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Henriette
Dans les Mémoires de Casanova, une femme occupe une place importante : la française qu'il surnomme "Henriette", qui a 31 ans lorsqu'il la rencontre. C'est une femme en fuite en Italie qui vit seule (partiellement accompagnée d'unmilitaie hongrois mais pendant quelques semaines seulement) déguisée en officier, au péril de sa vie, pour échapper à son beau père qui veut la mettre au couvent.
Casanova lui prête des répliques très belles dans les dialogues qu'il relate. Et voici en quels termes il décrit son intelligence :
Au début du XXe siècle l'érudit Charles Samaran (dans Jacques Casanova Vénitien, Calmann-Lévy, 1914) a avancé une hypothèse pour l'identité d'Henriette, confirmée cinquante ans plus tard par J. Rives Childs (Casanova, Pauvert, 1962). Il s'agirait de Jeanne-Marie d'Albert de Saint Hippolyte (1718-1795), nièce du seigneur de Luynes, dont le château de trouve à quelques kilomètres d'Aix-en-Provence et qui quitta son mari trois ans après l'année de leur mariage (1744).Casanova n'a jamais livré son identité dans ses Mémoires, mais tout le monde souscrit aujourd'hui à la thèse de Samaran.
Je m'étonne que les gender studies qui aiment à chercher de héroïnes de la cause féministe dans l'histoire ancienne n'aient jamais mis en valeur Mme d'Albert de Saint Hyppolyte (comme je me suis indigné il y a peu de la place trop modeste de la reine Marguerite de Navarre dans le panthéon contemporain). Peut-être est-on retenu par le fait que cette dame n'est connue que par le témoignage de son amant et n'a pas laissé d'écrits, ou parce qu'elle ne chercha pas à se valoriser en accomplissant des prouesses à connotations masculines (j'ai déjà souligné à propos des goûts vestimentaire d'Alexandra Kollontaï la tendance des auteur féministes à négliger les aspects trop "codés féminins" de leur propre histoire des femmes).
Pourtant le brio de cette "Henriette" (y compris son brio intellectuel) tel qu'il transparaît dans le récit de ses faits et gestes du côté de Césène la place très au dessus de n'importe quel ministre (homme ou femme) de notre gouvernement et de celui qui l'a précédé (pour ne relever que cet exemple) et c'est une grande injustice qu'elle ne bénéficie même pas d'une fiche sur Wikipédia, alors que Rachida Dati et Sarah Palin en ont une très fournie. J'espère au moins que du côté d'Aix-en-Provence (une fort jolie ville où j'ai adoré m'égarer en 1996), où elle avait grandi, quelqu'un a songé à lui dédier au moins le nom d'une rue...
Héraclitéisme radical
Avant hier, un journaliste de France Culture s'émerveillait du fait que sur Internet, à l'occasion du décès de Donna Summer, on pouvait désormais consulter de longs articles de Wikipedia et surtout des tas du clips d'élle sur Youtube dans autant de versions qu'on veut, et y ajouter hommages et commentaires. Il se demandait toutefois si tout cela ne nourrissait pas une nostalgie artificielle. On peut aller plus loin et se demander si cela ne revient pas à fragmenter le temps.
Pour ma part à mesure que je vieillis, je deviens non seulement un nominaliste (refusant de subsumer le singulier sous l'universel), mais encore un héraclitéen radical : non content de penser qu'on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve, j'en viens en considérer qu'il n'y a aucune persistance ni du fleuve ni même de celui qui se baigne. La seule Donna Summer qu'il y eût fut pour moi celle de 1983 et aucune autre, et même plus précisément le visage qu'elle eut dans un clip au début du clip, et nul autre, de même que je n'eus de village natal que celui que parcourait mon grand père durant sa retraite au moment où il le parcourait et nul autre, etc.
