La rentrée
Ainsi donc la rentrée s'est effectuée, cette semaine, ou, pour certains une ou deux semaines plus tôt. Sur le plan politique notre pays a retrouvé son rythme de croisière. La faiblesse du nouveau pouvoir socialiste en France face aux forces libérales, déjà visible avant les vacances, a fait à nouveau la "une" des journaux de droite (Le Point, l'Express etc). Mélenchon, requinqué par un long séjour au Venezuela est revenu avec des mots justes contre Hollande lui reprochant notamment de n'avoir pas fait voter par l'assemblée nationale la loi contre les licenciements boursiers déjà adoptée par le Sénat de gauche sous Sarkozy ou à titre symbolique une amnistie des syndicaliste licenciés et d'être allé courtiser le Medef à ses universités d'été.
Avec son souci habituel de la présentation didactique des problèmes, il a mis sur la table un certain nombre de dossiers plus ou moins connus du grand public. En premier lieu le référendum du traité de stabilité européen dont il veut faire un cheval de bataille et un objet de mobilisation pour septembre (mais il ne dispose que d'un délai bien court, et l'opinion publique n'agit guère en ce sens : sa pétition n'avance pas). A titre plus anecdotique, il se mobilise pour Julian Assange désormais protégé par le régime latino-américain dont il se sent le plus proche (l'Equateur), ce qui au passage peut lui attirer la sympathie de certains jeunes internautes libertaires pour qui le fondateur de Wikileaks est un héros, ou pour Audrey Pulvar et Arnaud Montebourg, attaqués par la grande presse après la nomination de la première à la direction de la rédaction du magazine bobo "Les Inrockuptibles", ce qui serait d'après lui le résultat d'une manoeuvre du Medef contre son compagnon ministre, principal obstacle, selon Mélenchon, à la droitisation du PS (mais bon je dois dire que je n'entends pas seulement des mots justes chez Monteboug : hier le ministre du travail M. Sapin rappelait que le CDI devait rester la norme en droit du travail, ce qui n'est pas du goût des libéraux). Le bras de fer entre forces de gauche et de droite est donc engagé en France, à l'heure où l'UMP rivalise de néo-libéralisme agressif (ainsi M. Fillon dans sa lutte contre M. Copé pour la direction du parti s'est il lancé dans une diatribe hystérique contre les 35 heures, la paresse des fonctionnaires etc comme l'aime son électorat). La violence de la droite est telle qu'on éprouve une sorte de tendresse pour le centre-gauche même dans son inaction, un peu comme aux Etats-Unis où c'est un mormon fou furieux que les Républicains nomment pour affronter le président démocrate Barack Obama... et qui a des chances de l'emporter selon certains analystes ! Tout cela fait froid dans le dos.
Pour ceux qui s'intéressent aux histoires de chapelles, on peut noter que, dans son dernier billet sur son blog, Mélenchon fait l'éloge du site Le Grand Soir de Maxime Vivas (bien implanté en Amérique latine), alors même que les jeunes collégiens qui militent contre l'extrême droite n'ont cessé d'en dénoncer les indulgences pour des réseaux anti-impérialistes peu reluisants. Preuve peut-être que les polémiques sur Internet n'ont finalement guère d'impact sur la grande politique.
A l'occasion de cette rentrée aussi les bonnes âmes se sont mobilisées pour les "chanteuses" punk russes de Pussy Riot condamnées à deux ans de "camps" (mais pas au goulag) pour profanation d'église (des chanteuses qui ont ma sympathie, davantage que les Femen ukrainienne qui sont allé scier des croix en solidarité, mais c'est affaire de goût : je n'aime pas le style Femen). La victime collatérale de cette effervescence un peu vaine fut la chanteuse dévôte Mireille Mathieu dont les propos tout en nuance qui ménageaient à la fois le pouvoir russe et les chanteuses a été caricaturé par Kommersant et livré en pâture à la grande presse internationale.
Les petites soeurs des pauvres ont aussi lancé beaucoup de cris indignés pour la Syrie. La "bataile d'Alep" a suscité l'enthousiasme des médias occidentaux, sans faire bouger l'intransigeance des Russes. Les Turcs sont montés au créneau, les Iraniens ont mobilisé les non-alignés derrière leur cause (à la faveur d'un hasard du calendrier qui prévoyait une réunion à Téhéran à ce moment-là). Finalement tout semble s'enliser dans une certaines confusion : Alep ne tombe pas comme Benghazi, bien que les insurgés parviennent à tenir le terrain au prix de lourdes pertes. J'ai moi même renoncé à comprendre ce conflit puisque personne n'a la bonté (dans les informations officielles, comme chez les "alternatifs") de me montrer une carte sur laquelle on verrait, dans chaque région du pays, une évaluation des forces en présence de part et d'autre et un descriptif des manoeuvres (offensives ou défensives) dans chaque grande ville (je sais que c'est difficile, dans une guerre civile mais quand même). Dans ce "jeu" beaucoup ont noté que l'Egypte mène une stratégie étrange. Morsi après avoir affaibli les militaires laïques est allé cherché de l'argent en Chine (pas aux Etats-Unis) pour briser la dépense à l'égard de ses bailleurs saoudiens, et a haussé le ton face à Damas. Le Proche-Orient n'a pas fini de surprendre.
