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Le blog de Frédéric Delorca

La question de la paix avec Daech

3 Novembre 2016 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Débats chez les "résistants", #Colonialisme-impérialisme, #Proche-Orient, #Philosophie et philosophes

J'ai déjà dit à propos du débat Badiou-Onfray que je désapprouve l'athéisme d'Onfray, et depuis 20 ans je n'ai guère de sympathie pour sa philosophie très manichéenne, et superficielle qui procure du "ready made" à des gens qui n'ont pas envie de se confronter à toute la difficulté et à tout le charme des grands philosophes à lire dans le texte. Je perdrais mon temps à décrire toutes les caricatures de Nietzsche, de Kant, de Spinoza qu'il a pu produire et tout le mal qu'il a fait à l'intelligence dans notre pays en faisant croire aux gens que philosopher c'était cela (mais c'est en somme moins de mal sans doute que celui provoqué par les vrais savants qui se sont repliés dans leur tour d'ivoire en renonçant à faire de la vulgarisation, et aussi que la politique de nos gouvernants qui fait que dans nos écoles un enfant de CE1 ou de CE2 passe plus de temps à dessiner et jouer au basket qu'à apprendre à lire et écrire).

Mais penser c'est débattre, et on ne peut laisser sans débat et sans réplique les propos des gens que les merdias nous présentent comme des grands penseurs.

Alors oui il faut débattre de la proposition d'Onfray sur la possibilité d'une paix avec Daech, et il faut en débattre rationnellement, c'est-à-dire sans prendre en compte l'hypothèse que les forces divines peuvent demain entraîner en une seconde l'effondrement de Daech, celui de l'Occident, celui des deux, ou encore une réforme idéologique profonde de l'Occident comme de Daech. Parce que, même si l'on croit que le monde invisible ou son auteur a ce pouvoir-là, nul croyant (sous réserver d'une révélation prophétique avérée) ne peut prétendre être avoir la certitude qu'il sera mis en oeuvre. Donc nous devons aussi penser avec nos moyens humains, au moins en tant que partie (modeste) du job à faire.

Il faut en débattre, parce que la question d'Onfray est trop absente de l'univers de pensée totalitaire (et puéril) occidental : celui de la discussion avec l'ennemi, qui est au fondement de la notion même de diplomatie. Ici la question est profonde car il s'agit de discuter avec un ennemi qui veut explicitement notre destruction, alors que nos ennemis récents - Milosevic, Saddam Hussein, Poutine - n'étaient que d'anciens alliés un peu trop turbulents qui restaient disposés à adhérer à au moins une partie de nos valeurs et dépendaient idéologiquement de nous.

J'ai pour ma part défendu (voir mes livres) la non-ingérence face à ces "ennemis là" au nom de la souveraineté des Etats sur laquelle repose le droit international contre le droit humanitaire (Onfray, lui, qui ne croit pas en la légitimité des Etats, en tant que libertaire, n'est d'ailleurs pas légitime à s'opposer à l'ingérence).

J'ai en revanche soutenu dans la guerre du Mali le principe de la coopération internationale qui est compatible avec la souveraineté des Etats puisqu'elle suppose que le gouvernement concerné sollicite une aide, sans être trop regardant sur les conditions dans lesquelles le gouvernement malien (à l'issue du putsch) a pu recourir au soutien français. Et d'ailleurs cette guerre a effectivement libéré le nord du Mali du joug d'Ansar Eddine et d'AQMI (même si l'action de guérilla sporadique y perdure). En vertu de ce principe j'approuve aussi le soutien russe au gouvernement légal syrien.

Notre intervention militaire contre Daech est illégale en Syrie (alors qu'elle est légale en Irak...). Nous devons donc en principe la condamner. Elle ne serait légale que si elle était sollicitée par le gouvernement syrien.

Je ne vois donc pas pourquoi Onfray dans la vidéo ci-dessous suggère que nous devrions négocier avec Daech l'arrêt de nos bombardements contre la fin du terrorisme. Si notre action est illégale nous devons y mettre fin, c'est un devoir moral, ça ne se négocie pas.

Il est d'ailleurs amusant qu'Onfray laisse entendre que nous devions demander à Erdogan ou au Qatar de jouer les intermédiaires pour négocier la paix avec Daech, alors qu'il s'insurge contre la mainmise de ces pays sur notre classe politique...