Mais il est vraisemblable que ce soit Internet qui me rende ainsi. Pendant 15 ans j'ai vécu sans avoir aucun accès aux images de mon passé, à part quelques photos dans un album, et les écrits de mon journal. J'ai sauté au plafond vers 2005 quand un site commença à proposer des clips vidéos que je n'avais pas revus depuis 1986. Ce site fut bientôt balayé quand apparut You Tube et surtout, quand les majors du disque cessèrent d'y censurer les clips que les gens y postaient.
Aujourd'hui avec toutes ces images (que je n'ose pas appeler virtuelles, instruit de ce que le mot a trop de sens différents pour être utile) du Net chacun peut se reconstituer le monde qu'il veut à l'année qu'il veut, tel l'aïeul de Louis de Funès sorti d'une glaciation dans la comédie populaire Hibernatus... Il y a quand même de très gros dangers à cela. Des dangers dont seuls nous sauvent les mots qui, à la différence des images, sont toujours mobiles et n'enferment pas.
Les mots justement je devrais les employer plus pour parler des cultures populaires peut-être. Tenez, pour évoquer à nouveau Donna Summer par exemple. Songez qu'elle fut finalement la seule victime célèbre du 11 septembre 2001 (si j'excepte Saddam Hussein qui fut aussi le condamné collatéral de la chute des Tours jumelles, mais d'une autre manière). Une victime avec onze ans de retard - dont, on peut s'en douter, quelques longs mois de calvaire.
Oussama Ben Laden l'admirateur de Whitney Houston aura eu la peau de Donna Summer. Il y a quelque amère ironie dans cette histoire. Une ironie qui me peinerait si Donna Summer n'était pas morte à mes yeux... fin 1983.
Le patriotisme du temps de Casanova
Je ne sais pas pourquoi, mais j'avais gardé du XVIIIe siècle le souvenir d'une époque où les patries comptaient peu et où toutes les aristocraties d'Europe parlaient français, le "réveil des nations" datant à mes yeux du romantisme puis de 1848. La lecture de Casanova me révèle une réalité plus complexe. Quand Voltaire veut faire plaisir à deux Anglais qu'il reçoit en leur disant (probablement en toute sincérité compte tenu de ce qu'on sait du personnage) qu'il aimerait avoir le privilège d'être du même pays qu'eux, Casanova juge le compliment maladroit parce qu'il oblige ces deux invités à dire en retour qu'ils aimeraient être Français, et le libertin juge que nul ne doit être obligé de faire passer la patrie d'un autre avant la sienne.
Un peu plus loin on découvre un Voltaire heureux d'avoir appris l'italien et même prêt à tenter d'en apprécier les divers dialectes (ce qui prouve que le français n'est pas si hégémonique), tandis que Casanova s'indigne que sa langue maternelle se charge de plus en plus de gallicisme chez certains auteurs, ce qu'il trouve aussi laid que si le français absorbait des italianismes, et Voltaire l'approuve sur ce point en critiquant les "padavanités" de Tite-Live (qui était de Padoue) et tout ce qui gâche la pureté des langues (aucun éloge des mélanges ici). Dans un autre chapitre on rencontre un officier hongrois qui, en Italie, ne parle qu'allemand, hongrois et latin (pas le français) et qui est flanqué d'une française qui ne parle que sa propre langue (et même pas le latin) de sorte que les deux ne se comprennent que par la langue des gestes, et un peu partout dans les récits du mémorialiste, tout un chacun est fier de son pays, des moeurs et de la langue qu'il porte, de sorte que l'Europe, malgré les apparentements des familles princières, n'apparaît pas spécialement plus unifiée sur le plan culturel qu'au siècle suivant.
