Vices humains, post-révolutions colorées, colbertisme, tutti frutti
C'est une drôle d'affaire que de devoir composer chaque jour avec la bêtise, l'inconstance, la jalousie, la mauvaise foi, la mesquinerie, le goût de la propagation des calomnies. On peut trouver cela dans son travail, ou même dans l'espace virtuel sur Facebook par exemple. Tous ces vices sont pour ainsi dire "décomplexés" de nos jours, sous des cieux démocratiques, et donc démultipliés, le pire des abrutis pouvant se croire l'égal du plus savant de ses collègues, et en tout cas le plus "également fondé" et "réciproquement fondé" à le dénigrer en toute bonne conscience. Combien d'actions collectives, de projets sont minés par ces gangraines...
Bon pour sortir de ces considérations déprimantes, et du temps froid qui retarde le retour du printemps, quelques nouvelles de ce monde :
Un certain Joshua Tucker explique quelque part que ce qui se passe au Kirghizstan est la première "post colored revolution" au sens où ça n'a plus aucune caractéristique des révolutions colorées pro-occidentales(http://www.themonkeycage.org/2010/04/more_on_kyrgyzstan_as_a_noncol.html). Je suppose qu'il en dirait autant de la Thaïlande.
En Chine le gouvernement chinois interdit à sa télévision d'utiliser des abréviations en anglais (http://english.people.com.cn/90001/90776/90882/6942423.html). C'est ça aussi le colbertisme chinois.
En parlant de colbertisme, je me rends compte, en lisant des blogs comme La lettre volée, que les colbertistes français anti-européistes gaullistes ou de centre gauche sont aux fond ceux qui peuvent se prévaloir aujourd'hui d'une plus grande radicalité que la soi-disant gauche radicale. Parce que eux ont un programme économique et politique clair - la sortie de l'Europe, la réindustrialisation - là où la soi disant gauche radicale se contente de remuer les bras sans autre modus operandi que des exclamations ("défense du pouvoir d'achat !" "touche pas à mes services publics !"). Ce n'est pas la première fois dans l'histoire qu'une partie de la moyenne bourgeoisie se sent en position de "reprendre la main" face à une autre faction de la bourgeoisie ou de la noblesse, tandis que les petits bourgeois et les prolétaires, alliés ou divisés (en ce moment plutôt divisés) sont réduits à des postures purement incantatoires. Mais cette fraction "colbertiste" de notre bourgeoisie, comme en Angleterre, aura le plus grand mal pour renverser le mur transnational des médias et des intérêts coalisés contre elle. Ce n'est pas la première fois depuis Maastricht (voire depuis le traité de Rome) que sa vague se brise sur ces remparts, et il n'est pas certain que la décomposition du régime actuel (avec ses jolies histoires d'oreiller) y change grand chose : le système médiocratique garde des ressources de mobilisation, derrière Martine, derrière Dominique (de Villepin ou Strauss Kahn), derrière Dany, pour noyer le fond des débats.
Demain je vais rencontrer une association issue de l'autre bord (les petits bourgeois et le prolétariat). Elle aussi a des ambitions politiques. Je ne suis pas sûr qu'une alliance sera possible un jour entre elle et les nationaux-colbertistes. Ceux ci sont encore très loin de pouvoir apporter les réponses aux aspirations internationalistes d'un monde effectivement globalisé. A trop s'en tenir au discours économique, ils ne voient pas qu'une bonne partie du prolétariat de toute façon ne peut pas adhérer à leur vision hexagonale des problèmes. C'est le point aveugle de leur discours, celui sur lequel ils devraient travailler davantage. Les Chinois dans leur propre colbertisme n'avaient pas un tel problème sociologique à surmonter.
Katyn expliqué par l'argument de la vengeance
Je lis dans Ria Novosti :
"Le massacre de Katyn serait une vengeance de Staline pour les 32.000 prisonniers soviétiques morts en Pologne en 1920, a estimé mercredi le premier ministre russe Vladimir Poutine à Smolensk.
