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« Goliath – La marche du fascisme » de GA Borgese et la question de l’humour en résistance
Il est un peu facile peut-être de lire des ouvrages des années 30 quand tant d’événements horriblement injustes sont suscités aux quatre coins du globe par nos gouvernants (et plus encore par des lobbys puissants et déterminés qui influencent des pouvoirs faibles façon Flamby)
Mais justement les temps actuels n’étant pas réjouissants, il est bon de retrouver ceux qui, en des temps eux aussi déprimants, constituèrent leur camp retranché loin des folies de leur époque. Tel est le cas de Giuseppe Antonio Borgese.
Cela fait vingt ans que je connais l’existence de son livre Goliath – La marche du fascisme et j’ignore pourquoi je me décide seulement cette année à l’acheter et le lire.
A travers Etiemble qui l’a préfacé, je découvre un milieu d’écrivains en exil à l’université de Chicago, dont Etiemble, Borgese, la fille de Thomas Mann, tous soumis à la dictature d’un chef de département nazi et de sa secrétaire intrigante (j’aurais beaucoup à dire sur les pestes que sont la plupart des secrétaires de direction, monuments de bêtise arrogante et aigrie qui ont sans doute pourri tant d’occasions dans le fonctionnement de la société et dans l’ordre de la création). Tous ces gens là avaient leurs désaccord (pour ma part, je penche plus du côté d’Etiemble qui était presque aussi sévère à l’égard de la « ploutocratie » américaine qu’à l’égard du fascisme et reprochait à Mann son aveuglement sur ce point, il faudra que je reparle d’Etiemble un jour), mais au moins tous avaient la même lucidité à l’égard du mussolinisme, étrange calamité dont Borgese écrivit la genèse.
Avec Borgese donc on respire un air pur. L’air d’un humanisme qui aurait voulu que le patriotisme italien gardât quelque chose de l’inspiration universaliste de Mazzini plutôt que de se noyer dans l’abjection nationaliste, égoïste et impérialiste dès les années 1910. Borgese revient souvent sur une citation de Mommsen, grand spécialiste de l’antiquité, qui insistait sur le fait que la prétention des Italiens à prendre Rome comme capitale, c’est-à-dire à la soustraire au Pape, devait impliquer que ce peuple se dotât d’un projet politique ouvert à toute l’humanité (on aurait pratiquement envie de dire la même chose aujourd’hui de ceux qui prétendent faire de Jérusalem leur capitale politique).
Je repense vaguement aux impressions de Romain Rolland dans ses Mémoires qui séjourna longtemps à Rome dans les années 1870, peu de temps après l’unification italienne et la disparition des Etats pontificaux.
La peste brune européenne née en Italie, la folie du fascisme. Borgese en retrace l’origine dans cette expérience picaresque de d’Annunzio gouverneur de Fiume. Quelques mois au sortir de la grande guerre, au cours desquels tout fut inventé, tout le matériau que Mussolini et Hitler allaient utiliser : les slogans, le salut romain. C’est de l’anthropologie du fascisme que Borgese nous offre là, de l’anthropologie telle que nos universitaires l’affectionnent, mais plus pure que celle des universitaires, parce qu’elles procèdent d’un témoin direct, qui a mangé à la table de Mussolini en 1918 à la Scala de Milan, au grand dîner offert pour accueillir Wilson. Une fois de plus de profite de cette mention pour vanter les témoignages directs et plaider pour l’élimination des intermédiaires (les historiens, les sociologues).
Qu’on le veuille ou non l’histoire qu’on nous enseignait dans les années 80 dans les lycées valait vraiment quelque chose, avec ses accents marxisants et sa fidélité au républicanisme français elle avait beaucoup de clarté sur les « grands drames européens » comme l’histoire du fascisme, qu’elle ne réduisait pas à une sorte de Mal théologique comme le fait la pensée droit-de-l’hommiste actuelle. Cet enseignement à l’époque nous apprit le nom de d’Annunzio, mais omit peut-être d’en décrire la geste (au sens médiéval du terme). Les aventures individuelles comme celle-là sont toujours instructives, parce qu’elles produisent des symboles poignants, plus efficaces dans l’histoire de l’humanité que le jeu arithmétique des conflits d’intérêt et des rapports de classe. Sans ces moments étranges où un homme flanqué de dix acolytes, croient en leur bonne étoile et saisissent un drapeau, qu’ils se nomment d’Annunzio, Lénine, de Gaulle ou Castro, l’histoire des peuples demeurerait aussi plate qu’un morne cahier de comptabilité de grand trust financier.
D’Annunzio fut de ces aventuriers qui pouvaient casser en deux l’histoire d’un continent, pour le meilleur et pour le pire. Lui pour le pire assurément.
C’est bien sûr quand il parle de Mussolini que Borgese est le plus convaincant (et mérite probablement le plus le prix Nobel qu’Etiemble voulait lui décerner). Quand il dénigre ses entretiens avec Emil Ludwig, ses tentatives d’essais philosophiques, sa débilité littéraire. Il y a dans les remarques de Borgese des anecdotes qui nourrir une longue réflexion. Je pense à cette phrase de Mussolini (p. 60) « Les gens d’aujourd’hui n’ont pas le temps de penser. Il est incroyable comme l’homme moderne est disposé à croire » Zweig dans son « Monde d’hier » avait lui-même décrit l’accélération de la vie dans la première moitié du XXe siècle. Il est beau de constater que le fascisme des années 20 est le fruit de cette accélération, et moi qui me bats becs et ongles pour ralentir les rythmes de vie, j’aurais envie de dire que le fascisme médiatique et consumériste du XXIe siècle n’est pas moins l’enfant de la précipitation que le mussolinisme.
