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Le blog de Frédéric Delorca

Histoire des Terres du Sud-Ouest T1 de Patrice Fréchou

15 Février 2012 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Divers histoire

Frechou-1.jpgParlons un peu de Bande-dessinée pour changer, juste pour dire un mot de la BD Histoire des terres du Sud-Ouest  (tome 1) de Patrice Fréchou, un petit livre dans lequel on apprend beaucoup de choses et qui a le mérite de vulgariser beaucoup de découvertes archéologiques des 30 dernières années, et de rompre avec une certain "racisme anti-aquitain" de la République française centralisatrice pour faire droit à la diversité ethnique de cette région (notamment sa composante ibérique et protobasque) avant la conquête césarienne, région que l'on pourrait qualifier d' "Aquitaine des nations" comme on parle de "Galilée des nations dans la Bible".

 

On pourrait pinailler sur la qualité pas toujours très heureuse des dessins (des jambres un peu courtes, des problèmes ici et là qui font penser aux tableaux des peintres du dimanche), certaines surcharges, des textes pas toujours très lisibles. Mais le problème qui me préoccupe dans cette bande dessinée est tout autre. Il touche à un certain "racisme inversé", un racisme anti-français qui n'est sans doute pas le fait de l'auteur mais plutôt du climat intellectuel dans lequel baignent beaucoup de textes de la région ces dernières années.

 

Pendant longtemps on nous a appris à penser la Gaule sans les Aquitains, mais maintenant on tombe dans l'excès inverse : une Aquitaine sans les Gaulois. Fréchou explique doctement cartes à l'appui que la première vague d'invasion celte (du moins ce que nous croyons être les "celtes", pas tout à fait ce qu'en dit Jean-Louis Brunaux) s'est déplacée du Bassin parisien au Nord-Ouest de l'Espagne en évitant soigneusement les territoires gascons (p. 15). Il veut bien ensuite admettre que dans une seconde vague, des celtes ont fondé Bordeaux et Toulouse, mais selon lui ils ne se sont pas aventurés plus au Sud. Il insiste sur le fait que le druidisme (ferment de l'unité des Gaules) était absent de Gascogne et qu'aucun peuple "aquitain" n'était représenté à Alesia. Plus loin d'ailleurs (p. 29) il blâme presque Auguste d'avoir créé une "grande Aquitaine" (qui déborde au nord de la Garonne) et de n'avoir pas respecté ainsi l'identité "ethnique" de la région, en y incluant des Celtes.

 

Frechou-2.jpg

On voit bien que ce refus de la présence celte en Aquitaine fonctionne comme un ferment idéologique de légitimation politique de son particularisme.

 

J'ai déjà indiqué sur ce blog que cette thèse était contestée, notamment par Goudineau professeur au collège de France. Il y avait au moins un grand peuple celte entre la Garonne et les Pyrénées, c'étaient les Tarbelles de Dax dont Rome fit une cité (mais on auait pu aussi évoquer leurs voisins les Tarusates). Lisons l'article de Jean-Pierre Bost "Dax et les Tarbelles", paru dans « L'Adour maritime de Dax à Bayonne » qu'Archéolandes a eu la bonne idée de mettre en ligne. "Le nom des Tarbelles désigne ces derniers comme un peuple celtique. Traditionnellement, on avance que ces "Taurillons" appartiennent à la couche de population du Second Âge du Fer, celle de la Tène ; ils étaient donc des Gaulois." Bost explique ensuite que certes cette thèse d'une migration celtique prête à caution, parce qu'il peut y avoir eu celtisation par simple "pénétration d'influences" et non par invasion (comme d'ailleurs le pense Brunaux, ce qui, non seulement invaliderait l'idée que les Tarbelles soient un peuple immigré, mais rendrait fausse toute la carte de Fréchou sur l' "invasion" qui évite la Gascogne). "Toutefois, j'ai le sentiment, ajoute l'historien, que, comme l'étaint aussi les Pimpedunni, établis non loin d'eux, vers la montagne, les Tarbelles, ceux en tout cas, même peu nombreux, qui ont imosé leur nom aux population indigènes, pas très nombreuses non plus, sans doute, étaient des immigrants", tout en reconnaissant que l'argument linguistique qui permet de trancher ce genre de problème est toujours fragile.