"Je ne savais pas que Joseph Staline a lui-même dirigé l'opération militaire de 1920 pendant la guerre soviéto-polonaise. L'Armée rouge a essuyé une défaite et de nombreux soldats soviétiques ont été faits prisonniers. Selon le dernier bilan, 32.000 soldats sont morts de faim ou de maladie en Pologne (…). Je crois personnellement que Staline se sentait responsable de cette tragédie et qu'il a ordonné de fusiller (les Polonais) pour se venger", a indiqué M.Poutine à l'issue d'une cérémonie en mémoire de plus de 20.000 officiers, policiers et civils polonais fusillés en 1940 à Katyn, près de Smolensk, par le NKVD, la police politique soviétique.
Selon le magazine polonais Newsweek Polska, près de 110.000 soldats soviétiques ont été faits prisonniers suite à la défaite de l'armée de Mikhaïl Toukhatchevski aux abords de Varsovie. Ils ont été envoyés dans des camps créés à Brest, Lukow, Wadowice, Domb et Strzalkowo. Les détenus ont été torturés et laissés sans nourriture ni soins médicaux"
http://fr.rian.ru/world/20100407/186417445.html
Les remises en perspectives des crimes du stalinisme, dans un contexte où les russes (et notamment les communistes russes) avaient subi beaucoup d'atrocités sont intéressantes. En tout cas elles aident à comprendre l'histoire (ce qui ne signifie cependant pas qu'il faille en devenir pour autant stalinophile ni poutinophile il va de soi).
Ces questions de poules et d'oeufs, qui cause quoi dans l'histoire, sont toujours compliquées mais utiles à poser. C'est comme lorsque je déjeunais avec le conseiller de la présidence du Mali. Il expliquait l'échec de la fédération avec le Sénégal en 1960 par "l'action du colonisateur". Tout comme d'ailleurs l'échec du socialisme malien dans les années qui suivirent. Il y a du vrai. Même si comme toujours ça ne peut être qu'une partie du vrai. On ne peut jamais complètement dire "tel crime, telle erreur, c'est de la faute à l'adversaire qui m'a conduit à cela". En même temps on devine que si la pression de l'adversaire était moindre (si le Mali n'avait pas autant dépendu du colonisateur, si l'URSS de 1939 n'avait pas eu une terrible guerre civile derrière elle en 1920, et des menaces persistantes) tout aurait pu se passer autrement.
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PS : Remarque d'un historien après cette déclaration de Poutine
"C'est une interprétation qui a l'avantage de cicatriser quelques plaies mais qui n'a pas trop de choses à voir avec la vérité.
D'abord Staline a certes joué un rôle dans la guerre polono-soviétique mais le principal artisan de cette guerre a été Toukhatchevski qui n'a pas pu compter sur les détachements qu'il avait demandé à Staline qui préférait mener sa propre offensive en Galicie : résultat Toukhatchevski a perdu la bataille de Varsovie et donc la guerre.
Les enquêtes menées par les Polonais depuis quelques années semblent montrer que les conditions dans les camps polonais étaient déplorables mais qu'il n'y a pas eu de meurtre systématique. D'ailleurs si cela avait été le cas, on peut supposer que la propagande communiste, polonaise ou soviétique se serait emparrée du sujet bien avant 1991, date où on a commencé à aborder le sujet en Russie. Poutine a créé une bourse pour des chercheurs russes qui s'occuperaient de ce sujet mais à ce jour ils ont produit moins de choses que les chercheurs polonais sur le sujet.
Comme vengeance on aurait pu imaginer mieux. La plupart des officiers tués à Katyn étaient des réservistes et non des militaires de carrière qui à l'époque de la guerre de 1920 étaient encore pour la plupart des adolescents à peine pubères ou pas encore. En revanche, Staline ne touchera pas un cheveux du premier ministre de Pilsudski (qui était sans doute plus lié au régime d'avant 1939 que les victimes de Katyn) qui restera prof à l'école polytechnique de Lvov jusqu'en juin 1941, qui sera reçu par Staline au Kremlin au printemps 1941 et qui sera exécuté avec tous les professeurs de son école dans les heures qui ont suvi l'entrée des nazis à Lvov en juin 1941.
Si on parlait de vengeance, le premier ministre de Pilsudski aurait du être le premier sur la liste à Katyn.
Par ailleurs, parmi les officiers exécutés, certains s'étaient opposés aux troupes soviétiques entrant en Pologne le 17 septembre 1939 mais d'autres avaient résisté aux troupes nazies jusqu'au bout de leurs possibilités justement dans l'attendre de pouvoir se rendre aux "Slaves" soviétiques. S'ils s'étaient rendus aux Allemands ils auraient survécu dans un offlag alors que là ils ont fini à Katyn.
