Articles récents
Un petit zeste de structuralisme quand même
Depuis l'adolescence j'ai toujours été du côté des philosophes et anthropologues qui refusent de surestimer le changement.
Bourdieu par exemple disait toujours que dans les années 60, alors que Touraine et les technocrates tenaient un discours de la "modernisation", du changement perpétuel, lui, à l'écoute des structuralistes, était plus sensible à ce qui dans les agencements des relations humaines ne changeait pas. Je suis comme lui. Je pense que l'humanité n'a pas vraiment enregistré de progrès moraux depuis Chrysippe de Soles ou Caton d'Utique, et l'idéologie du "développement personnel" dont sont porteurs par exemple les thérapeutes énergéticiens (mais aussi le système libéral dans son ensemble) m'horripile.
De même je ne surestime pas les progrès que les technologies apportent à nos vies. Par exemple Internet, les SMS, les portables : ils nous égarent dans toutes sortes de leurres et maintiennent nos cerveaux en attente. Ce faisant certes ils nous libèrent de l'ennui, du vide, mais aussi de toutes les distractions gratuites, saines et créatives que les cerveaux "d'avant" trouvaient pour meubler le vide : le dessin, la chanson, la lecture des livres, le jardinage. Ils nous ôtent aussi cette disponibilité oisive qui soustendait notre temps libre et nous rendait ouverts à tout et n'importe quoi. L'avantage de ces nouvelles technologies (sans même parler de leur coût écologique considérable, en termes de consommation électrique notamment) reste largement à démontrer.
"Let the music play"
Pendant ma petite descente aux enfers hivernale (je dis "petite" car elle aurait pu être bien pire et plus dangereuse), je suis tombé, au hasard des synchronicités, sur ce morceau de musique dont j'ai fait par ailleurs l'éloge sur Internet et qui évoque mes 13 ans. J'ai été surpris par le texte que je n'avais pas écouté sérieusement à 13 ans, et par la grâce très sobre des gestes de la chanteuse.
Vous savez, il y a ce philosophe australien, Stove, qui se plaint qu'avec le surréalisme, Bergson, Heidegger etc on soit entré dans "l'âge du jazz de la philosophie" qui a déglingué les valeurs de la rationalité et de l'intellect. Tous les réacs se sont plaints de ça dans tous les domaines de la culture.
La victoire de la musique noire américaine, du jazz jusqu'au funk, dans la culture occidentale est une victoire juste (qui annonce la victoire ultérieure du mouvement des droits civiques, laquelle n'en est qu'un sous-produit).
Un jour, en 2012 je crois, j'ai rencontré un black de mon âge à Pau. Un type improbable qui avait été l'agent commercial de grands interprètes de ma génération comme Deniece Williams, Earth Wind and Fire, que sais-je encore. Toute sa famille (ses oncles, ses aïeux) avait un rapport très intime à la musique. Ce type s'appelait Kevin Polk. Polk est le nom du onzième président des Etats-Unis. Je suppose qu'on a donné ce nom à l'un de ses ancêtres quand il a été libéré des plantations au XIXème siècle. Les noirs américains n'ont pas de nom, sauf celui que leur maître a bien voulu leur donner après avoir volé celui de leurs ancêtres. Je n'ai rien demandé sur la généalogie de sa famille. Je ne suispas un intello lourdingue qui "cuisine" les gens sur leur passé. Mais son amour pour la musique parlait pour son histoire. C'était l'amour de ce qui, pendant des siècles de servitude, avait maintenu en vie ses ancêtres.
