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Le blog de Frédéric Delorca

"Monsieur Vincent"

5 Juin 2019 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Cinéma, #Christianisme, #1910 à 1935 - Auteurs et personnalités

Je regardais tantôt en DVD ce beau film de 1947 "Monsieur Vincent" que jadis les enfants du patronage catholique allaient voir car c'était du temps où le cinéma national (tout comme celui d'Hollywood - d'ailleurs le film reçut aux Etats-Unis l'Oscar du meilleur film en langue étrangère en 1949) se devait d'être chrétien, ou du moins de ne pas trop heurter les consciences catholiques, ce qui a changé dans les années 60.

Ce film présente d'une manière touchante le personnage de Saint Vincent de Paul, un des héros du renouveau spirituel français du XVIIe siècle.

Du coup, je me plonge cet après-midi dans quelques passages de la vie de ce saint prêtre gascon. Son enlèvement par les pirates sur la mer entre Marseille et Narbonne, sa vente à 29 ans comme esclave à Tunis d'abord à un pêcheur, ensuite à un médecin (de septembre 1605 à août 1606). Il précise dans une lettre que ce médecin était un alchimiste "spagirique , souverain tireur de quintessences, homme fort humain et traitable, lequel, à ce qu'il me disait, avait travaillé l'espace de cinquante ans à la recherche de la pierre philosophale, etc." Il précise : "Il m'aimait fort, et se plaisait de me discourir de l'alchimie, et puis de sa loi, à laquelle il faisait tous ses efforts de m'attirer, me promettant force richesses et tout son savoir. Dieu opéra toujours en moi une croyance de délivrance par les assidues prières que je lui faisais, et à la vierge Marie, par la seule intercession de laquelle je crois fermement avoir été délivré", de sorte que l'espérance de la délivrance (pour retrouver un certain M. de Commet avocat à d'Acqs et juge à Pouy qui l'avait fait entrer dans les ordres Mineurs) le fit s'intéresser plus au moyen de guérir la gravelle, pour laquelle il préparait les ingrédients et les administrait. Il avait la sagesse de fuir la sorcellerie et tout ce qui, dans cette veine, flatte l'Ego...

J'apprends que de 1619 à 1622 il fut aumônier des galères à Marseille. J'ai passé une nuit à l'hôtel Ibis qui est l'ancienne capitainerie des galères royales dans cette ville, en 2014, du temps où j'y menais une enquête sur les médiums. Qui sait si quelque chose de la présence du saint homme à l'époque ne m'avait point protégé des conséquences potentiellement très funestes que pouvaient avoir pour moi ces mauvaises fréquentations. Par la suite, j'ai croisé l'ordre de Saint Vincent de Paul en travaillant sur ces étranges apparition de la Vierge rue du Bac et la médaille miraculeuse qui leur fut consacrée en 1830, car cette affaire remit en scelle cette congrégation, à l'époque malmenée par le pouvoir civil. Notre siècle gagnerait à se pencher à nouveau sur tout cela.

Il devrait aussi se pencher sur Maurice Cloche, le réalisateur du film, qui avait, douze ans plus tôt, surpris et ébloui le chroniqueur du journal Comoedia (20 février 1935) Jean Vincent-Bréchignac (et son successeur Fernand Lor l'année suivante, ainsi que beaucoup d'autres critiques qu'on peut trouver sur Gallica) avec un documentaire flamboyant sur le Mont Saint Michel, puis s'était spécialisé dans la mise en valeur des détails de l'existence quotidienne en province avec "Ces dames aux chapeaux verts" et à Paris avec "Sixième étage" (voir lé critique dans Le Matin du 28 juillet 1939 p.4). Neuf ans après Monsieur Vincent, en 1956, il allait revenir à la thématique chrétienne avec "Un missionnaire" (à propos de l'Algérie) à partir d'un témoignage authentique, mais que les milieux chrétiens de l'époque jugèrent maladroit.

Cloche n'était pourtant pas spécifiquement étiqueté catholique. Ses sujets ont été variés. A gauche les communistes ont vertement critiqué un de ses films sur l'enfance délinquante, mais Témoignage chrétien du 16 avril 1948 a signalé que "Monsieur Vincent" a été interdit aux Etats-Unis pour ses tendances communistes tandis que dans la revue du Parti communiste français La Pensée d'octobre 1948 (p. 106) le résistant Pol Gaillard lui reconnaissait le mérite d'avoir insisté sur l'importance des conditions matérielles de vie des pauvres et d'avoir montré que "l'expérience apprend de plus en plus à Vincent ce qu'il ne voulait pas admettre d'abord, qu'on ne peut rien tout seul, qu'on ne peut rien sans argent, qu'il faut organiser, organiser et que c'est là une tâche sociale et politique; il est contraint, bien qu'il y répugne, d'intervenir toujours plus haut, de s'adresser à l'Etat (car le dévouement des grandes dames ne va pas loin et l'on ne peut pas compter sur elles par exemple pour recueillir les enfants abandonnés".