Encore un mot à ce propos. Je dois à l'orientaliste néo-conservateur Bernard Lewis de m'avoir fait prendre conscience du fait que le morcellement linguistique de l'Europe est une singularité de notre continent, singularité qui se révèle dans le fait qu'elle paraissait parfaitement incongrue (et symptômatique d'une barbarie) aux intellectuels arabes depuis le Moyen-Age. Le monde musulman en effet pratiquait partout l'arabe, plus, par la suite, le persan et le turc comme grandes langues de culture, les dialectes n'étant réservés qu'au petit peuple. La classe dominante arabe puis turque a compris que le latin jouait en Europe un rôle analogue à l'arabe, mais ne comprenait pas que les gouvernements (de même que les commerçants) des différentes nations européennes parlent des langues de leur pays et ne puissent dialoguer entre eux sans le truchement d'interprètes. J'ignore si ce morcellement fut ensuite un facteur d'ouverture culturelle plus grande après la Renaissance au moment où le monde musulman, pour sa part, encerclé par le nord (les voies terrestres) et par le sud (les voies maritimes) se repliait sur lui-même.
Les Mémoires de Casanova
Mes bons amis, je me suis lancé dans la lecture des Mémoires de Casanova aujourd'hui. Je ne sais pas trop pourquoi. La cause occasionnelle fut un article de Books. La cause profonde peut-être un besoin de retrouver une époque de haute culture éloignée de la nôtre, ou le besoin de me mettre quelque chose de l'Italie dans l'oeil après mon voyage en Sicile, quelque chose de plus élevé que la Sicile.
Je ne suis pas déçu. Je trouve dans les morceaux choisis (car je n'ai pas le temps de lire la version intégrale) les traces d'un temps où les gens étaient capables tout à la fois de plus d'émotions et de plus d'intelligence que de nos jours. L'émotion me surprend. Quand je lis le chapitre sur Mme Foscarini (Mme F) à Corfou je découvre un homme qui somatise beaucoup son amour (la fièvre le gagne aisément, il fait des malaises, garde la chambre pendant des jours, vomit), fétichise à outrance - jusqu'à faire faire par un commerçant juif des dragées aux cheveux de la femme qu'il aime et qu'il absorbe en se disant qu'ainsi il mange des morceaux d'elle... tout cela pour une jeune femme de 17 ans, qui ferait cela aujourd'hui ?). Ces émotions ne sont pas seulement celles d'un homme, mais celles d'une société. Quand il lit des vers de l'Arioste chez Voltaire, de chaudes larmes viennent à ses yeux, et toute l'assistance pleure avec lui.
De l'intelligence aussi, justement chez Voltaire, cet homme qu'avec Nietzsche (à 19 ans) j'ai appris à aimer - auparavant je lui préférais Diderot - et dont le Candide il y a peu (oeuvre pourtant mineure chez lui) m'a émerveillé. Là tout un chacun doit non seulement maîtriser son Horace et son Tite-Live, mais être capable d'apprendre en une nuit des dizaines de vers (ce qu'un Voltaire qui a plus de soixante ans alors peut faire sans problème, et il le prouve). La mémoire y est beaucoup plus sollicitée que de nos jours, la curiosité aussi. On s'enquiert de tout, on demande à son hôte ce qu'il pense d'un poête, mais aussi de son préfacier, et ce que tel autre écrivain pense d'un auteur tiers. On est à l'affût de tout. Cela me frappe encore plus que le petit jeu des bons mots et des piques dont le film Ridicule s'est fait le reflet en son temps. J'aime quand un grand esprit narre ses entrevues avec un de ses pairs, je suis friand de ces témoignages là, et le récit des dialogues entre Casanova et Voltaire ne déçoit nullement de ce point de vue. Mais quel contraste avec notre époque. Je me souviendrai toujours d'une soirée avec RD (publiciste connu) en 2000 où l'on commença pas se demander si l'on disait "aréopage" ou "aéropage" et se passa à ne parler que des "unes" des journaux et des petits soucis d'Anne Sinclair. Toute la décadence de notre époque se trouve dans le contraste entre ce salon-là et celui de Voltaire.