 

Bost reconnaît que Strabon à la fin du règne d'Auguste classe les Tarbelles parmi les Aquitains (ce qui explique sans doute le parti-pris de Fréchou sur la question) et ne reconnaît qu'aux Bituriges vivisque de Bordeaux le titre de "gaulois". "Aux yeux de ses contemporains, les Tarbelles étaient donc considérés comme des Aquitains. "Nous avons vu qu'ils ne l'étaient pas, mais avaient-ils pu le devenir ?" demande même Bost. Il répond à cette ultime interrogation en estimant que ce peuple incontestablement celte à l'origine avait fini par se fondre "dans l'ensemble ethno-culturel aquitain" puisqu'ils ont été les alliés loyaux de leurs voisins contre les Romains (argument un peu peu étrange : une alliance politique révèle-t-elle nécessairement une identité "ethno-culturelle" ?).

 

Retenons du propos de Bost trois éléments 1) l'argument linguistique et toponymique plaide pour le caractère celte des Tarbelles, 2) s'il y a eu invasion (ce qui n'est pas sûr dans les processus de celtisation), les Tarbelles faisaient bien partie de ces migrants (et donc il n'y a pas eu d' "évitement celtique" de la Gascogne, 3) ces éléments restent toujours assez complexes et ne devraient pas se prêter aux simplifications abusives.

 

Je crois que ces trois éléments montrent qu'une oeuvre de vulgarisation qui se voudrait objective n'aurait pas dû s'engager dans l'exposition à grands traits de cartes d'invasion (ou d'évitement) manifestement fausses qui ignorent l'identité celtique des Tarbelles (ou celle des Tarusates). Sur cette question je renvoie aussi aux discussions sur les forums spécialisés comme celui-ci.

 

Pour m'être intéressé pendant longtemps aux Balkans, je sais fort bien le mal politique que cause à notre époque la simplification, voire la réécriture de l'histoire. Je suis donc très inquiet devant la diffusion actuelle d'ouvrages de vulgarisation comme cette bande-dessinée et les schémas mentaux qu'elle crée. Evitons à tout prix une "kosovoïsation" de l'imaginaire aquitain.