Il semble que le PCF ne lui en voulait pas d'avoir terminé son scénario en 1943 sous l'Occupation, et d'avoir travaillé sous la botte allemande comme beaucoup d'autres cinéastes...

Extrait de la critique de Monsieur Vincent dans "La femme dans la Cité"  revue du Rassemblement féminin martiniquais de 1949, dont on peut supposer qu'elle reflétait le regard chrétien provincial (aussi bien qu'outre mer) sur ce film à l'époque :

"Une société a été créée il y a quelque temps :« L'Office Familial de documentation Artistique » ( OFDA ), dans le but de produire, non pas des films de propagande, mais des oeuvres fortes françaises, chrétiennes et profondément humaines. Elle a procédé par souscription dans la France entière. « Monsieur Vincent » est le premier résultat de son effort(*). Il ne faut pas hésiter à dire que c'est un chef-d'oeuvre. Mais n'allez pas voir ce film si vous êtes décidé à vous admirer vous-mêmes et à demeurer content de vous. On en sort comme honteux. Ce n'est pas la vie d'un homme charitable. C'est l'évocation même de la Charité. Et la Charité, comme tout ce qui est grand, est vouée à la solitude. Vincent de Paul a été seul, effroyablement seul. Seul quand il pénètre à Châtillon-en-Dombes, dont la population se calfeutre par crainte de la peste et lui jette des pierres pour qu'il s'en aille : ces gros souliers ferrés qui résonnent sur le pavé désert, ce visage de bonté qui se heurte à la dureté farouche de l'égoïsme . . . Seul sur ces galères, dont on l'a nommé aumônier général. Seul à sentir l'abîme de détresse de ces misérables qu'on traite pis que des bêtes. Seul dans des taudis de Clichy, où il écoute, en essayant de trouver le sommeil, les voix de la folie, du vice, de la maladie, les cent voix du mal qui crient vers lui de tous les murs. Seul aux prises avec l'Administration, qui ne lui pardonne pas d'avoir découvert la misère humaine, si bien couverte jusque là et qu'on avait loisir d'ignorer. Seul avec les "grandes dames de charité" qui refusent de se laisser entraîner au delà des papotages qu'elles avaient baptisé « charité ». Seul face à Richelieu, aux grands de la terre, aux malheureux aigris, à ses propres collaborateur (...)

Il a réussi ce tour de force de recréer intensément l'atmosphère d'une époque sans tomber dans le genre "reconstitution historique". Il a composé une oeuvre bouleversante profondément chrétienne sans rien de désagréablement "pieusard ", profondément humaine sans que Dieu soit laïcisé.

En France, dans toutes les villes où Monsieur Vincent a été projeté, on a signalé des actes de charité sortant de l'ordinaire dans les jours qui ont suivi. Telle cette dame de Lille, qui, rencontrant à sa sortie du Cinéma un malheureux étendu dans la rue, l'emmena chez elle et le soigna pendant plusieurs jours.

Je souhaite qu'il donne ici, à tous ceux qui le verront, des yeux plus chrétiennement ouverts sur la misère humaine. À la fin de sa vie, au cours d'une conversation qu'il a avec la vieille Reine de France, Vincent de Paul lui dit son regret d'avoir tant dormi, tant perdu de temps... Et la Reine de s'exclamer : " Mais alors que faut-il faire ?.. . " Et Saint Vincent en se levant péniblement, répond par ce simple, mot : " Davantage, Madame. .. "

Que vous ayez fait peu ou beaucoup pour vos semblables, j'espère qu'à votre tour, après avoir vu " Monsieur Vincent " et. vous disiez de même : " Il faut que je fasse davantage. (...)

Seul comme l'amour, quand il est vraiment l'Amour, avec ses terribles exigences et son impitoyable logique.

C'est pour cela que Pierre Fresnay est seul dans ce film. Les autres jouent admirablement leur rôle de comparses. Ils ont compris qu'ils devaient s'effacer devant cet homme un peu lourd, paysan, sans éloquence, qui a encore plus de coeur que de génie, qui parle mieux par ses yeux et par ses mains que par sa bouche. (...) Quant au dialogue de Jean Anouilh, il nous prouve qu'un vrai dramaturge est capable d'entendre, au-delà des voix rauques de la triste humanité, la voix humaine et divine de la sainteté. Les répliques entrent dans la chair; elles bouleversent ; elles font mal. Je pense à cette exclamation d'une dame de charité qui refuse de se charger des enfants trouvés, enfants du péché : « Est-ce que ce n'est pas la volonté de Dieu que de tels enfants meurent ?" -- La réponse arrive, lente, émouvante. : " Madame, quand Dieu veut que quelqu'un meure, pour le péché, il envoie son Fils ".  

(*) 80 millions de Francs, là où le budget ordinaire d'un film tournait autour de 10-12...

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