apollon et de la sibylle de la ville italo-grecque de Cumes dans Virgile. Or Suétone raconte que Figulus émet une prophétie lors de la naissance d'Auguste, ce qui lie d'une certaine manière Figulus à Apollon comme cet enchaînement étrange chez Lucain entre Figulus et la matrone inspirée par Apollon.

 

C'est finalement la matrone voix d'Apollon qui livre l'oracle le plus précis, qui est un véritable résumé de toute l'oeuvre "la Pharsale". La matrone effectue une "décorporation" diraient nos médiums contemporains et se trouve authentiquement transportée aux divers lieux de la guerre civile. Alors que la prophétie astrale de Figulus est très axée sur le temps (elle prédit la durée de la guerre), celle de la matrone est très spatiale (elle en visualise les lieux).

 

Je ne suis pas en train de dire que Lucain rapporte des traditions réelles sur la première année de la guerre civile en Italie (nous n'avons aucun moyen de le savoir). Je dis juste que son propos a un sens qui mérite d'être exploré "de l'intérieur". Lucain est l'auteur d'une descente aux enfers. Nous savons que les descentes aux enfers sont des résultats de techniques d'incubation qui mettent en contact avec le sacré. Par conséquent "La Pharsale" se donne comme un poême inspiré, et les "visions" dont il témoigne doivent être analysées de très près.

 



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Eros et Psyché selon Apulée

25 Octobre 2014 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Antiquité - Auteurs et personnalités

Je m'intéresse au culte d'Isis ces derniers temps. Quand j'ai appris qu'Apulée a été instruit dans les mystères de cette déesse, je me suis dit que je devais le lire.

 

J'ai aimé le début de son conte "L'Ane d'Or", qui est très vivant, très beau, et témoigne d'un intérêt sincère pour le surnaturel, pas du tout kitsch, je trouve (Apulée lui même était un peu médium, et de son vivant fut traduit en justice pour sorcellerie). Et puis c'est très doux. La relation du héros Lucius avec l'esclave Photis par exemple : je ne connais pas d'équivalent à cela dans la littérature antique, pas même dans les équivalents de nos actuels "romans à l'eau de rose" comme Clitophon et Leucippé.

 

angelJe suis d'autant plus surpris de découvrir, au milieu du récit, l'histoire d'Eros et de Psyché, car le tableau de Bouguereau sur ce thème me poursuit depuis quelques mois (et pas toujours dans des conditions très heureuses). Je comprends que cette fiction donne du fil à retordre aux exégètes. C'est une vieille femme qui la raconte à une aristocrate grecque captive, tandis que Lucius a déjà été transformé en âne. C'est une histoire dans l'histoire comme il y en a plusieurs. La vieille la commence en disant en gros que c'est une histoire de bonne femme, ce qui est peut-être une façon pour Apulée (Apulée le Berbère...) de la tenir un peu à distance.

 

J'aime beaucoup la thématique initiale : celle de la fillette dotée d'une beauté divine qui "vide de l'intérieur" pourrait-on dire, la raison d'être même de Vénus (dont les sanctuaires sont désertés à cause d'elle). D'ailleurs Apulée vide plusieurs fois Vénus de son charisme dans ce conte, c'est très étrange. Son fils, lui, Eros, est porté au pinacle comme le plus redoutable des dieux, finalement plus puissant encore que Jupiter qui a des airs très vieillots. J'aime aussi, dans la relation entre Psyché et Eros, cette ambiguïté qui fait que la rivale involontaire de Vénus ne peut savoir si son amant est un dieu magnifique ou un monstre meurtrier. Elle manque de foi, et paiera lourdement son manque de foi. C'est le côté très juste de la fable.

