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Le blog de Frédéric Delorca

Les médias alternatifs, la Syrie, les Kurdes, la Crimée

27 Juillet 2015 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Le quotidien, #Le monde autour de nous, #Colonialisme-impérialisme

Les médias alternatifs, la Syrie, les Kurdes, la Crimée

Ce blog conserve un nombre assez stable de visiteurs. Du fait que le nouveau dispositif d'Overblog ne fournit plus d'analyse statistique des provenances et a bousillé le lien Google analytics qui me permettait d'en avoir, je n'ai plus aucune idée du profil des gens qui me lisent. Je continue malgré tout à écrire pour eux par fidélité à mon parcours depuis 20 ans, aux livres publiés etc. Je sais bien que Frédéric Delorca n'existe pas dans l'espace du débat public. Il existe encore moins qu'il y a 12 ans du temps où un éditeur était prêt à lui confier la rédaction de l'Atlas alternatif. La diversité de mes centres d'intérêt, l'indépendance de mes prises de position (qui souvent n'hésitent pas à questionner les certitudes des gens qui me sont intellectuellement proches) ont eu raison sans doute de la patience de beaucoup de gens qui aiment à lire les blogs pour y trouver des confirmations de ce qu'ils pensent et de ce qu'ils aiment. Je ne suis cité nulle part, ce qui m'évite d'être mal compris ou critiqué par des gens de mauvaise foi. Et de toute façon, je me console aisément de cet état de fait, en me disant que, même si j'avais ma "petite boutique" avec sa clientèle "fidèle", cela ne servirait pas à grand chose. Supposons que le Monde Diplomatique par exemple ait tenu sa parole de 2012 de publier un de mes articles, à quoi cela m'eût il servi ? J'aurais eu plus de "visibilité" à Paris, on m'aurait peut-être proposé de faire paraître un livre (dans le meilleur des cas), mais j'aurais aussi perdu de ma liberté d'esprit en étant de plus en plus enclin à écrire dans le sens de mon milieu de sociabilité, ce qui aurait borné mes horizons, et je n'aurais pas eu plus de poids pour autant dans le débat public.

Dans Le Monde aujourd'hui, Emmanuel Todd publie un énième article narcissique commençant par "moi le type incomparable qui a le premier annoncé la chute de l'URSS" ou quelque chose dans ce goût là. Voilà à quoi conduit le statut de l'intellectuel "engagé" qui a pignon sur rue. Ca n'a vraiment pas beaucoup de sens.

Quant au grand projet de "médias citoyens" auxquels les gens croyaient il y a 15 ans, et dans lequel j'avais ma place avec mes blogs, tout le monde en est revenu. "Don't hate the medias be the medias" disaient-ils. Oui, mais ceux qui écrivaient cela nous ont gavés de foutaises dans les années 2000-2010 en nous annonçant par exemple tous les jours en 2012 que les kadhafistes reprendraient prochainement le pouvoir en Libye. Ce matin, je lis qu'un colonel du Fatah a été tué au Liban. La source qui a révélé l'information sur place a téléphoné à l'AFP... pas à Michel Collon ! Malgré tous les biais d'approche de nos grands médias menteurs, ceux-ci restent une source incontournable, et les gens qui veulent se faire entendre savent qu'il ne sert à rien de s'adresser à des petites boutiques périphériques.

On continue d'écrire pour se faire plaisir sur de petits blogs à faible lectorat pour se donner l'impression de ne pas être complètement réduit au silence ou au désespoir par le système politico-économique mondial, mais on sait bien (quand je dis "on" je pense à pas mal de journalistes dissidents que je connais, y compris parmi mes amis) que nous avons échoué à inverser les rapports de force dans le champ médiatique, et à faire d'Internet l'arme de cette inversion.