J’aime le refus de Borgese d’imputer le nihilisme de Mussolini à son enfance vécue dans la pauvreté comme le tyran lui-même fut enclin à le faire, et comme nos belles âmes contemporaines paternalistes le feraient sûrement. Aucune condition sociale ne permet en soi d’expliquer les causes de chimères personnelles. J’apprécie aussi son refus d’accorder du crédit aux commérages des biographes de bas étage et de faire de la psychologie de comptoir. Il rapporte toujours Mussolini à sa soif de pouvoir dans ce qu’elle a de grotesque au regard de la médiocrité du personnage et cela suffit à faire de l’histoire du fascisme une farce grossière
Or c’est cela qui fait la très grande force de la prose de Borgese. Ce parti pris de l’humour méprisant. Celui dont nos contemporains n’ont plus le courage. Car nous aussi devrions traiter avec le plus grand dédain, la stupidité puante de nos médias et de nos politiques – quand par exemple ils nous racontent comme le Wall street journal que la Syrie a « les plus grands stocks mondiaux » d’armes de destruction massive (et pourquoi pas aussi que Bachar el Assad mange les enfants tant qu’on y est ? Ca c’est pour la semaine prochaine !). Bien sûr c’est cela le ton juste : vous nous prenez pour des abrutis, mais les crétins c’est vous ! Il faut savoir renvoyer la violence à la violence. La violence de l’imbécilité politique dominante est toujours la même (celle du fascisme médiatique actuel équivaut à celle de Mussolini). Ne pas lui opposer la déploration indignée à la Zweig. L’humour corrosif à la Borgese vaut bien mieux. Mussolini était un pitre, porté par d’autres pitres, ne pas lui faire le cadeau de voir en lui un symptôme sérieux de quoi que ce soit. La crise dont il est le fruit était tragique, mais pas sérieuse.
D’ailleurs Borgese était aussi corrosif à l’égard du bolchévisme auquel Mussolini était censé s’opposer. Il montre que celui-ci avait échoué dès 1920 face aux armées franco-polonaises, et que donc c’est par pure imposture que le fascisme a pu se présenter comme un rempart contre lui (un peu comme le mythe du Bushisme « rempart » contre le terrorisme international de Ben Laden…).
En écrivant ces lignes, je suis d’ailleurs tenté de sauter aux conclusions extrêmes. Si le courage – et non seulement le courage, mais la seule attitude intellectuelle moralement juste à l’égard du fascisme - est dans le portrait littéraire ironique que Borgese fait du fascisme, toute analyse universitaire « rationnelle » et modeste, sociologisante (notamment marxisante) ou psychologisante n’est-elle pas entâchée du défaut inverse, celui de la lâcheté ? Dès lors ne faut-il pas soutenir avec force que notre époque vouée au culte des experts, médiateurs universitaires du réel, qu’ils soient sociologues, psychologues, politologues, cultive pour cette raison la lâcheté à tous les niveaux ? Le savoir objectivant frappé d’une insuffisance éthique… Mais alors, si nous plaçons le courage au fondement des savoirs, quelle garantie a-t-on que le savoir soit exact ? On ne peut placer se fier à l’éthique seule sans verser dans l’irrationalisme, et cependant c’est un fait que la raison objectivante sans l’éthique est faible, médiocre, visqueuse comme la pensée académique de notre époque et, pour cette raison, impuissante à contrer les fascismes contemporains. Je referme ici la parenthèse (que j’aurais d’ailleurs pu prolonger en parlant de la gauche, de Mélenchon, du socialisme néo-jacobin qu’il tenta d’inventer le temps d’une campagne, toutes choses qui se sont si vite périmées faute d’un sens réel des problèmes de notre temps, mais cette digression nous mènerait trop loin).
L'humour et l'ironie méprisante sont sans doute la seule arme éthiquement juste face à la bêtise oppressante. Cela Voltaire nous l’a enseigné. Mais cela suppose évidemment qu’on fasse preuve dans l’humour d’un talent littéraire éprouvé (ce dont Borgese disposait), et aussi, comme assiette ou point d’appui de ce talent, un système de valeur limpide, en tout supérieur au système qu’on dénigre. Remarquons ici que Borgese a l’intelligence d’adosser son combat à Platon, à Kant, bref à des philosophies de la transcendance. Je crois qu’il a raison. L’hégelianisme (comme celui de Croce) et toutes les pensées de l’immanence (y compris peut-être le nietzschéisme, sauf à trouver certaines formes de transcendances dans Nietzsche, au moins celle de l’art) s’accommodent nécessairement du fascisme (à commencer par le fascisme des émotions brutes). Certes le platonisme produit aussi des doses de violence (chez les néo-conservateurs straussiens), il est une condition nécessaire et non suffisante de la résistance éthique, mais nécessaire quand même. Hors d’une pensée de la transcendance, de la verticalité, la résistance manque de cohérence.
Peut-être le mussolinisme se prête-t-il particulièrement à l’humour méprisant, plus que l’hitlérisme, parce que, bien qu’ils soient tout aussi médiocres l’un que l’autre, la version allemande du fascisme avait quelque chose de pathologique, et à ce titre fort inquiétant, que ne parvenait pas à égaler son original italien. Mussolini reste en effet avant tout un velléitaire, cynique certes – qui pendant la première guerre mondiale n’est bon qu’à jeter une grenade sur deux pauvres soldats autrichiens désœuvrés sur une portion du front où il ne se passe rien, comme d’attaquer la Grèce en 1923 sans même lui déclarer la guerre, puis l’Ethiopie et l’Espagne sans ultimatum (pour ne pas permettre à l’adversaire de capituler ce qui briserait l’élan de la victoire comme le note délicieusement Borgese) – mais tout en restant accessible à des formes de crainte devant les forces criminelles qu’il déchaîne (voir l’entretien du Duce avec l’auteur du livre juste avant l’assassinat de Matteotti), voire de repentir.
