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Le blog de Frédéric Delorca

Discussion avec les lecteurs : l'URSS, Eva Joly, Internet

6 Février 2012 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Débats chez les "résistants"

Puisque j'ai quelques minutes devant moi, je vais situer ce billet en interaction plus forte avec les lecteurs en me calant sur des dialogues que j'ai eu avec eux ou leurs recherches sur moteurs de recherche.Commençons par les moteurs de recherche.

 

lenine- L'URSS et le bolchévisme

 

Hier quelqu'un a tapé sur Google "Delorca URSS" et "Delorca bolchévique". Voici donc mon point de vue sur cette question. La révolution bolchévique de 1917 est un mélange intéressant d'avant-gardisme qu'on pourrait qualifier de "futuriste" si le futurisme n'avait pas été fasciste en Italie, avec des grands aristocrates façon Lénine ou Alexandra Kolontai et des intellectuels juifs qui avaient la tête dans les étoiles, les industries de pointe, les grands débats européens etc et des paysans aux pieds englués dans la boue de la taïga russe, la superstition, l'ignorance, et les communautés agraires. Le mariage heureux de ces deux courants qui, comme l'a souligné Trotski, doit tout au sens de l'organisation et de l'action de Lénine, est sans doute la meilleure (ou la moins mauvaise) chose qui pouvait arriver au peuple russe à ce moment-là. On peut regretter avec Russell qui en fut un témoin direct que cette révolution se soit développé dans un mépris complet des droits des individus, et dans une religiosité (dont témoignent encore les cahiers de voyage en URSS de Malraux dans les années 30), mais je ne vois guère comment il pouvait en être autrement, surtout après l'échec des autres révolutions bolchéviques en Allemagne, en Hongrie, et en Italie, et après la violence de la réaction aristocratique soutenue par les Occidentaux (trois ans de guerre civile quand même).

 

Mes profs de Sciences Po nous expliquaient que si le bolchévisme n'avait pas pris le pouvoir en octobre 1917, la Russie dans le camp des vainqueurs de la guerre eût connu un destin favorable comparé à celui de l'Argentine dans les années 30. Mais on peut en douter quand on sait que le masse paysanne illettrée y était autrement plus considérable. Une Russie menchévique aurait sans doute fait quelques efforts de scolarisation et de développement des caisses sociales sur le modèle allemand, mais y serait-elle parvenue compte tenu de sa situation d'instrument des puissances financières étrangères ? Celles-ci auraient-elles laissé à l'Etat russe les royalties nécessaires pour financer un tel programme ou bien les aristocrates auraient-ils retrouvé le pouvoir après l'échec des menchéviks, comme ils le firent en France deux ans après la révolution de 1848, et en Allemagne cinq ans après la révolution social-démocrate ? Je penche pour la seconde hypothèse, et l'évolution de la Russie, avec l'émergence d'une classe moyenne urbaine susceptible de grignoter les privilèges aristocratiques et introduire de la "mobilité sociale" eût au moins pris deux générations.

 

La survie de l'URSS après 1945 est une autre affaire. L'expérience stalinienne fut, il faut bien l'admettre, assez aberrante. On comprend que le régime se soit sclérosé à la mort de Lénine, mais de là à céder les points pouvoirs à un gang de Caucasiens sans scrupule qui firent régner une logique paranoïaque dans tout l'appareil d'Etat, il y  a une marge. Comme les excès du maoïsme en Chine, la pathologie stalinienne montre sans doute l'irrationalité qui s'empare des esprits quand les choses bougent trop vite. Le système capitaliste connaît aussi ce genre de folies.

 

Le retour à une forme de bureaucratie prudente et sans relief après Khrouchtchev est le symptôme d'un pays épuisé par les purges internes et par l'invasion allemande. Elle n'est pas aberrante dans le contexte mondial des années 60 qui identifie progrès et bureaucratie partout dans le monde sous la houlette keynésienne, mais ne pouvait à terme combler les attentes d'une jeunesse urbaine à laquelle appartient Gorbatchev qui voit se creuser l'écart entre les innovations occidentales et la stagnation soviétique. Cette stagnation est pourtant beaucoup plus favorable aux classes les plus modestes, paysannes et ouvrières, que les systèmes occidentaux (même les sociaux-démocrates). Mais ces classes n'ont pas leur mot à dire dans l'URSS poststalinienne. La seule force qui peut s'opposer aux aspirations des jeunes bureaucrates urbains c'est le système de sécurité (armée-police-services secrets), mais celui-ci est très affaibli par la défaite miltaire en Afghanistan, et la montée des nationalisme (moins d'ailleurs les aspirations européistes de la bureaucratie urbaine balte que les renouveaux identitaires potentiellement très meurtriers du Caucase et d'Asie centrale).

