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Le blog de Frédéric Delorca

L'oeuvre de Julius Fucik

2 Juin 2011 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #1910 à 1935 - Auteurs et personnalités

On croit qu'Internet peut fournir un regard sur toute la cuture contemporaine "utile". Or il suffit d'acheter un vieux livre chez un bouquiniste pour découvrir à quel point les documents dont on dispose sur des périodes aussi récentes que le 20ème siècle (par exemple les fiches wikipedia) sont lacunaires, quand ce n'est pas mensongères.

 

Julius_Fu-ik_2.gifJ'ai déjà mentionné ici le personnage de Julius Fucic en Bohème et le sort injuste que la mémoire tchéque lui a fait.

 

Je voudrais ici revenir sur sa vie et son oeuvre. Né à Smichov, le quartier industriel de Prague, fils d'un ouvrier métallurgiste passionné de théâtre et d'un oncle mélomane qui composa "La marche des gladiateurs" en Hongrie, Fucik fut un jeune prodige qui fit du théâtre de deux ans et demi à neuf ans. Lycéen à Plzen il fonde des journaux et une coopérative de jeunes. Employé à l'office des statistiques, inscrit aux cours du soir à la faculté de lettres, cet amoureux de la vie s'inscrit aux jeunesses communistes, ce qui lui vaudra quelques ennuis dans les années 20, notamment pour son service militaire comme à beaucoup de communistes en France.

 

Sa très bonne santé physique et morale le rendra particulièrement résistant aux tortures ce qui lui donna de l'énergie pour survivre à une quasi-agonie à la prison de Pankrac et de continuer à en décrire le quotidien en écrivant sur des feuilles de papier à cigarette jusqu'à son exécution. Le texte est très bien écrit et manifeste à la fois une accuité d'observation et une grande noblesse morale, une attention aux autres - il est vrai soutenue par la foi eschatologique marxiste qui l'anime. Les hispanisants peuvent le lire gratuitement en espagnol sur le Net.

 

Le préfacier de l'édition d'Ecrits sous la potence (traduits dès 1945 sous une introduction de son épouse Gusta incarcérée dans la même prison que lui) dans une version augmentée de 1957 (Éditions Bibliothèque mondiale), Ladislav Stoll (historien et ministre de la culture à l'époque stalinienne), mentionne quelques points sur son rapport à la France. Il précise qu'il a vécu quelques mois à Douarnenez et contribua à une grève des salariés de l'usine de sardines locales !

 

Stoll à propos du rapport à la culture française dessine une opposition intéressante entre ceux qu'il appelle les "petits bourgeois cosmopolites" et  les communistes comme Julius Fucik qui étaient à la fois patriotes - très proches du prolétariat très enraciné de leur pays - et internationalistes - puisque Fucik, non seulement vécut un peu en France mais aussi travailla comme correspondant Rude Pravo en Russie. "La grande pensée française, écrit Stoll (p. 14) après avoir cité Diderot, Gabriel Péri et Romain Rolland, aidait également les héros de notre mouvement national libérateur, Julius Fucik le fier patriote tchèque, aimant le pays soviétique, aimant et honorant le grand génie révolutionnaire de la France et le peuple français, savait que chaque vraie culture nationale doit croître de son propre peuple, quele doit être profondément enracinée en lui. Et pour cette raison-là, il cherchait avant tout dans la renaissance, l'arbre généalogique d'un nouvel écrivain tchèque. Comme patriote moderne il se distinguait ainsi des cosmopolites provinciaux tchèques, qui à la fin du siècle dernier et après la première guerre mondiale, pareils à des parvenus, importèrent de France chez nous, comme de nouveaux chapeaux ou de nouvelles robes, une conversation mondaine facile et cosmopolite, des bons mots nouveaux, de nouveaux commérage littéraires, et enfin des droits d'auteur pour les livres de Dekobra, de Morand,  de Montherlant, etc... / Julius Fucik n'a rien de commun avec ces admirateurs de la France. Il n'a rien de commun non plus avec ces esprits d'ailleurs différemment culturels qui compilèrent les idée pragmatiques avec le monde de la pensée bergsonienne. Fucik, connaisseur excellent de la littérature et de la poésie, détestait la petite bourgeoisie cosmopolite provinciale, l'égoïsme du "grand monde tchèque" singeant Paris, et ces mêmes bourgeois tchèques qui, habillés à Paris, se conduisaient avec insolence envers le peuple tchèque. / Il était clair pour Julius Fucik que ces cosmopolites étaient des petit provinciaux et qu'une véritable universalité, une vue internationale idéologique est propre au travailleur tchèque, à l'ouvrier tchèque auquel Julius Fucik a été attaché par un immense amour" .

 

Cette réflexion me semble intéressante pour notre époque où divers secteurs de gauche comme le MPEP ou au PS Montebourg réfléchissent à réenracinement de la culture et du tissu économiques. Le lien patriotisme-internationalisme, et socialisme-question nationale (en l'occurrence question nationale tchèque, celle d'un petit pays régulièrement écrasé par les empires, comme tant d'autres en Europe centrale), mérite toute notre attention, et dans le texte de Stoll, si l'on remplace "petit bourgeois" par "bobo" et "Paris" par "NewYork", on ne sera pas très éloigné des problématiques de notre temps.

 

J'ai été fort content d'apprendre aussi dans la préface de Stoll que Fucik fouinait chez les bouquinistes pour ressusciter des écrivains progressistes "démocrates" comme il disait du 19ème siècle, injustement oubliés ou caricaturés par la culture bourgeoise de son temps. Il disait qu'il fallait faire cela pour la Bohème comme pour toute l'Europe.

 

Il le fit notamment pour Bozena Nemcova, auteure de beaux contes populaires tchèques au 19ème siècle à l'héritage passablement affadi par la culture bourgeoise praguoise et qui pourtant, comme le résume Stoll (p. 13) fut "une des rares personnalités tchèques qui dans ce pays tchèque à demi féodal des années 40 du siècle passé s'intéressait déjà aux idées de Saint-Simon et de Fourier et qui payait cela par sa destinée misérable".

 

On est très loin là de la Bohème métaphysique "austro-hongroise" de Kafka à Patocka dont les étudiants de Sciences po de ma génération ont été saturés (il faudrait aussi dire un mot, mais je ne veux pas faire trop long, de l'opposition radicale de Stoll aux interrogations existentielles et du Julius Fucik "anti-Hamlet" qu'il nous présente).

 

Le projet de remémoration que défendait Fucik doit sans cesse être recommencé à mesure qu'une culture futile et bourgeoise vient recouvrir d'un linceul les combats du passé et ceux qui le menèrent, dans l'ordre de la création intellectuelle comme dans tous les autres modèles. Une tâche immense à laquelle les apparatchiks payés par ce qu'il reste des partis communistes ou progressistes consacrent une énergie à mon sens insuffisante ou qu'ils ne savent pas faire connaître en dehors de leurs cénacles.

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