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Expressions béarnaises
Vous vous souvenez de "Ce que parler veut dire" de Bourdieu ? La langue. La langue concrète. Quand j'ai lu mon premier dictionnaire français-béarnais en 1990 j'y ai trouvé des tas de mots que ma famille ne connaissait pas. C'était de l'artificiel comme en produisent à tour de bras les milieux lettrés (surtout les milieux hors-sols comme les occitanistes qui parlent une langue essentiellement pratiquée dans les écoles et oubliée dans la vie réelle). Même quand ils ressortent des mots connus, les auteurs de dictionnaires ne savent pas forcément quelle signification ils avaient, dans quelle intention on les employait, et qui n'est pas la même d'une langue à l'autre, ni même d'un milieu à l'autre (voire d'une famille à l'autre).
Comme je sais que personne ne prendra la peine de le faire, jai envie de signaler ici quelques termes que j'ai beaucoup entendus dans la bouche de ma mère dans les années 1970 et qui étaient une survivance de mots qu'elle avait entendus dans la bouche de ses propres parents autour de 1945-50, parents qui eux faisaient des conversations entières en béarnais, alors que me mère n'en prononçait plus que des bouts de phrases en forme de clins d'oeil ou de signes de reconnaissance familiale. N'ayant pas appris l'orthographe occitane "rénovée" en vogue dans les milieux savants. Je restitue les mots dans une orthographe française approximative. Je pense que cela fait aussi partie de mon devoir de témoin de mon époque, s'agissant de réalités que les autres témoins (dans les milieux populaires) n'ont jamais été enclins à juger digne d'être transposée dans l'espace de l'écriture.
Voici la liste de mots :
Lamo : lame. Employé pour quelqu'un de bavard "qu'a bouno lamo"
Hèro : Foire. Terme extrèmement vague que j'ai beaucoup entendu dans l'expression "quino hèro aquo !" On pourrait être tenté de la traduire par "quel bazar" voire "quel bordel". Mais la notion me semble plus vaste que bazar. "Quino hèro" peut désigner aussi un pétrain, quand des gens se sont fourés dans une situation inextriquable, un imbroglio, un ensemble de problèmes liés à une série de fautes, et une position globalement coupable au vu des normes sociales.
Menin : petit enfant (comme les Ménines de Velazquez). Utilisé dans l'expression affectueuse : "Hé lou petit menin". Le petit enfant à sa maman. Sans aucune connotation ironique.
Hum : fumée - qu'ey partit a hum - il est parti à toute vitesse - cf "A hum des caillaou"
Praubin : pauvret. S'utilise dans l'expression : "praubin des petit" qu'utilisait déjà la mère de ma mère. "Pauvre petit" est utilisé sans que cela signifie qu'on plaint l'enfant.
Mus : museau, har lou mus, faire la tête
Camat : qui a des jambes. S'emploie pour dire qu'une fille a de jolies jambes : "Qu'ey pla camadola gouyato". Phrase un peu passe-partout qu'employaient les hommes pour montrer qu'ils avaient remarqué qu'une fille était belle.
Mascouyonatquanteybis (Tumascouillonnéquandjetaivu). Expression toute faite pour désigner quelqu'un qu'on ne connait pas : "Quin s'apero ? - Mascouyonatquanteybis" Comment il s'appelle ? - Mascouyonatquanteybis . Variante : Quin s'apero ? Capdestero" (comment s'appelle-t-il ? Premièrebûcheduntasdebois, en béarnais ça rime). L'équivalent se trouvait un peu dans l'armée française dans les années 1990 quand pour désigner un quidam on l'appelait "Machproduguidon" (promule toute faite que sortaient tous les soldats comme un automatisme). idem : Trucoli Labatmalo
Cabèco : chouette. Mot qu'on utilisait pour désigner une vieille dame usée, aigrie, pas sympathique, une vieille sorcière : uo bieillo cabeco.
