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Alexandra Kollontaï dans la presse française
Mes amis, je ne le dirai jamais assez : il ne faut pas se fier aux historiens, à tous ces universitaires qui lisent les archives "pour nous", et nous les livrent à travers leurs préjugés et leurs biais personnels. Allons "aux choses mêmes" pour parler comme Husserl. Bravons la mauvaise humeur des bibliothécaires et les horaires d'ouvertures impossibles qu'ils nous imposent et allons chercher les documents d'origine ! Je vous ai parlé récemment de cette bibliothèque des années 70 mentionnée dans un livre sur Alexandra Kollontaï. Hé bien elle existe toujours bien qu'elle ait déménagé, et le dossier de presse d'il y a 40 ans sur cette communiste russe, théoricienne de la liberté sexuelle, première femme ambassadrice y est toujours, avec les coupures de la presse sur sa carrière diplomatique.
Alors amusons nous un peu. Examinons ces archives dans le détail (car bien sûr c'est là que se trouve le diable, et nous savons que les universitaires ont souvent une manière bien à eux de les glisser sous le tapis - ce qui est particulièrement vrai pour Mme Kollontaï puisque ne s'y intéressent que les féministes de gauche).
Lisons.
Tout d'abord quelques informations sur sa jeunesse. On les trouve dans un article de pleine page du 29 janvier 1938, lorsque Henri de Val et Roger Vaillant dans Paris-Soir Dimanche se demande si Kollontaï ne va pas être nommée en Chine.
Les auteurs effectuent une retour très romanesque sur la jeunesse de Kollontaï. Ils racontent que pour éviter qu'elle ne se fourvoie trop longtemps avec l'extrême gauche, son père, le général Tomantovitch l'avait mariée à un colonel (Kollontaï). Mais celui-ci ne put la dompter. "On parla beaucoup, ces années-là, à Pétersbourg, écrivent-ils, d'une jeune femme très belle et très élégante qui surgissait à l'improviste dans les réunions clandestine. Sa parole passionnée enflammait les ouvriers (...) Quand la police surgissait, elle disparaissait toujours à temps pour ne pas être prise. On fouillait en vain tous les garnis de la capitale pour trouver son repaire. La police ne pensait évidemment pas à aller perquisitionner chez le colonel Kollontaï, cet officier d'un loyalisme à toute épreuve. Aussitôt arrivée chez elle, l'oeil encore enfiévré par les discours qu'elle venait de prononcer, encore haletante des dangers qu'elle venait de courir, Alexandra se plongeait dans un bain parfumé puis elle dévorait un roman français ou anglais (elle parlait couramment les deux langues et quelques autres) ou accompagnait son mari au Palais Impérial ou au Théâtre Michel"". Ca a un côté "Bain de la femme du monde", film coquin des années 1900 que Godard glisse dans "Les carabiniers".
Dans la presse on trouve aussi mention de sa participation à la grève des ménagères en France en 1911 où elle aurait été arrêtée (cela ressort d'un document sans titre non daté mais semble-t-il écrit en 1926 car il signale la prochaine affectation de Kollontaï au Mexique signé par Andrée Viollier, journaliste mi-admirative mi-sceptique qui se demande si la liberté accordée aux femmes aux USA et en URSS leur apporte du bonheur).
Dans l'Illustration du 20 septembre 1924 un certain "S. de C.", sous une photo du carrosse de l'ambassadrice à Christiania (Oslo), annonce que Mme Kollontaï qui avait été envoyée par Moscou en 1922 comme chargée d'affaire auprès du palais royal norvégien vient d'être promue au grade d'ambassadrice, première femme au monde à porter ce titre. S. de C. rappelle que jusque là il n'y avait eu que deux diplomates femmes dans le monde : Mme Kollontaï et Mlle Stanciof, fille de l'ancien ambassadeur de Bulgarie, nommée secrétaire de légation. On peut se demander si tout cela est vrai puisque six mois plus tard le Petit Journal (Jean Lecocq) du 25 février 1925 précise que Mme Rorzika Chwirmer fut nommée en 1918 "au lendemain de la déchécance des Habsbourg" ambassadrice de Hongrie à Berne mais qu'elle en fut rappelé à cause de ses "dépenses chez les couturiers et chez les modistes" (sic).
