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Le blog de Frédéric Delorca

Le Mozambique victime de la malédiction du gaz

22 Mars 2021 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Colonialisme-impérialisme, #Le monde autour de nous, #Débats chez les "résistants"

Comme toujours là où sont découverts des gisements d'hydrocarbures apparait une guérilla (islamiste s'il y a des musulmans dans les environs, ou d'une autre idéologie si la religion dominante est différente).

Cette semaine la presse conservatrice pro-israélienne se mobilise autour de la situation du Mozambique à grand renfort de titres sensationnalistes. "Décapitation d'enfants au Mozambique" écrit aujourd'hui Judith Bergman sur le site du Gatestone Institute, un think tank fondé par Nina Rosenwald, héritière des magasins Sears, Rosebuck & Company (un article notamment relayé sur Tweeter par la juriste pro-Trump Elizabeth Yore) - le Telegraph à Londres avait choisi à peu près le même le 16 mars ("11 enfants et jeunes décapités au Mozambique").

L'article dénonce les exactions du groupe islamiste Al Ansar al-Sunna qui opère au Mozambique dans la région de Cabo Delgado (la 9ème réserve gazière du monde), ce qui a occasionné le déplacement de 500 000 personnes  (et le groupe a aussi attaqué la Tanzanie en octobre dernier), et chiffre le nombre de victimes dues à ses attaques à 1 300 civils tués. Il est publié onze jours seulement après que (le 11 mars) Washington a introduit Al Ansar al-Sunna dans sa liste d'organisations terroristes.

Comment interpréter cette mobilisation ?

La firme française Total s'est engagée l'an dernier à investir dans un projet d'exploitation off shore avec liquéfaction du gaz de 14,9 milliards de dollars, son plus gros investissement en Afrique de tous les temps malgré la prise par Al Ansar al-Sunna de la ville portuaire de Mocimboa da Praia en juin et en août 2020, alors qu'Exxon a dit retarder ses propres projets dans la zone pour cause de Covid.

Un article publié le 31 août dernier par le journal turc Daily Sabah, laissait entendre que la compagnie de mercenaires Wagner employée par le gouvernement mozambicain avait damé le pion à l'américain Blackwater (très actif en Afghanistan, Irak etc) dont le patron, Erik Prince, était un conseiller de Trump, Wagner ayant ensuite laissé la place à des sud-africains. Prince, qui cependant continue à fournir des hélicoptères et des navires, pourrait-il être derrière cette montée au créneau du Gatestone Institute sur le thème de la recrudescence de la violence au Mozambique pour pouvoir décrocher de nouveaux contrats ? Un article du spécialiste des compagnies de sécurité privée David Isenberg rappelait il y a trois ans qu'il était lié à Cambridge Analytica, la société accusée d'avoir piraté en 2018 50 millions comptes Facebook pour en exploiter les données, et qu'il avait un certain don pour jouer les influenceurs d'opinion.

Evidemment le Gatestone Institute qui aime insister sur le péril islamiste, se garde de détailler l'arrière plan sociologique de l'essor de ce terrorisme et le rôle des forces répressives et de l'exploitation gazière dans son développement.

Concernant la réalité sociale du Mozambique, rappelons que l'Islam représente 19 % de la population. Présent depuis le VIIIe siècle, il est à prédominante soufie. L'envoi de jeunes musulmans mozambicains dans des écoles coraniques d'autres pays d'Afrique de l'Est et du Proche-Orient a abouti dans les années 2000 au développement de groupes salafistes parmi lesquels est né Al Ansar al-Sunna qui est passé à l'action armée en 2017. Certains analystes estiment que la brutalité des attaques de ce groupe, maintenant affilié à Daech, est lié à la faiblesse de son implantation locale qui le voue à la surenchère. Les déplacements de population sont aussi liés à la répression gouvernementale largement déléguée à des mercenaires comme le groupe russe Wagner. L'institut gouvernemental américain IDA souligne que la plupart des militants du groupe islamiste sont des chômeurs attirés seulement pas l'appât du gain. La région, qui parle en majorité le swahili, est en effet très pauvre tandis que les ressources pétrolières et gazières vont largement au pouvoir central contrôlé par le FRELIMO qui a fait du Mozambique un des  25 pays les  plus  corrompus au monde.

