Malbrunot-Boulbina
4 Juillet 2008 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Lectures
Pour ceux que ça intéresse, deux recensions que j'ai faites pour Parutions.com
Georges Habache, Les révolutionnaires ne meurent jamais, Conversations avec Georges Malbrunot
Les mémoires d’un guérillero palestinien
Bien peu de résistants palestiniens ont pu vivre assez vieux, et dans des conditions de sérénité qui leur permettent de publier leurs mémoires au soir de leur existence. C’est ce qu’a pu faire le leader historique du Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), Georges Habache, invité en janvier 2006 par le journaliste Georges Malbrunot à confier son vécu dans une interview de près de 300 pages (sans compter les annexes).
Les mémoires de Georges Habache nous plongent en des époques que le Zeitgeist actuel tend à occulter complètement ou à figer dans des caricatures : la Naqba en 1947, la montée des mouvements d’émancipation du Tiers-monde dans les années 1950 (mouvement dans lequel s’inscrivait de plain pied le nationalisme palestinien), et les guerres israélo-arabes, la constitution du Front du refus (Libye, Syrie, Irak, OLP, Yémen, Algérie) face à la trahison égyptienne.
On peut y voir avant tout le portrait de la résistance palestinienne du point de vue de l’intransigeance : sévère à l’égard de l’esprit de compromis d’Arafat (dont il admirait cependant les qualités humaines), Habache n’a jamais cessé de défendre des valeurs démocratiques de la gauche révolutionnaire, hostiles à toute domination bourgeoise (celle des anciens colonisateurs occidentaux, et celle des dictatures arabes). Sur la question du sionisme, il n’a cessé de prôner la libération intégrale de la Palestine, le retour de tous les réfugiés, et la création d’un Etat laïque qui intègre sans distinction musulmans, juifs et chrétiens.
La vision de ce dirigeant historique du combat palestinien, auquel Malbrunot témoigne toute son estime dans la préface de l’interview, permet de mieux comprendre l’alternative, telle qu’elle est encore défendue par une bonne part de la gauche palestinienne, au pragmatisme du processus d’Oslo. Habache l’expose avec un certain franc parler sans en nier les échecs, et sans occulter le risque que présente pour elle la concurrence de l’islamisme, qui a le vent en poupe dans l’ensemble du Moyen-Orient depuis vingt ans. La franchise du Dr Habache, qui s’était forgé une réputation très respectable dans l’ensemble du monde en arabe, transparaît notamment dans cette confession finale : « De temps à autre, je me réveille la nuit en pensant à tout ce que je n’ai pas accompli durant ces cinquante années : le socialisme, la lutte armée, la récupération de nos terres… Parfois j’ai l’impression que je n’ai pas réalisé grand-chose ».
Ce livre n’est sans doute pas superflu pour dissiper auprès du grand public les amalgames souvent entretenus par les médias à propos des résistances armées, toutes volontiers assimilées à la violence aveugle d’Al-Qaida – on lira à ce propos avec intérêt les passages consacrés aux détournements d’avions dans les années 1970, évoqués avec beaucoup de nuances. Il est utile aussi pour rappeler la somme d’abandons et de coups de poignards dans le dos endurés par les fedayins palestiniens au cours des quarante dernières années de la part des gouvernements arabes, y compris, à différents degrés de leurs alliés Gamal Abdel Nasser, Mouammar Kadhafi, Hafez El-Assad. Par delà les divisions internes du mouvement palestinien, qui sont livrées sans masque par l’ex-responsable du FPLP, l’aspect majeur qui ressort du récit est finalement l’extrême courage de cette génération de dirigeants nationalistes qui tous ou presque ont tout donné, et risqué plusieurs fois leur vie (ainsi que celle de leur famille, le livre révèle notamment l’étonnante personnalité de Hilda Habache, l’épouse du narrateur) dans un combat de David contre Goliath, seuls contre presque tous les grands pouvoirs planétaires. L’historien quant à lui trouvera sans doute dans cet ouvrage – sous réserve de croisement des sources, notamment avec les archives écrites - des éclairages intéressants sur les relations interarabes, ainsi que sur les rapports des Palestiniens avec le bloc soviétique, ou avec des pays comme la France (dont le rôle, à l’occasion de l’hospitalisation d’Habache en 1991 à Paris, ne sort pas spécialement grandi).
Frédéric Delorca
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Séloua Luste Boulbina, Le singe de Kafka et autres propos sur la colonie
Seloua Luste Boulbina, agrégée de philosophie et docteur en sciences politiques, s’est faite connaître dans le débat intellectuel en 2003 par son introduction à la nouvelle édition des écrits de Tocqueville sur l’Algérie.
Elle prolonge aujourd’hui cette recherche par une réflexion sur la colonie. Son livre part de l’histoire de Rotpeter, le singe humanisé, qui, dans le Rapport pour une académie, de Franz Kafka, raconte les sacrifices et les impasses de son acculturation dans le milieu humain. Le conte est ici prétexte à analyser en quoi le colonisateur (l’Europe) n’en finit jamais de coloniser en laissant la décolonisation à la charge de la colonie, dans une obstination, digne de la surdité d’Ulysse au milieu du chant des Sirènes, à ne pas reconnaître à l’Autre le statut d’interlocuteur à part entière, doté de sa propre vision de l’histoire, de sa propre légitimité à entrer en dialogue avec lui.
Le propos est vif, tranchant, précis comme un scalpel aussi bien quand il s’attaque à la dualité (ou à la duplicité) de Tocqueville sur la question de l’expropriation des indigènes suivant qu’il parle de l’Amérique ou de l’Algérie que lorsqu’il examine des « faits divers » ou des « faits de société » récents comme l’exclusion de Zinédine Zidane d’un stade de football ou l’affaire du « voile islamique ».
Ce livre, d’une lecture agréable, a le grand mérite d’installer le problème colonial dans le débat philosophique. Il souffre cependant de la limite fréquemment rencontrée chez les philosophes français de la génération de Mme Luste Boulbina : une dévotion rhétorique pour les auteurs canoniques (Nietzsche, Freud, Foucault, Benveniste), dont l’invocation, sur le mode du name dropping, est censée valoir argument d’autorité. Ce genre d’invocation se fait au détriment de la citation de travaux d’analyse politique (on pense aux études de Noam Chomsky) ou de sciences sociales (par exemple l’ouvrage collectif Une mauvaise décolonisation, paru au Temps des Cerises en 2007) pourtant à maints égards plus pertinents pour penser le fait colonial dans son actualité et sa globalité que les intuitions de tel romancier ou tel penseur consacré de longue date par les institutions académiques.
Frédéric Delorca
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