S. de C.insiste sur le fait que la nomination de Kollontaï est moins due à la fibre féministe du ministre des affaires étrangères soviétique Tchitcherine qu'à la volonté des dirigeants de se "décapiter" la tendance de gauche dite "opposition ouvrière", puisque son autre dirigeant Valérien Ossinsky (qui n'intéresse Wikipedia qu'en russe et en allemand) est nommé ambassadeur à Stockholm. L'Illustration s'amuse beaucoup de voir Ossinsky "en habit et cravate blanche".
S. de C. explique que Mme Kollontaï a déjà obtenu la reconnaissance du Kremlin par la Cour royale, réglé le conflit territorial de l'archipel de Spitzberg et "reçu la garantie de l'Etat norvégien pour l'achat à crédit du hareng de bergen et de Trondhjem, très apprécié au pays des Soviets"... sans oublier de donner des "conférences sur l'amour libre devant la jeunesse universitaire norvégienne".
L'article insiste sur la nostalgie de Kollontaï pour ses origines aristocratiques (un sujet que Judith Stora-Sandor dans sa présentation des écrits de Kollontaï il y a quarante ans glissait un peu rapidement sous le tapis en disant que la théoricienne s'en était toujours défendue). L'Illustration parle d'un premier meeting au printemps 1917 après la chute de tsar, où Kollontaï prit la parole "sur la dunette d'un cuirassé, dans une toilette mauve tendre si impressionnante que les matelots, n'osant traiter de "camarade" une prolétaire aussi bien huppée, l'acclamèrent aux cris de "vive madame" " (sic). Dans beaucoup d'articles on parle de ses tenues en fourrure commandées rue de la Paix à Paris.
L'Illustration signale un bel immeuble acheté par l'URSS pour sa légation à Oslo, et une faucille et un marteau en rubis et diamants épinglés à la robe de la dame lors des soirées (le détail semble quand même trop pittoresque pour relever de la légende.
(Notez qu'un livre de 1937 partiellement en libre accès sur le Net, "L'ambassadrice" (ed Fernand Sorlot) d'une certaine Nathalie de Raguse résume purement et simplement l'article de l'Illustration, y compris l'histoire des harengs de Bergen, pour son chapitre sur Kollontaï... pourquoi faire compliqué quand on peut faire simple ? Sauf qu'elle parle des manteaux en chinchilla de Kollontai et pas de sa robe mauve. La seule plus-value du chapitre de de Raguse est son passage sur la fanfare royale qui refuse de jouer l'Internationale, ce qui me rappelle la lettre de Clemenceau sur le frère du tsar obligé d'entendre la Marseillaise).
Pendant les années 20, la presse française évoque assez souvent les initiatives de Kollontai comme commissaire du peuple à l'assistance sociale, puis comme ambassadrice.
En 1926 le Petit journal annonce un risque de rappel de de Mme Kollontaï à Moscou du fait de ses dépenses vestimentaires excessives "On lui reproche d'avoir fait venir de Paris cinquante robes par an" (Le Petit Journal du 22.2.26). Elle menace alors de quitter la carrière diplomatique. L'Intransigeant du même jour dit simplement que le gouvernement d'URSS a décidé de réduire de 35 % son budget du fait de l'achat de ses 50 robes par an ce qui l'a poussée à démissionner. L'Esktrabladet de Copenhague de mai 1926 à l'occasion d'un de ses passages au Danemark fait aussi état d'un rapport Boukharine sur des purges qu'elle aurait imposées au PC norvégien scindant le PC en deux et provoquant la pagaille. Le 10 septembre 1926 Le Quotidien annonce sa nomination au Mexique,qu'un autre article sans titre qualifie de "terre promise des révolutions". L'année précédente (3 février 1925), ce journal avait aussi rendu compte de ses positions sur la loi sur le mariage en URSS. Quand donc en 1926 Andrée Viollier (cf plus haut) l'interviewe à Moscou avant sont départ pour Mexico, alors qu'elle s'attendait à entendre dans sa bouche une apologie choquante de l'amour physique comme dans son roman de 1922 "Abeilles diligentes", elle la trouve assagie. "L'âge et l'expérience l'ont-ils fait évoluer ? Elle ne nie plus l'importance de la famille" note-t-elle.
29 janvier 1938, Henri de Val et Roger Vaillant dans Paris-Soir Dimanche reviennent sur ses années passées en Norvège, et soulignent que "Le roi Hakon se plaisait à bavarder avec elle. On vanta son charme, sa culture, son tact, ses manières irréprochables, sa correction politique.
