Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Le blog de Frédéric Delorca

De retour de Dubrovnik

17 Avril 2025 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Le monde autour de nous, #Le quotidien, #Peuples d'Europe et UE

On m aurait proposé de me rendre en Croatie il y a 20 ans j aurais refusé. 

C'était l'époque où je publiais dans l’Atlas alternatif un article de DIana Johnstone qui expliquait combien sur toute la guerre de Yougoslavie y compris sur la partie Croatie nous avions été enfumés par nos médias. C'était du temps où le Vatican et l'Allemagne soutenaient la sécession croate avec la bénédiction de la commission Badinter au mépris des règles du droit international.  Moi 10 ans après cette guerre j'interviewais le docteur Maritza Mattel. J'essayais à mon échelle de rétablir certaines vérités.

Depuis  lors le temps a passé. J'ai dû faire un pèlerinage à Medjugorje en 2016. Tout est devenu moins incandescent même si je ne transige pas sur le bien fondé de ce que j'ai tenté de faire passer. 

Pour mes vacances de printemps cette année il y avait des offres pour Dubrovnik, j'ai donc accepté de m'y rendre. Je ne ferai pas un livre complet sur le sujet comme l'an dernier sur mon séjour à Prague. Ce petit  billet suffira.

C'était donc Dubrovnik, l'hotel Grand Park, le quartier Lapad, sa piscine, sa pizzeria sympathique (le "Tutto Bene"). Je l'admets, j'ai éloigné de moi, un peu Gaza, l'Ukraine, le bombardement des Chin au Myanmar, la guerre du Soudan, j'ai laissé un peu tout cela de côté, même si cela revenait le soir aux informations télévisées en croate ou en espagnol (je n'ai même pas raté la mort de Vargas LLosa). Une pause avant de revenir à tout ça - par exemple dans 10 jours quand j'irai parler sur Radio Galère à Marseille de l'histoire de l'Atlas alternatif.

J'ai tenté de me concentrer sur le souvenir de la Raguse médiévale. Le couvent des franciscains, celui des dominicains.

Même là les drames assez "récents"apparaissent, comme cet impact d'obus du 8 décembre 1991 à deux pas d'une relique de Saint Blaise. Souvenir du temps où mon propre grand père républicain espagnol aussi tirait sur une église (à Belchite le 24 décembre 1936). Il n'y a pas que la violence des souvenirs de guerre. Celle de la propagande aussi qui parle de l' "agression serbe et monténégrine de 1991", au lieu d'une légitime action de l'armée fédérale du pays face à une sécession illégale, me faisait bien sursauter.

Mais par delà les récupérations médiatiques et politiques la compassion pour les habitants ou pour l'atelier du peintre Ivo Grbic l'emporte comme elle l'emportait déjà pour moi en 1991 au moment du siège de la ville quand j'étais étudiant à Sciences Po, avant de connaître le point de vue des Serbes.

Passe le temps. Aujourd'hui on est moins choqué par les biais historiques sur la guerre civile yougoslave que par l'arnaque touristique permanente :  40 euros pour monter aux remparts.

Les tableaux au mur des musées sont des croûtes italiennes indignes de la pire église de province française. Le portrait du jésuite astronome Boscovitch semble avoir été peint par un enfant.

Au musée d archéologie à 10 euros quatre fragments de chapiteaux d'églises du 10e siècle détruites se battent en duel...

Pourtant cette vieille ville est jolie vue du haut de ses remparts.

Extrait du journal intime de Pierre Loti en 1880 (juste avant sa folle histoire d'amour au Montenegro) :

"Raguse semble un joyau précieux du moyen âge, épargné encore par le progrès moderne. Pas une construction neuve ne dépare cette ville d’autrefois. Des maisons, des palais rappelant l’architecture de Venise ; des églises et des couvents autant que de maisons ; sur les places, une profusion de petits monuments bizarres, de vieilles statues et de vieilles fontaines. Un corso bordé d’hôtels jadis somptueux raconte l’opulence du passé. A côté, de petites ruelles aussi étroites, aussi raides, aussi impossibles que dans les Kasbahs arabes. De hautes montagnes de pierre grise, aux flancs dénudés, aux parois verticales, dominent, surplombent tout cet ensemble, donnant à Raguse je ne sais quel air enfermé, muré et séparé du reste de la terre. (Journal intime, tome I, p. 190)"

86 ans plus tard une fan suisse de Loti Edwig Bolliger allait ajouter dans les Cahiers Pierre Loti de 1966 "Ces églises et leurs cloîtres aux colonnes finement sculptées, ces palais inspirés par l’art vénitien, ces clochers et ces ruelles en montée raide, tout y est encore, 85 ans après le passage de Pierre Loti. Ils l’ont vu passer et, par ce fait, jettent un charme indicible. La promenade sur les remparts de la cité est infiniment impressionnante, et l’on y mène les touristes en troupeau, comme partout dans les villes d’intérêt artistique ou historique." Pas mieux : 60 ans plus tard Raguse en est au même point.

