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Le blog de Frédéric Delorca

Le viol de Lucrèce

17 Février 2014 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Colonialisme-impérialisme

lucrece.jpgMon titre pour Esprit Corsaire "le viol de l'Ukraine", m'est venu à propos d'une longue réflexion sur le viol et la prostitution que j'ai été obligé d'avoir en décembre-janvier, réflexion sur le thème : qui est la pute de qui, qui viole la vie de qui, etc. (réflexion menée en parallèle avec la question de la folie des gens, de leur maladie mentale etc).

 

En l'envoyant au rédac-chef je lui ai dit "si tu trouves un meilleur titre n'hésite pas". Il a gardé ce titre, parce que c'est un homme d'expérience, qui a pas mal bourlingué, et qui connaît l'humain comme sa poche (il a adoré mon roman "La révolution des montagnes", ce qui est le signe d'une intelligence supérieure - d'ailleurs j'interdis à quiconque de parcourir ce blog s'il ne l'a pas lu).

 

Après coup, j'ai songé que le viol de l'Ukraine faisait penser au "viol de Lucrèce" (dont le Titien a fait le tableau ci-contre). Je me suis dit que peut-être, inconsciemment, j'avais pensé à cet épisode fondateur de l'histoire de la République romaine en choisissant ce titre. Et que l'homme de haute culture qu'est le rédac-chef avait peut-être aussi cette petite musique dans l'oreille en arrière-plan (en le sachant ou sans le savoir).

 

Oui mesdames et messieurs, la République romaine s'est fondée sur l'idée de réparer un viol ("Tu dors Brutus ?" l'assassin du dernier roi étrusque était un Brutus, et l'assassin de César - gendre de Caton d'Utique remarquez bien -  était son descendant d'où le "tu dors Brutus ?" écrit sur les murs de Rome en 44 av JC, comme je suis sur Internet je dois expliquer tout cela, si j'avais écrit ailleurs, où les gens ont plus de culture, je me serais contenté d'un "tu dors Brutus ?" en forme de clin d'oeil - César avait violé la République, et sa vertueuse alliée grecque en Gaule, Marseille, Massalia, dont il ne reste aucun vestige). Du coup je songe aussi à l'imaginaire colonial décrit par GC Spivak (l'idole des Indigènes de la République) : "le blanc qui veut enlever une femme non-blanche à ses frères non-blancs" ("Frédéric, faire l'amour avec une Algérienne, on ne peut plus se permettre ! ce n'est plus de nos âges !", encore une citation en forme de clin d'oeil). Sauver telle femme du viol, ou réparer l'injustice d'un viol. Tout comme ces Américains qui déclarèrent la guerre à l'Espagne en 1898 pour réparer un viol ou quasi-viol (voyez ici). Mon arrière grand père qui fut prisonnier de guerre des Américains à Cuba aurait des choses à dire là-dessus. Et notre "glorieuse" action en Bosnie pour sauver les femmes de "viols systématiques" (un secrétaire général de chaine de TV me disait jeudi que tous les journalistes qui ont couvert Sarajevo en 1993-94 se réunissent tous les ans pour déjeuner ensemble : si ce n'est pas le signe que c'est devenu là un mythe fondateur de la profession, je ne m'y connais pas !). Pardon pour toutes ces évocations un peu trop rapides, mais je ne suis pas le roi des longs exposés didactiques et ennuyeux, on n'est pas au Monde Diplomatique ici !

 

Souvenez-vous de ce magnifique livre écrit par une femme violée sur des femmes violées "Une femme à Berlin" (mon article sur ce livre est ici). On ne fonde jamais rien de légitime sur le viol (en ce sens la RDA n'était pas légitime), pas même en réparant un viol par un autre viol : les Occidentaux devraient s'en souvenir...

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Mon article

Le viol de l’Ukraine

 

 

Le 7 février, la sous-secrétaire d’Etat aux affaires européennes et eurasiatiques de l’administration Obama, Victoria Nuland a défrayé la chronique après la publication sur You Tube d’une conversation téléphonique entre elle et l’ambassadeur des Etats-Unis en Ukraine, Geoffrey Pyatt, dans laquelle l’intéressée émet des recommandations sur la formation du futur gouvernement de l’Ukraine.

