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Le blog de Frédéric Delorca

Ingérence française au Tchad

9 Février 2019 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Colonialisme-impérialisme

Des Mirages 2000 français ont bombardé les 3 puis 5 et 6 février une colonne de pickups de l'Union des forces de la résistance (UFR) en provenance de Libye selon la grande presse (cette provenance est démentie par l'UFR qui se présente comme une force intérieure au Tchad, sans rapport avec le général Haftar ami des Russes qui contrôle le Sud libyen).

L'UFR fondée en 2009 est dirigée par Timan Erdimi un neveu du président tchadien Idris Deby. A l'origine basée au Darfour, elle a été longtemps soutenue par le Soudan, puis par le Qatar. Elle est implantée à l'Est du pays.

Le pouvoir de N'Djamena a montré, en ayant recours à l'armée française, sa fragilité face à une opération militaire rebelle qui aurait pu le renverser. L'armée tchadienne est pourtant aguerrie et c'est une pièce importante du dispositif de lutte contre le djihadisme au Sahel (elle est souvent sollicitée au mali). C'est au Tchad que le président Macron avait passé Noël en décembre dernier, puis le premier ministre israélien s'était rendu à N'Djamena le 20 janvier (une première, les deux pays n'entretenant pas de relations diplomatiques).

Idriss Déby, a été classé 10ème au rang mondial des dictateurs par Slate en 2015. Le Tchad fait partie des 18 pays les moins libres du monde selon Freedom House. Son régime depuis 28 ans est caractérisé par le népotisme, l'exploitation familiale des ressources minières et l'emprisonnement arbitraire des opposants. Les Mirages 2000 positionnés à N’Djamena, le sont dans le cadre de l’opération Barkhane, l’opération française lancée le 1er août 2014 contre les groupes « terroristes » du Sahel. Or, l’UFR n’est pas un groupe terroriste de type djihadiste. Aucun accord militaire ne peut donc justifier cette action contre un groupe d'opposition au régime tchadien.

Pour obtenir ce soutien inconditionnel Déby joue sur la solidarité anti-russe avec Paris, et aussi, au passage, sur les réseaux de la franc-maçonnerie. Le 30 décembre 2018 le journal Jeune Afrique écrivait à propos du voyage d'Alexandre Benalla, l'ex garde du corps de Macron à N'Djamena une semaine avant celui du président français : « Benalla est franc-maçon, comme Denis Sassou-Nguesso [président de la République du Congo, NDLR] : ça rapproche… […] Après notre rendez-vous d’affaires avec Idriss Déby Itno [président tchadien, NDLR], celui-ci a demandé à Benalla de rester un peu avec lui. Il lui a parlé de la percée russe en Afrique, notamment en Centrafrique, estimant que c’était le résultat de la non-politique de la France. En gros, tous ont exprimé leur regret de voir la France s’éloigner de l’Afrique. » Alexandre Benalla et Idris Déby sont membres de la Grande Loge nationale française alors que le ministre des affaires étrangères français est membre du Grand Orient de France, semble-t-il moins radical dans son anti-cléricalisme. Tout cela crée quand même des "affinités philosophiques" (pour le moins).

Difficile de dire laquelle des deux logiques prévaut, celle des réseaux ou celle de la solidarité anti-russe. La récente attaque des troupes du général libyen Haftar contre la base de l'UFR d'Oum El Araneb laisse aussi entendre qu'un axe Macron-Haftar-Déby serait derrière l'opération pour contrer l'influence des qataris sur l'UFR (alors pourtant que Doha s'est rapprochée l'Iran... et de la Russie, comme l'avait fait Haftar...). Le mobile anti-qatari pourrait être cohérent avec la visite de Netanyahu en janvier à Ndjamena (puisque le Qatar soutient le Hamas). Mais il paraît invalidé par le fait qu'en décembre,  Alexandre Benalla était accompagné en décembre selon l'Obs de quatre Turcs cornaqués par le franco-israélien Philippe Hababou Solomon (un ancien proche de Bernard Tapie et des Clinton) pour le compte d'une société soudanaise de textile, Sur International, ainsi que Barer Holding "une joint-venture entre le Qatar et la Turquie". Le véritable objectif de la délégation : "négocier la vente d'uniformes pour les forces de sécurité camerounaises et tchadiennes et discuter d'investissements du Qatar".

Peut-être au fond l'opération n'est-elle tournée ni contre la Russie, ni contre le Qatar. Il s'agit peut-être d'un simple échange de service "entre amis", un coup de main à un dictateur (au moment même où Macron explique qu'il faut renverser le "dictateur" Maduro au Venezuela...) au risque que, si ce dictateur est finalement renversé un jour, le dispositif anti-djihadiste français dans le Sahel en prenne un coup comme lorsque la Centrafrique s'est mise à prendre de la distance avec Paris pour se rapprocher de Moscou...

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