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Le blog de Frédéric Delorca

Pierre Jacquemain, Ils ont tué la gauche, Fayard 2016

30 Septembre 2016 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Lectures, #La gauche

 

 

                                               La guerre des gauches

 

Après la mobilisation sociale contre la loi El-Khomri au premier semestre de cette année, beaucoup de militants de gauche ont dû attendre avec intérêt la publication de ce témoignage de Pierre Jacquemain, qui fut au cabinet de cette la ministre du travail Myriam El-Khomri et sut claquer la porte à temps pour ne pas être associé à cette modification du code du travail qui passe pour une des plus grandes trahisons de l’électorat de gauche par François Hollande et Manuel Valls. Beaucoup s’y intéresseront, mais beaucoup seront aussi déçus.

 

Car, si l’on pourrait croire que Pierre Jacquemain fut aux premières loges de la mécanique infernale qui transforma le projet de loi « progressiste » en diktat néolibéral, en réalité il s’y trouva comme Fabrice à Waterloo… et ne vit donc pas grand-chose. De la fumée, des coups de feux. Il raconte ainsi seulement à grands traits ce que la presse nous avait déjà dit. Comment la réforme, mal enclenchée en partant d’un rapport de JD Combrexelle, qui avait été l’homme fort du ministère du travail à l’époque de Sarkozy, a été confisquée par un comité Badinter (le bilan politique de Robert Badinter étant ce qu’on sait depuis la guerre de Yougoslavie…) et par Emmanuel Macron qui y insuffla tout ce que le patronat souhaitait, sans même que la ministre du travail eût son mot à dire. L’auteur ne peut rien nous dire de ce qui se disait entre les véritables décideurs – Valls, Macron, Gattaz –, parce qu’il n’y était pas, son cabinet n’étant même pas destinataire d’une copie du projet de loi avant son examen par le Conseil d’Etat. Il n’était d’ailleurs même plus dans la confidence de son directeur de cabinet, qu’il accuse de s’être vendu au point de vue des néo-libéraux et avec qui il a échangé moins de 10 mails en six mois.

 

Dès lors, le livre doit se rabattre sur des éléments assez anecdotiques comme l’organisation d’un « team building » avec weekend gastronomie et karaoké avec sa ministre (encore doit-il avouer que son éditeur l’a censuré à ce sujet), et des considérations idéologiques assez convenues sur le règne de la technocratie et des experts, le monolithisme des médias, la médiocrité des politiques, la dictature de la com’, l’absence du peuple, et la marginalisation des intellectuels critiques. Rien de nouveau sous le soleil, sauf des marqueurs identitaires : l’éloge de la Nuit Debout, la mention des sujets fétiches de la revue de Clémentine Autain Regards dont l’auteur est rédacteur en chef adjoint, l’invocation des mânes du sociologue Pierre Bourdieu cité plusieurs fois, encensé, même dans ses propos les moins scientifiques et les plus contestables – notamment lorsqu’il prétend déduire la dérive « droitière » de Hollande et Royal de leur habitus familial et scolaire, mais Fidel Castro et Ernesto Che Guevara n’avaient pas des origines moins bourgeoises…

 

Néanmoins, par delà les tentatives de théorisation maladroites, souvent formulées dans un style oral à la limite de l’incorrection (« le taux n’a que très sensiblement évolué » p. 107, « c’est la gauche qui est en responsabilités » p. 112 « le monde se fout de savoir si Myriam El Khomri connaît le code du travail » p. 154), il y a quelque chose d’humainement poignant dans ce face à face amer entre le collaborateur de cabinet engagé et la jeune ministre du travail, Myriam El-Khomri, en laquelle il a cru parce qu’elle avait été une élue de terrain, une femme vraiment de gauche, et qui semble avoir abandonné toutes ses convictions sur un claquement de doigts du premier ministre, parce que le système usait savamment sur elle à la fois de la peur et de la flatterie. En d’autres temps on en eût fait un roman.

 

Et puis, à défaut de constituer un document historique d’importance, le livre a surtout la valeur d’un acte militant. C’est une pierre que, depuis le rivage de la gauche de la gauche, Pierre Jacquemain lance dans le marécage social-libéral, une étape dans la guerre des gauches, « pour ne pas désespérer Billancourt », pour ne pas laisser la société française s’ « ubériser ». « Parce que la gauche est vivante », conclut l’auteur… malgré les coups de poignard dans le dos…

 

Frédéric Delorca

 

Parutions.com.

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