 

A l'extérieur la révolution bolchévique russe a donné un souffle particulier au projet socialiste dans des pays agraires comme la Chine. Elle a suscité plus de réticences dans les pays industrialisés comme la France et l'Allemagne (et surtout l'Angleterre). Mais on ne peut pas dire que la branche socialiste pro-soviétique hypnotisée par le devoir de défendre l'URSS (au point de sacrifier des possibilités de révolution, notamment en France, en Grèce et en Espagne en 1945 par exemple, et au prix de la pire déification du "modèle") ait eu plus tort sur le long terme que la branche social-démocrate dans ses diverses déclinaisons (SFIO, SPD, Labor), les unes et les autres extorquant des compromis avec le capital dans les années 50-60, mais finissant par capituler dans les années 1980, tout comme les branches pro-soviétiques. Difficile donc de dire si la révolution soviétique fut vraiment positive à l'Ouest (par exemple en empêchant les sociaux-démocrates d'aller trop loin dans la capitulation devant le capitalisme). Le keynésianisme se serait-il imposé moins facilement si le "danger soviétique" n'avait affaibli les capitalistes à l'Ouest ?

 

- Eva Joly et les Verts

 

visegradQuelqu'un a tapé "Delorca Eva Joly". J'ignore si j'ai déjà évoqué ce sujet. Pour moi les Verts sont un courant politique intéressant dans la mesure où il a posé depuis trente ans en des termes très radicaux la question de la viabilité du système productiviste et consumériste. Toutes les questions qu'il pose restent d'actualité. En outre il cultive de très bons réflexes sur divers thèmes sociétaux occultés par une trop forte polarisation sur la question sociale : diversité des langues régionales, égalité des sexes, liberté sexuelle, refus de la xénophobie (dont un des aspects se retrouve dans leur soutien à la Palestine) etc.

 

Mais la noblesse intellectuelle de ce courant n'a d'égal que son inadéquation complète aux réalités concrètes auxquelles il est confronté. Un des exemples les plus flagrants de cette stupidité concrète s'est constaté dans le soutien enthousiaste de M. Cohn Bendit et ses amis à l'intervention militaire de l'OTAN dans les Balkans en 1999 sur la base de la désinformation la plus grossière et la plus xénophobe (antiserbe) qui fût. Cette alliance des Verts avec le militarisme (qu'on a retrouvé l'an dernier sur le dossier Libyen quand M. Cohn Bendit jurait la main sur le coeur que le soutien à la motion sur la zone d'exclusion aérienne ne déboucherait sur aucun bombardement), eût non seulement pour effet d'aggraver les tensions ethniques dans les Balkans, non seulement de faire le lit du néo-libéralisme sauvage dans cette région, mais aussi de valider des catastrophes écologiques (la destruction du complexe chimique de Pancevo et ses effets encore sensibles sur la vie des populations locales, l'usage abondant d'armes à l'uranium appauvri, de la Serbie à la Libye, le largage massif de bombes de l'OTAN non utilisées dans les eaux de l'Adriatique etc) qui n'ont pas arraché la moindre larme aux écolos. La même inconséquence se retrouve dans le soutien aveugle des Verts au néo-libéralisme de l'Union européenne qui, en détruisant les services publics, anéantit toute chance de réguler l'activité des multinationales, là où seul l'effort de planification devrait prévaloir.

 

L'inadéquation du programme écologiste au réel se vérifie dans bien des domaines : absence de chiffrage crédible du coût de l'abandon du nucléaire, absence de planification de la société de loisir que les Verts voudraient voir se développer, introduction artificielle d'espèces dangereuses comme des ours (j'en parle en tant que Béarnais) dans des zones où elles compromettent la survie économique du milieu rural, irrationalité dans le traitements des thèmes sociétaux etc.