Heureusement je ne suis pas obligé de décortiquer cela puisque j'ai fermé le blog de l'Atlas alternatif le 6 août, passablement fatigué par le comportement des groupes "alternatifs" (Actualutte, et d'autres "collectifs" croisés cet été). Cette fermeture est d'ailleurs complètement passée inaperçue. Même l'éditeur du livre (qui vient de refuser de réimprimer celui que j'avais écrit sur la résistante Denise Albert qui s'est pourtant très bien vendu à Sevran) ne s'en est pas soucié. Le blog meurt donc de sa belle mort (moins de dix lecteurs par jour hier) dans l'indifférence générale. Je n'ai aucun regret (n'ayant de toute façon plus de temps pour écrire en géopolitique). Je pense que ses billets constituent un beau portrait du monde tel qu'il fut de 2006 à 2012, mais faute de soutiens même moraux (à part le site Marx21.it qui en traduisit beaucoup d'articles) cela ne pouvait durer davantage. Dans un sens c'est une bonne chose que les lecteurs ne se soient pas mobilisés pour le faire traduire dans d'autres langues, lui trouver des contributeurs, l'associer à d'autres collectifs. Cela aurait entretenu en moi artificiellement le doute sur la nécessité de continuer ce blog ou pas. Au moins la loi du silence contre le blog de l'Atlas alternatif a clarifié la necessité d'y mettre un terme, ce qui, au passage me permet aussi de me prémunir de le cheminement politique néfaste de certains des contributeurs du livre qui aurait pu ensuite rejaillir négativement sur mes propres travaux.
Cette évolution logiquement réoriente mon esprit dans trois directions : mes recherches en socio-anthropologie sur d'autres blogs, et, sur celui-ci, un travail culturel "de fond" (sur la philosophie, la littérature, l'histoire) ainsi qu'un retour aux thématiques béarnaises (dont je suis pourtant géographiquement éloigné). L'âge avancé de mes parents, la nécessité de faire des bilans une fois passée la quarantaine me conduisent à jeter un regard (peut-être devrais-je dire un "dernier regard") sur ce que fut cette région, sur ce qu'elle a été pendant mon enfance et ce qu'elle est devenue. En ce début de décennie, le département des Pyrénées-Atlantiques vient de passer à gauche. Dans les provinces ce genre de chose a un sens. Je découvre par exemple que Colette Lapléchère, que j'ai rencontrée quand j'avais 21 ans, est devenue chargée de mission au Conseil général. Peut-être devrais-je lui envoyer "La révolution des montagnes". Pau n'est plus la ville que j'ai connue. Maltraitée par une mairie socialiste qui en a laissé mourir le centre-ville, elle va devenir l'enjeu d'une fière bataille en 2014. Le candidat de la droite s'est fait connaître il y a peu. Un ex-préfet jurançonnais. Tout cela va être homérique. Dans dix ans des gens de mon âge occuperont les fauteuils des notables là bas (déjà le candidat UMP qui affronta Bayrou dans sa circonscription est un type que j'ai connu au lycée). Puis viendra la génération suivante, qui portera dans ses yeux une autre vision du Béarn et du monde que nous autres, car eux n'auront jamais parlé avec les gens qui peuplent nos cimetières, ceux qui furent la jeunesse du Béarn dans les années 1920-1930, et avec lesquels mon esprit d'enfant, jadis, avait été en dialogue perpétuel (un dialogue souvent sans mot auxquels ceux qui naquirent après 1980 ne peuvent rien entendre).
Ainsi pour moi cette rentrée rime plutôt avec semi-retraite. Et mon vieillissement anticipé est aussi une réponse aux injonctions productivistes de notre époque, au mépris dont la société libérale et consumériste accable les faiblesses et les désirs intimes de tout un chacun. Plus on nous sommera d'agir, de produire, d'être positifs, dévoués à l'ordre collectif, utiles, de marcher au rythme de l'Actualité, de ses slogans ineptes, de ses préjugés moutonniers, plus je répondrai par la lenteur, la rêverie solitaire, l'inertie et l'indifférence.
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