 

L'autre côté, la longue errance de Psyché, me semble un peu lassant. Une correspondante m'écrit ce soir : "L'histoire d'Eros et de Psyché est, à mon avis, une parfaite illustration de la locution latine que vous m'avez répétée à plusieurs reprises et que vous avez écrite sur votre blog : Ad augusta per angusta." Certes, certes. Mais ça a un côté un peu "convenu" je trouve, dans la littérature antique. Songez à l'Anabase de Xénophon par exemple. "Eros et Psyché" à la longue me fatigue un peu, j'aurais presque hâte de revenir à l'histoire du brave âne Lucius qui, lui, ne se fâche pas avec les dieux, et paie seulement les bêtises ensorcelantes de son adorable Photis.

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Deux billets de 100 Francs dans "La Pharsale" de Lucain

15 Août 2014 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Antiquité - Auteurs et personnalités

Mon petit camarade a laissé un message sur mon répondeur. Il dort avec l'armée de la République populaire de Donetsk dans un bled près de Lougansk... Demain ils prendront un train pour rejoindre la ville assiégée.

 

arcusSeul en ma demeure, ce soir, je lisais au hasard dans le tome 2 de la Pharsale le passage où Lucain médite sur la tombe dérisoire de Pompée en Egypte. Puis je lis son apothéose de Pompée. Je ne sais pas pourquoi, mais je suis heureux que Lucain (comme je suis heureux de savoir que cet auteur est né à Cordoue, qu'il est le neveu de Sénèque, qu'il a écrit une tragédie sur Médée, et une Descente aux Enfers, mais il serait trop long de vous expliquer pourquoi), ait écrit ce passage. Il le fallait. Le commentateur précise que l'apothéose est nécessaire chez les stoïciens, mais elle est aussi pythagoricienne. Donc, disais-je, après ma lecture de cette très belle apothéose, je déchire quelques pages à la main. Mais ce n'est pas du joli travail. Je saisis un couteau, entaille deux autres pages... et tombe sur deux billets de 100 Francs qui y étaient intercalés...

 

Deux beaux billets même pas pliés. De quelle année sont-ils ? Peut-être les années 1980 ? Pourquoi le lecteur de la Pharsale (que je lis en livre d'occasion) a-t-il placé là ces billets entre les pages non découpées ? Voulait-il les offrir à quelqu'un ? Un mystère plane sur cet argent qui ressemble à un don fait à travers les décennies. Un don qui m'échoit. Evidemment je ne peux rien en faire (ces billets ont-ils une valeur quelconque sur le marché des collectionneurs ?).

 

Je regarde la page où ils se trouvaient, p. 146, celle qui relate le discours de Cléopâtre pour convaincre César de l'aider à reconquérir son trône d'Alexandrie juste avant la première nuit où ils firent l'amour. Je suppose que l'homme ou la femme qui ont glissé ces deux billets n'ont pas vraiment choisi la page, puisqu'elle n'était pas détachée de la suivante...

 

C'est bien la première fois que je trouve de l'argent dans un livre d'occasion, mais, à la réflexion, cela va bien avec l'esprit de l'oeuvre de Lucain qui, sous la dictature de Néron (même si l'empereur l'apprécia et le protégea pendant un temps), avait toutes les caractéristiques d'une bouteille jetée à la mer, d'un don gratuit et désespéré pour des inconnus, car on ne voit pas bien à qui la Pharsale pouvait être utile (aux nostalgiques de la République ? s'ils avaient été dans le public de la Pharsale nul doute que Néron n'en eût jamais récompensé l'auteur...). Je l'ai déjà dit ici : le stoïcisme c'est le renoncement dans l'action, comme la Bhagavadgita. Et donc on donne à la postérité une apothéose de Pompée, comme on glisse deux billets dans un livre. Une générosité inutile.

 

nietzscheDans la Pharsale, Lucain émet le voeu que les Egyptiens, quelques générations plus tard, deviennent un jour fiers du tombeau de Pompée comme les Crétois le furent du tombeau de Jupiter (que Lucain appelle "le Tonnant"). Je me souviens que Nietzsche quand il parle de la mort de Dieu, évoque ce tombeau crétois au dieu mort. Il y a quelque chose de très beau et de très profond dans cette image de la sépulture de l'Eternel, un paradoxe qui va bien aussi avec le stoïcisme.