Ce qui n'empêche pas les Polonais d'aujourd'hui d'en faire trop sur le sujet Katyn."
Bourdieu et la négativité
On ne débat plus beaucoup de Bourdieu maintenant. Huit ans après sa mort, son héritage est soit marginalisé soit dissout dans des pensées molles "éclectiques".
Un internaute sur mon réseau Facebook a écrit : " "Celui qui ne souscrit pas aux normes de la bienséance est condamné à l'alternative du silence ou du franc-parler scandaleux" (Bourdieu)"
Beaucoup de gens écrivent des trucs comme ça pour montrer qu'ils sont cultivés. Ils nous ressortent des paroles d'autorité de grands prophètes (universitaires ou autres), manient le name dropping pour se remonter le moral.
Dans cette phrase de Bourdieu je ne puis m'empêcher de reconnaître des travers que j'ai bien connus de son vivant. Il était un peu trop enlisé dans une vision de l'ordre social qui, au nom de l'anti-essentialisme, ne voyait que des "rapports" partout et de la dépendance mutuelle (sa lecture de Norbert Elias le confortait là dedans). Du coup il avait trop tendance à ne voir que des jeux différentiels (les stratégies de "distinction") et des façons de se poser en s'opposant (par le scandale ou le silence). Or on peut aussi s'opposer d'une façon plus constructive . Mais Bourdieu aimait mieux déconstruire que construire, cela faisait partie de son fond nihiliste très répandu dans toute la pensée poststructuraliste.
Quelle stratégie ?
Suite à mon article d'hier je reçois des mails sceptiques sur Asselineau. Sans doute à juste titre. Mais que faire ? Miser sur un parti antisystème au risque que ce soit une impasse ? Miser sur l'ancrage local comme j'ai essayé de le faire à Brosseville, au risque de découvrir que tout est enlisé dans des querelles de cocher et dans la gestion au jour le jour ? Miser sur des réseaux associatifs ? Il est bien difficile de fédérer les énergies d'une manère productive...
Du stoïcisme de François Asselineau
Je m'intéresse à tout ce qu'il y a de neuf en ce moment en politique, et ce qu'il y a de vraiment neuf est le plus souvent ce qui se nourrit aux sources de l'ancien, comme l'association Respaix qui boit aux fontaines du marxisme... ou l'Union populaire républicaine à celle du gaullisme façon "Conseil national de la Résistance".
J'ai regardé cet après midi sur You Tube la conférence en vingt petits clips de François Asselineau du 13 février 2010 dans son intégralité. M. Asselineau est un homme de droite, et un homme dont la vision de l'histoire n'est pas la mienne. Mais je lui reconnais outre une pertinence d'anayse de la situation actuelle des valeurs morales qu'on peut trouver proches du second stoïcisme antique (celui de Caton d'Utique si l'on veut) : attachement à la vérité, au courage, à la probité. J'admire sa lucidité sur la mainmise des Etats-Unis sur l'Europe (via notamment le projet de construction européenne), sa clarté dans la dénonciation des folies de notre époque, son intransigeance à l'égard du système politique. Il appelle à un rassemblement gauche-droite qui ne nie pas la pertinence du clivage entre les deux, mais demande sa mise entre parenthèses le temps que la France franchisse le pas d'une sortie de l'Union européenne. Tout cela sonne juste, car, en effet, tout projet politique est voué à l'échec tant que le préalable de la sortie de l'UE n'est pas posé, ainsi que je l'avais déjà écrit en 2007 dans "Programme pour une gauche française décomplexée".
L'aventure de l'UPR commence à séduire des gens autour de moi, y compris des socialistes et des communistes - des gens de qualité qui ne sont pas sensibles aux effets de mode et n'oublient jamais de réfléchir sur l'essentiel. Le discours de ce parti mérite sans doute un temps d'attention et de réflexion.
Moeurs politiques des groupuscules parisiens
Un ami m'écrit ce soir :
"Il y a une certaine Vesna ** qui a adhéré au parti que lance Tonneau. Elle se dit copine de Diana Johnstone et de Bricmont. Tu connais tous ces gens là non ?"
Tu parles si je la connais : j'en parle dans 10 ans sur la planète résistante, et je la croise, un peu trop souvent à mon goût, dans diverses conférences.