Il y a un moment très intéressant pour moi où Casanova reproche (en citant Horace) à Voltaire de ne pas écrire "contentus paucis lectoribus" (satisfait avec quelques lecteurs). Voltaire lui répond qu'il veut éradiquer la superstition pour libérer les peuples de la tyrannie ce qui suppose d'écrire pour le grand nombre. Casanova réplique alors que le peuple a besoin de superstition, que la monarchie (ou l'aristocratie vénitienne, bien qu'elle l'eût jeté en prison un peu plus tôt) a du bon. Le propos est juste en ceci qu'il montre que l'auteur qui a des ambitions politiques doit nécessairement séduire les masses. Mais dans ce débat là, je penche désormais pour Casanova, alors que j'eusse soutenu Voltaire douze ans plus tôt.
Autre petit plaisir que me provoque cette lecture : j'y découvre que Mme Foscarini donne à son soupirant pour le soigner de ses nausées de l'eau des Carmes qui lui fait un effet très bénéfique. Cette eau des Carmes (que ma mère curieusement nommait toujours eau "de" Carmes fut la panacée de mon enfance). J'étais loin de penser que je l'avais en commun avec l'aventurier vénitien...
A la lecture du livre, et au vu de l'immense culture et intelligence de l'auteur, on peut se demander pourquoi il n'écrivit pas plus. Mais il dit lui même avoir préféré voyager en prenant des notes. C'était une époque où l'on voyageait beaucoup (comme les écrivains arabes du XIe siècle), et trouvait une raison de vivre dans cette découverte d'autrui que permettaient les déplacements. Les incidents étranges dans les chambres d'auberges, et les dîners aux tables des magistrats et des barons étaient autant d'occasions non seulement de découvrir le monde, mais de s'engager dans des jeux d'amour ou d'intellect (parfois des deux) avec ses contemporains, des jeux qui en valaient la chandelle. Il est bien évident que tel n'est plus le cas aujourd'hui où le voyage ne nous met plus en contact qu'avec la vacuité et la misère de notre époque. Il ne faut point le regretter, juste en tirer les conclusions qui s'imposent : on voyage plus en lisant les aventures d'un promeneur du XVIIIe siècle qu'en prenant un avion. Et il ne faut pas avoir peur d'aller vers ces époques lointaines. Les livres de notre siècle sont d'une telle pauvreté ! Aucun des dix derniers que j'aie lus n'égale en intelligence le dixième d'un chapitre de Casanova.
Analyses partielles, prédictions désinvoltes
Deux traits caractérisent notre espèce de nos jours : elle est partielle et partiale dans l'analyse des faits, et présomptueuse dans son appréhension des conséquences des options qu'elle prône.
Prenons la guerre de Libye l'an dernier par exemple. Beaucoup de gens parmi ceux qui s'y opposaient étaient partiaux sur l'analyse des défauts et mérites de la dictature de Kadhafi, avec une forte tendance à surévaluer les mérites de celle-ci. Mais même parmi les plus prudents, les moins enclins à soutenir les dictateurs, beaucoup restaient encore très partiels dans l'analyse des pertes civiles occasionnées par les bombardements de l'OTAN. La plupart voulaient croire absolument que ces bombardements faisaient beaucoup de dégâts collatéraux (comme ils en firent dans d'autres guerres) et se croyaient supérieurement intelligent de mépriser les démentis apportés par le autorités miltaires de l'Alliance. Aujourd'hui même les aspects les plus critiques du rapport de l'ONU établi sur le sujet montrent qu'en effet les frappes ont été très chirurgicales. Alors on peut bien sûr mettre en doute l'ONU qui est loin d'être impartiale dans bien des cas, et dire, comme à propos de la Serbie, que le regime change a de toute façon rendu les enquêtes impossibles. Mais en vérité il n'y a pas beaucoup d'arguments au jour d'aujourd'hui pour discréditer le rapport de l'ONU, et il n'est pas du tout impossible, au fond, qu'il y ait eu effectivement un "effet d'apprentissage" chez les militaires occidentaux et chez les politiques, qui fait qu'enfin ceux-ci ont compris que les pertes collatérales desservaient les objectifs politiques fixés, de sorte que les victimes civiles ne devraient peut-être plus du tout être, dans les milieux antiguerre, un argument pertinent de l'analyse politique des relations intenationales.