Ils ont des mots amusants sur son nouveau mari le "grand blond" barbu Dybenko, matelot avec qui elle ne fut que quelque temps à Oslo avant qu'il ne fût nommé officier artilleur dans l'Oural.
Selon de Val et Vaillant, lors de l'adoption de 2ème plan quinquennal en 1932, elle se serait exclamée : "On peut rester bonne communiste tout en s'habillant avec élégance et en employant du rouge et de la poudre." Aussi la première usine de produits de beauté construite en URSS s'appela-t-elle l'usine Kollontaï...
La revue Française (Colette Muret) du 30 novembre 1938 explique que Kollontaï au nom de l'URSS a fait inscrire la question de "l'égalité des droits de la femme" à l'ordre du jour de l'assemblée de la Société des Nations (SDN), mais que le sujet fut renvoyé en commission et que la bataille sera rude.
Je trouve que ces sources des années 20 et 30 sont d'un apport précieux par rapport aux écrits plus récents. D'abord ils montrent une fois de plus que les gens de Wikipedia sont des abrutis, eux qui dans leurs discussions en sont encore à se demander si Kollontaï été ambassadrice à la SDN et dans le doute ne l'ont toujours pas mentionné dans leur article (alors qu'au moins cela figure sur le Wikipedia en anglais). Mais bon, la nullité de Wikipedia n'est plus à démontrer.
Il révèle aussi que Judith Stora-Sandor eût tort d'écarter d'un revers de main comme s'il ne s'agissait que de clichés machistes la polémique sur les achats de robes de Kollontaï du temps où elle était ambassadrice à Oslo(*), car cette polémique fut centrale tout au long de 1926 et elle faillit lui coûter son poste. Le fait que les féministes passent cela sous silence, comme elles oublient que la première ambassadrice de l'histoire ne fut pas Kollontaï, mais une ambassadrice hongroise à qui Budapest reprocha aussi ses excès d'achats de robe n'est pas anecdotique. Cela montre que la culture intellectuelle et intellectualiste féministe contemporaine a un vrai problème avec cette culture matérielle spécifique qui caractérisait les grandes dames des années 20-30, et qui a concerné beaucoup de femmes à beaucoup d'époques (et encore aujourd'hui) : ce rapport au beau textile, au beau vêtement dont il n'est pas du tout certain qu'il soit le fruit d'une simple aliénation patriarcale de la femme (n'y a t il pas plutôt une aliénation spécifique des intellectuelles qui écrivent l'histoire des femmes dans leur refus de voir ce qui se joue dans le rapport de leurs consoeurs aux belles robes ?).
Le rapport au vestimentaire, comme les bonnes manières décrites par la presse, étaient des caractéristiques de Kollontaï qui la rattachaient inconstestablement à l'aristocratie, et que les petites bourgeoises qui écrivent aujourd'hui sur elle n'aiment pas trop, alors que cela la rendait sympathique à la presse mondaine française (et cela humanisait à ses yeux la révolution soviétique).
Son aristocratisme mêlé de ferveur révolutionnaire sincère lui valut sans doute beaucoup de respect en URSS où la fascination pour le noble n'a jamais complètement disparu. Il explique peut-être son extrémisme gauchiste (je crois que Bourdieu a évoqué dans ses écrits sur mai 68, que les héritiers étaient plus volontiers portés vers la radicalité, une radicalité toujours très abstraite cependant, il le dit aussi des étudiants communistes de normale sup des années 50 dans son autoanayse posthume).
On trouve sur le Net en anglais un extrait du journal de Kollontaï de novembre 1939 qui relate une de ses discussions avec Staline. On y découvre une Kollontaï bouleversée par l'annonce par Staline de l'approche de la guerre mondiale. Elle laisse tomber son carnet de notes, est profondément émue. C'est une personne désemparée. Devant se témoignage on peut se demander si Alexandra Kollontaï n'était pas surtout une femme brillante pour la polémique révolutionnaire - dans ses écrits, et dans les débats à la tribune - ainsi qu'une fine diplomate et une bonne ministre des affaires sociales (qui remporta des succès uniques en leur temps dans la promotion des femmes, y compris dans les fonctions politiques), mais, à côté de cela, une piètre organisatrice et une femme très peu faite pour faire face aux grands enjeux que soulèvent les conflits armés (à la différence d'une Margaret Thatcher très à l'aise dans ce domaine). Ainsi ce qui est présenté comme une sorte d' "exil" que le gouvernement soviétique lui aurait imposé en la cantonant dans des fonctions diplomatiques n'aurait pas été tant que cela une sanction comme on le sous-entend aujourd'hui. Dans une URSS toujours menacée par l'Allemagne et les puissances capitalistes, Alexandra Kollontaï s'est peut-être trouvée affectée dans les fonctions où elle pouvait être réellement la plus utile.