Guito : canne. Se dit d'une dame ou d'une fille à qui l'on en veut, qu'on déteste. "Aquero guito". Le mot est moins insultant et haineux que "salope" (ou "connasse") en français et pourtant de nos jours dans ce genre de situation c'est le mot qui vient le plus à la bouche des gens, preuve que nous sommes dans une société où les sentiments sont plus violents que dans les provinces éloignées des années 50 (voir Renaud Camus là dessus)
Purnacho : punaise. Dans le même sens que Guito, mais avec la connotation d'une femme un peu libérée, qui s'affirme beaucoup (qui par exemple a une grosse voix et ne s'en laisse pas compter), et qu'on déteste à cause de ça.
Piguèto : chipie. Mais peut-être le mot est-il moins bien délimité que chipie en français.
Esparbè : maladroit. Mais dans les milieux populaires ça évoque surtout le fait d'être maladroit avec ses mains, ce qui inspire beaucoup d'exaspération et peut-être parfois un brin d'indulgence.
Coun : con. D'un usage aussi répandu qu'en français. "Quin coun aqueth" Quel con celui là. "Gran Coun de la Cana" (ça je n'ai jamais su ce que ça peut dire). Mais je ne sais pas pourquoi j'ai toujours trouvé "coun" moins froidement haineux que "con", ce pourquoi d'abord il fallait le combiner avec d'autres insultes pour lui donner du poids : "aqueth hilh de puto de gran coun", "aqueth hilh de puto de macareu de gran coun"...
Tarabastè : turbulent. Se dit d'un enfant qui fait le fou et casse tout. Mais c'est beaucoup moins recherché que turbulent..
Ni ha ni cho : rien du tout (dans l'expression : n'a pas dit ni ha ni cho)
Pèlo : pèle. Classique dans "qué hè un hret que pèlo" - il fait très froid ("un froid qui pèle"). En français les jeunes de mon collège en Béarn disaient "ça pèle".
Guit : canard. Spécialité du coin. Employé par exemple dans "Hé l'has hicat la camiso de mindia guit ?" (tu as mis ta chemise du dimanche - mot à mot "ta chemise pour manger du canard")
Arregoulic : frileux. Mais comme le mot est plus long qu'en français, ça lui donne plus de volume et d'importance. Etre arregoulic devient ainsi presque une faute morale.
Mico : restes. Entre dans l'expression "plouro mico" : pleurnichard (mais c'est moins laid que le suffixe en "ard" donc le mot est plus doux).
Lénièro : remise à bois. "A la lanièro tout aquo !" : "A la remise à bois tout ça". Expression toute faite poru dire qu'on va se débarrasser d'une série de vieilles choses qu'on a en trop (dans une armoire, sur la table).
Bugado : Lessive, lavage du linge. Se dit aussi du fait de boire de l'eau quand on a trop bu d'alcool "que cau ha la bugado adaro" (il faut faire la lessive, boire de l'eau maintenant)
Pelut : Pubis velu. S'utilise bizarrement entre hommes pour qualifier un bon vin "quey dou pelut aqueth".
Hart : repus (ou ivre). "Qué souy hart" j'en ai assez (ou encore "quen ey hartero" : j'en ai marre). Avec le proverbe "aou harts la hartèro" (à ceux qui sont repus va la nourriture) équivalent de "l'argent va à l'argent".
Chichangue : dans maigre comme une chichange, esmagrat.
Lè : laid - qué canto lè : il chante mal. Lou lè sapou : l'affreux jojo (mot à mot : le crapaux laid)
"Toupi de habos é tistet de desos !" (pot de fèves et panier de petits pois) - pour évoquer quelque chose dont on se vante mais qui n'existe pas
"arrir tistet douman qué hérar beth" - ris panier demain il fera beau (dicton)
"qu'ey claro l'estello" "l'étoile est claire" quand on voit les étoiles la nuit et qu'il fait beau
"et hougna !' quand on doit pousser et bousculer (bully around en anglais)
Abisot : attention ! par exemple "abisot de cadé" ("attention tu vas tomber") quand quelqu'un trébuche.