Il en va de même sur le volet de l'appréhension des conséquences, ou autrement dit des prédictions. Tout le monde se montre d'une incroyable présomption et légèreté lorsqu'il avance des conséquences des solutions prônées. C'est particulièrement le cas des anti-européistes. Beaucoup depuis des années sont certains que l'argument du retour des guerres est une invention des fédéralistes, et que la xénophobie est un sous-produit dudit fédéralisme, non le résultat possible d'un retour aux souverainetés nationales. C'est vraiment faire preuve de prétention que d'affirmer qu'un effondrement de l'Union européenne n'entraînerait pas un retour des guerres. Dans mon "Programme pour une gauche décomplexée" je prônais à la fois la sortie de l'UE et l'augmentation des dépenses d'armement. Car je me garderai bien de faire le moindre pronostic sur l'esprit pacifique de nos Etats lorqu'ilse se trouveront de nouveau en compétition les uns avec le autres.
Cela me fait penser à la Grèce et à la Turquie. J'entendais hier Mme Voynet (sénatrice écologiste) expliquer à la télévision que la Grèce pour rétablir ses comptes devrait amputer ses dépenses militaires. C'est bien mal connaître ce pays et la nature du contentieux qui l'oppose à son voisin oriental dont les navires de guerre patrouillent au large de ses côtes. Les écologistes sont d'une naïveté désarmante dans tous les sens du terme.
L'âge venant j'en viens à éprouver beaucoup de compréhension pour les esprits conservateurs qui veulent ne rien changer de peur que les choses aillent de mal en pis. Qui n'a pu prévoir que la foudre frapperait l'avion du président nouvellement élu le jour même de son intronisation, doit nécessairement se garder de tout pronostic sur les conséquences prévisibles des solutions qui prône. C'est la grande leçon de Montaigne. On finit ainsi volontiers dans la peau d'un vieux lord anglais relisant les écrits de Hume. Mais bon je dis tout cela après avoir beaucoup milité, beaucoup écrit pour proposer des solutions nouvelles. J'estime qu'on a le droit de finir par le scepticisme. Mais il faut se garder de trop commencer par cette prudence.
Bilan d'étape
Je suis dans un état d'esprit assez médidatif et expectatif. L'élection présidentielle a amené le pays dans une configuration politique assez nouvelle au milieu de problèmes qui eux ne sont pas nouveaux, et qui sont graves.
La nouvelle configuration, c'est l'affaiblissement de la droite, la montée de l'extrême-droite. Une opposition souverainiste atomisée, et un Front de gauche au milieu du gué qui a sorti la gauche de la gauche de la marginalité sans réussir à en faire une alternative politique dans l'immédiat.
Les jours qui ont suivi l'élection n'ont pas apporté de très bonnes nouvelles. Le nouveau gouvernement me paraît assez faible. Très resserré autour du clan socialiste, il est déjà voué à des dissensions. Le premier secrétaire du Parti socialiste frustré de n'avoir pas obtenu le poste de premier ministre paraît vouloir engager l'épreuve de force avec le président de la République sur le contrôle des députés au Parlement. Au sein du gouvernement les postes importants sont attribués aux sociaux-libéraux, mais un ministère plus social de "redressement économique" est confié à M. Montebourg qui, s'il suit son naturel, sera amené à s'opposer ouvertement au ministre social-libéral de l'économie M. Sapin. Par ailleurs M. Hollande n'a fait preuve d'aucun esprit de confrontation avec Mme Merkel, et l'on s'oriente vers un addendum assez peu prometteur au Mécanisme européen de stabilité qui annoncera un peu de relance par l'offre.