 

Les handicaps idéologiques des Verts, particulièrement visibles dans un contexte de crise (les Verts ont-ils un plan pour réguler la crise financière ?) sont aggravés en ce moment par la candidature de Mme Joly. Celle-ci a fait un travail très appréciable en tant que juge des délits financiers. C'est sans doute une personne de conviction qui a son franc-parler, mais elle fait partie de ces personnages peu susceptibles de rallier l'adhésion des foules des raisons diverses (les Verts en sortent périodiquement comme, il y a quelques années M. Waechter, ou M. Lipietz). Présenter une personnalité très fortement scandinave (par son accent) dans une conjoncture où la rigidité germanique commence à inquiéter n'était pas une bonne idée et contribue à renvoyer l'idée écologique à l'image ulra-rhénane qui était la sienne aux yeux des masses dans les années 1980. Ses déclarations excessives contre la dimension militaire du 14-juillet ont sans doute renforcé ce côté "parti de l'étranger" qui colle à la peau de M. Cohn Bendit depuis 1968 (à cause de sa nationalité allemande) aux yeux de beaucoup de Français. Un Noël Mamère avec son côté "écolo gascon" moins intégriste ou peut-être même une Cécile Duflot auraient pu faire deux points de mieux que Mme Joly (peut-être un 5 % qui eût arrangé les finances du Parti), mais de toute façon la conjoncture n'était pas favorable à cette tendance.

 

Il semble que le projet écologique doive être repris davantage aujourd'hui dans une symbiose avec le projet de reconquête étatique, ce que j'avais un peu esquissé dans mon Programme pour une gauche française décomplexée. ce qui supposerait un ralliement des Verts au Front de gauche comme l'a fait Martine Billard à Paris ou comme cela s'est réalisé dans le cadre d'Izquierda Unida en Espagne. Mais l'héritage libertaire des Verts s'accorde mal avec la pensée d'Etat. Je ne vois pas bien comment cela peut fonctionner.

 

- Sur Internet

 

mon-bureau.jpgUne lectrice s'oppose à mon point de vue selon lequel Internet isole largement les gens les uns des autres. "Avec mes fils on passe un plus ou moins long moment ensemble en soirée: pendant la préparation du repas, puis pendant qu'on mange tous ensemble, puis parfois bien sûr on traine à table à bavarder après, plus ou moins longtemps ça dépend des jours, puis on débarrasse. Puis quand tout est fini, donc quand on le décide, chacun rejoint sa chambre et son ordi ou sort ou fait ce qu'il veut de son côté en effet. Moi je ne trouve pas que ce soit pire que quand j'étais petite où on allait tous s'asseoir devant la télé, en silence bien sûr, et à une heure imposée et chaque soir la même, celle à laquelle débutait le programme télé que mes parents avaient choisi ! Je trouve que j'ai plus de communication avec mes fils que je n'en avais avec mes parents autrefois."

 

Tout d'abord je ne crois pas au primat de la communication. Parler pour parler, partager par les mots pour partager par les mots n'est pas forcément une bonne chose. Spécialement entre les générations, car un trop grand partage nuit au respect et à l'obéissance. Surtout cela crée l'illusion d'une transparence. Si je raconte à mon fils comment se passaient les choses il y a trente ans, je crée l'illusion d'une proximité et d'une similitude entre deux époques qui n'ont rien en commun entre elles, et je crée une complicité entre deux enfances qui annule artificiellement un vécu de quarante années. Je peux bien sûr ensuite recréer la distance et rétablir la vérité du temps avec d'autres mots mais cela devient plus compliqué, là où le silence autrefois suffisait non seulement à préserver le mystère des êtres, mais aussi à manifester le mystère du temps dans ce que son parcours a modifié et déplacé, et dans ce qu'il a enseigné. La parole entre individus d'une même génération présente aussi l'inconvénient d'une réduction à une lingua communis (justement critiquée par Nietzsche autrefois) qui crée l'illusion que l'individu est tout entier dans les mots communs dont il fait l'usage. Donc qu'Internet enferme les gens dans la solitude du tête avec l'ordinateur, ou qu'il recrée ensuite des possibilité d'en parler, il instaure de la fonctionnalité artificielle, là où le rituel du "on va en silence regarder la TV sur le canapé en famille" autrefois préservait mieux l'intégrité personnelle et statutaire de chacun tout en créant de l'action commune corporelle partagée (le déplacement rituel tous ensemble vers le canapé).