 

Lucain s'adressait à un peuple égyptien irréel, puisque ceux-ci n'ont jamais été fiers de la stèle de Pompée (de "Magnus" comme dit l'auteur). Tous ceux qui défendent des causes perdues s'adressent à une humanité absente. Il faut avoir une sensibilité à la Châteaubriand pour aimer ce genre de soliloque.


chateaubriand

Au fait, en parlant de l'auteur des Mémoires d'Outre-tombe, je songeais ce soir qu'il avait eu la même "baraka" qu'Alexandra David-Néel dans ses tribulations américaines. Mais développer ce point me conduirait trop loin, et il est déjà tard...

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"La Pharsale", la "retirada" des pompéiens

21 Avril 2014 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Antiquité - Auteurs et personnalités

spLes Républicains espagnols ont eu leur "retirada" en 1939, le digne et pauvre repli de leurs troupes militairement défaites et moralement victorieuses à travers les Pyrénées, mais sans grand écrivain pour la narrer. Les Républicains romains, les pompéiens, quelques décennies après leurs hauts faits, ont eu La Pharsale de Lucain.

 

Je vous conseille de la lire par petits bouts en français sur Internet à défaut de l'acheter dans le commerce (car elle est fort chère, on ne vend qu'Amélie Nothomb à des prix abordables).

 

J'aime bien le portrait attendrissant que Lucain fait au livre VIII de la femme de Pompée, la noble Cornélie descendante des Scipions, après la défaite : A Lesbos "quoique le malheur de Pompée eût affligé tous les cœurs, c'était moins ce héros qu'on plaignait que celle avec qui ce peuple était accoutumé à vivre comme avec une de ses citoyennes, et qu'il voyait avec douleur s'éloigner. Quand même elle irait joindre un époux triomphant, les femmes de Lesbos en lui disant adieu auraient peine à retenir leurs larmes, tant sa pudeur, sa dignité, la modestie répandue sur son chaste visage lui ont attiré leur amour. Ce qui les a le plus touchées, c'est que loin de se rendre incommode à ses hôtes, et loin d'humilier même les plus petits, elle a vécu à Mytilène dans le temps des prospérités et de la gloire de Pompée comme s'il eût été vaincu."

 

Pompée s'intéresse aux astres à la manière d'Auguste : sur le bâteau il interroge le matelot. "Souvent l'âme accablée de ces pénibles soins, et rebutée de l'affligeante image que lui présente l'avenir, il écarte pour respirer, ces idées tumultueuses, et l'abattement de ses esprits, qu'un trouble si violent épuise, lui laisse un moment de relâche. Il questionne alors le pilote sur tous les astres, comment on reconnaît les rivages, quel moyen le ciel lui donne de mesurer l'espace parcouru de la mer, quel astre lui montre la Syrie, quels feux du Chariot le font se diriger vers la Libye."

 

Rappelons que le pythagoricien Apollonios de Tyane disait être la réincarnation d'un matelot égyptien... je viens de comprendre pourquoi en lisant Lucain...

 

Lucain a des accents à la Chateaubriand évoquant Napoléon quand il décrit la déchéance grandiose de Pompée : "Son fils fut le premier qui, du rivage de Lesbos, suivit ses traces sur les mers. Après lui vinrent une foule fidèle de patriciens, car même depuis sa ruine et la défaite de son armée, la Fortune ne put l'empêcher d'avoir des esclaves couronnés, et dans sa déroute, il traînait après lui tous les rois de la terre, tous les sceptres de l'Orient. "

 