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N
<br /> Après avoir assisté au cours du XIX° siècle et jusqu’au début du XX° à une réécriture « nationale » (voire nationaliste) de l’histoire en général, et de celle des Gaules en particulier,<br /> attitude qui a conduit à prendre des libertés avec la réalité, nous assistons aujourd’hui, de plus en plus, à une réécriture régionaliste de l’histoire. De ceux qui nient la validité de l’acte<br /> d’Union de 1532 entre la France et la Bretagne à ceux qui voient dans l’écrasement des cathares le « génocide » d’une nation « occitane » (dont on chercherait en vain<br /> l’existence à quelque époque que ce soit), c’est une véritable offensive historiographique que nous pouvons observer. Réaction contre la période précédente et ses excès, sans doute. Mais il est<br /> bon de rappeler que l’histoire universitaire a amplement « corrigé » le « roman national » depuis déjà quelques années. J’y vois pour ma part une conséquence de la<br /> décentralisation dans laquelle des collectivités territoriales, nouvelles ou aux pouvoirs accrus, se fabriquent une légitimité. Et il n’est pas de meilleure légitimité que celle qu’on tire du<br /> passé… A ce sujet, concernant l’ouvrage que vous évoquez, je serais curieux de savoir s’il n’a pas été publié avec le « soutien » d’un conseil général, ou du conseil régional<br /> d’Aquitaine, comme cela est fréquent. J’ai la faiblesse de croire que ce type de politique « culturelle » n’est pas sans arrière-pensée.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> En villégiature dans l’Aude l’été dernier, j’ai été frappé par l’omniprésence de références historiques surexploitées et par la manière dont le département a « catharisé » à outrance<br /> son patrimoine : « vins du pays cathare », « fromage des pays cathares »... Or il n’y a jamais eu de « pays cathare » : à aucun moment, les cathares n’ont<br /> représenté la totalité de la population locale (ont-ils seulement représenté la majorité ? Je n’ai trouvé nulle part d’estimation de leur proportion). Quand on visite les « châteaux<br /> cathares », on comprend vite que les rois de France ont été les maîtres d’œuvre d’une bonne partie des ruines que nous pouvons voir, bâtissant, rebâtissant ou réaménageant les forteresses,<br /> de Carcassonne ou des châteaux « cathares » eux-mêmes (Peyrepertuse ou Quéribus entre autres). Et je passe sur une revue locale titrant : « Cathares, les martyrs du<br /> Languedoc », alors même que les articles à l’intérieur reconnaissent qu’il s’agit d’un mouvement spirituel à l’échelle de la chrétienté occidentale, et non d’une religiosité<br /> « nationale » propre au Midi de la France.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> La carte que vous mettez en illustration dans votre article est intéressante : le dessinateur y a tracé des limites claires, des frontières. Or de plus en plus de cartographes utilisent pour<br /> ce type de phénomènes d’expansion des dégradés de couleurs, plus significatifs. Il est très probable que la « celtisation » s’est diffusée en cercles concentriques à partir d’un noyau<br /> très celte (du côté de la Bourgogne et de l’Auvergne, je présume). Plus on s’éloigne du noyau central, plus l’influence celte diminue. Elle peut aussi (est-ce le cas en Aquitaine ?) se<br /> heurter à une culture déjà solidement constituée. Mais pour le druidisme, il faut rappeler qu’absence de preuve n’est pas preuve de l’absence !<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Parler d’ « invasion » est sans doute excessif, peut-être qu’infiltration conviendrait mieux. Ce qui s’est produit en Aquitaine, nous ne le savons pas. Mais on peut le comparer à des<br /> phénomènes mieux connus, comme la samnitisation de l’Italie méridionale (Lucanie et Bruttium) ou l’ethnogenèse des peuplades germaniques, théorie chère à Herwig Wolfram et l’école autrichienne.<br /> Au IV° siècle av. J.-C., en Italie, des bandes samnites s’infiltrent au sud de leur région d’origine. Mercenaires, pillards, marchands peut-être, bergers en quête de pâturages sans doute. On<br /> observe dans certains centres que les nouveaux arrivants cohabitent avec les anciens habitants. Il n’y a pas systématiquement conquête violente. On sait d’ailleurs que les cités de Grande Grèce<br /> recouraient à des mercenaires, mais aussi à de la main-d’œuvre (urbaine et rurale) d’origine indigène. C’est ainsi qu’une cité comme Poséidonia finit par tomber aux mains des Barbares pour<br /> devenir Paestum. Mais le « coup de force » final, comme à Capoue, a été précédé d’une longue phase d’infiltration pacifique et peut-être même encouragée. On peut aussi évoquer la<br /> constitution du peuple des Thuringiens, au V° siècle après J.-C., cette fois. On a constaté la venue de lignages plus nordiques (angles ou warnes) qu’on repère à des rites funéraires différents<br /> de ceux des autochtones (eux-mêmes des Germains d’ailleurs). L’exemple, certes avorté, d’Arioviste est aussi intéressant, car il aurait pu déboucher sur une « germanisation » de<br /> certains territoires gaulois. Ici, les Suèves et les Harudes sont d’abord des mercenaires intervenant dans un conflit entre peuples gaulois voisins. On peut donc raisonnablement supposer que des<br /> Celtes, mercenaires, marchands, aristocrates exilés, ont pénétré à un moment ou un autre en Aquitaine. Ils ont pu être chassés, massacrés ou se fondre dans une population locale ayant déjà une<br /> identité forte et perdre leurs traits « celtes ». Mais ce que vous dites des Tarbelles laisse à penser que certains groupes ont conservé une identité plus « celtisée ».<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Mais j’en ai déjà trop écrit… <br />
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F
<br /> <br /> Merci beaucoup pour ce long commentaire qui, j'en suis sûr, aidera les lecteurs à réfléchor (du moins ceux qui ne seront pas refroidis par votre pseudo car nous avons aussi des girondins et des<br /> libertaires parmi nos lecteurs - ). Concernant les subventions de collectivités territoriales au livre je vais vérifier,<br /> mais il est vrai que leur rôle dans la diffusion de cette nouvelle doxa n'est pas mince. Il faut reconnaître aussi que toutes ces simplifications et contrevérités historiques sont favorisées par<br /> le système économique qui oblige chaque chambre de commerce à avancer des idées identitaires simples pour valoriser ses produits sur le marché mondial. Les collectivités locales, placées en<br /> concurrence entre elles comme de vulgaires fabricants de savonnettes, doivent s'aligner, avec des slogans, des images-choc (je pense à cette Dame-Loire en béton nue du côté de Blois ou de Tours<br /> par exemple). A ce jeu d'ailleurs le Béarn dont je parle souvent ici est très mauvais, la plupart des affiches commerciales qu'on y croise étant frappées d'emblèmes basques... Je suis bien<br /> d'accord pour dire que le détournement est d'autant plus grave quand il s'agit de courants religieux transfrontaliers comme le catharisme (je me demande si l'Iran ne se rend pas en ce moment<br /> coupable du même péché en accaparant le chiisme, et le Tibet le bouddhisme). C'est une des formes de l'abrutissement collectif de notre époque.<br /> <br /> <br /> <br />