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(*)JSS à propos de la période du communisme de guerre (p. 18) "Kollontaï de la réédition de "Marxisme et révolution sexuelle" chez La Découverte : "Kollontaï fut beaucoup critiquée pour son élégance, son goût pour les vêtements de bonne coupe. Elle en conçut une certaine amertume, surtout quand les critiques lui ont été adressées lors des périodes de dénuement où elle ne possédait qu'une seule robe qu'elle devait porter avec beaucoup de distinction" (sic - même sur cette période la presse disait que sa famille lui envoyait de l'argent de l'étranger). Et sur 1926 : "Les journaux parisiens de l'époque décrivent avec une complaisance ironique ses toilettes, avec photos à l'appui. On a insinué que le gouvernement soviétique lui avait adressé des blâmes et même des menaces de rappel à cause de ses 'frais de représentation' trop élevés" : en fait il s'agit plus que d'une insinuation - une thèse corroborée par le précédent hongrois - et il n'est pas question de blâmes ou de menace de rappel, mais bien d'une diminution de 35 % du budget qui aboutit à une menace de démission de l'intéressée (JSS a peut-être lu le "dossier de presse" en diagonale...)
Une histoire bizarre au Zimbabwe
Une histoire d'inceste qui se passe au Zimbabwe (je la trouve dans Zimbabwemetro du 13 février dernier). Le commentaire du chef local Nathan Muputirwa qui parle de "mauvais présage" est plutôt amusant. Etrange aussi qu'il dise qu'il ne peut pas tuer ces responsables de sacrilège comme il l'eût fait autrefois. L'Afrique bouge, et par moments, fait n'importe quoi.
"MASVINGO — A Masvingo woman and her son have fallen in love with one another. And now they want to marry since the mom, Betty Mbereko from Mwenezi in Masvingo, is six months pregnant and expecting her son’s child.
Mbereko (40), who was widowed 12 years ago, has been cohabiting with her first child, Farai Mbereko (23).
She confirms that she is six months pregnant and that she has decided it is better to “marry” her son because she does not want to marry her late husband’s young brothers, whom she says are coveting her.
Betty stunned a village court last week when she said the affair with her son had begun three years earlier.
She said after spending a lot of money sending Farai to school following the death of her husband, she felt she had a right to his money and no other woman was entitled to it.
“Look, I strove alone to send my son to school and no one helped me. Now you see that my son is working and you accuse me of doing something wrong. “Let me enjoy the products of my sweat,” she told the village court.
Farai said he was more than prepared to marry his mother and would pay off the ilobola balance his father had left unpaid to his grandparents.
“I know my father died before he finished paying the bride price and I am prepared to pay it off,” he said.
“It is better to publicise what is happening because people should know that I am the one who made my mother pregnant. Otherwise they will accuse her of promiscuity.”
But local headman Nathan Muputirwa says: “We cannot allow this to happen in our village, mashura chaiwo aya, (This is a bad omen indeed). In the past they would have to be killed but today we cannot do it because we are afraid of the police.” He warned them to break off their marriage or leave his village.
They chose the latter and have left the village for an unknown destination."
Alexandra Kollontaï
Puisque demain c'est la journée internationale de la femme (une invention communiste), encore un mot sur Alexandra Kollontaï dont j'ai déjà parlé sur ce blog.