Si la médiocrité du mussolinisme mérite la plus mordante des ironies, ce n’est pas pour le fanatisme délirant qu’elle déchaîne à la manière du nazisme, mais parce qu’elle place la violence d’un abruti au dessus de la loi et de la raison, et, en ce sens, ouvre la voie à la folie nazie, et à tant d’autres formes de démence humaine.
En ce sens la nature de la condamnation qui doit peser sur Mussolini est de même nature que celle que Victor Hugo fit planer sur la tête de Napoléon III.
y avait juste un petit reproche à adresser à Borgese, c’est peut-être de n’avoir pas tenu jusqu’au bout le parti pris de la dérision. Après avoir obstinément refusé de créditer de quelque génie que ce soit le dictateur italien, il finit, quand il décrit l’ascension de son mode de gouvernement à partir de la capitulation de l’Eglise chrétienne, par lui accorder une certaine envergure. Peut-être est-ce là un avatar ultime et subtil du syndrome de Stockholm. En tant qu’exilé, et donc que victime, peut-être Borgese pour donner sens à son infortune ne pouvait-il pas s’abstenir quand même de trouver une certaine forme de grandeur à celui qui en était responsable.
Fin de Zweig, pour tourner le page
Bon, je dis un dernier mot du "Monde d'hier" de Zweig. Je comprends que beaucoup aient été agacés par mes nombreux billets sur cet auteur qui, outre qu'il est à la mode, a le défaut d'avoir été politiquement très (trop) prudent, jusqu'à se complaire souvent dans la fuite esthétique (il se vante de n'avoir jamais voté dans son pays par exemple). Même si j'avais besoin de son point de vue pour mieux comprendre Romain Rolland, ou même si sa foi pacifiste me semble avoir eu beaucoup de valeur (en 14-18) et recélé bien du mérite, je conçois tout à fait qu'on vienne me dire qu'il ne faut pas s'y attarder trop.
Je maintiens quand même qu'il fallait en parler. Parce que les gens qui ne sont pas forcément nos sources prioritaires d'inspiration ont toujours quelque chose à nous apporter, surtout s'ils sont des esprits profonds et honnêtes (ce qu'était Zweig, malgré beaucoup de naïvetés, sur le monde anglosaxon, sur l'intelligentsia etc). Aussi parce qu'il ne faut pas laisser les grands classiques au petits apparatchiks du système médiatique actuels qui les utilisent comme autant de marteaux pour nous empêcher de penser (Zweig au service de la doxa européiste libérale creuse de notre époque).
Son livre mérite le respect, ne serait-ce que parce qu'il est écrit au dessus du chaos et au seuil de la mort, comme le De Officiis de Cicéron, un autre ouvrage que je respecte beaucoup (sauf que Cicéron lui, a pris beaucoup plus de risques que Zweig pour sauver le monde ancien et ses idéaux, au point même de se couvrir les mains de sang, ce que n'a jamais fait Zweig). Dans ces circonstances extrêmes l'humanité se surpasse souvent en sincérité et en justesse et c'est le cas chez l'auteur autrichien.
Le livre fonctionne comme un antidote à beaucoup de facilités. Par exemple la facilité des jugements à l'emporte pièce sur Freud, un des derniers apports de son témoignage, dans l'ultime chapitre, qui fonctionne un peu comme "Les derniers jours d'Emmanuel Kant" de Quincey. Je me suis souvent opposé au freudisme et à la psychanalyse sur ce blog, mais les phrases de Zweig sur Freud à Londres, même si elles comportent probablement une part de candeur, sont un antidote phase aux montages grossiers dont Onfray s'est fait le spécialiste (contre Freud, contre Sartre, contre tant d'autres) et dont malheureusement notre époque de plus en plus dépourvue de profondeur humaine est friande.
Il y aura quelque chose à garder de Zweig par delà l'écoeurement que le pharisianisme libéral nourrit à juste titre chez beaucoup d'entre nous : l'aversion pour le fanatisme, pour le culte de la violence et de la mauvaise foi dont les fascismes furent l'illustration. La pensée dominante a fait de la hantise antitotalitaire un slogan vide de sens alors qu'elle même asservissait (et continue d'asservir) massivement les individus et les peuples. Mais le témoignage de Zweig redonne une concrétude à ces fantômes que le libéralisme officiel prétend combattre.
Comme je l'ai mentionné dans un récent billet la question est de savoir maintenant comment on peut conserver quelque chose des valeurs positives de l'ancien système aristocratico-démocratique (notamment en terme de respect des libertés individuelles, de la culture etc, à travers les corps intermédiaires qui les défendent), sans verser ni dans ses dévoiements actuels ni dans toutes les formes de césarisme auxquelles sa contestation expose les esprits superficiels. Ce n'est pas un maigre enjeu...
L'URSS selon Stefan Zweig
Il y aurait beaucoup à dire encore sur "Le Monde d'Hier" de Stefan Zweig. J'ai encore cité ce livre par exemple sur le blog La Lettre volée à propos des causes immédiates de la guerre de 1914, car Zweig fait des récits très précis là dessus, et sur les occasions manquées d'avoir une paix négociée dès 1916 (qui eût épargné tant de souffrances ultérieures). Tous les souvenirs de Zweig sonnent admirablement juste. Par exemple sur les horreurs d'une société ravagée par l'inflation, comme l'Autriche en 1919 ou l'Allemagne des années 20.
