Une candidate du libre amour en Espagne
30 Mars 2012 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Les rapports hommes-femmes
Soledad S** (j'anonymise pour les moteurs de recherche) aurait pu être Balance comme moi. Manque de chance elle est vierge... Elle est née le 18 septembre 1972 (deux ans après moi), sous la dictature de Francisco Franco. Elle habite Ciudadela (Citadèle), une ville de 30 000 habitants, capitale, de l'Ile de Minorque, aux Baléares. Elle y dirige un Parti, qui n'a obtenu que 80 voix dans cette ville plutôt de droite (bien que l'île soit restée républicaine jusqu'en 39) aux élections municipales de 2011.
En 2011 justement, Mme S** avait publié une affiche électorale montrant ses deux seins nus volumineux (qui ne l'empêchent pas de faire du tir à l'arc) empoignés par deux mains viriles avec le slogan "deux grands arguments". Cela l'avait faite connaître de toute l'Espagne. Elle participe à des concours de poésie et récits érotiques du magasin de sextoys de sa ville tenu par une copine à elle. Elle aime "Le Dernier Samouraï" avec Tom Cruise et "Not afraid" d'Eminem. Elle défend les minorités mais écrit en castillan pas en catalan dont elle n'a pas l'air d'aimer le nationalisme. Elle a des tas d'idées sur l'aménagement du territoire, le vivre-ensemble, la protection des animaux. Elle ne veut pas d'enfants parce qu'elle a peur d'être une mauvaise mère. Ses "fils" sont son chien et son chat...
Mme S** est très à gauche. Récemment, sur Facebook, elle soutenait le projet de grève générale et dénonçait le silence des médias sur les conflits sociaux qui ont émaillé le mandat de Zapatero. Elle avait été choquée de voir que le "Front de gauche" espagnol, Izquierda Unida, ne l'a pas plus soutenue que cela dans la publication de son affiche et même a tenu selon elle une position puritaine "droitière".
Mme S** tient un discours très pacifiste, pour l'intégration universelle des êtres humains dans un même amour unificateur. Sa page Facebook met en exergue des citations du Mahatma Gandhi et de Bertrand Russell. Comme beaucoup de femmes pacifistes elle estime que la femme peut sauver le monde, qu'elle est sacrée, qu'elle porte en elle quelque chose de divin. Elle s'intéresse à la théorie marxiste du matriarcat de feu la commmuniste américaine Evelyn Reed. Comme beaucoup de pacifistes aussi, elle est restée très catholique, mais catholique "critique", hostile au pape, désespérée de voir des chrétiens embrigader des mineurs dans des milices armées en Ouganda. Elle parle peu des pays étrangers n'ayant peut-être pas beaucoup voyagé, sauf quand il s'agit d'évoquer la faim dans le monde.
Voilà. Ce personnage n'est peut-être pas très important et n'a sans doute guère d'avenir dans le paysage politique espagnol. Elle est cependant représentative de certains courants qui circulent un peu partout. Ce mélange catho-marxiste-écolo-païen-jouisseur-moralisateur (défenseur d'une morale du vivre ensemble et de la résistance face aux technostructures qui le compromettent), cette religiosité plus affective que dogmatique qui se mêle à l'activisme politique au risque de le rendre un peu brumeux, on le rencontre chez beaucoup de femmes qui cependant n'osent pas toutes s'engager dans des partis politiques ou se présenter à des élections pour promouvoir leur "espérance". Je suis un sceptique devant le choix manifesté là de créer son propre parti, qui ne fait que 80 voix. Tentation puriste si répandue en Europe : on ne s'agrège pas à ce qui existe - on préfère créer son propre truc en se disant que les autres auront reçu "la lumière" et vous rejoindront spontanément. Symptôme d'une forme de narcissisme politique peut-être, de fermeture au monde, de refus du sens du concret. Il y a des tas de petits groupes en France comme ça aussi, qui poussent l'autisme jusqu'à ne même pas répondre aux mails lorsque des tiers s'adressent à eux pour en savoir plus sur leur compte. Aujourd'hui Facebook permet de croiser la connaissance des choix idéologiques des personnalités publiques comme cette femme, avec leurs goûts privés. On mesure ainsi leur degré d'adhésion aux modes, le type de culture qui les habite.
On peut se demander ce que révèle le choix de passer des soirées dans des concours de nouvelles érotiques plutôt qu'à élever des enfants. Choix de rester tourné vers sa propre enfance (qu'elle manifeste de temps en temps en évoquant des anecdotes de ses 7 ou 8 ans sur Facebook ) ? Manque de confiance en soi ? Lien avec sa profession (qui n'est pas conue) ? Cumul de malchances ? D'autres hypothèses peut-être. Je n'ai pas d'avis arrêté sur la procréation. Beaucoup de femmes disent avoir une "horloge biologique" (horloge dont l'heure butoir est presque atteinte pour cette dame) et disent ne pas se sentir "complètement femmes" si elles ne procréent pas. Mais c'est en France, pas en Espagne où le taux de fécondité est bien moindre. On ne sait jamais qui est dans un conditionnement négatif - la femme qui s'autopersuade qu'il lui faut une enfant, ou celle qui est convaincue qu'il vaut bien mieux qu'elle n'en ait pas. Le schéma social dominant en France pousse vers le premier modèle, celui d'Espagne encourage le second. A Rome on ne pouvait intégrer le Sénat si l'on n'était pas père de famille. En France aujourd'hui beaucoup de femmes élues mettent en avant le fait qu'elles ont des enfants pour montrer leur capacité à prendre en charge la vie d'autrui et donc celle de la cité, de s'ouvrir à une altérité concrète pas seulement intellectuelle. Le thème de l'articulation difficile entre liberté de disposer de son corps et contraintes de la procréation ne date pas d'hier.
En tout cas voilà, on là sous les yeux l'illustration d'une option politique de gauche de notre temps, et quelques éléments sur la manière dont elle s'incarne dans un individu donné. C'est un cas-type transposable mutatis mutandis à beaucoup d'autres femmes qui essaient de penser "un autre monde possible" de nos jours, même s'il présente aussi d'aussi des éléments d'idiosyncrasie non généralisables.
Je suis frappé de voir que ni en Espagne ni dans d'autres pays européens le genre d'aspiration qu'il exprime (pour une meilleure disposition de son corps, pour une meilleure intégration sociale par ce biais), n'a pas de "répondant" dans les grands partis politiques classiques. Il n'y a pas véritablement de programme dans le paysage mainstream pour répondre à cette aspiration. Or on ne peut pas assurer que l'aspiration en elle-même soit totalement infondée, ou si elle l'est, il faut dire pourquoi et expliquer comment on peut en détourner ceux qui la portent. La réponse que la classe politique espagnole lui a apportée (et qu'apporterait aussi la classe politique française) - "ne montre pas tes seins sur une affiche, ce n'est pas bien !" - est un peu courte.
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