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Le blog de Frédéric Delorca

De generatione

26 Avril 2009 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Débats chez les "résistants"

Ils se nomment Aurélien, Ornella, Audrey, Giuseppina. Ils ont entre 20 et 30 ans. Ils ont connu la guerre du Kosovo principalement à travers les médias, depuis leur lycée ou leur fac. Elle est à leur itinéraire ce qu'étaient pour nous la mort de l'ayatollah Khomeiny ou la chute du Mur de Berlin. Un événement qui, sans les avoir précédés, n'était pas encore tout à fait inscrit dans leur vie d'adultes. Ils n'ont pas connu les batailles d'idées ou d'égos de 2002-2003 à la Bourse du Travail, à Espace Marx ou sur Internet. Ils ne savent pas encore "qui déteste qui" (pour reprendre une expression de Graeber), ni en vertu de quelles stratégies ou quel concours de circonstances Untel a vendu des milliers de livres, et un autre a été marginalisé au point de cesser complètement d'écrire. Ils arrivent dans un monde où il n'y a plus de Pierre Bourdieu, ni de Vidal-Naquet, ni de Deleuze, ni de Castoriadis, ni de Rebérioux, ni d'Edern-Hallier (je cite ici pèle-mêle des gens qui nous ont plu totalement, certains qui ne nous ont plu qu'à moitié, et d'autres qui pour une raison ou une autre, on eu un effet repoussoir, car tous avaient une place dans la topographie semi-consciente de nos esprits et tous y faisaient fonction de balises). Ils débarquent dans un monde où Facebook existe, où l'on y discute plus que dans les cafés. Dans le monde où ils arrivent, il y a des gens qu'ils découvrent, certains bien installés dans les revues, les colloques et les librairies comme Corcuff, d'autres qui vivotent dans les interstices d'Internet comme le camarade Delorca. Comme les structures militantes sont passablement disloquées, et comme les journaux en papier ne se vendent plus, ces jeunes gens se trouvent dans un jeu intellectuel plus ouvert, plus fluide qu'il y a dix ans (mais aussi peut-être plus compliqué, parce que chacun y joue sa partition plus librement), conviés à se faire leur opinion par eux-mêmes, à partir d'un regard frais et vierge, plus désintéressé (moins impliqué dans les bras de fer) que celui des anciens.

Je ne puis m'empêcher de songer que nous avons, nous qui avons vécu certains débats, certaines luttes du début des années 2000, une certaine responsabilité à l'égard de ces "nouveaux entrants" (comme on dit chez les bourdieusiens), la responsabilité du témoin du passé, qui doit tenter de faire profiter de ce qu'il a cru savoir et comprendre, et c'est pourquoi j'ai publié avant d'être gâteux 10 ans sur la planète résistante. Peut-être est-ce l'approche de la quarantaine qui me fait raisonner de la sorte : je tends peut-être subrepticement à devenir plus père que fils, mais qu'y puis-je ? c'est le lot de tout humain qui vieillit.

Il y a 9 ans, je me tenais à l'écoute attentive du fils de l'avocat connu, qui avait grandi dans le Quartier latin dans les années 60 et me contait par le menu les débats entre maoïstes, au début des années 1970 (les July, les Glucksman). Son histoire n'était pas la mienne, et à certains égards elle m'ennuyait. Cela m'ennuyait d'entrer dans un monde héritier de leurs histoires à eux, les gens de sa génération. Ca m'ennuyait de ne pas pouvoir parler du point de vue de Chomsky sur le Kosovo à une table de quinquagénaires, sans qu'on me balance le débat sur Chomsky et Faurisson qui était vieux de 20 ans, comme si nous étions prisonniers de ce passé-là. Aurélien, Ornella, Audrey, Giuseppina ressentent peut-être la même chose quand ils me lisent. Ca les emmerde peut-être de devoir se positionner par rapport au vécu de ceux qui sont nés 10, 20, 30 ans avant eux, allez savoir. La malédiction de la succession des générations, du devoir d'héritage et de transmission. De generatione et corruptione.

Au fait, à propos de l'avocat connu (un vieux bonhomme) il était présent la semaine dernière à une réunion de VIP organisée la semaine dernière à Paris à l'occasion de la venue d'une délégation officielle soudanaise. Je tiens l'info du Dissident internationaliste qui y était. Les Soudanais ont tenu un discours très anti-impérialiste, ils sont très remontés depuis que la Cour pénale internationale a mis en accusation leur président (c'est souvent lorsqu'ils sont placés sous embargos ou mis à l'index que les pays du Sud et de l'Est se souviennent qu'il faut combattre le néo-colonialisme européen et états-unien). Il faudra que je vous en reparle à l'occasion.

F.

PS : en parlant de Facebook : une vidéo rigolote - si la réalité était comme Facebook


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