 

Pour ma part, outre le silence, je valorise aussi les autres médiations non strictement verbales entre les individus : une intonation de voix, un soupir, un simple geste, un échange de regards. Ces médiations sont absolument anéanties en ce moment par les mots d'Internet, en plus de l'anéantissement des paroles entre membres de la famille, voisins, étrangers dans la rues. L'empire des mots et des images sur Internet, et plus encore que des mots et des images, du zapping d'une page à l'autre, est en train d'envahir les cerveaux, de les énerver, de les priver de tout sens de la persévérance, de la fidélité, des attentions délicates. Le zapping généralisé, le terrorisme des mails brefs ou des déclarations à l'emporte-pièce sur les forums, réduisent les rapports subjectifs à une dimension complètement squelettique et leur ôte tout enracinement dans la durée. De ce point de vue c'est une véritable catastrophe. Pas étonnant qu'ensuite un parti politique doive promettre des massages sensuels dans les entreprises pour réparer les dégats !

 

PS : pour info ci-dessous enfin un propos clair de M. Mélenchon sur la Côte d'Ivoire... avec un an de retard hélas...

 

 

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Le refus de la résilience, la mort des ennemis, le souvenir de Manuel Fraga

5 Février 2012 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Philosophie et philosophes

photo-023-retouchee.jpgUn des aspects les plus détestables de notre époque est la manière dont elle réduit toute la vie humaine à sa dimension fonctionnelle : nourriture, sexualité, plaisirs en tous genres ne sont plus conçus que comme des manières de "faire tourner la machine", redynamiser le corps, en évitant les moments désagréables pour éviter que le face à face avec lui-même n'aggrave la névrose. Dans cette économie de la fonctionnalité, la mort, comme tout le reste, est réduite à du presque rien, une série de procédures (celles de la "fin de vie", à l'hôpital, celle du rituel funéraire pris en charge par de sociétés commerciales), et une lourde obligation de "résilience" imposée aux survivants.

 

Cette confiscation de la mort fait partie de la montée de l'insignifiance dont parlait Castoriadis il y a 15 ans, et il est de notre devoir le plus impérieux de nous y opposer par tous les moyens. Nous devons refuser de "faire notre deuil", refuser l'acceptation de la mort, par tous les moyens, et affirmer que les morts qui nous ont été chers sont toujours vivants pour nous, que nous vivons encore certains moments passé avec eux, que par beaucoup d'aspects le temps n'aura pas passé aussi longtemps que notre mémoire le retiendra. C'est un devoir de résistance aussi bien politique qu'existentielle qui s'impose ici à nous. De même que, concernant les vivants, nous devons tenter de garder à l'esprit toujours leurs visages de jeunesse (à vingt, trente, quarante ans), et retenir les moments du passé que nous connaissons d'eux.

 

Valoriser les instants du passé, et la mémoire des morts aussi bien que celle des vivants, est une façon d'affirmer catégoriquement la valeur inaliénable et absolue de tout ce qui est vécu, comme de tout ce qui a vécu, et plus le monde actuel tente nous imposer le non-sens de son fonctionnalisme plus cela doit-être proclamé avec fermeté.

 

Nous devons appliquer le même respect et le même refus de la résilience au trépas de nos ennemis. Le 15 janvier 2012 Manuel Fraga, ex-président de la Xunta de Galice et ex-fondateur du Parti populaire espagnol est décédé à Madrid à l'âge de 89 ans. Des communistes s'indignent qu'un hommage lui soit rendu. Il avait été ministre de Franco (du tourisme, je crois), certains écrivent qu'en outre il serait responsable de la mort de cinq ouvriers basques (j'ignore dans quelles conditions et si même c'est exact).

 

Je crois que cet homme bénéficiait d'un fort capital de sympathie dans le système démocratique déjà vermoulu (vermoulu avant même que d'avoir vu le jour) de la nouvelle Espagne. Notamment parce qu'il s'était retrouvé embarqué dans le même bâteau que l'eurocommuniste Santiago Carrillo quand les Cortès avaient été pris d'assaut par les gardes civils. Je me revois, en 1994 dans une restaurant de luxe de Madrid, à la table de l'actuel porte-parole du Quai d'Orsay avec Pilar Cernuda, une sorte de Christine Ockrent espagnole, qui nous racontait cet épisode sur lequel elle l'avait interviewé. Je sais bien que les "bons" que nous présente le système médiatique espagnol ne le sont pas, à commencer par ce roi imposteur les archives d'un ex-ambassadeur allemand viennent de révéler les sympathies pour les pustchistes de 1981.