Comme Chateaubriand il réfléchit aux alternatives stratégiques quand il fait dire à Pompée, chargeant Déjoratos de recruter de nouvelles troupes : "j'ai perdu tout ce qui sur la terre était au pouvoir des Romains, mais il me reste à éprouver le zèle des peuples du Tigre et de l'Euphrate, où ne s'étend point encore la domination de César. Allez en mon nom soulever l'Orient et le Nord, pénétrez jusque dans le fond des États du Mède et du Scythe, allez dans un monde qu'un autre soleil éclaire, rendez au superbe Arsacide ces paroles que je lui adresse : Si l'ancienne alliance que nous avons jurée, moi par Jupiter Latin, vous par le culte de vos mages, subsiste encore entre Rome et vous, Parthes, remplissez vos carquois, tendez vos arcs, souvenez-vous qu'en chassant devant moi les peuples du Caucase, je vous laissai la liberté d'errer en paix dans vos campagnes, sans vous réduire à chercher dans les murs de Babylone un asile contre moi. J'avais déjà franchi les bornes du vaste empire de Cyrus, et vers le fond de la Chaldée, je touchais aux bords où l'Hydaspe et le Gange vont se jeter au sein des mers. Cependant lorsque la victoire me soumettait tout l'Orient, je voulus bien excepter le Parthe du nombre des peuples que je rangeais sous les lois de Rome, et leur roi fut le seul que je traitai d'égal. Ce n'est pas une fois seulement que les Arsacides m'ont dû la conservation de leur empire, et, après la sanglante défaite de Crassus en Assyrie, quel autre que moi eût apaisé le ressentiment des Romains ? Engagés par tant de bienfaits, ô Parthes ! Voici le moment de passer l'Euphrate qui devait à jamais vous servir de barrière. Courez sur cette rive que vous interdit le fondateur de Zeugma. Venez vaincre en faveur de Pompée ; et Rome elle-même consent à être vaincue à ce prix". S'ensuivent des réflexions intéressantes sur les possibilités de s'en remettre aux Maures ou aux Parthes, les inconvénients de l'une ou l'autre option, et le risque que Cornélie finisse dans un harem du roi des rois arsacide où "Un même lit reçoit des épouses sans nombres ; les lois, les nœuds de l'hyménée y sont souillés par ce mélange impur ; ses mystères les plus secrets y sont célébrés sans pudeur, en présence de mille femmes."

 

Puis c'est Caton d'Utique traversant le désert des Syrtes en Libye, refusant de consulter l'oracle d'Ammon en disant à Labienus : "Pourquoi chercher si loin des dieux ? Jupiter est tout ce que tu vois, tout ce que tu sens en toi-même. Que ceux qui, dans un avenir douteux, portent une âme irrésolue, aillent interroger le sort ; pour moi, ce n'est point la certitude des oracles qui me rassure, mais la certitude de la mort. Timide ou courageux, il faut que l'homme meure. Voilà ce que Jupiter a dit, et c'est assez."  Les soldats de Caton tués par des serpents, les Psylles qui finissent par sauver le campement par des chants magiques pour qu'ils aillent à Leptis, tandis que César bâcle sa visite à Troie (et foule maladroitement au pied les mânes d'Hector)

 

Je ne suis pas un grand connaisseur, mais je trouve que cela vaut bien l'Enéide...

 

 

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43 ans et demi à l'ombre de César-Auguste

26 Mars 2014 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Antiquité - Auteurs et personnalités

En cette semaine où j'apprends qu'est sorti un film hollywoodien sur un épisode que justement j'explorais il y a peu en rapport avec la vie d'Apollonios de Tyane, et où les stations de métro parisiennes se couvrent de l'image de César-Auguste, au milieu de mes migraines, une petite lecture "augustéenne" pour mes 43 ans et demi. Toujours Ad Augusta per Angusta.

 

 


eneide  
Pour mémoire : dans Suétone, sur les pouvoirs de la chambre d'enfance d'Auguste : "No one ventures to enter this room except of necessity and after purification, since there is a conviction of long-standing that those who approach it without ceremony are seized with shuddering and terror; and what is more, this has recently been shown to be true. For when a new owner, either by chance or to test the matter, went to bed in that room, it came to pass that, after a very few hours of the night, he was thrown out by a sudden mysterious force, and was found bedclothes and all half-dead before the door. " et sur son lien avec Apollon :
    On disait qu'Atia, la mère d'Auguste, avait conçu son fils avec Apollon lors d'une nuit passée dans son temple et qu'elle se réveilla avec une tache indélébile en forme du serpent Python. " Coins of the eastern Roman provinces showed Apollo in several guises. On the far right is a bronze of Diadumenian from Nikopolis ad Istrum showing a nude Apollo holding a bow and a phiale, demonstrating both physical prowess and religious sensibility. This tells us something about how he was perceived."

