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Le blog de Frédéric Delorca

Régionalismes, particularismes, "nos ancêtres les Gaulois"

14 Décembre 2010 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Colonialisme-impérialisme

Difficile de décrire ce qu'est une colonisation culturelle quand le peuple colonisé est bien nourri, n'a pas subi de vol de terres, bref, vit en apparence plutôt bien.Je pense à la colonisation de la France du Sud.

 

On vous dit "Tout cela n'existe pas. Ou alors tout le monde est acculturé : nos banlieues où personne ne se souvient de l'histoire des lieux sont acculturées, toute la France est acculturée par la culture Mac Do, le monde est acculturé etc".

 

Difficile d'expliquer qu'il y a un problème spécifique au Sud de la France.

 

Je l'ai déjà écrit sur ce blog : je vois dans ma région beaucoup (le Béarn) de signes du colonialisme culturel comme  l'enfermement des gens dans la culture du sport et de la bonne bouffe, la  conviction qu'ils ont tous que le savoir est illégitime, qu'ils sont hors de  l'histoire etc.

 

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Ca se combine avec des phénomènes sociologiques - fuite des élites, désindustrialisation etc on ne se demande jamais pourquoi la France du Nord est si féconde en ce moment  (pas seulement ses immigrés, les normands, les franciliens de souche etc) et pas celle du sud - c'est à étudier (même si je suis loin de soutenir que dénatalité et crise de la culture vont nécessairement de pair, mais dans un pays où la protection sociale et le statut de la femme sont les mêmes du nord au sud on peut se poser des questions).

L'acculturation des banlieues est un peu différente de celle du sud. Dans le sud c'est la désertification, dans les banlieues ce sont les déplacements de population. L'acculturation par le capitalisme globalisé est une autre dimension qui se surajoute au reste.

 

L'acculturation des banlieues fait l'objet d'une attention politique et médiatique plus soutenue du fait qu'elle concerne une population jeune, active, et qu'elle touche en partie aux relations internationales.

 

Celle de banlieue et celle du sud ont en commun un rapport avec une spoliation historique.

 

Au fond de tout cela il y a un vide qui n'est pas seulement lié à l'affaiblissement de l'Etat central. C'est un vide lié à la colonisation, exactement comme celui que décrit Naipaul quand il parle des Indiens et des Noirs des Caraïbes. On a détruit les institutions de la France du Sud (pour ne prendre que cet exemple), pendant deux siècles, mais nous savons bien, nous sentons bien, que la culture française "universelle" qu'on a voulu imposer à la place venait recouvrir une destruction.

 

Bourdieu qui n'aimait pas les régionalismes a écrit quelque part qu'une culture française du sud s'est créée (au 19ème siècle) en lieu et place de la culture occitane détruite, et que cette culture, avec son accent spécifique, est tout autant méprisée par la France du Nord que l'était la culture occitane disons juste après l'annexion du Languedoc.

 

On peut reprocher à la culture dominante de ne toujours pas "réparer" l'injustice, en n'intégrant pas "sérieusement" à son point de vue l'histoire telle que la perçoit le sud de la France, et en se bornant à folkloriser sa culture.

 

A l'inverse, on peut reprocher aux régionalismes beaucoup d'erreurs : leur foi en l'Union européenne (qui en fait les instruments objectifs de l'impérialisme étatsuniens, heureusement certains groupes sont de plus en plus ouvertement anti-OTAN, et bientôt j'espère anti-europe comme Libertat), la construction d'artifices comme l'occitanisme, et, au sein de cette construction, la création de nouveaux mythes potentiellement ravageurs.

 

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"Mes ancêtres n'étaient pas les Gaulois mais les Aquitains" me disait un ami béarnais il y a peu. Moi aussi je disais cela il y a dix ans, mais c'est là un nouveau mythe qu'il faut dénoncer. Car à y regarder d'un peu plus près l'affaire est plus complexe qu'il n'y paraît.

 

Le patriotisme français empreint de nationalisme universitaire nous a imposé des simplifications outrancières comme "nos ancêtres les gaulois". Les réponses apportées à cet excès sont tout aussi fausses.

Les régionalistes basques veulent imposer aux Gascons un "nos ancêtres les protobasques" (cf le Que-sais-je "les basques") sur la base d'une toponymie douteuse qui assimile au basque des noms qui peuvent être ibères

Les occitanistes gascons défendent un "nos ancêtres les aquitains" qui est tout aussi faux.

Oui, César a écrit qu'au delà de la Garonne il combattait les Aquitains et pas les Gaulois. Mais quand on sait ce qu'était la géographie en son temps (cf la carte romaine des Gaules reconstituée par Goudineau), ce témoignage n'a pas en soi une valeur probante (pas plus que sa décision de fixer au Rhin les limites de la Gaule)

Ce qui est sûr c'est qu'en effet l'Aquitaine était une terre plus "mêlée" de la future Gaule "celtique" (les romains diront aussi la gaule lyonnaise), ce qui peut justifier qu'on la distingue du reste de la Gaule - comme on distingue la
Galilée, autre terre de sangs mêlés (et à vrai dire, surtout de cultures mêlées), de la Judée.

De ce point de vue là l'Aquitaine était comme l'Espagne du Nord (la Cantabrie disaient les Romains), avec ses "celtibères" (encore une invention académique un peu arbitraire).

Mais n'oublions pas qu'il y avait beaucoup de Gaulois (mot latin), de Celtes (mot grec strictement synonyme) en Aquitaine ! Burdigala (Bordeaux) est une ville celte. Turba (Tarbes) est un mot celte (même si Iluro - Oloron - et Elimberrum - Auch - sont plus ibériques ou protobasques). Le principal peuple d'Aquitaine, les Tarbelles dont le grand oppidum était Dax (Aquae tarbellicae) mais qui couvrait aussi le nord du Béarn, était un peuple gaulois,
celte (comme étaient gaulois et celtes tout le nord de l'Italie, une partie des Balkans, et le centre de l'Anatolie...). Il y avait donc beaucoup de gaulois (de celte) dans l' "identité" aquitaine, même si ce n'est pas au sens "nationaliste français" du terme. Toutes ces questions demandent beaucoup de finesse et de prudence. Mais le manichéisme objectif de l'action politique et les (auto-)censures auxquelles condamnent les structures de domination dans la société ouvrent difficilement la voie aux nuances et à la complexité.

 

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NB : j'aborde un peu tout ça, sur le ton de la comédie, dans mon roman "La révolution des montagnes"

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