Je ne pouvais que prêter une oreille attentive à son témoignage sur l'URSS, qu'il a visitée entre la mort de Lénine et l'ascension de Staline, ès qualité d'écrivain reconnu et apprécié (préfacé par Gorki). Là comme ailleurs le regard est juste, sur cette société qui mêle des archaïsmes invraisemblables (une société "rouillée" dit-il), à des éléments d'ultra-modernité ("les soviets et l'électricité") qu'elle est impatiente d'incorporer à son fonctionnement. Ses pages sont touchantes sur ce peuple jeune - que Zweig perçoit beaucoup à travers ses lectures de Dostoïevsky et de Tolstoï, mais c'est un angle d'approche pas plus mauvais qu'un autre - un peuple presque enfantin, touchant dans sa fierté d'être devenu soudain un modèle pour l'Europe, ouvert à toutes les innovations culturelles et cependant si bien converti à l'égalitarisme par la révolution qu'il ne témoigne aux écrivains que de l'amour et jamais du respect...
Je glisse ici juste une page (parce qu'il fallait n'en choisir qu'une seule), sur Léningrad. Le propos sur les jeunes filles de 12 ans qui ont Hegel et Sorel sur leur pupitre me renvoie à celui sur les jeunes allemandes qui pendant la période d'hyper inflation prennent l'habitude de boire des alcools forts mais au fond auraient préféré des menthes à l'eau (je cite de mémoire). Ce genre de détail est parfait, plus juste que de longues thèses.
Lors de son séjour Zweig hésite entre l'envie sincère de partager l'enthousiasme collectif qui l'entoure en permanence et l'inquiétude que provoque chez lui cette lettre anonyme glissée dans sa poche qui lui explique que les gens autour de lui ne sont pas libres d'exprimer ce qu'ils pensent.
Ce malaise de Zweig m'a rappelé le sentiment mêlé que j'ai éprouvé moi-même lors de mon voyage en Abkhazie via Moscou devant cette espèce de "holisme" à la fois bonenfant et oppressant des Russes qui a tantôt séduit tantôt exaspéré les peuples qui leur étaient associés (et qui les exaspèrent eux-mêmes car c'est un holisme brouillon, souvent désinvolte qui vous oblige à supporter vos camarades en toute circonstance, y compris quand ils vous grillent la priorité dans les files d'attentes et autres "incivilité" habituelle dans cet univers).Zweig a eu le bon goût de s'imposer beaucoup de réserve sur l'URSS après son retour de Moscou. Ni pro-soviétique, ni-anti. Solution de facilité diront certains, et pourtant ô combien difficile à tenir à l'époque. Solution de sagesse selon moi et qui était cohérente avec la position profonde de Zweig à la fois ouverte aux mouvements populaires et soucieuse de préserver les libertés "formelles" bourgeoises.
La question "que penser de la Russie ?" demeure pour moi d'actualité, ce pays étant resté à maints égard "post soviétique" et donc tributaire d'un héritage lourd. Hier je parlais avec un ancien contributeur de l'Atlas alternatif qui me disait à peu près ceci : "J'ai rencontré un vice ministre russe il y a peu, il m'a assuré que les Américains étaient fous et prêts à utiliser la bombe atomique". Cela m'a fait penser au bouquin de Sylvain Tesson qui raconte qu'en Sibérie il tombe sur un Russe qui lui explique que le monde est tenu par les Juifs (sic) sauf en France où ce sont le Arabes qui gouvernent (resic). Il y a beaucoup de paranoïa et de délires chez les Russes. Ca fait partie de l'héritage soviétique. Voyez par exemple ce faux discours de Mme Thatcher, cité par Anatoli Loukianov, ancien président du Soviet suprême (excusez du peu) à l'appui d'une démonstration selon laquelle l'effondrement de l'URSS serait dû seulement à un coplot occidental. Il ne faut pas trop entrer dans le mode de pensée du pouvoir russe (même si par contre je trouve que Poutine a raison dans ses dernières déclarations à propos de la démence de McCain).
L’entrée dans une "nouvelle époque"
Certains esprits progressistes qui essaient de penser le temps présent à partir de la lecture de divers théoriciens se disent que nous entrons dans une époque nouvelle, et que, si la « gauche » où les forces alternatives ne sont pas capables d’offrir des perspectives plus concrètes que « retournons au socialisme d’antan, la planification etc », c’est simplement parce que ces tendances n’ont pas été « encore » capables de penser complètement les processus en cours. Il y aurait juste un déficit théorique au fondement de notre impuissance, mais la sortir du « tunnel philosophique » et le changement de paradigme seraient pour bientôt.
Voilà une vision des choses optimiste que je ne partage guère. Parce qu’elle part du postulat selon lequel l’humanité suit une pente de progrès et qu’il suffit que les concepts s’ajustent à sa "praxis" pour que ce progrès devienne vraiment juste et placé au service de l’émancipation collective.
Pour ma part je suis assez sceptique sur la théorie. Il me semble que des théoriciens comme Locke, Montesquieu, Rousseau, Marx, chacun dans des registres différents (et en contradiction les uns avec les autres) ont produit des concepts puissants et beaucoup influencé leur époque, en convertissant des hommes politiques et des groupes sociaux qui ont tenté de traduire en acte leurs théories, mais aucun intellectuel ne saisit jamais la complexité des interactions sociales qui forment l’époque où ils vivent, et par conséquent les concepts produits n’ont qu’une valeur heuristique intéressante pour l’action, mais on ne peut jamais penser qu’ils suffiront à eux seuls à remettre les processus humains sur la voie de la justice et du Bien (pour parler comme Platon). Le rôle des idées dans le monde n’est pas nul, mais il n’est pas aussi performatif que les intellectuels le croient (et l’apparition du fascisme dans les années 20 l’a clairement montré aux marxistes, par exemple).
