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Le blog de Frédéric Delorca

Badiou, Onfray, Freud........... Dawkins, Zénon

12 Mai 2010 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Philosophie et philosophes

plato-copie-1.jpgUn débat s'est engagé sur ce blog, comme ailleurs dans la grande presse, sur le livre d'Onfray. J'en suis coupable car je fus le premier à en parler en citant un article de Badiou dans Le Monde.

 

Ma philosophie personnelle m'impose de ne pas m'embarquer dans des discussions sur des sujets dictés par l'air du temps qui ne font pas avancer une réflexion réellement utile au bien être de notre espèce. Voilà pourquoi vous constaterez que ce blog évite soigneusement depuis 3 ans 80 % des grands thèmes de l'actualité. La volonté de montrer que l'on est capable d'avoir un avis sur un grand thème à la mode (surtout un thème à la mode chez les gens lettrés) est un ressort puissant qui permet aux ados d'investir de l'énergie dans la lecture et la réflexion, mais dont il faut se défaire à partir de 30 ans sous peine de devenir le jouet d'un conformisme totalitaire.

 

Comme il est 4 heures du mat' et que j'espère me rendormir bientôt, je ne dirai que quelques mots très brefs.

 

La psychanalyse, comme le marxisme académique, ou le structuralisme, fait partie de ces maladies de l'esprit qui ont empoisonné la vie intellectuelle du continent européen pendant toute la deuxième moitié du XXème siècle - en réalité elles sont plus anciennes, mais elles ne sont vraiment devenues dominantes qu'à ce moment-là, et encore même dans ma jeunesse, en 1990, l'université qui formait 50 % des agrégés de philo en France (la matière reine des lettrés), la vieille Sorbonne, avait le bon goût de mépriser ces maladies.

 

Ces trois doctrines doivent leur succès au fait qu'elles permettent à une certaine petite bourgeoisie professorale de s'affirmer en rupture avec un ordre social dont elle peut prétendre dénoncer les ressorts intimes, tout en entretenant autour d'un vocabulaire abscons une forme de domination sur son propre public tout aussi dangereuse que les illusions dont elle prétend libérer le reste de la société.

 

La force de ces doctrines tient aussi au fait qu'elles n'ont trouvé pendant longtemps en face d'elles que de vieux barbons qui récitaient Platon, Malebranche - et à la rigueur Kant - sur un ton ennuyeux et pédant, ce qui, par effet de comparaison, donnait à ces doctrines un côté presque ludique et sexy (du moins quand on les consommait à doses homéopathiques, de loin, sans subir leur logomachie à longueur de journée).

 deleuze.jpg

Je dois dire tout de suite que j'ai aimé la manière dont les nietzschéens comme Deleuze ont assez tôt (dès les années 1960-70) démonté ces doctrines, sur un ton souvent plaisant, et je pense qu'Onfray n'a pas fait beaucoup plus que de vouloir prolonger le geste de Deleuze. Ce qui était agréable dans ce geste là, c'était qu'il ne visait pas à imposer aux esprits une nouvelle dictature professorale, mais à libérer des énergies créatrices. Cette force de la critique nietzschéenne était aussi sa faiblesse : elle demeurait esthétique, et ne prétendait pas opposer un discours de vérité à ce discours de mensonge.

 

Ce qui est plus intéressant depuis quelques décennies, c'est qu'un autre discours incompatible avec le marxisme académique, le structuralisme, et la psychanalyse, s'est développé, sur la base de découvertes passionnantes. Il s'agit du discours des sciences dures : neurosciences, éthologie animale, psychologie évolutionniste etc. Les sciences dures présentent plusieurs avantages : comme les doctrines maladives que je citais plus haut, elles permettent de démystifier certaines croyances que l'être humain a sur lui-même, mais, à la différence de ces doctrines, elles le font sur la base d'un travail rationnel collectif (qui neutralise les égos et leurs délires, il n'y a pas de Lacan des neurosciences), sur des segments de savoir toujours clairement limités, avec toujours des remises en cause possibles, des débats ouverts sur des bases modestes, et d'autant plus solides qu'elles sont modestes (l'étude minutieuse des cas, des expériences, le refus des effets de manche).

 

Autant il était utile que Deleuze ressorte Nietzsche dans les années 1970 contre le freudisme et le marxisme (je dis bien le marxisme académique car il y a des aspects de l'oeuvre de Marx que j'admire profondément). Autant le fait qu'aujourd'hui Onfray fasse la même chose (en moins bien d'ailleurs car c'est au nom d'une philosophie du désir extrêmement pauvre) est nuisible à la santé mentale du public lettré européen, parce que cela contribue à relancer pour un tour le débat entre les esthètes libertaires et les apparatchiks de la doctrine freudienne (façon Roudinesco si l'on veut), alors que ce dont le public européen a besoin aujourd'hui, c'est de lire des auteurs rationalistes proches du monde scientifique encore trop peu connus et même très partiellement voire pas du tout traduits : Richard Dawkins, Noam Chomsky, David Stove etc.

 p1000207.jpg

Aujourd'hui, je défends la lecture sérieuse de ces auteurs là (ce qui justifie aussi que je ne puisse pas suivre un Badiou, on s'en doute bien, même si quelques intuitions de Badiou, dans son livre sur Saint Paul par exemple, me semblent avoir une utilité). Cela ne veut pas dire que je veuille limiter la philosophie à une réflexion ultramodeste sur les sciences. Je pense que cette réflexion doit en effet être prioritaire, mais que cette réflexion bien sûr ne peut pas à elle seule donner toutes les réponses à notre besoin de penser notre vie (nos itinéraires individuels et collectifs). Aussi, à côté de cette priorité cognitive que j'accorde aux sciences dures, j'encourage chacun à se constituer une philosophie personnelle qui ne peut avoir qu'une valeur de second rang par rapport au savoir scientifique, mais qui satisfait le "besoin de sens" que les sciences ne peuvent combler. Cette philosophie doit autant que possible se fonder sur une lecture honnête et subtile (ce que ne sait pas faire Onfray) des anciens, tout en faisant la part de ce qui, chez les anciens, relevait des particularismes de leur temps et de leur culture, et de ce qui peut parler aux constantes universelles (et en tout cas celles qui ont perduré jusque dans notre culture) de la condition humaine.