Maintenant supposons (pure politique fiction) que Paris (en rompant avec Washington) se réconcilie avec Moscou, ou que (c'est déjà moins de la fiction), Trump étant élu à la Maison Blanche, tout le bloc occidental s'allie à la Russie contre Daech et qu'Assad demande donc officiellement aux avions français de bombarder Raqqa, notre politique de bombardement deviendrait-elle pour autant opportune ?

Elle pourrait être un gage de paix avec la Russie, mais je la considèrerais néanmoins inopportune. Je ne suis pas convaincu que l'apport militaire de la France à l'éradication de Daech soit décisif. Nos moyens sont modestes et nous provoquons sans doute plus de victimes civiles que de dégâts dans les rangs des islamistes. Comme gage de bonne volonté à l'égard de Moscou, nous pouvons nous engager à avoir une attitude positive sur la crise ukrainienne, sur la Crimée, sur la coopération économique, sur la question du bouclier antimissile, etc. Ce seraient là des signes de bonne volonté plus utiles que l'envoi de bombardiers, l'aviation russe étant déjà pourvue en moyens suffisants pour mener ses propres opérations en partenariat avec l'armée arabe syrienne, voire avec les combattants kurdes, tout comme les Etats-Unis sont pourvus de moyens suffisants en Irak avec l'aide des Kurdes, des Turcs et du gouvernement de Bagdad.

Dans le cas de figure où nous refuserions une aide militaire sollicitée par Damas, je ne crois pas non plus que nous aurions à négocier cela avec Daech. Ce refus correspondrait à nos intérêts tout simplement. Il apaiserait probablement l'ardeur de Daech à se venger contre nous, mais il n'y a pas lieu de négocier cette affaire.

On nous objectera que le refus d'aider Damas diminuerait notre influence au Proche-Orient et nous priverait d'une place à la table des négociations régionales le jour où les puissances se réuniront pour règler la question palestinienne. Tout d'abord cette négociation régional n'est pas près d'avoir lieu compte tenu du refus israélien, et rien n'indique que dans le cadre d'une négociation globale avec la Russie incluant les sources de conflit en Europe de l'Est, nous ne pourrions pas proposer notre bienveillance en Ukraine contre une influence maintenue sur la question palestinienne. En outre notre position au Proche-Orient peut être renforcée différemment, par une politique de coopération renforcée avec le Liban par exemple.

Nous pouvons aussi mettre en valeur notre rôle presque exclusif dans la lutte anti-islamiste en Afrique dans l'intérêt du monde pour demander à titre de compensation d'avoir aussi un mot à dire au Proche-Orient ou en Extrême-Orient (cela, il est vrai, supposerait que l'on soit un peu plus malin dans la gestion des effets de notre fiasco libyen).

Restent deux questions. La première que pose la journaliste en cours de débat : si Daech continuait à attaquer la France malgré le retrait de son engagement en Irak et en Syrie, devrions nous négocier ? Onfray répond sur la question des moeurs : selon lui nous ne devons pas modifier notre "art de vivre" et nos valeurs sous la pression terroriste. Il a raison : selon moi nous devrons un jour réformer nos moeurs, mais ce doit être déconnecté du chantage de Daech. Il se pourrait aussi que Daech poursuive les attentats en posant d'autres conditions que la réforme morale ou religieuse. A priori il n'y a aucune raison de négocier quoi que ce soit lorsque, nous étant nous même exonérés de toute faute en cessant de bombarder l'Irak et la Syrie, nous nous contentons de défendre notre territoire. Nous serions alors en situation de légitime défense pure et simple.

Enfin, on peut se demander : après avoir laissé les Etats-Unis et la Russie agir seuls en Irak et en Syrie (comme le font les Allemands), si nous devrions approuvé une éventuelle négociation entre Moscou et Daech ou entre Washington et Daech en cas d'échec de leur entreprise d'éradication territoriale. On voit qu'à ce degré, la question ne concernerait plus la France que d'une manière extrêmement indirecte. Probablement à ce moment-là la question d'un donnant-donnant entre les grandes puissances et Daech pourrait-elle être posée et mériterait-elle peut-être une approbation. Mais on voit bien que ce thème ne viendrait qu'en bout de processus. Il me semble en tout cas qu'au jour d'aujourd'hui le thème de la négociation avancé par Onfray est sans objet. Nous devons stopper de façon unilatérale l'intervention militaire en Syrie et en Irak, et rester fermes sur la défense des intérêts français à l'intérieur de nos frontières, et ces deux principes n'ont pas à être négociés.

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