En outre, je ne crois pas du tout qu’il existe une « flèche temporelle » orientée vers le progrès. Il y a eu des progrès technologiques et organisationnels très importants en Occident depuis la Renaissance, et qui ont tendu à se généraliser sur toute la planète, mais des déclins sont toujours possibles, pas forcément aussi abyssaux que le craignent les esprits apocalyptiques, mais tout de même significatifs, et il n’est pas évident que des « concepts » appropriés puissent freiner ce(s) déclin(s) comme, disons, l’idée du socialisme dans ses diverses déclinaisons a pu, à partir de 1860, limiter les effets destructeurs du capitalisme.
J’ai été intéressé dans les années 1990 par l’intuition de Cornélius Castoriadis (penseur qui présente de nombreuses insuffisances par ailleurs, notamment dans sa foi freudo-marxiste), selon laquelle nos démocraties entreraient en ce moment dans un processus comparable à celui qu’a connu la démocratie athénienne après la conquête macédonienne puis romaine : une dépossession massive de la subjectivité politique, une sorte d’aliénation politique qui dura pratiquement 2000 ans.
Pour ma part, je ne pense pas que nous devions comparer l’Occident à l’Athènes de l’époque de Philippe de Macédoine. Nous sommes plutôt Rome en 50 ou 60 av. JC.
Athènes fut une tentative de démocratie radicale (avec d’ailleurs beaucoup de défauts). Nous vivons, nous, depuis plusieurs décennies, dans un système aristocratique tempéré d’éléments démocratiques comme l’était la République romaine (avec son Sénat qui devait partager une partie du pouvoir avec un tribunat de la plèbe, et une assemblée des comices expression d’une forme de « démocratie directe » quoiqu’elle-même en grande partie pervertie, comme le sont chez de nous la plupart des rouages démocratique au niveau national comme au niveau supra-national, européen par exemple).
Les processus de transformation auxquels notre système est confronté sont analogues à ceux de la Rome de 50 avant Jésus Christ sur trois points capitaux :
1) Nous avons une montée en puissance de classes nouvelles : à l’intérieur de nos frontières (des diplômés nombreux qui ne veulent pas du travail manuel, et se veulent indépendants des appareils politiques et des institutions). Leurs équivalents en 50 av JC était l’ordre équestre sousreprésenté au Sénat, et des membres de la plèbe récemment enrichis ; à l’extérieur des frontières nationales pour nous il s’agit des pays émergents, pour la Rome de 50 av JC il s’agissait des bourgeoisies vassalisées des peuples récemment conquis tout autour du bassin méditerranéen, ainsi que des auxiliaires non romains employés par les légions.
2) De très grandes inégalités économiques et sociales liées au processus de mondialisation, dont l’équivalent dans la Rome du Ier siècle av JC était l’intégration du monde méditerranéen dans le réseau d’échange romain, de l’Espagne à la Palestine, et qui engendrait alors l’apparition de grandes exploitations latifundiaires, l’apparition de grands potentats économiques capables de corrompre les chefs politiques et financer des armées privées (et donc de menacer l’intégrité de l’Etat et de la chose publique), et des phénomènes de grande pauvreté en Italie (en plus de l’augmentation de la main d’œuvre servile) créant une clientèle naturelle pour toute forme d’aventurisme politique.
3) Le règne de la violence militaire, corrélat des deux précédents phénomènes qui, dans la République romaine finissante, joua un rôle analogue à l’émergence de la culture audiovisuelle (le règne de la vidéosphère comme dirait l’autre) et de la culture Internet. La violence militaire exerce sur les esprits le même effet de paralysie que la culture moderne de la vidéosphère, parce que toutes deux fascinent les instincts primaires de l’individu et fragmentent la cohérence globale de la vision du monde qu’il peut se construire. Je ne suis pas le seul à tracer un lien entre violence physique et hypnotisation par les images. Le premier je crois fut Walter Benjamin quand il s’efforça de penser le cinéma, l’image, la propagande, en même temps que la montée de la violence entretenue par les fascistes.
Ces trois éléments exercent tendanciellement un effet dislocateur des institutions « démocratiques » (en fait artistocratico-démocratiques) anciennes et discréditent les corps intermédiaires garants de leur pérennité (la classe politique, les cadres de la fonction publique, les syndicats, mais aussi les journalistes, les artistes officiels, les écrivains etc). Ceux-ci, dans l’Occident contemporain, comme dans la Rome du Ier siècle, sont obligés de verser dans diverses formes de démagogie pour sauver le peu de légitimité qui leur reste : aujourd’hui « cool attitude », relâchement du langage, proximité artificielle avec l’électeur ou l’administré, culte du foot, de la fête, des bons sentiments, comme à l’époque romaine distributions gratuites de blés, organisation de jeux pour la plèbe, compromis sur le respect des valeurs traditionnelles.
La course démagogique est une source d’affaiblissement des institutions à l’égard du public auquel elles s’adressent, car elle montre que les classes sociales qui en sont les piliers (les magistrats, les enseignants, les syndicalistes etc, chacun dans des rôles distincts) ne croient plus en elles, mais aussi à la dissolution interne de ces institutions aux yeux mêmes de ceux qui les font fonctionner, encourageant par exemple les fonctionnaires à ne plus faire appliquer les lois, à se laisser corrompre etc.