Estadit : fatigué. "Qu'èro tout estadit"
Bourouys : dans "Qué plau a bourouys" (il pleut à verse) ou "né's harto pas de plabé" - ça n'arrête pas de pleuvoir"
Camaligos : des histoires des petits merdes, des petits problèmes - cercar camaligos, cherchez des histoires. "Camaligos toustem" : toujours des histoires ! "Camaligos, ven !"
Douçament : doucement "Paousoli douçament !" (pose le doucement) apostrophe ironique à quelqu'un qui travaille sans énergie
Prega (prier) : Paga etprega (payer et prier) se dit quand on doit demander trop longtemps quelque chose "oh hé paga e prega"
lagagne : chassie - donne le nom "lagagnous"
rai : ça ne compte pas "la toussidèro rai" - ça m'est égal de tousser
estarrocar - tuer
"Ben qué t'en prey" (bah, je t'en prie) expression de lassitude devant quelque chose qui ne tient pas debout
Saoumo : anesse - en has poupat leit de saumo (tu en as têté du lait d'ânesse - signifie : tu es un idiot)
Per diu : par Dieu ! (juron) expression étonnante : "a la gim quoi per diu" ("n'importe comment" - "qu'ei heit a la gim quoi perdiu - c'est fait n'importe comment"
Pèc, pégot, pégoto. Idiots du village." Aqueth qu'ey drin pèc".
hestahagnar : bourrer - qu'esthanho aqueth roustit. Il bourre ce rôti
pus : cuite ou derrière - aqueth qu'a la pus (celui-là est saoul), la pus de Clèro (le derrière de Claire - expression consacrée)
attenté : attends ! (attenté drin - attend un peu)
é push qué mey ! : et puis quoi plus!
cabeilhat - monté (une salade par exemple) - "lous caoulets qué soun touts cabeilhats (les chous sont montés)
sanctous ("saint saint saint" cantique), se balancer sur sa chaise comme quand on dit "sanctus sanctus" à l'église, se dit des vieux
hà tetets : passer la tête à la fenetre (pour regarder les gens)
desbesar : vomir - qu ey bou ta ha desbesar lous caas (c'est bons à faire vomir un chien)
bestiesos : bêtises - bestiesos ben -bah des bêtises
qué t'en prey - je t'en prie (ex : ben que t'en prey que cau escouta tout - en traduction non mittérale mais juste on dirait bah, ne m'en parle pas, il vaut mieux laisser dire)
abisoth' : attention (abisot' dé cadé : fait attention à ne pas tomber - on dit souvent cela quand on a trébuché ou quand on est déjà tombé, ironiquement)
Matapipos : Machpro Duguidon (comme Mascouyonat cuan t'ey bis). Qui s'apèro, Matapipos de Laseubo ? (ou Matapipos Dus)
Estello : étoile : qu'ey claro l'estello - on voit bien des étoiles (signe de beau temps)
pécole : peau du c* qui se décolle
"blous" : sans rien d'autre - "drin de pan tout blous". Pan qu'ey tousttem pan
deicha : laisser - deicho ha tu (laisse faire)
mourgagna : marmoner : qué mourganos ? (se dit aussi d'un mal, qui taraude un membre)
esbrigaillèros : débris (par exemple des miettes de pain) - en has deishat esbrigaillèros asiu
biroulets : tournants - "tan qué biro ha lou tour" "tant que tu tournes fais le tour" disait mon grand père dans les tournants
esbrigalhièros : débris
poupous : lolos (vient de poupar sucer)
heit : fait - plà heit - bien fait pour toi
gai : joie - frotti lou cuu dap ai quem'héras gai
sapou : crapeau - ouh lou lè sapou ! : affreux jojo !
