Le retour du libéralisme
12 Octobre 2009 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Revue de presse
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Cette impression avait culminé à l'occasion du G20 de Londres, en avril, où l'on avait vu des chefs d'Etat et de gouvernement, au premier rang desquels Nicolas Sarkozy, grisés par leur sentiment de puissance. Comme ivres du pouvoir reconquis aux dépens du marché. Mais six mois plus tard, à Pittsburgh, et malgré le retour de la croissance, nos maîtres du monde avaient perdu de leur superbe.
On promettait un Etat fort et actif, on voit des gouvernements qui se dérobent ou qui renoncent. On prétendait reconstruire le capitalisme, on n'ose même pas se rendre à Gandrange. Dans le match qui les opposait aux banques centrales, d'abord, les politiques ont perdu par KO. C'est à elles - à travers le Conseil de stabilité financière - qu'a été confiée la tâche de fixer les règles en matière d'attribution des bonus des traders, à elles aussi le soin d'en vérifier la bonne application.
C'est aussi aux banques centrales indépendantes et à leurs techniciens que la nouvelle supervision bancaire et financière fait la part belle, au détriment des ministères des finances. Il n'y a guère que le patron de la Banque mondiale, Robert Zoellick, ancien de l'équipe Bush, un comble, pour s'émouvoir de cette démission du politique.
Il n'a pas fallu non plus six mois pour que les opinions publiques commencent à regretter le temps où le marché était sans doute trop libre et trop puissant, mais où l'Etat se montrait moins prédateur. Elles n'ont pas eu de mal à comprendre que le retour de l'Etat dans la vie des affaires, cela voulait dire d'abord et avant tout le retour des déficits. Et donc le retour des hausses d'impôts (comme en Espagne), du gel des salaires des fonctionnaires (comme en Grande-Bretagne), de leur baisse (comme en Irlande), l'allongement de l'âge du départ à la retraite (comme en Suède), etc. Partout, du sang, de la sueur et des larmes - sauf en France où le gouvernement tente de faire croire que le nuage radioactif des déficits ne franchira pas les frontières.
L'envolée des dettes publiques signifie que les grands pays industrialisés ont perdu, et pour longtemps, toute marge de manoeuvre budgétaire. Les arbitrages des lois de finances des prochaines années, peut-être des décennies, se résumeront à ceci : savoir où faire des coupes, où dégager des économies, quelles catégories socioprofessionnelles sacrifier, quelles dépenses et quels avantages supprimer, où trouver des recettes. Plus de place pour des mesures de relance supplémentaires ou de nouveaux cadeaux fiscaux, plus de place pour des avancées sociales coûteuses. Trop de keynésianisme tue le keynésianisme et rend l'Etat impuissant.
Leurs endettements record vont ligoter les Etats et les livrer au bon vouloir des marchés financiers. Car il va bien falloir vendre et écouler tous ces emprunts du Trésor émis par milliers de milliards de dollars. Et donc séduire ces financiers dont on avait pourtant cru se débarrasser une bonne fois pour toutes - traders, gestionnaires de hedge funds ou de fonds de pension, banquiers sans foi ni loi.
Les gouvernements vont devoir leur donner des gages d'orthodoxie budgétaire ou leur offrir des rendements élevés. Ou les deux. Et malheur au pays dont les emprunts d'Etat ne trouveront pas grâce aux yeux des investisseurs : les taux d'intérêt à long terme s'y envoleront, cassant la croissance. La "dictature" des marchés financiers a de beaux jours devant elle.
Surtout, la crise des subprimes a montré que les gouvernements n'avaient au fond, contrairement à ce qu'ils faisaient croire, aucune intention véritable de reprendre la main, aucune envie réelle de voir la puissance publique reconquérir des parts de marché face au privé.
Ils avaient une occasion inespérée de le faire dans le secteur bancaire mais ils s'en sont bien gardés. Après avoir sauvé les banques du naufrage, leur avoir prêté et garanti tout l'argent dont elles avaient besoin, les avoir aidés à renforcer leurs fonds propres, les Etats se retrouvaient en position de force inédite.
Ils auraient pu choisir de rester durablement au capital de ces établissements pour les contraindre à distribuer du crédit, pour contrôler les risques pris sur les marchés financiers ou encadrer étroitement les rémunérations des traders. Des esprits peu suspects de dérive gauchisante, tels Thomas Hoenig, patron de la Fed de Kansas City, avaient même légitimé idéologiquement des nationalisations bancaires, arguant des risques spécifiques du secteur.
Au lieu de cela, les Etats se sont empressés de se désengager des banques dès que celles-ci ont été en mesure de rembourser les aides publiques qu'elles avaient reçues. Les "nationalisations" bancaires n'ont été que de courtes parenthèses, vite refermées, sans que personne ne s'en offusque.
De façon irréelle, on a même vu les socialistes français reprocher au gouvernement de ne pas avoir spéculé sur la hausse des titres bancaires et de ne pas avoir "fait" assez d'argent dans ces opérations ! Pauvre Karl ! Vingt ans après la chute du mur de Berlin, c'est bien la deuxième mort du socialisme, avec la crise des subprimes, à laquelle on assiste.
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