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Le blog de Frédéric Delorca

La bonne place du langage et la bonne action politique

25 Juin 2010 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Débats chez les "résistants"

Je le confesse : depuis quelques années mes travaux anthropologiques très axés sur le corps négligent un peu le langage. C'est ma façon à moi d'échapper au structuralisme. Mais ensuite, il ne faut pas verser dans l'excès inverse : le mépris pour les mots.

 

En lisant Davoine et Gaudillière, je retombe dans un univers lacanien, c'est à dire ce qu'il y a de pire comme jeux de langage psychanalytique du point de vue des neurosciences. Je suis très loin de souscrire à leur propos quand je lis par exemple (p. 134) "un enfant au sein est à même de remarquer que le visage de sa mère, ou son odeur, ou le rythme de son coeur ont changé", je retrouve tout ce vocabulaire de Dolto qui fait de l'enfant un être hyperintuituf auquel il ne faut rien cacher, avec qui il faut dialoguer d'égal à égal etc. C'est en effet là le pire aspect de la psychanlyse qui culpabilise les parents, les étouffe avec des normes, les place dans une relation perfectionniste inquiète avec leurs enfants. C'est une machine à créer de a névrose.

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En revanche je trouve des phrases de  bon sens comme celle-ci : "Comme aujourd'hui la médecine médiévale se cantonnait à un point de vue rigoureusement somatique (...) la folie trouvait refuge dans la littérature" (p. 51). Ailleurs (je ne retrouve pas le passage) ils disent plu clairement encore qu'il y a toujours eu deux voies pour soigner : le somatique et le langage. Il font ce constat sur la base de leur confrontation avec la folie (comme Lacan).Peut-être, comme toute la pensée des années 60, valorisent-il trop la folie (et son rôle dans la philosophie et les sciences). Mais on ne peut pas nier qu'il y a des mots qui soignent, et que donc il faut faire un peu attention aux mots : notamment aux mots de notre époque, en politique, dans la vie quotidienne. Ces mots qui empêchent d'autres mots, qui empêchent les individus d'être sujets de leur histoire. Par exemple quand les médias appellent les gens de la flotille attaqués en haute mer des "pro-palestinien" (mais il y a 10 000 exemples de paroles interdites par d'autres paroles).

 

L'enjeu est délicat, dans le rapport à soi-même et aux autres ne pas survaloriser le langage, sans pour autant le dévaloriser. A  Brosseville, si je passais mon temps à tenter de comprendre ce que les connotations personnelles profondes que peuvent avoir les uns et les autres au regard de leurs univers symboliques respectifs, l'action politique n'avancerait jamais. Mais à l'inverse si je ne traite que d'une manière superficielle le sens que les gens donnent aux mots, non seulement je peux engager l'action sur le terrain de malentendus profonds, mais encore je vais les dissuader d'agir, je vais stériliser des possibilités d'action commune parce qu'ils sentiront que l'on ne se comprend pas vraiment.

 

Hier en pensant à la politique, je songeais à ceci : tout projet politique durable suppose une éthique. Cette éthique doit rechercher la justice, mais aussi la vérité, car on ne peut agir sur le réel si l'on se ment à soi même sur son compte, ni non plus entraîner durablement des gens avec soi sur la base du mensonge.

 

La vérité n'est pas téléologique (grand tort du marxisme d'avoir cru cela), mais factuellement objective. On ne peut la dissimuler ou déformer à des fins tactiques que dans un nombre très limité de cas.

 

L'action politique doit mêler d'une façon équilibrée confiance et méfiance en ceux avec qui l'on agit, en faisant en sorte que la confiance leur inspire de la fidélité, mais en sachant les trahisons et les insuffisances toujours possibles.

 

Tout projet politique doit reposer sur une écoute attentive et non déformante des propos et attentes des gens de la base. Mais elle doit mobiliser des schèmes de mise en forme de ces attentes selon des canons programmatiques, schèmes que les gens de la base ne portent pas en eux, et qui se nourrissent nécessairement d'une culture sur l'histoire politique de l'humanité et sur le sytème actuel.

 

Cette mise en forme doit toutefois être en permanence contrôlée par une écoute supplémentaire des jugements et des attentes des gens de la  base.

 

C'est au stade de cette écoute qu'une juste valorisation du langage doit être trouvée. Et ce n'est pas facile.

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