Toco : touche - dio de sainto toco. Jour de paie (en français du 19e siècle aussi on disait Sainte Touche, voir souvenirs d'un parisien de Coppée p. 19)
Estadit : fatigué - que souy tout estadit houey
Baco - vache - tout comprendre de travers : coumprener baco per boueu (comprendre vache au lieu de boeuf)
cueilhà : chercher - qué souy anat cueilhà lou paa (je suis allé chercher du pain). Beth a cueilho (va te faire cuire un oeuf)
abizo't : fais attention (abizo't de cadé - fais attention à ne pas tomber)
Des syndromes du comportement : pétèro, caguèro, tousidèro, esternudèro, desgulèro, grattèro - qué t'ey uo pétère houey cooucarè dé pla
Des sentiments : lou tristè, lou curiousè, un état : lou bieilhè
A bourouys (à verse, des trombes d'eau) : que plau a bourouys houey
repepià : gâtifier
la pus : le popotin (lècitelapus, la pus de Clèro)
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En appendice des expressions françaises datées
Et vlan passe moi l'éponge https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/i05062381/jacques-martin-et-vlan-passe-moi-l-eponge
Démagogie philosophique
Des nouvelles de ma nièce hier. Au bac de philo elle a pris un sujet sur le désir. Comme je lui avais passé l'abécédaire de Deleuze elle en a fait un certain usage dans sa dissertation, elle était contente. "De mon temps", en 88, le désir n'était pas un sujet important en philo. N'ayant guère été traité que par Platon, Spinoza, Freud et Deleuze, qui seuls lui conférèrent un statut métaphysique (y compris Freud) on le traitait aux marges.
Mais hier j'entendais une prof de philo de lycée sur Radio france international : "La philo c'est très important parce que les jeunes découvrent que Socrate s'était déjà posé les questions que se posent les jeunes sur le désir, pourquoi le travail etc"... La phrase déjà m'écoeurait, car elle alignait la philo sur les attentes des "djeuns" : tu te demandes pourquoi tu bandes, la philo va t'en parler ! Bah oui, la philo, c'est un truc à ton service, comme les institutions, c'est un truc qui se met au niveau de tes petites questions quotidiennes. Démagogie ! Je regrette déjà le temps où on entrait en classe de philo un peu inquiets, un peu prêts à faire de la résistance, mais quand même réceptifs parce que ça aillait causer de trucs pas habituels dans nos conversations. Et on commençait d'entrée de jeu avec la question reine :"Pourquoi quelque chose plutôt que rien ?" voire "Pourquoi l'être ?" et "Qu'est-ce que l'être ?" qui quand même avait plus de souffle que "qu'est-ce que mon désir veut dire ?".
Mais le pire du pire fut la chute de cette brave professorette de philo : "Se dire que Socrate s'est déjà posé les mêmes questions que nous, c'est une source d'émotions rares". La dictature de l'émotion, comme devant le journal TV de 20 H ou la page d'accueil de Yahoo. Mais oui ! La philo c'est fait pour vos petites émotions ! La jolie petite émotion de découvrir que vos interrogations sur votre vie quotidiennement "'achement importantes" parce que Socrate avait les mêmes ! Mais oui ! La philo ce n'est pas fait pour structurer votre esprit ni vous ouvrir à une autre dimension de la pensée que celle du quotidien. Nan nan nan ! C'est fait pour ajouter un petit vernis "sympa" à votre quotidien qui, déjà, est un truc sublime, plein d'émotions "géniales" et qu'il ne faut surtout pas dépasser, juste enjoliver. Vous allez me dire que Raphaël Enthoven nous avait déjà habitués à cela sur Arte (tiens il invite la castastrophique Marzano dimanche), mais là ça ne touche pas que ses quelques milliers de spectateurs. Des centaines de milliers de lycéens sont otages de cette imposture institutionnelle !
Souvenirs télévisuels...
