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Le blog de Frédéric Delorca

Nietzsche et la gauche, le sexe crée-t-il du lien social, l'éros-scopique etc.

27 Mars 2012 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Philosophie et philosophes

Un ami m'envoie un texte d'un certain Schiffter qui veut montrer que Nietzsche était de droite à partir du traitement de la question juive par cet auteur. C'est affligeant !

 

Le débat sur la lecture gauchiste de Nietzsche existe depuis 50 ans, voire plus (avec des thèses intéressantes comme celle de Derrida selon laquelle tout auteur - y compris Marx, Nietzsche, et Heidegger - peuvent faire l'objet d'une lecture légitime de droite comme de gauche).

Bien sûr que Nietzsche était de droite (il le disait lui-même), et tous les gauchistes qui se sont réclamés de lui le savent. Bien sûr que des gens qui comme Liliana Cavani vont le dépeindre Nietzsche comme un socialiste pacifiste dans Au delà du bien et du mal .

Mais il y a 36 façons de le démontrer. Celle que choisit Schifter, qui se fonde sur la question juive, et sur un seul extrait de la Généaologie de la Morale est COMPLEMENT NULLE !!! Car précisément la question juive est celle sur laquelle Nietzsche est le plus ambigu. Celle de la modernité rationaliste aussi (qui, effectivement dans l'esprit de Nietzsche est liée à la question juive). Sait-on que le livre le Gai savoir de Nietzsche est dédié à Voltaire ? Et que le moustachu faisait un vibrant éloge de Spinoza ? qu'il a critiqué l'antisémitisme comme la forme la plus stupide de l'esprit allemand contemporain ?

Nietzsche écrit beaucoup pour rire. Et la façon dont il écrit sur le judaïsme (qui est en fait son angle d'attaque contre le christianisme), comme quand il aborde le sujet des femmes ou des philosophes, est généralement conçue pour faire sourire le lecteur. Mais ces attaques cachent mal en réalité l'immense admiration et fascination qu'il ressent pour les membres de ces trois catégories. Il stimule notre gaité (notre gai savoir) avec ses bons mots, joue sur des gammes très subtiles de l'amour et de la haine. Et, franchement, il faut que notre époque soit devenue bien barbare pour ne pas comprendre ce jeu stylistique !

elephantIl paraît que ce M. Schiffter appelle à voter François Hollande, le candidat qui peine à finir ses phrases tant son discours est creux. C'est en effet un candidat du niveau de ses démonstrations.

 

topMais évoquons plutôt un sujet plus léger et de saison qui plus est... J'étais dans une boulangerie tantôt. Une dame mûre en robe légère est entrée. Un homme jeune à la caisse l'a regardée sans pouvoir cacher pendant une fraction de seconde quelque concupiscence. Fut-ce réciproque ? on ne le saura pas tant les femmes ont un art pour dissimuler leurs affects. témoin de la scène, j'ai repensé à Alexandra Kollontaï et me suis demandé si l'application du slogan de la révolution russe "faire l'amour comme on boit un verre d'eau" pourrait contribuer à renforcer le lien social. J'ai des doutes. Car si la fille avait couché avec le jeune homme, de deux choses l'une : soit il n'y aurait pas eu de sentiment et les deux seraient restés parfaitement indifférent l'un à l'égard de l'autre comme avant, soit des projections affectives se seraient greffées dessus, et là s'ouvre la voie aux petites violences (jalousies, dilemmes par rapports aux partenaires tiers actuels ou potentiels, aux enfants etc) qui est le lot des amants "ordinaires"...

 

On peut donc nourrir quelques doutes légitimes à ce sujet, sauf à subsumer strictement les rapports physiques sous un principe politique supérieur comme je l'ai fait dans un de mes livres, mais qui le peut ?

 

En recherchant sur le Net la référence du slogan ci-dessus, je tombe sur ce compte-rendu d'une étude (anonyme, semble-t-il) sur les effets sexuels de la révolution bolchévique en Russie. Bien que j'aie lu plusieurs ouvrages sur le sujet, du très enthousiaste "La révolution sexuelle" de Wilhelm Reich au très sceptique "La vie sexuelle en URSS" de Mikhaïl Stern (un sexologue passé à l'Ouest dans les années 70), je n'ai jamais réussi à me faire une "religion" sur ce sujet. Parce que Reich était visiblement trop utopiste, et Stern visiblement trop négatif comme tous les thérapeutes qui ne voient que des sujets en souffrance (je pense qu'un sexologue en France aujourd'hui, s'il devait se valoriser auprès d'une puissance étrangère, trouverait des réalités bien plus tristes à décrire encore que celles qui affleuraient sous la plume de Steiner).

