Sur Chateaubriand et Voltaire
23 Novembre 2013 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Philosophie et philosophes
Brève interview de Frédéric Delorca qui sera publiée dans le numéro de décembre de la Gazette philosophique de mon vît, petit journal littéraire publié à Laruns.
"M. Delorca, on vous a vu récemment défendre la lecture de Chateaubriand, puis celle de Voltaire, où voulez vous en venir exactement avec ces suggestions de lecture ?
- Il faut s'intéresser aux frères ennemis. Je ne dirais pas avec Bourdieu que Bakhounine a la vérité de Marx et Marx celle de Bakhounine, mais il faut lire ensemble les opposés, souvent d'ailleurs pour décourvrir qu'ils ne sont pas si opposés que cela comme les couples qui s'adorent et se détestent. Chateaubriand et Voltaire (le premier ayant construit son oeuvre contre le second) sont tous les deux de grands encyclopédistes - ce qui n'était pas le cas d'écrivains avant eux comme Montaigne, Pascal ou Corneille qui étaient avant tout formés par Plutarque et les classiques gréco-latins. Voltaire et Chateaubriand sont parfaitement au courant de leur époque, et peuvent parler de ce qui se passe dans les contrées les plus reculées aussi bien que des dernières découvertes scientifiques. On dira que l'ampleur des découvertes du moment le leur imposait, mais cette explication ne me convainc qu'à moitié. Ce qui me frappe surtout chez l'un comme chez l'autre c'est la profondeur de leur vision et leur capacité à en faire un système, avec un style très particulier à chaque fois, et très "enveloppant", qui vous prend au piège de leur toile, et dont on ne peut pas rendre compte par de brèves citations ou des extraits (en ce sens les internautes se trompent quand ils se limitent à des morceaux choisis, c'est le mouvement de livres entiers qui doit vous emporter*). On comprend que ces visions (qui ne se réduisent pas à des stratégies rhétoriques) aient envoûté chacune deux générations.
- Tout de même, l'un est l'adversaire de la religion, l'autre le partisan de sa restauration.
- L'un est l'homme de la grande remise à plat, par l'ironie. On va ressortir le de dérisoire, l'ubuesque, retrouver dans l'humain le "singe de son idéal" comme disait Goethe. L'autre veut réhabiliter le coeur, la foi du charbonnier, tout ce qui relève de la sensibilité (et c'est une entreprise très subtile, qui n'a rien à voir avec de la mièvrerie, même si le risque existe toujours). La grandeur du geste absurde de celui qui s'avance désarmé avec un petit crucifix en bois devant la horde des guerriers bardés de lances. Mais ce sont deux mouvements complémentaires et nécessaires. La remise à plat n'a qu'un temps. Et la remise à l'honneur des coeurs n'est pas nécessairement la remise en scelle des cardinaux et des évêques - qui ont plus d'une fois voué Chateaubriand aux Gémonies. L'enjeu du romantisme est ailleurs, il a à voir avec le mysticisme, comme à sa suite la philosophie nietzschéenne et l'heideggerianisme.
- Mais Nietzsche dédie le "Gai savoir" à Voltaire....
- Oui, parce qu'il sait bien que le mysticisme - l'intérêt pour le chemin, pour un autre rapport au temps, à la chose, au silence et à la solitude - passe par une critique profonde de la religiosité - qui est avant tout un rapport grégaire à l'autre et une façon stupide de neutraliser les questions". Nietzsche n'est pas loin du mysticisme même s'il ne l'assume pas, et on peut se demander si les partisans des Lumières, à leur manière aussi, ne le sont pas, comme on finit par le voir aux heures les plus sombres de la Terreur. Toute sortie "par le haut" de la médiocrité passe peut-être par le mysticisme, qui est cependant aussi une façon d'abîmer l'humain, de l'anéantir dans "le bas"... "
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* voir à ce sujet cette remarque de Chateaubriand contre les historiens de son époque dans "Des études historiques" p. 115
"On trouve aujourd'hui beaucoup d'hommes qui savent écrire une cinquantaine de pages et quelquefois un
tome (pas trop gros) d'une manière fort distinguée; mais des hommes capables de composer et de coordonner
un ouvrage étendu, d'embrasser un système, de le soutenir avec art et intérêt
pendant le cours de plusieurs volumes, il y en a très-peu :
cela demande une force de judiciaire, une longueur d'haleine,
une abondance de diction, une faculté d'application, qui diminuent
tous les jours. La brochure et l'article du journal semblent être devenus la
mesure et la borne de notre esprit. "
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