André Gide sur les mérites de l'Islam en Afrique
"Au contact de l'Islam ce peuple [dans la région de Fort-Archambault] s'exalte et se spiritualise. La religion chrétienne, dont ils ne prennent trop souvent que la peur de l'enfer et la superstition, en fait trop souvent des pleutres et des sournois." (André Gide, Voyage au Congo Folio p. 223)
Notons que l'expression un peu généralisante de Gide qui aujourd'hui passerait pour raciste est à remettre dans la contexte des analyses du Voyage au Congo qui n'essentialisent pas les défauts des peuples que l'écrivain croise : il les attribue surtout à la surexploitation coloniale qui en fait comme il dit de "tristes troupeaux humains sans bergers". La christianisation participe à ses yeux à l'avilissement de l'Afrique là où l'islamisation la "tirait vers le haut", pour ainsi dire.
L'Occident ne désarme pas
Le leitmotiv de l'émission C dans l'Air du 14 juin 2012 où intervenaient Christophe Barbier, Frédéric Pons, Gérard Chaliand et Jean-Dominique Merchet: "L'Occident désarme, le reste du monde s'arme". Ce thème était accompagné de l'idée que nous serions devenus des sortes de chérubins pacifistes pour qui la mort de soldats serait devenue insupportable.
D'une part le budget militaire étatsunien (qui est notre "parapluie" auquel nous déléguons notre défense) a régulièrement augmenté depuis cinq ans.
D'autre part les appels à la guerre incessants de nos médias, en particulier à l'égard de la Syrie, montrent bien que nos sociétés sont demandeuses d'interventions militaires.
Il faut souligner qu'en revanche les investissements du Tiers-Monde ou de ays émergeants procèdent d'effets de rattrapage, voire s'inscrivent en réaction à l'interventionnisme occidental. Ces dépenses ne présentent pas le même degré de dangerosité que celles des Occidentaux. Les investissements occidentaux sont ciblés sur de la haute technologie sur le volet des armes nucléaires, chimiques, bactériologiques, et des armes destinées à neutraliser le potentiel des adversaires (boucliers anti-missiles, drones, armes de sabotage informatique etc), qui sont beaucoup plus efficaces que le simple entretien d'une présence armée défensive sur un territoire vaste qui absorbe une bonne part du budget militaire de pays comme la Chine ou l'Inde.
Enfin il faut noter que l'interventionnisme militaire occidental direc et indirect implique le recours massif à des supplétifs (les milices libyennes payées par le qatar, l'armée afghane face aux Talibans, les milices tutsies dans l'Est du Congo etc) qui permettent d'occuper le territoire en économisant les ressources humaines de sa propre armée, sans oublier bien sûr toutes les formes de mercenariat officiel ou officieux comme Blackwater en Irak (ce qui pose ensuite la question de la dépendance des gouvernements occidentaux à l'égard de ces "clients" auxquels ils sont ensuite redevables).
Voilà qui invalide totalement le schéma simpliste et angélique d'un soi-disant "désarmement occidental" que nous vendent les marchands d'armes pour tenter d'enrayer le déclin des budgets militaires.
Le vrai problème est justement que la course aux armements généralisée se poursuit bien qu'en Occident il ne se reflète pas dans les masses budgétaires. Une telle compétition fait émerger des pôles nucléaires (l'Occident, la Russie, la Chine, l'Inde, et peut-être deux ou trois autres dans les années qui viennent dont peut-être le Brésil ou l'Iran si elle échappe à un bombardement occidental) qui ont intérêt en permanence à destabiliser les autres (par la désinformation, le sabotage, l'infiltration d'alliés, et l'entretien de guerres secondaires dans les sources d'approvisionnement en matières premières (Afrique, Proche-Orient). Ces pôles pourront de moins en moins tolérer en leur sein la pluralité du débat démocratique sur la légitimité de leur existence, quiconque nourrissant ce genre de débat étant susceptible d'être accusé de travailler pour les pôles rivaux. La France peut-elle se soustraire au pôle occidental et faire entendre sa propre voix (avec son propre système d'autodéfense, ce qui suppose aussi ses alliances propres) ? Personnellement j'en doute, d'autant que cela pourrait la conduire à construire son propre pôle qui n'aurait alors pas nécessairement vocation à être plus juste et plus "démocratique" que les autres avec lesquels il serait de nouveau en compétition...