 

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Parti de l'avenir

19 Novembre 2013 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Antiquité - Auteurs et personnalités

romans.jpgStricto sensu Caton d'Utique n'était ni du parti des élites ni de celui de la populace. il était du parti des philosophes, du parti de l'avenir parce qu'il ancrait ses principes éthiques dans la nature humaine comme le fait Dawkins dans son "Pour en finir avec Dieu".

 

Dans cette mesure, même un pape 18 siècles plus tard, pouvait le rejoindre. Voyez Pie VII qui n'étant encore qu'évêque d'Imola avait dit en 1797 :"(...) Siate buoni cristiani, e sarete ottimi democratici (...) Dieu favorisa les travaux de Caton d'Utique et des illustres Républicains de Rome" (Chateaubriand, MOT II p. 418). Et l'on peut soutenir que l'Empire romain survécut à Auguste uniquement parce que les peuples soumis, avec pietas, continuèrent d'appliquer les principes de Caton. Voyez Rome en Afrique à propos de la vie civique des cités d'Afrique du Nord dominées par Rome.

 

Alors bien sûr peut-être le second stoïcisme se trompe-t-il sur cette nature humaine, peut être la rend il trop "institutionnelle". Ca c'est un autre débat.

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De Finibus (1)

25 Octobre 2013 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Antiquité - Auteurs et personnalités

P1010391.JPGEn Béarn, je m'asseois sur un lit, et ouvre au hasard "Des termes extrêmes des biens et des maux, tome 2" (De Finibus bonorum et malorum) de Ciceron (titre qui plagie le Peri Telos de Chrysippe paraît-il). Je tombe sur le morceau où il dit que de passage à Metaponte avec Pison (livre V,II,4), il "n'avait pas voulu descendre chez son hôte sans avoir vu l'endroit où Pythagore avait rendu le dernier soupir et vu le siège où il s'asseyait".

 

Bel exemple de pietas intellectuelle (comme celle de Stefan Zweig, sauf que Zweig dans ses écrits s'excuse presque de ce genre de fétichisme), et une preuve de plus de l'importance de Pythagore dans l'histoire dela pensée occidentale. Ce livre un ami me l'avait offert en 1994 quand je bossais à Madrid, mais je ne l'ai jamais ouvert. Un certain snobbisme philosophique nous faisait snobber Cicéron comme simple plagiaire des Grecs à l'époque (mais forumaujourd'hui nous sommes si en deça des Grecs et des Latins qu'on ne peut que rougir devant la grandeur de cet auteur qui à l'époque nous semblait risible. Ce livre, "Des termes extrêmes" est un peu étrange, inspiré de Platon dans la forme (comme tant de travaux philosophiques). Je trouve amusante l'idée de mettre en scène ses amis. Là c'est Marcus Pison, Quintus Tullius (frère de l'auteur), l'épicurien Titus Pomponius Atticus, l'auteur lui-même et Lucius Cicéron son cousin qui sont campés dans les jardins de l'Académie à Athènes.

 

Ce livre eut un succès énorme jusqu'à Montesquieu qui renonça à écrire un traité de morale estimant qu'il ne pouvait pas rivaliser avec cet ouvrage de Cicéron. Celui-ci l'a écrit l'année de la mort de Caton d'Utique en pleine défaite des pompéiens. Il est moins tardif donc que le De Officiis qui m'avait beaucoup impressionné (pas seulement pour son bel hommage à Marseille). J'espère en parler un peu plus sur ce blog ultérieurement...