Nous n’en sommes sans doute pas au même degré de dissolution des valeurs institutionnelles que dans la Rome de 50 avant Jésus Christ, mais nous sommes sur cette pente.
Je pourrais prendre ici l’exemple de l’art. Un lecteur me faisait remarquer il y a peu que la « posture » de l’artiste est désormais dénoncée comme une imposture. C’est un processus qui remonte au lendemain de la première mondiale (avec le dadaïsme, le jazz etc) et qui a été accéléré récemment par la transformation de l’institution artistique (avec ses académie) en « marché de l’art », avec ses mécènes, sa corruption, et où (presque) tous les coups sont permis. Dans ce dispositif tout le monde est encouragé à se sentir artiste de sa propre vie et les artistes « professionnels » en sont à cautionner ce fantasme, réduisant leur propre création à une sorte d’addendum « festif » (« fédérateur ») à ce que tout un chacun peut produire dans son coin (sur ce plan la décomposition de l’institution est beaucoup plus avancée que dans la Rome du Ier siècle av JC, où l’art, bien qu’ouvert à des importations grecques qui agaçaient les Sénateurs, et à des innovations populaires d’un goût douteux comme la pantomime restait tributaire d’une caste aristocratique qui lui maintenait une cohésion globale).
Cette décomposition des institutions aristocratico-démocratiques ouvre des boulevards, comme au Ier siècle avant Jésus-Christ à l’aventurisme de personnalités charismatiques (pour parler comme Max Weber). Au Ier siècle Pompée ou César, puis Octave (ceux qui maîtrisaient le mieux la chose militaire, en même temps d’ailleurs que les effets d’image). Aujourd’hui Chavez, Sarkozy, Marine Le Pen (avec des succès divers, et dans des registres différents, sans d’ailleurs que je porte ici le moindre jugement de valeur sur eux – je n’en ai pas besoin pour la démonstration de ce billet – ni bien sûr que je trace le moindre signe d’équivalence entre ces différents personnages, simplement chacun incarnent une forme d’aventurisme politique, de sortie partielle ou totale du vieux système aristocratico-démocratique qu’ils prétendent rénover ou transformer) ces derniers non pas en tant que chefs de guerre mais bons administrateurs de l’image médiatique (comparable comme nous l’avons dit à la violence militaire autrefois).
Les progressistes optimistes pensent qu’un effort conceptuel va vouer à l’échec l’aventurisme politique, qu’un nouveau Marx peut mettre bout à bout un nouveau paradigme (notamment avec l’écologie politique, malmenée par l’opportunisme des Verts), trouver une nouvelle formule d’émancipation des gens dans le monde globalisé tel qu’il est, dans l’état des technologies que nous avons (donc sans passéisme), et mobiliser un nouveau courant (« altermondialiste ») concret, intelligent, capable de refonder la chose publique au niveau planétaire et instaurer une nouvelle forme de justice et de liberté pour tous.
D’autres tout aussi optimistes mais moins « globalisateurs » pensent que le même résultat peut être obtenu à l’échelle des entités nationales pour peu que celles-ci chacune dans leur coin s’attachent à refonder leurs institutions et leur pacte social.
Pour ma part, comme Castoriadis, je suis plus pessimiste. Même si je ne crois que tout est fichu et ne nourris aucun fantasme millénariste de fin du monde, j’estime que le risque d’une vaste confiscation de la subjectivité politique collective, comparable à celui que Jules César, puis César-Auguste, est possible, même si elle ne revêtira pas la même forme qu’au Ier siècle avant notre ère (je veux dire que ce ne sera pas une dictature de mille cinq cents ans – si l’on va jusqu’à la fin de Byzance – sous la dictature d’un parrain).
Comme sous la République finissante, les institutions aristocratico-démocratiques engagées sur la voie apparente de la démagogie sont en réalité complètement égoïstes et dépourvue de toute imagination pour intégrer les changements de ce monde (notamment pour intégrer la montée des pays émergents). Elles utilisent les lois antiterroristes et les interventions de l’OTAN sur tous les continents, comme le Sénat menacé par les séditieux utilisait le « sénatus consultus ultimum » (c’est-à-dire les lois d’exception), mais n’ont aucun horizon humain nouveau à proposer.
L’ancien régime aristocratico-démocratique peut encore se perpétuer comme cela, entre des accès de fièvre sporadiques, ou il peut dégénérer en dictatures populistes plus ou moins éphémères (qui ensuite laisseraient la place à d’autres épisodes aristocratico-démocratiques abâtardis et vice versa), sans pour autant que le peuple ne récupère la moindre once de subjectivité politique (c’est-à-dire de pouvoir décisionnel réel, d'empowerment, et de capacité à penser collectivement son avenir). Et cette stagnation est d’autant plus probable que le pouvoir atomisateur de la vidéosphère sur les esprits (la nouvelle violence militaire fasciste) n’en est qu’à ses débuts.