J'ai retrouvé le même amour dans les gestes de la chanteuse Shannon pendant ma longue déchéance. Elle raconte comment, sur la piste de danse, une magie amoureuse s'est nouée entre un homme et une femme. Comment l'homme s'est éloigné soudain pour danser avec une autre, d'une manière inexplicable. La femme alors se tourne vers l'Amour, son Dieu, et lui demande ce qu'elle doit faire, et l'Amour dit "Let the music play, he won't get away, this groove he can't ignore, he won't leave you any more". Et le deuxième couplet décrit le miracle : "he's dancing his way back to me" (phrase répétée deux fois avec beaucoup d'inspiration). Pour les ancêtres de Shannon comme pour ceux de M. Polk, la musique, le "groove", fut l'intermédiaire avec les dieux de leurs ancêtres perdus et vaincus. Peut-être même un remplaçant de leurs dieux. Le "groove" est devenu leur "maat" comme disaient les égyptiens, leur ordre des choses, et ils savaient que ce maat ne les trahirait pas. Que tout reviendrait vers eux en temps utile.
Cette chanson, comme les films que me conseilla le lecteur de ce blog Jeff, m'aidèrent à tenir, me firent entendre que tout reviendrait en temps utile, qu'une justice serait rétablie. Ainsi, ce qui aida certains peuples à résister, aide d'autres peuples et d'autres individus à survivre. Je peux ressentir en écoutant "Let the music play" la même chose qu'en entendant le vieil hymne serbe "Ajde Jano" dont je peux imaginer qu'il aida ce peuple à tenir le choc de la tyrannie ottomane. Les résistances des uns sont le salut des autres.
Les démagogues, les sociaux-dem', les terres d'Hadès
Il y avait à ma table hier un quadra juriste turc "libéral" (au sens américain du terme, c'est-à-dire "de gauche"), de ceux qui mangent du porc et boivent de l'alcool. "J'étais opposé aux kémalistes autrefois, disait-il, mais aujourd'hui comme beaucoup je suis obligé de dire 'Entre deux fascistes, je préfère celui qui boit du vin' ". Pour cette raison il aime mieux vivre à Antalya (où l'AKP n'est pas majoritaire) qu'à Istanbul. Favorable à l'autonomie des Kurdes, il a signé eu des problèmes un jour pour avoir signé une pétition en faveur d'une demande de pardon des autorités turques aux Arméniens.
"Le discours sur le complot que sort Sarkozy depuis sa garde à vue est le même que celui d'Erdogan, notait-il, encore qu'Erdogan fasse bien pire avec la Justice que Sarkozy". Tout ces démagogues me font peur. Je hais la France sarkozyste autant que cet aimable Turc déteste la Turquie erdoganiste...
Face à cela, les sociaux-dem' sont toujours aussi inconsistants : François Hollande annonçant une Enième réforme des administrations, un Grand Paris qui coûtera plus cher que les intercommunalités en terme de masse salariale, une réforme des régions qui ne fera qu'éloigner le contrôle des citoyens sur elles, travail minutieux de dynamitage de la République encore et toujours. Emmanuel Valls va-t-il nous ressortir un timbre à l'effigie des Femen pour nous remonter le moral ? Celles-ci ont du plomb dans l'aile, après avoir foutu le feu au théâtre qui avait eu l'immense générosité de les héberger (un incendie accidentel... leur chef a dû laisser trainer une clope mal éteinte), puis squatté un local administratif insalubre à Clichy, menacé d'aller s'installer dans une église ou à l'Hotel de ville de Paris chez leur copine Anne Hildago (sic). Il n'y a plus que Brigitte Lahaie pour les accueillir sur RMC.
Pas plus enthousiasmante la gauche de la gauche, qui, quand elle sort de son entre-soi bien pensant appelle à voter Juncker à la présidence de la commission européenne.
Pour me changer les idées, je parcours cette nuit le papier que Babette Babich a posté sur Academia.edu à propos d'un texte de Nietzsche sur la mort d'Empédocle. Elle travaille ses marottes (comme tous les universitaires) autour de Lucien de Samosate et contre les transhumanistes. Elle note comme en passant l'importance des descentes aux Enfers en philosophie, chez Pythagore, chez Parménide etc. Et je lui donne raison ! Toutes les descentes aux Enfers comptent depuis celle d'Inanna chez les summériens. C'est un sujet à méditer sans cesse. Il n'y a pas de retour vers la lumière (d'anabase si l'on veut) sans une plongée profonde dans les ténèbres.