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Syrie, Fabius, Pompée, Lucullus

23 Août 2013 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Antiquité - Auteurs et personnalités

Un ami cet après-midi : "Alors ces massacres à l'arme chimique en Syrie : montage ou vrai crime ?" Moi : "Je penche pour un montage - y compris une attaque au gaz par des rebelles déguisée en agression par les armées loyalistes -, la propagande de guerre nous en fait de bien lourds depuis 20 ans. Mais il est vrai qu'il y a un petit doute, vu que les videos se multiplient. Si cela vient du camp d'Assad c'est une connerie - il se tire une balle dans le pied au moment où il reconquiert du terrain. Mais des conneries de ce genre on en a vu aussi, d'autant qu'après 2 ans de guerre civile Assad contrôle moins la société qu'avant la guerre. Ce peut être un délire d'un chef local, va savoir."

 

En tout cas j'ai été choqué de voir Fabius parler d'une possible action de l'Europe "même sans l'aval de l'ONU", ce qui est digne de George W Bush. Heureusement que personne ne prend Fabius au sérieux. Même l'opposition syrienne ne l'a pas cru.

 

Lundi soir la "Une" du Monde "L'indignation ne suffit pas". Des bombes, du sang, ils en veulent. Le Monde fait les mêmes "unes" depuis 20 ans à toutes les guerres.

 

Bon si vous vous ennuyez jetez un oeil à mon article sur l' "Erdogan roumain" sur le blog de l'Atlas alternatif.

 

Moi je lisais Plutarque ce soir. Il a des lignes émouvantes sur Julia, la fille de César, morte en couches à 29 ans en 54 av JC par amour pour son mari Pompée, qui avait pourtant plus de 50 ans (elle s'est évanouie quand la toge de son mari fut maculée de sang). L'histoire d'amour entre Julia et Pompée (le rival de césar pour la tyrannie à Rome) est très belle. Et l'on peut gager que son amour pour Pompée ne fut pas complètement aveugle (même si l'histoire aujourd'hui minimise la personnalité de cet homme). Pompée d'ailleurs juste après le triumvirat qui lui attribuait l'Afrique et les deux Espagnes négligea ses provinces et préféra rester à Rome où il inaugura son théâtre en organisant des combats de lions et d'éléphants qui marquèrent les esprits (n'oubliez pas que dix ans plus tard, c'est dans ce même théâtre que César allait mourir au pied de la statue de Pompée mort en 48). Il fit cela pour sa femme, Plutarque n'a pas le moindre doute là dessus (et ce genre de détail intéresse beaucoup Plutarque, qui fait de la philosophie à partir de l'histoire, ce que les historiens actuels lui reprochent, et ce que précisément j'aime en lui).

 

Les historiens n'aiment pas trop les histoires d'amour, qui empêchent l'Histoire et ses personnages de donner toute leur dimension. Pompée, à n'en pas douter, avait un côté un peu trop fleur bleue. Juste après avoir obtenu le consulat pour lui tout seul (déjà la quasi-dictature) pour défendre Rome contre César (prêt à franchir le Rubicon), il ne trouve rien de plus urgent que d'organiser de nouvelles noces, et épouser une fille du clan Scipion tout aussi jeune pour que la défunte Julia. Cela lui fut d'ailleurs beaucoup reproché. Il y a dans le choix de l'amour une volonté de reculer devant les responsabilités publiques, une volonté justement de ne pas franchir le Rubicon, qui déçoit toujours les amateurs de grands récits et de grandes fresques. Mais ceux-ci, eux-mêmes, le plus souvent ne prennent pas beaucoup de risques personnels et vivent leur vie par procuration. Pompée déçoit, comme Lucullus avec ses jardins et son platonisme. Mais leurs hésitations ou leurs retraites, sont souvent plus chargées de valeur éthique que les délires conquérants de César.

 

En minute 3'39 ci dessous, Pompée avec Cicéron dans l'affligeante série Rome. Ha ha ha, juste pour rire.

 

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