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Le blog de Frédéric Delorca

Custine et la réaction espagnole

9 Octobre 2012 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #XIXe siècle - Auteurs et personnalités

Vous savez, amis lecteurs, il n'est pas impossible que le nietzschéisme ait eu une "mauvaise influence" sur moi. Même si je le portais de gauche, "deleuzien" ou "derridien", peut-être nous prédisposait-il, insidieusement, à "tolérer" au moins la pensée réactionnaire mieux que si nous avions été seulement spinozistes ou marxistes. Parce quand on lisait Nietzsche, on lisait ensuite Cioran (combien de mes amis, même bons électeurs de François Mitterrand, lisaient Cioran !), et là, on se trouvait embrigadés dans des interrogations peu compatibles avec l'esprit républicain. Par exemple c'est Cioran (malgré toutes ses lourdeurs qui m'exaspéraient) qui m'a sensibilisé à des interrogations sur les mysticismes espagnol et russe, portés ensemble, pensés ensemble. Interrogations peut-être inutiles, mais cependant incontournables.

 

Encore récemment j'y songeais : l'Espagne noire, ce symbole par excellence de la réaction et du gâchis socioéconomique que vomissaient Voltaire et tant d'autres. Je n'ai cessé de me demander pendant des lustres comment avant 1900 il avait bien pu y avoir des Espagnols en Europe (et je vous jure que je ne me pose pas cette question parce que je suis moi-même à moitié aragonais, ma famille n'étant guère de cette Espagne obscurantiste, mais peut-être plutôt parce que la foi dans le progrès que l'école laïque inculqua empêche viscéralement de pouvoir percevoir autrement que comme un scandale l'existence d'un pays comme celui-là).

 

Mes-Photos0012.jpgBernard Lewis l'an dernier (j'ai oublié le titre de son livre) m'a donné une clé pour comprendre l'acharnement réactionnaire des Espagnols et des Russes : leur ardent combat, presque désespéré, contre l'Islam - ce furent les seuls territoires où l'Islam fut repoussé.

 

Cela bien sûr ne suffit pas. Il y a peu, je suis tombé sur une chronique de d'Ormesson en faveur du marquis de Custine injustement banni par notre culture officielle (or tous les bannis m'intéresse). Las d'Ormesson se trompait de livre à commenter. Il citait le voyage en Russie dont ledit marquis serait revenu libéral (en 1824) alors qu'il y était parti en réactionnaire. J'ignore si d'Ormesso dit vrai, mais ce qui est sûr, c'est que sept ans, m'entendez-vous, sept ans après ce périple chargé de désillusions Custine était à nouveau réactionnaire, et c'est en réactionnaire qu'il visite l'Espagne.

 

Et cela me plaît (c'est le récit de voyage que je lis en ce moment). Non pas parce que je serais moi-même réactionnaire comme l'écrivait un lecteur au bas de mon billet sur d'Ormesson (d'ailleurs le mot n'a pas grand sens, et vous savez par ailleurs combien je suis progressiste, sur les moeurs notamment, voyez mon livre sur le stoïcisme - c'est ce qui me sépare de beaucoup d' "anti-impérialistes"), mais parce que Custine fait le voyage en Castille pour la même raison que j'ai fait celui de Transnistrie ou celui d'Abkhazie : pour voir un pays que les idées à la mode, celles qui sont soi-disant universelles, laissent de marbre. Tout le monde en France en 1831 (au lendemain des Trois Glorieuses) s'entredéchire autour des idées des Lumières et de leurs prolongements (le saint-simonisme par exemple), en Espagne cela n'intéresse personne : on se contente de vivre dans un musée vivant du catholicisme traditionnel. Comment est-ce possible ? qu'est-ce que cela donne dans la vie concrète des gens ?

 

La fuite espagnole de Custine aurait peut-être aujourd'hui un équiivalent dans un voyage quun communiste effectuerait en Corée du Nord.

 

Mes-Photos0019.jpg

Custine a les idées mal placées (c'est pourquoi son intolérante postérité l'a délibérément ignoré), mais il a souvent le regard juste. Il interroge tous les dogmes de son temps avec du matériau concret. Dans les villages il observe la noblesse du port des gens, l'élégance des habits opposée à la pauvreté de vêtements, l'arrogance des mendiants et des moines qui paraissent être, dit-il, les véritables pouvoirs dans ce pays. Sur le plateau de la Manche, il observe que la densité humaine est faible mais que les gens sont plus heureux que là où ils se bousculent. Une pierre dans le jardin de progressistes qui, depuis les physiocrates français et le libéraux anglais pensent que bien-être rîme avec richesse, et richesse avec fécondité et prolifération (au passage remarquons, même si c'est anecdotique, que tous ceux qui aujourd'hui tentent de culpabiliser les femmes qui aiment trop la maternité - voyez par exemple le dernier numéro de Books, applaudiraient sans doute des deux mains).

 

Custine était revenu déçu et effrayé de Moscou, il ne l'est pas en Espagne dont il célèbre les vertus à chaque page, et qui devient à ses yeux une sorte de pays du "christianisme réel" comme l'URSS le fut du socialisme réel aux yeux des communistes du XXe siècle. D'Ormesson aveuglé par son propre libéralisme et son besoin, au fond ,de penser comme tout le monde (sur un mode juste un peu plus suranné) préférait lire le mauvais livre, celui qui abjurait, in fine la réaction, au lieu du suivant, qui la glorifiait. Or c'est dans cette glorification que Custine est le plus étrange, le plus inattendu, le plus paradoxal. L'image qu'il donne du peuple le plus radicalement rebelle à ce qu'en son temps on présente comme un progrès poitique et économique obligatoire mérite assurément qu'on s'y attarde, et qu'on s'intéresse notamment à l'obstination inflexible dont fait preuve Custine à ne pas se laisser aller à penser ni voir comme les autres. C'était d'un très grand mérite à l'époque, et cela le reste bien sûr.

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