Candide au Sri Lanka

A l'ambassade d'Ouzbékistan
L'Ouzbékistan, qui a toujours défendu le dirigisme étatique dans la transition vers le capitalisme, pavoise aujourd'hui - son système économique mixte lui permet de conserver un taux de croissance acceptable dans la tourmente. Son président a tenu à le faire savoir, et un certain nombre de personnalités (des universitaires, un cadre d'entreprise français) sont venus commenter l'ouvrage et vanter la clairvoyance du leader de ce pays.
Le Dissident internationaliste, le patron du Samizdat et moi-même faisions peut-être un peu tâche avec nos looks de journalistes free lance. A l'heure de la dégustation du plov autour d'une grande table, le Dissident internationaliste s'est même vu reprocher par un plus grisonnant que lui d'avoir trop bavardé pendant le discours du président. On nous en blâmait aussi en Transnistrie. On ne se refait pas. Je n'aurais jamais pu mener une vie de diplomate.
Ensuite nous avons eu droit à une conversation à trois (le patron du Samizdat s'était éloigné, je ne sais plus pourquoi) avec un secrétaire de l'ambassade : un tour d'horizon informel sur l'Afghanistan, l'Iran, le Proche-Orient. Les diplomates ouzbeks ont une grande tradition d'hospitalité qui, paraît-il, existe aussi chez leur peuple. Ils sont en outre toujours très convaincants quand ils proclament leurs idéaux de paix, de dignité nationale, et de prudence dans les mesures économiques. L'ambassadeur fut notamment brillant, après les interventions des universitaires, dans une improvisation inattendue sur la politique de l'eau. Les nations des oasis savent aller à ce qui leur est essentiel.
Quelque part à Chisinau