 

Mais déjà dans les années 1990 j'aimais à écouter les interviews de Fraga qui avait en outre un côté un peu "taureau du Vaucluse", et un peu pantagruélien, complètement effacé dans les vidéos de lui qui traînent sur Youtube et qui se rapportent au soir de sa vie, quand il n'était plus que l'ombre de lui-même. Il était de ce monde de espagnol que j'avais détesté pendant l'enfance, des ombres de Cria cuervos, des manières insupportables de ma maître de conf d'espagnol au nom si aristocratique à Sciences Po (issue d'une vieille famille de la noblesse castillane, mais peut-être moins gerbante finalement que ce qu'on a fait d'Almodovar depuis lors...). Mais quelque chose émanait de son verbe, de ses intonations, qu'on ne pouvait réduire à des catégories simplistes.

 

Oui, je crois qu'on peut aussi refuser la mort de ses ennemis, d'autant que les individus sont rarement complètement responsables des crimes qu'on leur impute, à les supposer même établis. Pris dans des engrenages et des postures dont ils deviennent aisément prisonniers (à commencer par les engrenages des déterminations sociologiques), ils gardent tout de même des côtés "au delà" de la gangue du statut politique, tel ce Ben Laden dont on découvrait (sauf s'il s'agissait d'un mensonge de la propagande américaines, qu'il était fan de Whitney Houston). Cette capacité à "transcender l'engrenage", Fraga avait su la manifester dans les années 1990 dans son amitié indéfectible, assumée et affichée, pour Fidel Castro au moment où tout le monde diabolisait le dirigeant cubain. Le père de Fraga et celui de Castro venaient du même village galicien. Les deux anciens ennemis politiques communièrent à leurs racines communes comme deux vestiges d'un temps déjà mort pour eux, un peu comme Georges Clemenceau et Claude Monet si l'on veut.

 

fidel-castro.jpg

Je ne veux rien savoir de Fraga ni rien retenir sauf cet instant où il dépassa les entraves de son personnage public pour tendre la main à Castro. C'est cette infinie capacité de l'humain d'être au delà des déterminations de l'instant qu'il faut sans cesse célébrer dans le refus de voir les morts mourir. Cette capacité qui parfois ne se manifeste que dans un geste, un soupir, un battement de cil. De ces gestes de retrait, ou de transgression des convenances, qui se figent dans une éternité pour autant qu'on en commémorera le souvenir, comme y invitait Kundera dans sa propre métaphysique du geste. Je sais que tout cela est dur à avaler au point de dégoût que l'humanité atteint à son propre sujet - un dégoût qu'elle exprime plus qu'elle ne le dissimule dans le culte de victimes, et la religion de "droits de l'homme". Et pourtant j'ose croire encore en la capacité de l'humain à remonter, comme un saumon dans le fleuve, au delà du processus récent qui l'a fait se haïr lui-même.

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Des Aztèques, des civilisations, des singes et des homo sapiens

5 Février 2012 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Divers histoire

azteques.jpgEn 2001, Paul Hosotte a publié chez Economica L'Empire aztèque, impérialisme militaire et terrorisme d'Etat. Il y explique que le régime politique des Aztèques (du XIV ème au XVI ème siècle) était épouvantable. Entre autres coutumes sanglantes, ceux-ci imposaient notamment qu’au mois d’Ochapanitzli, le mois du « Balayage » (du 21 août au 9 septembre), dédié aux déesses chtoniennes, chaque quartier de Mexico offre une femme que l’on décapitait au préalable pour l’écorcher ensuite. Le prêtre revêtait ensuite la peau de la « déesse » (de la victime) et la fête se poursuivait, émaillée de nouveaux sacrifices, les membres des êtres livrés aux sacrifices étant ensuite mangés dans des repas collectifs. ce n'est qu'un exemple des horreurs qui s'égrainaient ainsi tout au long de l'année à dates fixes et qui tenaient la population dans une peur panique.