 

A la différence d'Onfray qui se fonde sur une vision populaire (et mal comprise, car débarrassée de la religiosité profonde qui l'animait) de l'épicurisme, je défends moi une morale stoïcienne, qui s'inspire du premier stoïcisme, celui de Zénon et Chrysippe, qui ne se refusait aucune audace (notamment sur le plan de la théorie sexuelle), mais restait arrimé à une ferme volonté de comprendre la nature humaine et de définir des devoirs individuels et collectifs en harmonie avec l'insertion de l'animal humain dans son environnement. Je sais que mon propre parcours ne me permettra jamais de passer des mois à écrire des bouquins sur ma vision de ce stoïcisme-là comme a pu le faire Onfray (et tant d'autres profs de philo) sur son épicurisme, mais au moins je tente, de temps à autre, sur ce blog, de rappeler la possibilité d'une telle option intellectuelle, par delà les modes intellectuelles de notre époque.

 

Voilà, cette petite mise au point s'imposait. Elle explique pourquoi je n'entends pas continuer à écrire sur l'opposition entre Onfray et les freudiens qui me paraît, telle qu'elle est posée dans le débat public en ce moment, assez stérile.

 

 

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D
<br /> <br /> Je suis d'accord avec la plupart de vos propos, notamment ceux sur les lmites du discours esthétique qui me semblent très pertinents. J'ajouterai cependant un bémol en disant que Deleuze n'était<br /> lui-même pas étranger à cette stratégie de domination par le langage (au moins, son langage abscon était moins sectaire que celui des autres). Et j'ajouterai un dièse en disant : ne jugez pas<br /> trop vite le postfreudisme d'Onfray, il vient tout juste de lancer le débat, au sein de sa structure alter-universitaire, sur les nouvelles possibilités thérapeutiques à explorer (ce qui est une<br /> bonne chose, car il sait faire dialoguer les gens ouverts d'esprit).<br /> <br /> <br /> <br />
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F
<br /> <br /> À propos de l’affaire Onfreud<br /> http://www.facebook.com/notes/psychanalogie/en-realite-michel-onfray-veut-sauver-la-psychanalyse-contre-freud-et-les-psychan/391038327884<br /> = http://goo.gl/srst<br /> Où l’on découvre dans les propos de M. Onfray dans la presse et à la télévision qu’il cherche à substituer à la psychanalyse dite « freudienne » une « psychothérapie pour aujourd’hui », «<br /> psychanalyse post-freudienne », consistant en… la « méditation philosophique », substituée par supersessionisme. Et que pour cela, il cherche à ridiculiser la règle fondamentale, la « loi » de la<br /> psychanalyse, qui consiste du côté du patient à dire tout ce qui vient à l’esprit (« association libre »). Et que dans ces conditions, le livre de M. Onfray cherchant à ridiculiser Freud n’est<br /> qu’un moyen de parvenir à ses fins qu’il révèle par ailleurs : « je souhaite dire que j’aimerais que ce livre soit aussi et surtout l’occasion de penser une psychothérapie pour aujourd’hui », in<br /> article de M. Onfray publié sur le site du Monde le 7 mai 2010. Où l’on découvre que tout ceci est motivé par la phobie de la notion “freudienne” selon laquelle la « normalité » n’existe pas, et<br /> qu’il n’y a qu’une différence de degré, et non de nature, entre les « normaux » et « ceux qui ne le sont pas », et que M. Onfray estime cela scandaleux et tient à une frontière nette entre les<br /> deux, afin de pouvoir se placer… devinez dans quelle catégorie : voilà toute l’affaire. Voilà ce qu’y trouvent ceux qui soutiennent M. Onfray dans son ambition.<br /> Sommaire<br /> — des extraits de l’article de M. Onfray paru sur le site du Monde le 7 mai 2010 (mais non paru dans l’édition papier)<br /> — un premier commentaire de l’article de M. Onfray paru sur le site du Monde le 7 mai 2010<br /> — des extraits du Dossier publié par Le Monde, sur site le 7 mai 2010 et dans l’édition papier le 8 mai 2010 : deux articles parmi ceux du dossier<br /> — les liens vers les enregistrements vidéo de la prestation de M. Onfray lors de l’émission télévisée de Laurent Ruquier le samedi 8 mai 2010<br /> — la transcription et le bref commentaire des passages estimés essentiels de la prestation télévisée précitée de M. Onfray le 8 mai 2010<br /> — le lien vers le blog de M. Onfray qu’il consacre à son livre et les suites de celui-ci notamment dans les médias : essentiel pour mieux apprécier la “mentalité” de M. Onfray<br /> — le lien vers le blog d’Emmanuel Fleury qu’il consacre à l’affaire Onfray et notamment liste la plus complète des liens vers les articles relatifs à cette affaire.<br /> Voir http://www.facebook.com/notes/psychanalogie/en-realite-michel-onfray-veut-sauver-la-psychanalyse-contre-freud-et-les-psychan/391038327884<br /> = http://goo.gl/srst<br /> ---<br /> http://psychanalogie.fr<br /> <br /> <br /> <br />
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