Le Front de Gauche confirme son déclin. Les négociations directes entre le PC et le PS pendant quelques jours ont mis en doute sa cohésion. Le choix de M. Mélenchon d'aller affronter directement Mme Le Pen aux législatives peut raisonnablement laisser dubitatif. La manière dont il interpelle le premier ministre dans une lettre ouverte sous l'intitulé "monsieur le premier ministre, cher camarade" montre qu'il n'a pas coupé le cordon ombilical avec le PS, et tout laisse à penser qu'entre l'option Chavez et celle de Mitterrand, son tropisme personnel le porte toujours plus vers la seconde, malgré ses déclarations audacieuses d'il y a quelques mois. Tout cela n'est pas de bon augure.
Les problèmes restent les mêmes. La crise de l'euro que l'éventuelle sortie de la Grèce du dispositif (merci Mme Merkel de chercher à convaincre le peuple grec par référendum à clarifier sur cette question les ambigüités de Syriza) et les spéculations contre l'Espagne et l'Italie risquent de raviver. Les menaces de guerre contre l'Iran (avec cette étonnante mission de M. Rocard dont on ne sait toujours pas si elle prépare ou non une éventuelle démarcation de M. Hollande).
Je suis pour ma part dans une certaine expectative sceptique. Je me suis démarqué des petits groupes anti-impérialistes avec lesquels je n'ai pratiquement plus de contact et dont l'amateurisme théorique aussi bien que pratique avait fini par m'exapérer. Je nourris beaucoup moins le blog de l'Atlas alternatif qu'auparavant et il est vrai que l'actualité me donne moins de raisons de le faire, comme si nous traversions au niveau mondial une sorte de calme avant la tempête. J'ai attiré le mois dernier l'attention des lecteurs sur les intérêts pétroliers du Qatar au Sahel, mais, pour le reste, je ne vois pas trop de sujets intéressants en ce moment. Peut-être l'union politique entre le Bahrein et l'Arabie saoudite faite au mépris de la population de cet émirat. Mes orientations professionnelles à la rentrée devraient logiquement m'éloigner du travail pour ce blog et donc, d'une certaine façon, parachever mon déinvestissement progressif de l'information alternative. De même la réticence des éditeurs comme Le Cygne à publier mes manuscrits encourage ma tendance à réorienter mes travaux.
Cesser de faire de l'information alternative ne signifie pas arrêter d'en lire et de réfléchir dessus pour ma culture personnelle (ce dont je laisserai quelques traces sur ce blog). Il n'est d'ailleurs pas impossible que je sois amené, dans le cadre de mes nombreuses activités en dehors de la politique, à collaborer avec des acteurs sociaux chinois à la rentrée. Mes connaissances en relations internationales seront surtout utilisées dans cette perspective. Pour le reste j'entends faire preuve de beaucoup de prudence dans mes actes et mes jugements.
Le décès de Donna Summer
Lo que nunca ha tenido sentido, y nunca lo tendra
Il y avait ce soir sur Arte une soirée Pedro Almodovar. Je tourne toujours en rond quand je parle de l'Espagne sur ce blog. En fait c'est un sujet dont je ne veux pas parler, mais que je ne peux pas éviter. Un sujet dont je crois toujours pouvoir m'affranchir, mais qui me rattrappe toujours, souvent par l'intermédiaire de tiers.
Il m'est retombé dessus quand j'avais 20 ans, par le biais de mes petits camarades de Sciences Po hispanophiles. Aujourd'hui il me poursuit à travers mes cousins. Je crois toujours qu'il n'a plus rien à me donner, et je reçois de lui. C'est étrange. Je reçois mais je n'en fais rien. Du Béarn j'ai fait un roman, de l'Espagne rien. Mais c'est là.