Etonnante bonne femme. Fille d'un général de Saint-Petersbourg, éduquée de façon aristocratique avec précepteur à domicile, initiée au marxisme dès l'adolescence (à la fin du XIXe siècle), du côté des socialistes contre les populistes, puis oscillant entre mencheviks et bolcheviks. Dans la clandestinité, en exil en Finlande (où elle continua l'agitprop), ayant fréquenté en Europe, à Berlin, à Paris, le gratin des révolutionnaires (Lafargue, Luxembourg etc). Opposée au réformisme de Bernstein. Amie de Lénine. Théoricienne de la révolution sexuelle (sur un mode bien plus concret que Wilhelm Reich) - ce qu'elle allait ensuite dissimuler dans sa bio - avocate d'un modèle de femme célibataire libre (elle même a eu diverses liaisons, notamment avec des hommes plus jeunes qu'elle). Commissaire du peuple à la Sécurité sociale du gouvernement soviétique au tournant des années 20 et à ce titre, responsable de la légalisation de l'avortement, et de diverses politiques sociales dont celle qui pour les femmes tendait à "séparer la cuisine du mariage" (avec le développement de la restauration collective), ce qui à ses yeux était aussi important que la séparation de l'Eglise et de l'Etat. Partisane de Staline contre Trotski (elle ressortit opportunément une vieille lettre que Lénine lui avait écrite critiquant les "hésitations" de Lev Bronstein), elle est plus ou moins exilée de Russie comme ambassadrice en Norvège et en Suède. Elle reviendra en URSS dans les années 1940 mais déjà vouée à une damnatio memoriae, interdite de publication, au point qu'elle mourut dans les années 50 sans même avoir droit à une notice biographique dans les journaux. Au moins ses fonctions diplomatiques lui auront évité d'être fusillée comme les autres compagnons de Lénine.
Parlant plusieurs langues, elle aura quand même été la première femme au monde ambassadrice. Merci l'URSS. Il paraît qu'il existait dans les années 1970 à la bibliothèque de documentation féminine Marguerite Durand, à la mairie du Ve à Paris un "dossier de presse" sur elle avec notamment les articles de la presse française sur cette ambassadrice dont les tenues défrayaient la chronique mondaine. J'irai y jeter un coup d'oeil un jour.
Hier soir je parcourais à nouveau son recueil de textes sur le marxisme et la révolution sexuelle réunis dans les années 70 chez Maspéro par Judith Stora-Sandor (une universitaire d'origine hongroise qui se la fin sa carrière dans les années 2000 écrivait sur l'humour juif). Je trouve dans ce livre quelques idées intéressantes, et des anecdotes comme celle selon laquelle au 4ème congrès des femmes social démocrates d'Allemagne (je ne sais pas trop à quelle date ça a pu avoir lieu, avant 14 de toute façon), la déléguée de Magdebourg essaya de défendre l'idée qu'il serait meilleur pour l'émancipation des femmes que celles-ci se battent pour que leur mari ait un salaire assez élevé pour qu'elles puissent rester à la maison élever leurs enfants. Ce n'était pas tout à fait, c'est le moins qu'on puisse, dire l'option de Kollontaï qui défendait l'idée d'une camaraderie mixte à l'usine. Et d'ailleurs cette revendication resta minoritaire chez les socialistes allemands.
Ici une vidéo qui reflète la culture féministe anglo-saxonne moyenne de notre époque. Connaissez-vous toutes les femmes citées ici ? Moi pas toutes. J'aurais en revanche ajouté Hipparchie, Hypatie, Cléopâtre, Marguerite de Navarre, Marguerite Porette, Simon de Beauvoir of course, Danièle Casanova, Louise Michel, Georges Sand, Claire Lacombe, une ou deux reines franques que cite Nira Pancer dans son premier livre. On reviendra peut-être sur le cas de quelque unes.
-----> Voir aussi sur ce blog Alexandra Kollontaï dans la presse française
Eloge du bricolage
Deux éditeurs pourtant ouverts à mes idées très minoritaires, les Editions du Cygne et les Arènes, ont refusé mon dernier manuscrit provisoirement intitulé "Politiquement incorrect" pour de pures raisons de positionnement commercial - ce n'est pas assez "vendable". La même mésaventure m'était arrivée avec "Douze ans". Lecteurs prenez le pouvoir, écrivez sur leurs sites Internet pour dire que vous n'êtes pas d'accord avec cette censure par l'argent !