Remarques économiques d'Edgar et prolongement géopolitique
Je signale ici un intéressant article d'économie d'un des rares membres de la blogosphère qui parle parfois de mes travaux.
Je me garderai de commenter l'aspect économique de ce billet n'étant pas spécialiste. Sur le volet politique, le billet lance un appel à la préservation des espaces de discussion démocratiques, mais je doute que cet appel puisse avoir des effets. La mondialisation aurait pu être démocratique si le désarmement militaire avait eu lieu (comme c'était prévu dans la dynamique de discussion Est-Ouest sous Gorbatchev). Mais dans les années 1990 les USA n'ont cessé de s'armer et de s'inventer des ennemis-alibis, ce qui a provoqué les guerres (car l'armement doit servir comme l'a dit Mme Albright) ainsi que le réarmement des concurrents (russes, chinois, iraniens etc). Aujourd'hui l'heure est à la constitution de grand pôles militaires (occidental, russe, chinois etc) qui cohabitent dans un équilibre de la terreur (course à la conquête de l'espace, à la piraterie informatique etc) façon guerre froide, tempéré par l'échange commercial (un équilibre qui inclut le développement de guerres aux périphéries pourvoyeuses de matières premières - Proche Orient et Afrique en particulier). Dans ce dispositif, les pôles rivaux ne peuvent tolérer de débat démocratique que sur les sujets non vitaux, c'est-à-dire autres que les sujets qui sont les causes même de leur constitution et de leur surarmement. Ils peuvent débattre de "plus ou moins de social" "plus ou moins d'environnementalisme", mais pas sur la raison d'être de leur existence ni de leur rivalité avec les autres. C'est pourquoi même si l'Union européenne éclatait, elle serait remplacée par un autre système de hard ou soft power qui maintiendrait ses composantes sous le joug de l'idéologie occidentale et de ses principaux présupposés.
Les aléas de l'histoire
Dans les rangs des militants tout le monde s'en donne à coeur joie : contre l'insuffisante radicalité de Mélenchon l' "européiste socialtraître" (moi qui le lisais attentivement je l'avais pourtant trouvé sur bien des points plus radical que le PCF même si, c'est vrai, il avait des côtés mitterrandiens), contre la timidité de Syrisa en Grèce etc.
Tous ces gens là sont toujours prompts à refaire l'histoire avec des "si". Moi je ne sais pas du tout si dans une société aussi droitisée et souvent aussi paumée que la nôtre la stratégie de la radicalité est plus payante que celle du compromis. Je vois juste que Méluche a frôlé le nirvana après la manif de Bastille quand sa campagne "prenait" et tenait en respect même les journalistes les plus cyniques. Puis la descente aux enfers a commencé avec le discours du Prado où il s'est a commencé à se banaliser. J'ai l'impression que l'appareil du PCF prompt à négocier avec le PS (ce que je ne critique pas, car j'ignore quelle est la bonne stratégie en ce moment) l'a beaucoup poussé sur cette voie. Je continue de penser que Méluche avait un potentiel de radicalisation supérieur à ce qu'on croit, surtout s'il avait été en situation de bras de fer avec Merkel. Mais encore une fois il est aléatoire de refaire l'histoire (la "what if history" comme on dit).
Peut-être rebondira-t-il à nouveau l'an prochain si la crise européenne s'intensifie. Peut-être pas. Il est toujours dangereux de parier sur les crises car elles amènent souvent plus de souffrances que de résurrections, mais les esprits maladivement hostiles au cours réel des choses créditent toujours a priori les crises d'un potentiel d'évolution conforme à leurs attentes, sur la base du principe "rien ne peut être pire que le statu quo" et d'une bonne dose d'égocentrisme... L'humain a du mal à imaginer l'ampleur des difficultés qui peuvent se présenter. Quelque chose dans sa psyché l'immunise contre cela.