 

A l'évidence c'est un sujet complexe. Devant un substrat dans le fonctionnement naturel de l'espèce qui la prédispose à l'insatisfaction chronique en la matière, pour des raisons d'ailleurs assez différentes chez les hommes et chez les femmes (et d'ailleurs, en vérité, il semble qu'un peu toutes les espèces sont vouées à des dysfonctionnements sexuels de toutes sortes, l'évolution darwinienne provoquant plus de dissymétries et de dysharmonies qu'autre chose,) la question concernant toutes les sociétés humaines est de savoir quel degré de mauvais fonctionnement est tolérable, ce qui est pour le moins délicat à déterminer. Pour revenir à cette étude, je ne comprends pas bien le lien qu'elle dessine entre sexualité communautaire et inceste. Elle semble procéder par faisceau d'indices (parce que dans une nouvelle de Kollontaï et dans le home soviétique il y a un fantasme d'inceste, alors il existe une présomption générale...), mais ce n'est pas très convaincant. L'artifice rhétorique (comme il y en a tant dans la littérature psychanalytique) conduit ensuite à conclure que, du coup, le collectivisme amoureux de la première période révolutionnaire rejoignait l'ascétisme stalinien dans une même "communion" au fantasme de l'inceste, mais tout cela est pour le moins tiré par les cheveux.

 

La démonstration de l'anonyme ("Radu Clit") vise plutôt à mettre en valeur par effet de contraste (quoiqu'avec beaucoup de réticences) l'autre révolution, individualiste celle-là, conduite en Occident après 68 - mais dont il faudrait non seulement souligner les dérives en termes de procès pour harcèlement sexuel comme le fait l'auteur (tiens au fait vous avez vu ? DSK fait encore le "une") mais aussi son déplacement dans le domaine scopique pour le meilleur et pour le pire (en route vers la totale désincarnation des pratiques, pour le plus grand profit des entreprises capitalistes qui disséminent le voyeurisme érotique dans tout leur dispositif de consommation - tiens au fait on me dit de lire Clouscard, vous en pensez quoi vous ?).

 

 

 

 

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L
<br /> La boulangerie comme volonté et représentation...<br />
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F
<br /> <br /> La venu de Mélenchon à Pau te rend schopenhauerien ? <br /> <br /> <br /> <br />
G
<br /> Le sexe, le travail créent-t-il du lien social pérenne ? Vaste débat, mais l'absence de sexe ou de travail créent de l'isolement social.<br />
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F
<br /> <br /> La remarque de Gilles est très juste. Mais il y aurait deux remarques à faire. La première c'est que ce sont plus les hommes, semble-t-il, qui vivent l'absence de sexe comme un isolement (voire<br /> un enfermement) que les femmes. La seconde est qu'on peut se demander si les hommes seuls ont tellement besoin de sexe qu'ils le croient ou si ce n'est pas "juste" une présence féminine qui leur<br /> manque (des études ont montré que le taux de testostérone baisse chez l'homme marié, ce qui explique à la fois la baisse de son désir, et la baisse de sa propension à mourir d'une crise cardiaque<br /> avant 70 ans - non pas parce qu'il fait moins l'amour qu'un célibataire, mais parce que la baisse de la testostérone "relaxe" un peu sa tension intérieure)... Il y a quand même une sérieuse<br /> réflexion à mener sur ces sujets. Ne pas se résigner à reléguer ça dans la sphère privée - car c'est un problème d'organisation sociale. Ne pas se résoudre à la récupération par le consumérisme<br /> capitaliste. Ca aurait sa place dans le programme du Front de gauche ou de tout parti qui se veut un peu alternatif au système actuel.<br /> <br /> <br /> <br />
J
<br /> Bonjour Frédéric,<br /> <br /> <br /> À défaut de pouvoir vous écrire plus longuement ce matin, permettez-moi de vous recommander la lecture du texte que Jean Zin avait consacré l’année dernière à Michel Clouscard :<br /> <br /> http://jeanzin.fr/index.php?post/2011/01/13/Neo-fascisme-et-ideologie-du-desir<br /> <br /> C’est toujours le même problème, sauf que de Clouscard nous somme passés à Muray, Michéa, Jaspe et Zemmour ! Beurk !<br />
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