 

Paul Hosotte n'a pas écrit au XIXe siècle sur arrière-fond de préjugés raciaux. Il écrit en 2001. Ce n'est pas le premier zozo venu. Il est neuro-psychiatre de formation. "Outre son doctorat en médecine, il est titulaire de plusieurs diplômes dont un doctorat en anthropologie.", précise son éditeur. Je n'ai pas de raison de mettre en doute le contenu de son livre sur les Aztèques qui fait autorité et traîne dans de nombreuses bibliothèques publiques.

 

Sur la base de ce que Paul Hosotte dit, et jusqu'à ce que quelqu'un d'autre me démontre autre chose sur la civilisation aztèque, j'ai le droit de juger si cette civilisation dont l'équilibre reposait sur la terreur vaut "plus" ou moins, que la civilisation chinoise de la même époque, que la culture pygmée (j'emploie pour les pygmées le mot "culture" et non celui de civilisation, car civilisation vient de "civis" et suppose un réseau de villes) ou que la civilisation espagnole de la même époque (qui allait la détruire in fine).

 

J'ai le droit de juger de cette question non seulement de mon point de vue individuel occidental, mais aussi du point de vue universel des êtres humains, car j'affirme que, de iure, il existe une universalité du bien humain fondé sur l'universalité de la nature de notre espèce. Et je dis que quiconque me dénie ce droit est en fait un relativiste obscurantiste, nihiliste (car son relativisme se contredit lui-même et conduit au néant).

 

Bien sûr le passage à un point de vue universel ne prolonge pas mon point de vue subjectif occidental. Mon jugement universel doit passer par une critique et une relativisation des valeurs occidentales.

 

En tant qu'occidental je peux vouloir dire que la civilisation espagnole du XVe siècle valait plus que celle de l'empire chinois et plus que la culture des Pygmées parce que la civilisation espagnole m'est plus familière que les autres (quoique moins que je ne le crois, rappelez vous comme Fumaroli nous a restituté l'extranéité de la culture française classique par rapport à la nôtre). Mais cet avis subjectif n'a aucun intérêt. Car un Chinois ou un Pygmée pas trop occidentalisés (s'il en reste) diraient autre chose.

 

Je suis bien incapable de dire si, du point de vue universel, la culture pygmée était meilleure. Je pense que de iure il serait possible de le dire, si l'on pouvait mettre en place une batterie d'indices de bien-être, de moralité, de développement etc. De iure, on pourrait dire s'il vaut mieux pour l'humanité vivre dans des maisons ou dans des forêts, avoir une forte natalité ou pas, avoir des structures hiérarchiques ou pas, rire beaucoup ou peu, avoir une écriture compliquée, une écriture simple, ou ne pas en avoir du tout, et jauger les cultures à l'aune de cette batterie de critères. Mais j'en suis incapable, et sans doute personne ne peut le faire de facto.

 

Mais ce qui est sûr, c'est que de iure, comme de facto, je puis dire, sans hésiter, d'un point de vue universel, que pratiquement toutes les civiisations et cultures humaines ayant existé sur cette terre (et notamment celles de Chine, d'Espagne, et celles des Pygmées au XVe siècle) valaient mieux que la civilisation aztèque. Au vu des travaux d'Hosotte je peux le dire, avec l'assurance de l'affirmer sans être victime du buais d'approche occidental. Parce qu'aucune espèce animale ou humaine (je devrais dire "animale y compris humaine) ne gagne quoi que ce soit à vivre douze mois sur douze dans la terreur de sacrifices rituels. Si on m'explique que l'orgie de sang élevait très sensiblement le niveau de spiritualité de ce peuple et lui permettait de se transcender, je ne le croirai tout simplement pas. Si quelqu'un venait me prouver (compte tenu des éléments perdus sur cette civilisation lointaine il ne le pourra pas) que grâce à cette terreur les gens par ailleurs riaient beaucoup plus, appréciaient mieux chaque instant qui passe ou étaient plus aimables avec leur prochain, ou plus courageux devant certaines épreuves, ou plus intelligents, plus doués pour les arts, ces avantages "collatéraux" ne me persuaderaient pas davantage de valider le meurtre de masse comme utile à l'élévation humaine. Bref, sauf à démontrer que la thèse de Paul Hosotte est factuellement fausse, nous avons là le cas d'une civilisation qu'on peut, sans hésiter, et d'un point de vue universel, juger parfaitement inférieure à toutes les autres.