Par delà ces clichés coûteux (j'ai laissé 75 euros pour un cevapi très gras dans une ruelle parallèle à la Stradun), j'ai trouvé plus d'authenticité, le lendemain, dans le "musée de l'histoire rouge" près du port, à l'Ouest.

Comme son nom ne l'indique pas cet endroit très étonnant aménagé dans une ancienne usine de composants de moteurs reprise en coopérative au moment de l'indépendance croate donne une épaisseur anthropologique à la ville parce qu'il nous fait plonger dans le quotidien de ses habitants à l époque de Tito. On visite leur salle à manger, leur cuisine, leur garde robe, leur armoire à pharmacie ; on découvre cette époque étrange où l'humanité de Mexico à Tokyo s'est ouverte en masse au progrès matériel et éducatif. En Yougoslavie c était sous l'égide d un communisme allié à l occident. Les panneaux explicatifs sont très bien écrits à  la fois synthétiques, complets et clairs ce qui est rare dans les musées d'aujourd'hui. 

Arrêt sur image sur : la miss Yougoslavie de 1966, Nikica Marinovic, dubrovnikoise qui pose à Paris avant de concourir pour miss Europe ; les tenues des pionniers les jours de fête ; l'influence de la série américaine Dynasty sur les mentalités des années 1970. C'est attachant à souhait.

 

Le lendemain de la découverte de ce musée (troisième jour de nos vacances), le chauffeur qui nous amenait à Medjugorje et Mostar nous parlait de la yougonoslagie des Croates d'aujourd'hui dégoûtés par la corruption. Les hommes politiques se font arrêter, on offre aux médecins de grosses bouteilles de rakija pour être mieux soigné.  "Malgré l'Union européenne ça reste les Balkans ". D'ailleurs Bruxelles ne fait plus rêver. Les eurocrates subventionnent le pont qui relie Dubrovnik à la Croatie sans passer par la Bosnie mais ce sont les Chinois qui ont remporté l'appel d offres et l'ont construit. Et comme partout les problèmes économiques et la pollution : le delta de la Neretva à côté duquel nous passons qui fut le cadre d un célèbre film de propagande de 1969 sur la guerre des partisans, zone fertile riche en mandarines est maintenant si gorgée d'intrants chimique que les cancers s'y multiplient. La femme de notre chauffeur qui travaille à l'hôpital peut en témoigner. Rien à envier aux Serbes de ce côté là...

Bon, je ne dirai rien du pont de Mostar, Disneyland de la Muslim culture en Bosnie aux pierres ultraglissantes au sol, ni de la masseuse croate de l'hôtel aux méthodes musclées. 

Les Balkans sont les Balkans. Concluons sur cette éloquente tautologie.

 

Partager cet article

Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :

Commenter cet article

B
Dubrovnik, j'y suis allé en 2010 et j'avais déjà constaté la même chose, une vieille ville de Raguse magnifique mais bouffée par le tourisme de masse, avec en prime des touristes qui sont pris pour des vaches à lait. Je n'avais pas apprécié la visite, mais je n'y étais resté qu'une journée. La mise en avant de la guerre patriotique contre "l'agresseur serbe", dont tu parles dans ton article, est présente partout en Croatie, 30 ans plus tard rien n'a changé d'un pouce à ce sujet, les Serbes sont invisibles dans le pays mais restent l'ennemi utile pour ne pas parler des vrais problèmes, notamment la baisse drastique de la population croate dûe à l'effondrement de la natalité et à l'émigration massive des jeunes vers l'Occident, pour fuir un chômage et une corruption endémique. La Serbie souffre des mêmes maux, il faut juste remplacer "ennemi serbe" par Kosovo, le discours nationaliste est très similaire. La différence vient de ce que les jeunes Serbes ne peuvent pas s'installer aussi facilement en Occident, l'émigration dans leur cas est donc moins importante. À part ça, le mauvais portrait de Boskovic m'a fait sourire. Les nationalistes serbes le revendiquent comme l'un des leurs car son père était un marchand issu d'un clan orthodoxe d'Herzégovine qui s'est converti au catholicisme pour pouvoir s'installer à Raguse si je me souviens bien. Par ailleurs, je ne sais plus si je t'en avais parlé mais il y avait un groupe d'intellectuels de Dubrovnik au 19e siècle et au début du 20e, connu sous le nom de mouvement des Serbes catholiques, qui œuvrait pour le rattachement à la Serbie. Ça a disparu après la création de la Yougoslavie. C'est l'une des raisons pour lesquelles les nationalistes serbes revendiquaient Dubrovnik dans les années 90, car historiquement la ville n'était pas croate. Mais elle n'était pas serbe non plus, ce mouvement des Serbes catholiques était marginal est tardif au regard de la longue histoire de Raguse.
Répondre