A part cela, le tour d'horizon de l'actualité estivale n'est pas enthousiasmant. Les tentatives de déstabilisation du monde musulman par Daech sont une espèce de spectre qui plane sur les relations internationales, et qui légitiment beaucoup de folies. Par exemple, je lisais il y a peu que les Etats-Unis se vantaient d'avoir infiltré en Syrie par la frontière turque une armé d'islamistes "modérés" équipée par leurs soins pour aller combattre Daech. Ce genre d'initiative n'est pas acceptable. Bien sûr nul ne sait ce que ces mercenaires sont réellement censés faire en Syrie, ni contre qui ils se retourneront. Les opérations militaires contre Daech doivent être menées en collaboration et en concertation avec le gouvernement légal de la Syrie, quoi que l'on pense par ailleurs de ce gouvernement. Il en va de même des frappes d'Erdogan. On voit bien que celui-ci a obtenu un blanc-seing de Washington pour bombarder le PKK kurde en échange de sa participation à l'écrasement de Daech. A la différence de beaucoup d'anti-impérialistes radicaux, je ne veux pas minimiser l'importance de son engagement d'Ankara contre Daech, ni le coût que cela implique pour elle, en termes de représailles terroristes notamment. Mais il est inadmissible que cela se fasse au détriment de la souveraineté syrienne et de la résistance kurde, fort malmenée en l'occurrence alors même qu'elle s'était engagée dans une trêve et que son versant politique s'insérait remarquablement bien dans le nouveau jeu parlementaire turc.

Je vous ai dit il y a peu mon intérêt pour les Kurdes (notamment pour les Yézidi) et je vous en reparlerai prochainement. Mais il ne faut point que cet intérêt se paie de lourdes injustices. Je vois en ce moment le PCF dans les villes de province organiser des manifs de solidarité avec les Kurdes turcs attaqués par Daech. Ce genre de mobilisation est très contestable. Car elle confère aux Kurdes le statut de "victimes à part". On comprend que la Front de Gauche aime la résistance kurde qui est plutôt plus laïque et démocratique que les autres (même si la société kurde, elle, ne l'est pas autant qu'on le croit). Mais on ne peut pas s'émouvoir d'un massacre de Kurdes plus que d'un massacre de Chrétiens ou d'Alaouites. Or je n'ai jamais vu le PCF pondre le moindre communiqué quand des villages de ces communautés en Syrie ont été attaqués par Daech ou Al Qaida au cours des dernières années. Est-ce à dire que les êtres humains de ces groupes n'ont pas droit tout autant que les Kurdes à la paix et à leur intégrité ?

Pour finir un mot sur la Crimée : je trouve très bien qu'un groupe de parlementaires de l'ex-UMP (les Républicains) s'y soient rendus. A mon sens le Front de Gauche aurait dû aussi y envoyer une délégation. Je sais bien que dans genre de visite on vous présente souvent des villages Potemkine, et que le référendum criméen de 2014, survenu sous le contrôle de militaires russes, avec des listes électorales et des moyens de propagande électorale prêtant à caution, s'apparentait plus à un plébiscite qu'à une opération réellement démocratique. Néanmoins on ne peut nier que les Criméens, rattachés injustement à l'Ukraine dans les années 50, se sont toujours majoritairement sentis russes et avaient un intérêt à rejoindre la Fédération de Russie, comme les habitants du Donbass à s'affranchir de la tutelle du gouvernement putschiste pro-occidental russophobe de Kiev. Ce genre d'opération n'est pas plus illégal que les sécessions du Kosovo ou du Sud-Soudan applaudies par nos grands médias, et suit une logique de recomposition de frontières mal dessinées à l'époque soviétique. L'ex-ministre Mme Morano a dit il y a peu que les difficultés de nos éleveurs étaient dues au moins en partie à la rupture des relations commerciales avec la Russie. J'ignore si c'est vrai, mais en tout cas il est urgent de mettre fin à la logique de guerre froide dans laquelle le coup d'Etat ukrainien nous a plongés.

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