 

Voilà ma contribution au débat un peu enflammé qui s'est développé aujourd'hui sur les hiérarchies des civilisations.

 

Pour finir signalons qu'un singe qu'on croyait éteint vient d'être aperçu, il y a 15 jours dans les forêts de Bornéo : le Presbytis hosei canicrus autrement appelé langur de Miller. Ce qui va donner sans doute beaucoup de travail à nos amis scientifique, et, peut-être, nous permettre d'en savoir encore plus sur la branche de primate cousine de la nôtre à laquelle il appartient, donc sur nous-mêmes aussi. Une bonne nouvelle en somme...

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Programme pour une révolution réaliste

4 Février 2012 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #La gauche

engrenage.jpgJe me réjouis de lire les derniers commentaires du communiste Descartes sur mon blog ainsi que le mail d'un lecteur qui aujourd'hui critique férocement mais semble-t-il justement le chomskyen Baillargeon (notamment sur l' "économie participative" de Michael Albert soutenue par Baillargeon, qui m'a exaspéré naguère), les insuffisances de Rancière etc.

 

Peut-être ces hirondelles annoncent-elles le printemps d'une nouvelle génération capable de refermer la parenthèse moralisatrice de la gauche péri et post-soixantehuitarde, pour revenir aux faits, à l'analyse rationnelle, à la construction de VRAIS programmes viables qui prennent sérieusement en compte les critiques des adversaires pour vraiment améliorer leur contenu.

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La Gaule de Vercingétorix, l'impérialisme de François Ier, les lecteurs de ce blog

2 Février 2012 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Ecrire pour qui pour quoi

Décidément, je n'ai pas les mêmes goûts que l'immense, l'extraordinaire, l'adorable bienfaiteur de l'humanité Bernard-Henri Lévy. Le livre de Blandine Kriegel qu'il portait aux nues m'est tombé des mains. J'ai dû renoncer à le terminer. Trop de mots inutiles pour finalement peu d'idées qui reviennent en boucle (des obsessions plus que des idées), trop d'autosatisfaction bourgeoise et de clins d'oeils aux lecteurs censés partager sa culture (pas de bol pour elle mais heureusement pour nous la culture de Kriegel est moribonde, bientôt elle laissera tout le monde indifférent), et même trop de coquilles (depuis que les PUF n'ont plus de relecteurs, ce qui nous fait découvrir que Mme Kriegel "oublie" que "quant à" ne s'écrit pas avec un "d" et que les participes passés s'accordent avec les compléments d'objet direct qui les précèdent quand l'auxiliaire est "avoir" etc).

 

Bah, allez, tournons cette page. Le rôle des calvinistes français aux Pays-Bas mériterait de trouver un Walzer pour le décrire. Il le trouvera peut-être un jour. Je retiens une seule chose du livre de Mrs Kriegel, la référence à un livre qui dément les thèses vieillotes de M. Asselineau sur l'incompatibilité entre idée française et le projet impérial. Pour faire bref rappelons que l'Inspecteur des finances qui cultive le projet touchant d'indentifier toute l'histoire de France à une sorte de saga anti-impériale digne de l'histoire de l'African National Congress de Mandela, mobilise à cette fin dans ses conférences les références de nombreuses références empruntées (sans le dire) aux historiens du XIXe siècle, ce qui lui permet de voir dans Vercingétorix, Clovis, Jeanne d'Arc et François Ier des auteur par anticipation du discours gaullien de Phnom Penh. Sa présentation de la Gaule comme une sorte d'hexagone patriote menacé par la corruption et la division de ses clercs était déjà assez drôle. En vérité la "Gaule" (concept purement romain) est un assemblage complexe de peuples plus ou moins celtisés (le noyau de la celtisation, si l'on en croit les travaux récents de vrcg-copie-1.jpgJean-Louis Brunaux se situant plutôt au sud du massif central) allant des populations très ibériques (peut-être mêlées à des proto-basques) au sud de la Garonne, à des Germains belges au nord de la Seine, en passant par les Ligures de Provence, et sans doute pourrait-on même étendre cette Gaule à l'Italie du Nord et au Balkans, si la conquête domaine de la Narbonaise au IIème siècle n'avait pas un peu isolé les Celtes de Gaule. Ceux-ci ont formé quelques royaumes commerçants très puissants et de type presque héllenistiques à côté de zones de culture agraire bien plus pauvre. Une caste de philosophes peut-être influencés par les pythagoriciens (cf Brunaux), les druides, ont sans doute contribué à ramener les plus riches à plus de frugalité (un peu comme les réformes politiques de Sparte et d'autres cités grecques), et à unifier idéologiquement cet espace (les druides s'accaparant même un pouvoir judiciaire d'appel et de cassation quasi-national dans la célèbre forêt des Carnutes), ce qui a probablement aidé le roi (ou magistrat ?) arverne versé dans la culture romaine Vercingétorix à former une résistance confédérale à Alésia. Il n'en demeure pas moins que malgré la réforme druidique, les grands royaumes ont connu à nouveau un essor économique au IIème siècle en contact avec la Méditerranée (notamment via le commerce du vin et des esclaves) de sorte que des grands royaumes comme les Eduens et les Rèmes ne pouvaient vivre que par et pour le commerce avec Rome dont ils étaient de longue date offciellement les "amis", ce qui a bien peu à voir, tout bien pesé, avec l'image d'une "trahison des élites d'un pays déjà unifié" cultivée par les historiens nationalistes (en fait simplement nationaux à l'époque) du XIXe siècle.