Pays compliqué. Très hermétique à mes yeux. Un pays qui a fait peur, pendant des siècles à l'Europe. Car il était le fer de lance de son obscurantisme, de ses ténèbres. Et cependant c'est le pays du "mas vale honra sin barcos que barcos sin honra" face aux Etats-Unis. Ce pays qu'Orwell aimait tant qu'il était persuadé que, même sous une dictature, brune ou rouge, il garderait une décence, une retenue dans les persécutions, que l'URSS et l'Allemagne n'avaient plus (Orwell écrit cela dans l'Hommage à la Catalogne quand un sbire du gouvernement républicain après la liquidation des anarchistes vient fouiller sa chambre).
Souvenir de ces pilotes espagnols aux ordres de l'OTAN qui ont refusé de bombarder Belgrade en 1999 et l'ont fait savoir au monde entier. Que sont-ils devenus. L'époque où l'employé du consulat de Yougoslavie (RFY) à Paris tenait à me parler en castillan...
J'ai souvent pensé à Cioran qui plaçait un signe d'égalité entre Russie et Espagne du point de vue de leur fonction en Europe et de leur mysticisme. Le néo-conservateur Bernard Lewis trace la même égalité et l'explique à sa façon : deux pays soumis à une longue occupation musulmane, puis qui ont eu leur reconquista, et qui finalement ont colonisé d'autres musulmans. Je ne sais pas. Je connais moins la Russie que l'Espagne, et je connais au fond fort peu l'Espagne, malgré mes attaches familiales là-bas et les longs mois que j'y ai passé. Pour moi la Russie est un pays de fous. Et l'Espagne un point d'interrogation. Je ne sais pas. Je ne comprends pas.
Devrais-je faire quelque chose de ce pays ? Quoi ? Aller avec un cousin dans ce village sans habitant près de celui où est né mon père ? Y aller avec un photographe pour des prises de vue... un peu spéciales ? J'ai des idées oui. Des idées. Pas les mêmes qu'à 20 ans, pas avec la même fraîcheur d'esprit, cela va de soi. Mais quand même... Ils ont foutu des éoliennes sur les plateaux de Don Quichote mais ils n'ont pas complètement toutes les idées qui peuvent germer dessus.
Est-ce qu'il y a encore des fontaines le long de la Castellana ? J'ai vu que les Indignés ont été sévèrement réprimés il y a quelques jours à la Puerta del Sol. Espagne de l'austérité. Les gens se désapent en public pour protester. Hé quoi ? Peut-on dire que Merkel écrase en ce moment le dernier héritage de la Movida, comme elle s'oppose à ce qu'il reste de la résistance communiste grecque au nazisme ? (je pense à ce vieux, Manolis Glezos, qui a dérobé le drapeau à la Svastika sur l'Acropole, qui est une des figures de proue de Syriza).
Mais quoi, tant qu'il y aura Pénélope. Vous souvenez-vous de Sertorius ? "Rome n'est plus dans Rome". L'étrange général romain, un "populaire" anti-aristocrate, qui avait domestiqué une biche si j'en crois Plutarque. Touchante image. C'est en Espagne qu'il cherchait son "autre Rome" et l'eût peut-être construite si ce pauvre idiot de Pompée (ce pauvre pantin devrais-je dire) ne l'en avait délogé. Mais assez parlé ! Nous ne règlerons pas le compte de l'Espagne ce soir.
Ici, pour finir, deux films associés au temps où je bossais à l'ambassade de France à Madrid, calle Salustiano Olozaga. Ah, Madrid, ce mirage au milieu du désert, cette cité purement étatique, "villa y corte", pur produit des diktats des rois, avec ses grands avenues américaines, ses bars à sangria et à drogues en tout genre. La ville la moins authentique que je connaisse, et, pour cette raison, celle à l'égard de laquelle je tends à être le plus indulgent.