Le contribuable solidaire des peuples des "Etats voyous"
Le groupe BNP Paribas est condamné à une amende égale au montant de ses bénéfices annuels par la justice américaine pour avoir effectué des opérations avec des Etats sous embargo juridique étatsunien comme le Soudan ou Cuba. Cette condamnation devrait avoir pour conséquences de priver l'Etat de 2 milliards d'impôts s'il applique (comme cela est annoncé) la déductibilité du montant de l'amende des prochains bénéfices imposables de la banque. Autrement dit, les contribuables français paieront à hauteur de 2 milliards d'euros pour le choix (à mobile lucratif et non idéologique, il va sans dire) fait par ce groupe il y a quelques années de braver les interdits étatsuniens. Cas intéressant de "solidarité forcée". 2 milliards, cela fait quand même 33 euros par personnes, que, chers amis lecteurs, vous auriez pu tout aussi bien décider vous-mêmes (par exemple par le biais d'associations que vous auriez créées, vous qui êtes si créatifs) de donner à des Cubains, des Abkhazes, des Zimbabwéens, etc.
Commémoration de l'assassinat de François-Ferdinand, archiduc d'Autriche
Je désapprouve bien sûr les commémorations de l'attentat de Sarajevo de 1914 qui sont une réhabilitation de l'empire des Habsbourg et déplore la participation des autorités françaises à ce spectacle de pantomime aux côtés de l'histrion Bernard-Henry Lévy. Quiconque connaît un peu l'histoire sait que personne parmi les progressistes n'a jamais éprouvé la moindre nostalgie de l'Empire austro-hongrois à sa chute, et même un esprit progressiste mais aussi peu combattif que Stefan Zweig reconnaissait que personne en Autriche-Hongrie n'eût été enclin à déplorer le décès du très impopulaire archiduc François-Ferdinand, si la presse pangermaniste autrichienne n'avait joué sur les peurs de la population.
Je comprends la décision des Serbes de Bosnie et de Serbie de ne pas s'associer à cet exercice de diabolisation de Gravilo Princip, militant yougoslaviste, qui fut traité dans toute la Yougoslavie, y compris sous la dictature de Tito qui pourtant n'était pas serbe, comme un héros. Sans doute le principe de l'assassinat politique est-il blâmable mais tout aussi blâmable était la survie des empires cléricaux racistes et rétrogrades en Europe centrale au début du XXe siècle.
Le syndrome de Viridiana
Mon amie provençale me dit que, si le medium qu'elle m'a fait connaître en février est devenu un voyou (car il a été fort arrogant et malautrus avec elle et avec ses amies), c'est à cause de moi, car je lui aurais donné confiance en lui même en le valorisant et, de la sorte, il aurait perdu toute humilité. Il faut donc que je cesse de m'intéresser aux gens si cela les rend cyniques et égoïstes. Appelons cela le syndrome de Viridiana. Invitez les affamés à votre table et ils saccageront votre maison... Une autre version de "cria cuervos y te sacaran los ojos"...
"L'Opinion" (journal marocain) contre Pierre Piccinin
Le mensuel en ligne de Pierre Piccinin da Prata, auquel je collabore, "Le Courrier du Maghreb et du Proche Orient" va prochainement publier son numéro de juillet. Ce nouvel e-zine fonctionne plutôt bien et s'est distingué notamment auprès de l'Institut du monde arabe. Je ne suis pas d'accord avec Pierre Piccinin sur tout, loin s'en faut (voyez mon compte rendu très nuancé de son livre sur la Bataille d'Alep par exemple), mais j'apprécie son sens du pluralisme (il accepte par exemple dans ses colonnes aussi bien des points de vue pro-Hezbollah qu'anti), ainsi que son côté "homme de terrain", et son énergie "managériale".