 

S'il était facile de démentir le "roman national" de la "grande résistance anti-impériale" française sur Vercingétorix, j'étais incapable de faire de même concernant François Ier. Blandine Kriegel nous assure que Gaston Zeller, historien renommé durant la première moitié du XXe siècle mais semble-t-il mal réédité depuis lors, avait démontré que la France de François Ier avait elle aussi un projet impérial rival de celui de Charles Quint... Comme quoi... Du reste nous savons que Louis XIV et Bonaparte n'étaient pas réellement des Mandela non plus. En tout cas si quelqu'un a des éléments intéressants sur les thèses de Zeller, je suis preneur.

 

chomskynotebook.pngEn parlant des lecteurs de ce blog, j'ai eu un échange intéressant avec l'un d'entre eux hier. Je m'étonne toujours de voir que les blogs en général, et non seulement le mien, ont un lectorat (et souvent un lectorat fidèle, quoique peu nombreux). Je ne sais pas trop pourquoi. Peut-être à cause de leur gratuité, ou parce qu'on peut les lire, les oublier, y revenir, comme au supermarché, sans l'angoisse de se dire "ce livre fait 300 pages, quand vais-je trouver le temps de parcourir les 150 qu'il me reste ?". Ces lecteurs sont souvent silencieux mais attentifs. Celui qui m'écrivait hier me disait qu'il avait aimé mon papier sur DR Dufour (un papier qui jusqu'ici m'avait surtout valu des attaques... comme quoi...). Sur Fnac.com on peut savoir quels autres livres ont acheté les gens qui se sont procuré votre ouvrage. On devrait pouvoir savoir la même chose à propos des lecteurs des blogs pour avoir une compréhension sociologique de leur univers culturel. Vous qui lisez ce blog, quels autres blogs consultez-vous ? Le lecteur d'hier lisait aussi le blog d'un certain Jean Zin ex-psychanalyste (repenti ou pas je ne sais pas trop), reconverti dans l'écologie révolutionnaire, de la mouvance "Multitudes", gauche alternative etc, esprit éclectique dont il faudrait que je prenne la peine de lire les textes un jour (mais il y a déjà tant à faire avec les livres !). Je suis donc lu par des gens attirés par ce type de projet alternatif. Je crois être aussi visité par des chomskyens (ne serait-ce qu'à cause de ma contribution au Notebook sur Chomsky), par des gens du MPEP (mouvement toujours rejeté par le Front de gauche hélas), peut-être aussi par des par des orphelins du chevènementisme, que sais-je encore. Des gens qui voudraient "reterritorialiser" quelque chose sans devenir réacs, je suppose. Il faudrait que je mette un questionnaire sur ce blog pour saisir mieux la culture de mes lecteurs. Mais je n'en ai pas la compétence technique... et bien sûr ils ne me répondraient pas...

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