Face à cette impasse, et en l’absence de l’apparition d’un nouveau Marx (et des conditions sociales d’un mouvement révolutionnaire unifié capable de porter sa parole), le meilleur rôle à envisager pour un intellectuel est celui qu’avait Caton d’Utique en 50 avant Jésus Christ : celui qui rappelle en toute rigueur les critères de la vérité et de la justice, et qui lui-même s’efforce de dire le vrai et de faire le juste. Cette tâche de l’intellectuel engagé suppose, à mes yeux, que l’intellectuel soit lui-même critique à l’égard de sa propre scholastic view, de ses propres privilèges, et ne se pose pas en donneur de leçons. Il ne peut être que témoin, témoin de ce qui lui semble possible, ou souhaitable, de ce que lui-même fait, sans illusion sur tout cela, et avec un regard critique à la fois sur les pouvoirs dominants et sur tout ceux qui proposent des « y a qu’à » et de fausses vérités « alternatives » qui ne feraient qu’orienter les gens vers des pseudo-voies émancipatrices en fait source de plus grandes confiscations de liberté. Ce rôle, selon moi, doit être éloigné de la démagogie, et donc solidaire aussi de certaines formes de conservatisme dans le style d’expression et dans le rythme de vie (il faut se tenir à l’écart de la frénésie, de l’utilitarisme, des fausses obligations morales tout comme des faux plaisirs faciles s'ils sont susceptibles de devenir addictifs, de tout ce qui affaiblit la pensée et trouble sa lente et solide affirmation).
Le détour par les "littérateurs"
Un ami lecteur me reprochait gentiment ce matin de "perdre du temps" avec des littérateurs esthétisants comme Stefan Zweig. J'ai répondu en gros qu'il y a la pensée individuelle, le style et la sensibilité qu'on travaille d'un bout à l'autre de sa vie, et que l'action politique (ou l'inaction, qui est une action dans l'autre sens) est un prolongement de ça. Or la pensée, le style, la sensibilité, doivent se nourrir de tout, y compris d'auteurs "centristes" comme Zweig, sceptiques, hyper-conservateurs, ou facho, ce qui ne veut pas dire qu'on entre dans leur propre système de pensée
Moi, les auteurs conservateurs, esthétisants etc m'aident à vivre mieux (du moins ceux d'entre eux que je trouve encore un peu lisibles) la bêtise dogmatique des dominants et le sectarisme hargneux de leurs adversaires. J'ai besoin de ne pas être trop empathique avec le destin de l'humanité, car l'empathie m'a joué de mauvais tours dans le passé. Pour Zweig c'est un peu particulier, parce qu'il se trouve que je voudrais mieux comprendre Romain Rolland, et Zweig fut son meilleur ami. Et je dois comprendre 14-18, comme l'antifascisme des années 30, par delà les stéréotypes construits par les historiens. La résistance à l'ineptie belliqueuse présente des constantes d'un siècle à l'autre, sa répression aussi. Bien sûr je sais que les gens ont aussi bien changé devant leurs écrans virtuels, mais quand même certains réflexes humains restent.
Peut-être ai-je passé trop de temps à éplucher Romain Rolland et Zweig, ou Aristippe de Cyrène. Mais perdre du temps est aussi une manière de résister à l'utilitarisme de notre époque. Et puis ce qui se "perd" sur un terrain peut être parfois "rentabilisé" sur d'autres.
Un type sur un site exalté (pour lequel je ne ferai pas de pub) range le blog de l'Atlas alternatif que je dirige dans la catégorie "Sites renfermant des informations mais crypto-sioniste, ou sioniste de gauche ce qui est équivalent, à façade pro palestinienne", au même titre qu'Europalestine et Info-Palestine. J'ai trouvé ça plutôt rigolo. Alors que d'autres classificateurs superficiels m'avaient un jour étiqueté "conspirationniste" trop "antisioniste" à leur goût. Evidemment on peut multiplier ces classements si faciles, et beaucoup le feront au gré des lubies qu'entretiennent chez eux la culture d'Internet. C'est un peu comme ranger des timbres dans un album quand on est collectionneur, et c'est aussi futile. Je trouve très drôle d'être comparé à Europalestine qui sont aux antipodes de moi sur bien des points (y compris la psychologie). Mais bon, ce n'est drôle qu'au second degré. Parce qu'au premier degré, on reste dans la logique de guerre civile "virtuelle" de bas étage...
L'écriture et la politique, les révolutionnaires velléitaires (Zweig)
Deux remarques intéressantes chez Zweig, sur le rapport entre la culture de l'écrit et les passions politiques tout d'abord :
Sur les contestataires velléitaires ensuite (et il y en a de nos jours un paquet sur Internet qui occupent beaucoup trop de pages, ce sont les même qu'en 1917) :
"Au dessus de la mêlée" de Romain Rolland et un mot sur le Mali
Plus je lis Romain Rolland plus je comprends pourquoi les grandes autorités morales de notre pays (et de notre Europe) refusent de le rééditer aors qu'il fut un demi-dieu pour notre continent dans l'entre-deux guerres. Son tort est que, bien que germanophile comme je le suis (et même meilleur connaisseur de la culture allemande), il ne mit jamais (à la différence de Zweig par exemple), le patriotisme républicain français (qui se battait pour la liberté mondiale) sur le même plan que le pangermanisme.
C'est très clair par exemple dans ses écrits de 1914-15 "Au dessus de la mêlée" (33e dedition, Librairie Paul Ollendorff) p. 32 "Mais qui a lancé sur les peuples ces fléaux (de la guerre) ? Qui, sinon leurs Etats, et d'abord (à mon sens), les trois grands coupables, les trois aigles rapaces, les trois Empires, la tortueuse politique de la maison d'Autriche, le tsarisme dévorant, et la Prusse brutale !" Plus loin dans le livre il justifiera même l'alliance franco-russe (toujours indigeste au goût des Républicains) en disant qu'il préfère l'esprit de rebellion du peuple Russe face au tsarisme, que l'unanimisme belliqueux allemand derrière le Keiser qu'il retrouve jusque chez les socialistes autrefois les plus pacifistes.