Mais bon allez, voyons le bon côté des choses : les censures d'éditeurs me situent différemment dans l'espace social. Elles font de moi un auteur mineur voué à "Edilivres", donc un auteur sans public, dont le blog est la seule tribune légitime. Cela m'encourage à laisser tomber les grands sujets politiques et à m'en tenir à du petit bricolage sur des billets historiques ou philosophiques comme ceux que je ponds depuis quelques semaines. Bref, comme beaucoup, je vais cultiver une vision épicurienne (dans la dimension "retrait du monde") et onaniste (le mot n'est pas de moi mais de Cristina Kirshner) de l'exercice de la pensée.
De toute façon la politique roule pour ainsi dire toute seule et je ne peux l'influencer. Sur l'ingérence occidentale par exemple quand je vois que même un idiot fini comme David Rieff qui avait soutenu l'intervention de l'OTAN en Bosnie et au Kosovo finit quand même par trouver (dans le magazine Books de ce mois-ci) qu'en Libye l'hypocrisie se voit trop et fait tâche, et qu'un autre sot Michel Rocard met en garde contre un alignement trop visible sur les Anglosaxons dans une guerre avec l'Iran qui pourrait impliquer la Chine (et provoquer des millions de morts), je me dis qu'il finira bien par y avoir quelque forme de lucidité quelque part. Ou alors ce sera juste que les gens sont vraiment trop cons, et alors, dans ce cas, mieux vaut laisser les tristes sires à leur triste sort... Sur l'écologie c'est la même chose. Et sur l'Europe. Les gens finiront par voir, ou ne verront jamais, indépendamment du grain de sel que je puis apporter. Moi, avec 15 ans d'écriture dans l'espace public, j'ai assez donné.
Ces musulmans qui crurent en Henri III de Navarre et aux protestants
Les Morisques (de l'espagnol Morisco, littéralement « petit maure ») étaient des musulmans d'Espagne convertis de force au catholicisme après l'abrogation par les Rois Catholiques des accords qui leur permettaient, bien que vaincus, de conserver sur le sol espagnol leur foi et leurs coutumes islamiques. Ils organisèrent quelques révoltes vite réprimées en Espagne, dans les années 1570.
Je lis ce matin un article étonnant à leur sujet dans un numéro de la Revue de Pau et du Béarn (*)
"Dès 1570, des relations s'étaient nouées entre le gouverneur calviniste du Béarn et des Morisques ; le baron d'Arros promettait d'armer les musulmans s'ils favorisaient la reconquête de la Navarre [sa partie méridionale annexée par l'Espagne] ; l'Inquisition dénonce alors quelques conversions de Moriques au "luthéranisme" : "Moro y luterano". Ces premiers contacts, "alliances de convenances" ont toutefois laissé peu de traces. Les registres du Saint Office de Saragosse révèlent toutefois que les Béarnais se trouvent mêlés, entre 1561 et 1570, à la fuite de quelques dizaines de Morisques au nord des Pyrénées. Deux bergers de la vallée d'Aspe et un habitant de Sauveterre paraissent avoir été de véritables "passeurs".
A partir de 1576, Henri de Navarre, bientôt Henri IV, a été le principal bénéficiaire d'une intense contrebande d'armes, de poudre et surtout de chevaux, en liaison avec ses promesses d'aide aux Morisques et sa politique ottomane. Dès 1568 le gouvernement espagnol avait chargé l'Inquisition de surveiller ce trafic ; entre 1596 et 1626, alors que la tension diplomatique s'était apaisée, la contrebande se poursuivait. Le Saint-Office jugea vingt contrebandiers français qui venaient chercher des chevaux, du salpêtre, sur les foires de Barbastro, Sarineno et Huesca, en provenance de Valence. Dans les années 80, la fraude avait connu une extension maximale, orchestrée par Henri IV. Le Béarnais, qui n'avait en réalité aucune visée sérieuse sur la Navarre et encore moins l'intention d'intervenir directement au profit des Morisques, sut en revanche tirer parti de leur désarroi pour obtenir les chevaux et les armes dont il avait le plus grand besoin. J. Contreras a fort bien résumé le "malentendu" entre les deux parties de ce négoce frauduleux : "Les Morisques du royaume d'Aragon et leurs frères de Valence ne participèrent pas seulement au trafic des chevaux pour des raisons de lucre, mais mus par d'autres raisons : foi et liberté".