Le site semble avoir attiré l'attention du journal gouvernemental marocain L'Opinion, qui, dans son article du 25 juin, s'en prend au "Focus" de juin que le rédacteur en chef de Courrier du Maghreb et du Proche-Orient a consacré au sort du prisonnier Ali Aarrass. Je ne connais pas le fond de l'affaire Ali Arrass, mais je suis très surpris du ton de l'article dont la moitié des lignes sont consacrées à tenter de discréditer Pierre Piccinin par des attaques ad hominem sans finesse, et l'autre moitié à dénigrer par l'insulte le contenu de l'interview. On ne peut pas dire que la tonalité de cette attaque traduise une très grande sérénité de la part de son auteur...
Sur le bien fondé des propos de la soeur d'Ali Arrass je n'ai aucune opinion (à la différence du journal du même nom), mais il me semble correspondre parfaitement à la vocation d'un site d'information sur Internet de donner la parole à la famille d'un prisonnier. Cela s'appelle la liberté de la presse. On n'a pas l'impression que le journal l'Opinion la tienne en très haute estime...
Ojo de tigre
Je retravaille le tome 2 de ce qui fut "12 ans chez les résistants" et qui va devenir un livre autonome dans quelques mois avec un titre du genre "Guerres impériales et résistance". J'ai avancé jusqu'à la guerre d'Irak de 2003. Mon point de vue ayant mûri au bout de douze ans, je dois reformuler beaucoup de choses. Le travail de précision du contexte est important aussi, d'autant qu'à mesure que l'histoire présente évolue, le passé prend des couleurs différentes, les remises en perspectives ne sont plus les mêmes...
J'ai appris hier qu'Andre Vlchek excellent chroniqueur de Counterpunch, enquêtait en Côte d'Ivoire (je ne dévoilerai pas sur quel sujet, vous le saurez bientôt en le lisant). Il avait besoin de contacts là-bas. Je n'ai guère pu l'aider. Nous ne cessons jamais de payer l'échec du réseau de l'Atlas alternatif.
En tant que sujet de la couronne d'Espagne (avec l'espoir que cette couronne devienne bientôt une République), je continue de lire l'actualité espagnole qui, malgré la crise économique, ou à cause d'elle, est un peu plus dynamique que celle de France. J'y découvre la gué-guerre entre les deux gauches - Izquierda unida et les "indignés" de Podemos, deux partis qui s'en sont très bien sortis aux dernières élections européennes -, les cris d'orfraie de El Mundo qui hurle à l'arrivée du chavisme en Castille après les victoires de Podemos et pleure sur le fait que le PSOE va devoir "gauchiser" son discours (avec un FdG à 6 % ça ne risque pas d'arriver chez nous).
Quand on est las de politique à la lecture des journaux espagnols, on peut toujours se changer les idées en essayant d'imaginer ce que fut la journée de cette actrice de X chilienne qui a tenu sa promesse, nous dit El Mundo, de faire l'amour pendant 16 heures non-stop avec ses fans si l'équipe de son pays gagnait un match du Mondial de foot... Le capitalisme pousse à faire n'importe quoi des corps. Cela me rappelle ce documentaire d'Arte diffusé il y a quelques jours sur les maladies professionnelles des sportifs poussés au delà de leurs limites physiques.
En ce qui me concerne, je ne reçois pour tout écho de la coupe du monde au Brésil que les coups de klaxon des excités dans la rue, le soir, lorsque la France gagne (même face à des micro-Etats footballistiques comme la Suisse). C'est déjà bien trop.
Ce soir je m'amuse à regarder "oeil de tigre" sur Wikipedia. Sur cinq versions (française, anglaise, espagnole, italienne, arabe) seule une (la castillane) évoque (en deux mots) la dimension religieuse de cette pierre dans l'Islam, le bouddhisme et l'hindouisme. Rien sur ses valeurs ésotériques en Occident...