Je demande à cet ami d'où il tient son information.
"C'est Tonneau qui m'a annoncé son adhesion ", me répond-il...
J'imagine bien la scène. Vesna qui s'adresse à Toneau : ""Bonjour Monsieur Tonneau,Je m'appelle Olga Daric. Je suis l'amie de Jean Bricmont et de Diana Johnstone, vous devez être honoré de ma présence dans votre parti à cause de ça.". Et M. Tonneau qui écrit à la cantonade : "Une amie de Jean Bricmont et de Diana Johnstone vient d'adhérer à mon parti !"
Ainsi va la vie à Paris. Il suffit d'être "l'ami de". Cette Vesna n'est à peu près rien. Mais elle fait sa roue de paon avec son carnet d'adresse, et ça marche. M. Tonneau pense peut-être qu'il aura une place à "Ce soir où jamais" grâce à cette brillante adhésion. Vaste rigolade.
A part ça, vous avez peut-être vu ces tristes attentats en Russie. Le Caucase est un fruit pourri dans l'Empire russe. Je plains les gens qui n'ont pas fini d'en subir les conséquences.
Abkhazie, A la découverte d'une "République" de survivants
Le dernier livre de Frédéric Delorca, Abkhazie, A la découverte d'une "République" de survivants, paraîtra aux éditions du Cygne dans 15 jours. Vous pouvez dès maintenant le commander sur http://www.editionsducygne.com/editions-du-cygne-abkhazie-decouverte-republique.html.
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Imaginez un territoire sous les palmiers et les eucalyptus, en partie montagneux, autrefois inclus dans la Géorgie, qui fut le théâtre d’une guerre féroce en 1992-93, et où partout les maisons détruites, les fenêtres cassées, les toits défoncés seraient restés dans le même état depuis presque dix-huit ans, faute d’argent, à cause d’un boycott international et aussi parce que 200 000 Géorgiens ont abandonné leurs maisons dans cette guerre civile. Les murs des écoles sont tapissés de dessins d’enfants qui évoquent la guerre, les terres encore collectivisées. Les Abkhazes, un petit peuple hanté par la crainte de disparaître, se sont récemment rendus aux urnes pour élire le président de leur République autoproclamée que seuls quatre pays reconnaissent.
Pour saisir les réalités de ce microcosme au carrefour des luttes entre Russes, Occidentaux, Géorgiens, Turcs et Arméniens, Frédéric Delorca propose ici trois angles d’approche : un carnet de voyage à l’occasion des élections, des interviews d’habitants d’Abkhazie et une analyse géopolitique. Il lève ainsi un coin de voile sur une zone de conflit méconnue, où se jouent pourtant le sort des voies d’acheminement du pétrole de la Mer caspienne, et l’avenir des marches orientales de la sphère d’influence de l’OTAN.
Moi et les médias
Pour le jeune homme qui, à la suite de ma remarque sur Mélenchon, me reproche de ne pas avoir compris la nocivité des médias pour notre monde. Je rappelle quelques faits.
1) Depuis 1999 j'organise des médias alternatifs sur Internet
2) En 2006 j'ai dirigé un livre "Atlas alternatif" explicitement orienté contre les versions officielles des médias
3) En 2007 j'ai publié "Programme pour une gauche française décomplexée" dans lequel je prône la nationalisation des grands médias
4) En 2008 j'ai raconté dans "10 ans sur la planète résistante" ma guerre contre les grands médias en 1999-2000 et dans les années qui ont suivi, et comment Régis Debray m'avait proposé de faire un livre contre lesdits médias
5) J'ai écrit dans le Cahier de L'Herne Chomsky sur Chomsky et Bourdieu qui ne sont pas des grands amis des médias
6) Tous mes livres prennent à rebrousse-poil les versions de nos médias les plus sérieux (y compris sur la Transnistrie ou l'Abkhazie)
7) Je suis tellement honni par les grands médias qu'un type qui a prétendu être contre eux comme Bricmont dissimule de sa bibliographie mon Atlas alternatif qu'il a pourtant préfacé (cas unique d'un préfacier qui renie le livre qu'il a préfacé pour garder ses entrées à la TV).
Mais en ce qui me concerne je n'aurais pas dénigré les médias sur les conditions de travail des prostituées.... Ca c'est sûr.