Des vérités désagréables à notre temps sans doute. Je remarque sa sensibilité à l'atteinte aux oeuvres d'art (cohérente avec sa foi dans la mission rédemptrice et pacificatrice du Beau. Il n'a pas de mot assez durs pour condamner la barbarie avec laquelle l'armée allemande s'en est prit à Louvain, berceau de la culture belge, et à la cathédrale de Reims (dans le silence complice de toute l'intelligentsia germanique ni n'a pas eu un mot pour condamner ces crimes). Il s'agissait d'une première dans l'histoire du XXe siècle qui allait en compter beaucoup. Ce geste inaugural fut l'oeuvre de la monarchie prussienne, et Rolland demandait un tribunal international de pays neutres pour juger ce forfait.
Cette atteinte à l'art me fait penser au Mali, et aux attaques contre les mausolées et les mosquées dans le nord du pays. Les Occidentaux toujours aussi écervelés et méprisants se demandent s'ils ne doivent pas jouer les gendarmes dans cette contrée comme ils ont voulu le faire partout. Cette fois au nom de la défense de l'art (entre autres), comme jadis avec les Bouddhas d'Afghanistan. Selon moi, vu le très faible degré d'anticipation dont la soi-disant "communauté internationale" a fait preuve quant aux effets secondaires de son intervention en Libye, les pires dangers seraient à redouter quant à son éventuel rôle au Mali. Et puis, nos bombardiers ne sont pas de très bons conservateurs de musées. N'est-il pas vrai que le 29 avril 2011, ils ont détruit à Tripoli (Libye) le Centre du Livre Vert, la plus grande bibliothèque du pays, un ancien palais turc classé au patrimoine mondial de l'UNESCO ? Les casques bleus occidentaux n'ont-ils pas montré un enthousiasme des plus modérés à défendre les monastères orthodoxes médiévaux au Kosovo en 1999, et les Etats-Unis n'ont-ils pas construit une piste aérienne sur l'ancienne voie sacrée de Babylone en Irak ? Pas sûr que nos soldats et ceux de nos alliés feraient quelque chose d'utile pour les monuments maliens... Le souci de la protection du patrimoine est louable, mais tout comme Rolland demandait que seules les nations neutres puissent en être les juges, je nierai aux pompiers pyromanes de l'OTAN, protagonistes directs ou indirects des destructions, le droit de se poser en gardiens des chefs d'oeuvres artistiques de ce monde.
Vote favorable à la Géorgie à l'ONU
L'assemblée générale des Nations Unies a voté aujourd'hui malgré les protestations de Moscou une résolution favorable à la Géorgie sur le droit au retour des réfugiés géorgiens en Abkhazie et en Ossétie du Sud.
Ont voté contre l'Arménie, Cuba, la République populaire démocratique de Corée, la République démocratique du peuple lao, le Myanmar (pas encore complètement aligné sur l'Occident), Nauru (qui a reconnu l'Abkhazie et l'Ossétie du Sud), le Nicaragua (idem), la Fédération de Russie, la Serbie (alors que le Monténégro ardent candidat à l'entrée dans l'OTAN a voté "pour"), le Sri Lanka, le Soudan, la Syrie (qui comptait encore récemment beaucoup d'Abkhazes sur son sol), le Venezuela (qui s'en est expliqué à la tribune), le Viet Nam, et le Zimbabwe (éternel adversaire des ingérences, comme Cuba, et la Corée du Nord).
La Biélorussie (dont on a cru pendant un temps qu'elle reconnaîtrait l'Abkhazie) a clairement pris ses distances avec Moscou en ne prenant pas part au vote (et en le justifiant à la tribune). La Turquie a choisi l'abstention, de même que l'Algerie, l'Angola, l'Argentine, le Bahrein, le Bangladesh, la Barbade, le Bénin, le Bhoutan, la Bolivie (pas solidaire du reste de l'ALBA cette fois-ci, tout comme l'Equateur), la Bosnie-Herzegovine, le Botswana, le Brésil, Brunei Darussalam, le Burkina Faso, le Cameroun, la Centrafrique, le Chili, la Chine, la Colombie, le Congo, le Costa Rica, la Côte d’Ivoire, Chyre, la République Dominicaine, l'Equateur, l'Egypte, El Salvador, l'Erythrée, l'Ethiopie, Fidji, le Guatemala, la Guinée, le Guyana, Haiti, le Honduras, l'Inde (avec la Chine ça fait quand même de gros pays abstentionnistes), l'Indonésie, Israël (qui s'en est expliqué à la tribune malgré sa grande sympathie pour le régime géorgien), la Jamaique, la Jordanie, le Kazakhstan, le Kyrgyzstan, le Liban (qui n'a pas voté comme la Syrie), le Libye, Madagascar, la Malaisie, le Mali, le Mexique, la Mongolie, le Maroc, le Mozambique, la Namibie, le Népal, le Nigéria, Oman, le Pakistan, le Panama, la Papouasie Nouvelle Guinée, le Paraguay, le Pérou, les Philippines, le Qatar, la République de Corée, Samoa, l'Arabie saoudite, Singapour, les Iles Salomon, l'Afrique du Sud, le Surinam, la Suisse (où se tiennent les négociations que cette résolution pourrait gêner), le Tadjikistan, la Thailande, l'ancienne République yougoslave de Macédoine, le Timor oriental, Trinidad and Tobago, la Tunisie, l'Ouganda, les Emirats arabes unis, la République unie de Tanzanie, l'Uruguay, et la Zambie. Des pays comme l'Irak, l'Iran, le Sénégal, la Grèce, le Kenya, le Congo, l'Ukraine, le Koweit et l'Afghanistan ont fait comme la Biélorussie.