A part ça la campagne électorale d'Hénin-Beaumont a montré que le Front national usait de méthodes peu recommandables pour attaquer ses adversaires : les faux tracts. Je ne me fierais pas à un parti qui a recours à de tels expédients. Cela dit Mélenchon commettait une erreur grossière (mais qui participait de sa banalisation) en allant défier Mme Le Pen dans sa circonscription laissant entendre que l'antifascisme était l'alpha de ses propositions politiques... Ce n'est pas ce que les gens attendaient, il fallait prendre les problèmes des gens plus en amont, s'attaquer aux causes pas aux conséquences, je l'ai déjà dit sur ce blog.
Aujourd'hui il y a quelque chose de triste dans le fait que n'importe quel petit arriviste socialiste arrive devant des grands élus locaux communistes comme Braouzec et Brard dans le 93. Difficile de savoir si cette mouvance à terme s'en remettra. Peut-être des coups de pouces des socialistes (comme l'abaissement du seuil pour créer un groupe, ou 100 sièges à la proportionnelle promis par Hollande) les aideront-ils. Ce ne serait guère glorieux.
En tout cas, la page des législatives d'une certaine façon est déjà tournée. L'heure est maintenant à la contemplation de ce que nos amis socialistes, après cinq ans d'opposition en demi-teinte, vont proposer pour faire face à la crise européenne. Vu la panne d'imagination qui a toujours caractérisé ce parti, il y a fort à craindre qu'ils n'inventeront rien, sauf quelques expédients, quelques entourloupes pour faire passer l'acceptation des injustices (dont un terrible mattracage fiscal des classes moyennes pour sauver l'apparence d'un presque équilibre budgétaire). Les économistes nous disent que l'austérité ne mènera à rien, mais qu'il n'y aura aucun levier pour relancer l'économie, sauf à ce que nous devenions tous d'ardents fédéralistes européens. Mais chacun sait que cela n'arrivera pas. Alors seront nous dans cinq ans tous hors de la zone euros, avec des dettes à la valeur nominale démultipliée et des monnaies affaiblies vouées à la dévaluation compétitive entre elles ? L'époque est inquiétante, c'est le moins qu'on puisse dire.
Les Hibères caucasiens et le souvenir de Jason
Plutôt que de vous perdre dans les méandres de la fiche Wikipédia sur l'histoire de l'Ibérie (que Pierre Grimal en 1990 orthographiait Hibérie) dans la Caucase, voici un extrait des Annales (livre VI, chapitre XXXIV) qui en dit long sur l'importance du souvenir de Jason et de l'épopée de la Toison d'Or dans l'image que les Hibères avaient d'eux-mêmes en 35 après JC.
"Enfin les Parthes, peu faits à souffrir l'outrage, entourent leur roi et lui demandent le combat. Toute leur force consistait en cavalerie. Pour Pharasmanès, il avait aussi des gens de pied. (2) Car les Ibériens et les Albaniens, habitant un pays de montagnes, supportent mieux une vie dure et des travaux pénibles. Ils se disent issus de ces Thessaliens qui suivirent Jason, lorsque après avoir enlevé Médée et en avoir eu des enfants il revint, à la mort d'Éétès, occuper son palais désert et donner un maître à Colchos. Le nom de ce héros se retrouve partout dans le pays, et l'oracle de Phrixus y est révéré. On n'oserait y sacrifier un bélier, animal sur lequel ils croient que Phrixus passa la mer, ou dont peut-être l'image décorait son vaisseau. (3) Les deux armées rangées en bataille, le Parthe vante à ses guerriers l'éclat des Arsacides, et demande ce que peuvent, contre une nation maîtresse de l'Orient, l'Ibérien sans gloire et ses vils mercenaires. Pharasmanès rappelle aux siens qu'ils n'ont jamais subi le joug des Parthes; que, plus leur entreprise est grande, plus elle offre de gloire au vainqueur, de honte et de péril au lâche qui fuirait. Et il leur montre, de son côté, des bataillons hérissés de fer, du côté de l'ennemi, des Mèdes chamarrés d'or; ici des soldats, là une proie à saisir. "