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Le blog de Frédéric Delorca

A propos de Jacques Duclos

22 Septembre 2007 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Divers histoire

Je lisais cet été dans la bibliothèque d'un ancien employé de la Mobil de Notre-Dame-de-Gravenchon (une raffinerie de la région hâvraise qui était un fief de la CGT et du PCF à la grande époque), les mémoires de Jacques Duclos. N'étant moi-même pas communiste (ni même marxiste, bien que je me considère comme marxien) je ne me sens pas une immense proximité à l'égard de ce personnage. Mais son histoire (comme celle du PC et de tous les mouvements qui ont lutté pour l'émancipation des dominés) fait partie d'un héritage que la gauche aujourd'hui doit faire vivre.  Duclos-Chambre.jpg

Il y a dans les mémoires de Duclos quelque chose d'un peu trop scolaire et littéraire, qui parfois fait manquer la "chair" de son vécu. Quand il parle d'un combat ou de la mort d'un ami, il emploie souvent des termes lyriques, un peu trop stéréotypés, qui sclérosent le récit.  Mais cela ne lui est pas propre. La majorité des lettrés écrivaient de la sorte en ce temps là, et l'on peut se demander aussi s'ils ne ressentaient pas aussi les chose de cette manière (précisément parce que l'école leur avait enseigner à "fondre" leurs émotions dans cette forme rigidifiée, ce qui peut-être contribua à rendre cette génération, moins émotive, plus dure, moins hystérique que la nôtre, mais je laisse ce débat de côté).

Mais il y a aussi une foule d'annotations qui aident à comprendre comment ce petit homme, fils d'un aubergiste de Bigorre, devint le numéro 2 du PC, sénateur de la République, et un des cadres les plus en vue de la III ème Internationale. A travers son récit rétrospectif, on voit fonctionner la machine à promouvoir les ouvriers méritants et combattifs que furent la SFIO puis le PCF, et comment un jeune homme issu d'un monde assez apolitique (à peine travaillé par le radical-socialisme) s'initie à la lutte des classes et à la vision marxiste du monde.

Je dois dire que cette histoire me touche, parce que Duclos avait seulement six ans de plus que mon grand-père maternel, qu'il est né seulement à 30 km du lieu de naissance de mon aïeul, dans un village où l'on parlait le même dialecte (où l'on entonnait les mêmes chants montagnards), et qu'il fut, comme lui, ouvrier boulanger. Sauf que mon grand père lui, resta ouvrier toute sa vie, et apolitique, et bloqué dans sa petite vie béarnaise (et ses drames familiaux). Les différences d'itinéraire entre les deux, tiennent à des différences de capacités intellectuelles, et de courage, sûrement, mais aussi à des nuances sociologiques. Les parents de mon aïeul, à la différence de ceux de Duclos, n'avaient point d'ami à Toulouse ou à Bordeaux susceptibles de l'initier au plaisir de lire des livres. Ce genre de détail est d'une importance cruciale dans les premières années de l'existence. Ils tracent la ligne entre ceux qui resteront prolétaires toute leur vie et ceux qui ont des chances d'en sortir.

Le récit de Duclos, comme les roman d'Aragon de la même période, rappelle tout ce qu'il y eut de fort, de dangereux même dans les combats sociaux, anti-colonialistes, et anti-fascistes des années 1920-1930.

Ce sont des souvenirs qu'il faut garder en tête, et dont il faut se nourrir. Et non point les transformer en clichés consommables par n'importe qui comme le fait Sarkozy par exemple avec la mémoire de Guy Môquet. Quelles que fussent les erreurs commises par ces hommes courageux, venus des couches les moins estimées de la société et dévoués au bien commun de l'humanité, il faut savoir leur rendre hommage et tirer le meilleur parti de ce qu'ils ont fait.

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Illustration extraite de http://edechambost.ifrance.com/Duclos-travail.htm "Jacques Duclos dicte son courrier à Gilberte"

Voir aussi la vidéo d'une interview de Duclos sur http://www.dailymotion.com/video/x18dw5_jacques-duclos-presidentielles-1969_politics

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M
Salut j'ai lu ton Duclos et vu la vidéo ...  en fait j'ai peu de choses à dire, c'est intéressant, mais je ne vois rien à ajouter d'original pour ma part. Sans être communiste ni avoir jamais été marxiste, mais comme toi "marxien" si on veut (Aron dirait qu'on finasse dans le genre des "marxismes imaginaires", mais j'entends ça au sens de Sartre, Michel Henry et surtout de Jean Beaufret: penser que le matérialisme est une ontologie absurde et au moins aussi dogmatique que le spiritualisme idéaliste ou le christianisme ... de la "métaphysique", mais que le Capital est une phénoménologie du travail industriel et de la production de la valeur, qui garde sa pertinence, mais a besoin d'autres bases philosophiques que le déterminisme absolu ou ambigu du type althusserien comme le vague "en dernière instance"... Je pense que c'était le sens du travail du regretté Gérard Granel), je crois aussi que la disparition de la référence au marxisme dans le champ théorique est une catastrophe, orchestrée par des courants nihilistes "néo-libéraux" et le Capital commercial aliénant. La lecture des manuels d'histoire est à ce sujet édifiante: les scientifiques sont dispensés de notions d'économie politique et de critique du capitalisme, tandis que le "cours" (objectif) tend à faire du système un résultat d'évolution et la forme unique de l'économie; certes on mentionne les problèmes sociaux et les inégalités criantes, on parle de ceux qui contestent ce système, mais au fond le réformisme (entre un Jaurès mou et Keynes pragmatique et libéral de centre-gauche) apparaît comme la solution (avec le New Deal) face aux "totalitarismes". Quant aux 1ère de la filière dite "Sciences économiques et sociales", ils savent à peine définir (la faute au manuel) la croissance et la crise, et les révolutions industrielles se font presque sans relation avec une dynamique capitaliste: "l'âge industriel" est présenté sous sa forme technique, ses problèmes de crise économique et de manque de régulation, mais les structures économiques et le Capital sont quasi-absents! il y a sans doute là une responsabilité de l'Ecole des Annales, qui a privilégié le concret empirique, la vie quotidienne, le vécu, etc. et éliminé plus ou moins l'analyse des déterminations systémiques. Evidemment l'Inspection a suivi: ravie d'avoir une caution à la purge idéologique des manuels. Et quand on voit qui signe certains de ces ouvrages, on comprend la cohérence decette présentation lénifiante. Un "complot" si on veut (et pas besoin de se réunir dans un sous-sol pour cela). Avec l'aide, en partie, des communistes eux-mêmes: entre connerie stalinienne dogmatique (diamat) et réformateurisme décérébré qui jette le bébé avec l'eau du bain ... Il faut dire que le stalinisme a commis non seulement des crimes, mais a dégoûté le peuple de la révolution et du socialisme par une application réductrice et castratrice de la "libération" socialiste: négation de la poésie de la vie et scientisme/objectivisme partout, discours plat répétitif écoeurant d'absurde et de dénégation (le Novlangue du "1984" d'Orwell), nomenklatura hypocrite aujourd'hui reconvertie dans la privatisation maffieuse des économies de l'Europe de l'est. En cesens, il est utile de relire Proudhon (Marx a été parfois injuste à son égard) et Fourier. Mais je réagis trop rapidement.
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