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Le blog de Frédéric Delorca

Bourdieu et Panofsky

27 Août 2015 , Rédigé par Frédéric Delorca

Il existe un texte peu connu, même chez les bourdieusiens, en postface à "Architecture gothique et pensée scolastique" de Panofsky dans lequel Bourdieu reconnaît que le structuralisme ne peut conduire qu'à des systèmes sans validation empirique possible au sens où les positivistes l'entendent, des systèmes qui sont à eux-mêmes l'unique preuve possible.

Le recueil s'ouvre sur un texte de Panofsky sur l'abbé Suger, petit homme responsable de l'abbaye de Saint-Denis au début du XIIe siècle qui fut un soutien très important de la monarchie française en plein renouveau (à qui laquelle conféra l'oriflamme, qui eut un pouvoir symbolique magique pendant trois siècles). Il faut se souvenir que l'abbaye de Saint Denis, qui abritait les reliques de l'évangélisateur des Gaules, possédait à l'époque pratiquement tout le département du 93, comme Saint-Germain des Prés qui abritait celles du Père des pauvres, possédait deux arrondissements de Paris.

Panofsky dessine un portrait triangulaire de Suger, comparé à ses contemporains Abélard et St Bernard de Clairvaux. J'aime cette façon de procéder, peut-être parce que j'ai moi-même eu une formation structuraliste, et, de ce point de vue, le goût du rapport entre les êtres et des jeux de différences. J'ai aimé entrer dans la république romaine finissante à travers la comparaison entre César, Pompée et Caton (et l'étude de leurs relations personnelles effectives). Entrer dans le XIIe siècle à travers les trois hommes que présente Panofsky est aussi fort stimulant. Je me suis un peu initié à l'originalité de Bernard de Clairvaux ces derniers mois, par delà ce que je savais de lui auparavant qui se fondait surtout sur une présentation négative de son rôle dans les croisades contre les Musulmans et les Albigeois (cela fait partie des misères de notre époque de ne connaître Bernard de Clairvaux qu'à travers les croisades comme Jules Ferry à travers le colonialisme). Ce saint est très intéressant du point de vue de l'expérience mystique, notamment par son enthousiasme marial très bien décrit par le jungien Michel Cazenave, et dont le thème de la lactation a irrigué au sens propre la peinture espagnole pendant des siècles.

Panofsky oppose à un Bernard de Clairvaux adversaire des biens matériels un Suger qui s'accommode d'autant mieux des fastes ecclésiastiques que le néo-platonisme l'invite à voir dans la matière le chemin de l'esprit. Ah ! ce néo-platonisme que l'Eglise ne cesse de redécouvrir à chaque étape : avec Saint-Augustin, Scot Erigène etc. A vrai dire je crois qu'il était déjà présent dans l'Evangile sous la plume de Saint-Jean, et peut-être même dans la vie même de Jésus, dans cette Palestine baignée de culture grecque (surtout en Galilée), alors que le platonisme ne cessait jamais de rebondir dans tout le bassin méditerranéen (s'étant même allié à un néo-pythagorisme à Rome à l'époque de Cicéron, en tout cas St Paul, lui, le plus intellectuel des apôtres, ne pouvait pas ne pas l'avoir côtoyé à Tarse).

De fait, l'histoire de Suger m'intéresse plus que la démonstration selon laquelle le gothique participe du même modus operandi que la scolastique, même si je comprends que Bourdieu ait eu besoin de la traduire pour forger sa notion d'habitus, elle-même empruntée à la scolastique.

Aujourd'hui moi, je trouve du Bourdieu dans Sheldrake. Ainsi voyagent nos idées, ainsi voyagent nos morts. Je regardais "La chambre verte" de Truffaut cet après-midi. Et Sainte Geneviève veille au grain.

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B
1 Voir les livres de mon frère Alain Erlande Brandenburg sur <br /> l'art gothique dont sa thèse de l'Ecole des chartes "Le Roi est mort",sur les funérailles royales,notamment à Saint Denis;2 il fut un temps,en effet,où bourdieu ne fut pas crétin,puis il le devint de plus plus;3 Parler de n&o-platonisme à propos du Christ est absurde;3 Le Père Carmignac puis Claude Tresmontant ont montré que les premiers textes des Evangiles,beaucoup précoces qu'alors dits,étaient écrits en araméen,voire en hébreu d'où la traduction du second des "idoles" en" idoles-boules de merde";4 Les lieux communs sur les croisades d'Orient comme albigeoise sont affligeants pour l'intelligence et les connaissances historiques françaises;5 Pour Saint Bernard,se souvenir de ses "commentaires sur le Cantique des cantiques" où la femme représente l'Eglise,le livre d'Etienne Gilson sur "la philosophie de Saint Bernard" et que Dante l'a choisi comme guide pour le Paradis;etc.erlande.wordpress.com.
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F
merci pour ce riche commentaire qui n'appelle pas de commentaire en retour si ce n'est que je maintiens mon point de vue sur la présence du néo-platonisme dans le "background" culturel du christ, cf "Le christ grec" de Delorme. Selon moi le néo-platonisme commence avec la Nouvelle académie au début du Ie siècle av JC