L'organisation écologiste "Les amis de la terre" dans un rapport de juin 2020 expliquait : "Pour  construire  les  installations  on shore,  plusieurs  villages  entiers,  dont  les  populations  sont  dépendantes  de  la  pêche  et  l’agriculture,  ont  été  déplacés  par  Anadarko (une société américaine), puis Total. Même si leurs uniformes ont changé, ce  sont  les  mêmes  personnes  qui  sont  en  charge  du  lien  avec  les  communautés  sur  le  terrain.  556  familles  ont  dû  quitter  leur  village.  Les  habitant·es  de  Milamba  ont par exemple été déplacé·es à l’intérieur des terres vers le mini-village de Quitunda construit au beau milieu de Senga, où uniquement les maisons du maire et des enseignant·es étaient meublées. Beaucoup d’habitants de Milamba étaient à la fois pêcheurs et agriculteurs. Ils ont  en  compensation  reçu  des  terres  agricoles  totale-ment inaccessibles, à plus de vingt kilomètres du village. Il en va de même pour leur accès à la mer, quand les bus mis à disposition pour y accéder ne correspondent pas aux horaires de pêche. Cet éloignement géographique devient  un  obstacle  infranchissable  lorsque  règne  la  peur d’être pris pour des insurgés par l’armée et donc de se faire tirer dessus. Aujourd’hui, cette communauté se  retrouve  donc  privée  de  tout  accès  à  la  mer  pour  pêcher,  et  aux  machambas109  pour  cultiver,  autrement  dit,  de  tout  moyen  de  subsistance.  À  cela  s’ajoute  un  accès  détérioré  à  l’éducation,  quand  suite  à  un  vol  de  fournitures,  l’école  construite  dans  le  village  d’accueil  reste totalement vide. Anadarko avait prévu de prendre des terres au village de Senga pour les donner aux communautés de Milamba et Quitupo, ce qui a causé beaucoup de mécontentement. Aujourd’hui,  Total  se  rendant  compte  que  les  terres  prévues  par  Anadarko  ne  permettent  pas  de  répondre  aux  promesses  faites  à  la  communauté  de  Milamba,  il  empiète  encore  plus  sur  Senga  et  commence  également  à  le  faire  sur  le  village  de  Macala.  L’entreprise  cherche même à négocier des terres situées en dehors de l’autorisation délivrée par le gouvernement mozambicain. La population de Senga se retrouve donc privée de  beaucoup  de  terres,  entre  celles  requises  pour  les  communautés  déplacées,  celles  attribuées  à  d’autres  entreprises  (contractuels  et  prestataires  de  services),  et  celles  occupées  par  l’armée  mozambicaine,  qui  y  a  installé  au  moins  21  camps  militaires  autour  du  parc  d’Afungi.  Ces  relocalisations  hasardeuses  de  populations  en  majorité  musulmanes  vivant  initialement  sur  la  côte  (Milamba),  dans  un  village  majoritairement  catholique  (Senga)  sont  particulièrement  malvenues  dans le contexte actuel de déstabilisation de la région. D’autant  plus  que  les  compensations  sont  inférieures  pour les habitants de Senga qui ont dû abandonner des terres,  par  rapport  à  celles  octroyées  à  ceux  de  Milamba. Cela ne peut qu’exacerber les tensions ethniques déjà existantes. Les attaques des insurgés et les difficultés de transport entre Pemba et Palma rendent par ailleurs difficile l’obtention de produits de première nécessité à Palma."

Parmi ces populations spoliées et précarisées livrées aux exactions des mercenaires, il est facile aux islamistes de recruter des hommes de main volontaires pour le djihad... Mais cela, le Gatestone Institute dont les dirigeants sont proches du "Big Business" et de Blackwater ne vous le dira pas.

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