A la médiathèque de l'Alliance française de Moldavie, on sait que la Moldavie ne va pas très bien, qu'elle est dans une impasse. Et on sait que les jeunes gens qui apprennent la langue de Molière, pensent parfois à cette petite république sur les bords du Dniestr gardée par des chars russes, et se disent que, s'il n'y avait pas les chars russes, la Moldavie percevrait des impôts sur les combinats soviétiques de cette république - qu'elle aurait allègrement privatisés, et serait donc un tout petit peu moins pauvre.
A la médiathèque il y a une dame, qui s'appelle Sylvia, et qui a un nom moldave ou roumain. A 14 h 50 (heure de Paris), il faisait beau à Chisinau (20 °C), et Mme Sylvia a envoyé un mail à mon éditeur, pour lui dire que les gens de l'Alliance sont "vivement intéressés par le livre de Frédéric Delorca « Transnistrie : Voyage officiel au pays des derniers Soviets »" et voudraient se "renseigner sur les modalités d’acquisition". Ce n'est pas tous les jours qu'un livre en langue française s'intéresse à ces combinats soviétiques sur les bords du Dniestr, ni même un livre occidental en général. Alors si l'on peut apprendre le français en découvrant par la même occasion ce qui peut se dire en France de la petite république protégée par les chars russes, pourquoi pas ?
Je pense qu'on a tenu ce raisonnement à la médiathèque de Chisinau. Mon éditeur, lui, était satisfait. Il voit que ses livres sont visibles. On les remarque. On les remarque même plus que ceux du Temps des Cerises, me semble-t-il. Et ainsi tout le monde est content.
La lenteur des esprits
Béatrice Guelpa : Gaza, debout face à la mer
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Voici mon compte-rendu du livre de Béatrice Guelpa : Gaza debout face à la mer, publié sur le site Parution.com
Pour le lire cliquez sur http://www.parutions.com/index.php?pid=1&rid=4&srid=84&ida=10837
Béatrice Guelpa Gaza debout face à la mer - Le défi de Jawdat Khoudary
Zoé Editions 2009 / 16 € - 104.8 ffr. / 122 pages
ISBN : 978-2-88182-645-0
FORMAT : 14cm x 21cm
L'auteur du compte rendu : Romancier, essayiste, docteur en sociologie, Frédéric Delorca a publié entre autres, aux Editions du Cygne, Transnistrie : Voyage officiel au pays des derniers Soviets (2009).
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Comment faire comprendre à lopinion publique occidentale étourdie par le flux de clichés médiatiques quotidiens que les habitants de Gaza sont des individus, qui ont tous leurs trajectoires, leurs singularités, quil ne sagit pas dun troupeau conforme à quelques stéréotypes, mais dêtres humains, cest-à-dire de personnes qui réfléchissent, qui défendent leur dignité, qui préparent lavenir de leurs enfants, malgré lembargo et les bombes, et malgré notre lâche indifférence ? Telle est linterrogation en arrière-plan du dernier livre de la journaliste suisse Béatrice Guelpa.
La voie choisie par lauteur est originale et difficile. Il sagit dun portrait, celui de Jawdat Khoudary, homme daffaire gaziote né en 1960, collectionneur de pièces dart antiques quil a découvertes lui-même dans le sous-sol de sa ville. Lidée du livre semble être née à loccasion de lexposition de sa collection au musée dart et dhistoire de Genève en 2007. La biographie de Khoudary est ainsi déclinée, dune décennie lautre, de lépoque de ladministration égyptienne à celle du gouvernement par le Hamas, en passant bien sûr par loccupation militaire israélienne, et les lueurs despoir des premiers pas de lAutorité palestinienne, il y a quinze ans.
En parcourant les confessions de ce collectionneur, on ne peut manquer de songer au livre dentretien que Georges Malbrunot a consacré au vieux lion Palestinien leader du Front populaire de libération de la Palestine, Georges Habache (voir notre recension dans ces colonnes).
Rien ne peut être plus opposé que les parcours de ces deux hommes qui naissent pourtant sur le terreau dune même injustice et dun même désespoir. Là où Habache défendait la résistance armée, Khoudary la sublime dans lamour des belles uvres et dans la volonté doffrir à ses concitoyens la réappropriation de leur passé, et la dignité dune identité retrouvée, en construisant pour eux un musée, le mathaf, qui donne même aux plus pauvres pendant quelques semaines limpression dune normalité retrouvée, malgré lembargo et malgré la guerre.
Béatrice Guelpa a conscience quelle marche sur une corde raide quand elle nous transporte dans la villa cossue de son hôte parmi les beaux meubles et les jardins plantés de citronniers. Le risque du déni de la réalité gaziote, de la fuite dans un passé trois fois millénaire idéalisé est présent à chaque ligne. Mais ce rêve de calme et de beauté nest là que pour dénoncer, par effet de contraste, lasphyxie qui lui est imposée. Cest un rêve avec un pistolet sur la tempe. On sen rend compte notamment lorsque Khoudary évoque toutes les fois où son groupe financier a failli faire faillite, et non seulement les risques de confiscation de ses chapiteaux de colonnes et de ses statues grecques par larmée israélienne, mais aussi le danger que sa collection faisait planer sur sa survie physique et celle de sa famille. Gaza paie un prix exorbitant pour toute chose, même pour conquérir le droit à la conservation de son patrimoine.
Lépée de Damoclès qui pèse sur les rêves de cette enclave assiégée se révèle dans toute son horreur à partir de fin décembre 2008, quand les raids de laviation israélienne font tout basculer dans le cauchemar. Lesthète qui, jusqualors, prônait le compromis avec Israël, et plaçait le développement économique au dessus de tout, doit faire le constat que lenvahisseur ne veut pas seulement «éradiquer le Hamas», mais aussi punir collectivement la population, la démoraliser, anéantir son potentiel économique (comme jadis lOTAN en Serbie - les chiffres sont du reste comparables 700 grammes de bombes par habitant sur trois semaines, 1,25 kg pour les Serbes en dix semaines il y a dix ans, mais le pays était plus vaste). Béatrice Guelpa mentionne fidèlement les maisons dhabitation, les fermes et les usines bombardées, et même le zoo (comme dans Underground de Kusturica), bombes à fragmentation, au phosphore, lAmerican school détruite, vestige du temps où les États-Unis aidaient la Palestine à former ses cadres, la soif de vengeance dune jeunesse qui ne parle plus que de «djihad».
Elle termine son beau récit sur une note despoir : Jawdat Khoudary nourrissant ses enfants. Mais nul nest dupe en refermant le livre : debout face à la mer, Gaza est surtout dos au mur. Le chemin de la liberté, de la paix et de la prospérité y est plus que jamais hérissé de fils de fer barbelés.
Frédéric Delorca
( Mis en ligne le 04/05/2009 )
Le "Front de gauche" ne va pas bien
J'ai nourri quelque espoir, il y a quelques mois, lors de la formation du Front de gauche. J'appréciais notamment en son sein le MPEP qui osait poser la question incontournable de la sortie de l'UE.
Mais l'évolution de Mélenchon et du PC n'est pas des plus encourageantes en ce moment. Sur l'UE ils font mine de croire à "une autre Europe" alors qu'aucun indice ne plaide dans ce sens (ce genre d'incantation, qui ne se fonde sur aucune stratégie crédible devient à la longue irresponsable et malhonnête car elle détourne les gens de la construction d'un projet alternatif urgent - celui qui passe par la sortie de l'UE). Et Mélenchon qui avait été très bon sur le Tibet et le Kosovo, se répand en insultes contre Ahmadinejad (dont le discours de Genève était pourtant irréprochable), et adopte une position faible face à Israël (à l'heure où même le Département d'Etat américain s'inquiète du fait que le Quai d'Orsay est dominé par les néoconservateurs).
Dans ma région gasconne le PC abandonne les clés de la boutique à un spécialiste de la guerre civile espagnole qui n'a pourtant guère la cote dans l'opinion publique locale et suscite bien des controverses (comme me le disait le Scientifique belge, c'est au moment où le PC renonce le plus clairement à la révolution qu'il commémore la seule époque de son histoire où il était révolutionnaire : 1936 - encore son côté révolutionnaire pendant la guerre d'Espagne est il très contesté par les poumistes et les anars). En Seine-Saint-Denis il s'en remet à des figures montantes pour le moins contestables (mais on avait vu la même chose à Paris avec le phénomène Clémentine Autain). Sur le plan théorique triomphent en son sein des penseurs d'un communisme parfaitement abstrait (Spire, Badiou, Zizek).
On peine à trouver là les signes d'une stratégie lucide et courageuse.
D.H. Lawrence

Aussi lorsque je lis, sous la plume de DH Lawrence, dans sa préface de 1929 à L'Amant de lady Chatterley, "je veux qu'hommes et femmes puissent penser les choses sexuelles pleinement, complètement, honnêtement et proprement. Même si nous ne pouvons pas agir sexuellement à notre pleine satisfaction, sachons au moins penser sexuellement avec plénitude et clarté", je suis plus enclin à croire en sa profondeur qu'à celle des mouvements psychanalytiques qui lui sont contemporains. Voyez le choix des termes, si lumineux, si apollinien, si confiants dans la force de la pensée, et en même temps modestes, réalistes. N'est-ce point autrement plus doux et fécond qu'un Wo Es war soll Ich werden ?
L'extrême centre