 

Dans cette conversation elle décrit l’ancien ministre de l’économie Arseni Iatseniouk (qu’elle appelle Yat) comme le mec qui a l’expérience économique et celle de la gouvernance” (the guy with the economic experience, the governing experience) qui devrait être le premier ministre. Elle suggère qu’il devrait accepter d’être premier ministre comme l’a proposé le 25 janvier le président Viktor Ianoukovitch. Selon elle l’ancien boxeur Klitschko (Klitch dans son vocabulaire) devrait rester à l’extérieur (on the outside”) ainsi que Oleg Tiagnibog, chef du parti d’extrême droite Svoboda, les trois constituant selon elle un trio crucial qu’elle appelle the big three.

 

Cet entretien piraté a nourri divers commentaires, notamment en Allemagne, parce que Nuland y propose en des termes peu amènes (« Fuck the EU ») d’exclure l’Union européenne de la vaste réorganisation politique dont elle se croit l’organisatrice, et recommande que ce soit plutôt l’émissaire de l’ONU Robert Serry qui persuade Klitschko de rester hors du gouvernement (Klitschko était en effet souvent présenté comme l’homme de l’Union européenne et de l’Allemagne où il est résidant).

 

Devant la levée de boucliers provoquée par son « Fuck the Europe », Nuland s’est excusée pour son vocabulaire, ce qui revenait à confirmer l’authenticité de l’enregistrement, mais n’a pas émis de regret sur le fait d’avoir véritablement cherchée à « téléguider » la composition du futur gouvernement ukrainien.

 

En France, la directrice de la rédaction de l’ancien journal de référence « Le Monde », Sylvie Kauffmann, dans un article titré « Les cinq leçons du "fuck the EU !" d'une diplomate américaine », est montée au créneau le 9 février pour minimiser la gravité des propos de Victoria Nuland, en reconnaissant qu’il y avait là « une étonnante maladresse, voire arrogance, dans la méthode » (sic) mais en dénonçant surtout l’utilisation des « vieilles ficelles du KGB » par le gouvernement russe accusé d’avoir publié la conversation.

Etrangement d’ailleurs, la journaliste ne trouve pas la responsable américaine arrogante dans l’absolu, mais « compte tenu des échecs américains à installer des équipes au pouvoir dans des pays étrangers depuis dix ans ». On retrouve là un message subliminal très répandu dans l’esprit des atlantistes en France et déjà très visible au lendemain de l’invasion de l’Irak : on approuverait plus aisément la prétention des Etats-Unis à façonner le monde conformément à leurs intérêts si ceux-ci se montraient un peu plus efficaces dans leur politique d’ingérence…

 

L’agacement de Sylvie Kauffmann se comprend. Les propos de Victoria Nuland apportent de l’eau au moulin de la thèse du gouvernement russe (et de divers cadres du parti des régions au pouvoir en Ukraine) selon laquelle les manifestations qui ont lieu en Ukraine depuis le refus de Kiev de signer un accord d’association avec l’Union européenne seraient un acte 2 de la « révolution orange » de 2004, impliquant le gouvernement américain et les oligarques. Sergeï Glaziev, conseiller du président Poutine, a accusé les Etats-Unis d’investir 22 millions de dollars par semaine dans le soutien aux manifestants, une accusation pour l’heure assez difficilement vérifiable et qui n’a donné lieu à la publication d’aucun rapport circonstancié – mais les coulisses des précédentes « révolutions de couleur » n’avaient été connues qu’après coup, et encore d’une manière fort incomplète.

 

Pour l’heure en tout cas, malgré les appels des chantres habituels de l'ingérence (A. Glucksman, A. Finkelkraut, A. Besançon) à la mobilisation pour l’Ukraine (dans « Le Monde » du 21 janvier), les plans de l’administration Obama semblent avoir échoué. Arseni Iatseniouk a refusé le poste de premier ministre, et le président Ianoukovitch joue plutôt intelligemment la carte de la temporisation et de l’apaisement, face à une opposition au sein de laquelle l’extrême droite anti-sémite (Svoboda, Pravyi Sektor), qui s’est emparée de sièges d’administrations dans l’Ouest du pays, assume un rôle de plus en plus actif, dans le silence assourdissant de ses partenaires et de l’Occident.

Mais le risque de guerre civile perdure, pour la plus grande inquiétude notamment des milieux d’affaire allemands… et du gouvernement de Mme Merkel, qui pourrait bien trouver dans l’affaire ukrainienne, comme sur la Libye et la Syrie, un nouveau point de désaccord avec ses bouillants alliés de l’Alliance atlantique…


Par Frédéric Delorca

 

 

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