En 1595, l'Inquisiteur de Saragose recueillait à Alcala de Ebro les propos d'un vieux morisque, tenus à un "vieux chrétien", né en Béarn : "Ce roitelet (Philippe II) nous fait vivre dans une soumission telle que si Vendôme (sic) [Henri IV] venait en Navarre nous y irions tous, à coup sûr, car il laisse vivre chacun selon sa loi et ses sujets ne sont pas aussi soumis que ceux de ce roitelet" ! Ces rumeurs s'amplifièrent lorsqu'on apprit qu'Henri IV négociait avec la Porte [Constantinople] ; dans les Cinca Villas, Francisca Uceda, une Morisque, fut accusée d'avoir déclaré : "Si Vendôme arrive avec les Luthériens, je préfère que ceux-là me fassent du mal, plutôt que les Castillans du bien." En même temps qu'ils s'armaient, les Morisques armaient "Vendôme" [Henri IV] ; même après Lépante, cette contebande continua. Impossible à évaluer, elle semble avoir été très conséquente ; à Daroca, deux Morisques étaient interceptés avec deux charrettes : "Où ils transportaient plus de 80 arrobes de plomb et d'étain" ; deux jours plus tard, cinq mules chargée de fûts d'arbalètes et de caisses de fusils étaient saisies. Bielsa était la plaque tournante de la contebande des chevaux. Entre 1576 et 1580, les forges de Biescas, où travaillaient des métallurgistes béarnais, fabriquaient des plaques de fer : "Qu'on fait ensuite passer en Gascogne et dont on fait des plastrons d'armes et des cuirasses qui résistent aux arquebuses et que l'on paie là-bas à des prix exorbitants". "
J'arrête ici ma citation de ce passionnant article qui évoque aussi les "trafics d'idées" (notamment la circulation de livres calvinistes) entre le Béarn et l'Aragon. Il est troublant de songer que, si Henri III de Navarre, avant qu'il ne devienne roi de France sous le nom d'Henri IV ou après, s'était lancé dans une reconquête de la Navarre du Sud, celle-ci aurait bénéficié sans doute d'un régime religieux comparable à l'édit de Nantes en France et qu'alors, comme l'évoque le vieux Morisque dont les propos sont cités en 1595, les Musulmans d'Aragon et de Valence y auraient trouvé refuge, de sorte que la Navarre du Sud serait devenue une sorte de Bosnie-Herzégovine en Europe occidentale dès la fin du XVIe siècle.
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(*) Christian Desplat, La contrebande dans les Pyrénées occidentales à l'époque moderne, Revue de Pau et du Béarn , n°27, 2000 p. 164-165
En 1996 les communistes russes remportaient les élections
Cher lecteurs,
Comme vous le savez je ne suis pas un chaud partisan du communisme russe. Mais je prie ceux d'entre vous qui ont encore la naïveté de croire en l'honnêteté des Occidentaux et de leurs alliés de bien vouloir lire attentivement cette nouvelle.
"La révélation du TIME, à quelques jours du scrutin présidentiel en Russie, ne fait que confirmer les soupçons qui pesaient sur l’élection présidentielle de 1996 et nourrir les critiques d’une contre-révolution anti-démocratique, au fondement du régime actuel des oligarques, du système autoritaire géré par Russie Unie.
Selon le périodique américain, le président russe Dmitry Medvedev aurait livré cette révélation lors d’une réunion à huis clos avec plusieurs représentants de l’opposition non-communiste, avec lequel il s’est senti en confiance pour lâcher ce secret de polichinelle.
Face aux allégations de fraude sur le scrutin législatif de 2011, Medvedev aurait alors contre-attaqué de façon inattendue, justifiant la fraude par le barrage aux communistes, une tentative de se rallier ces opposants libéraux et farouchement anti-communistes : « Nous savons tous qui a gagné les élections présidentielles de 1996, et ce n’est pas Boris Eltsine ».
Une version confirmée par quatre des personnes présentes et que n’a pas démenti le Kremlin, qui cherche depuis à étouffer l’affaire
Il faut rappeler le contexte des élections de 1996. Cinq ans après la restauration du capitalisme en Russie, les russes avaient subi de plein fouet la « thérapie de choc » imposée par le FMI et la nouvelle bourgeoisie russe : chute de la production, privatisation massive, austérité budgétaire et ses conséquences sociales dramatiques, hausse exponentielle du chômage, développement de la pauvreté, la menace de la faim et de la mort brutale redevenant une réalité pour une part croissante de la population (cf l’étude de la revue médicale britannique Lancet sur la mortalité post-URSS : 1 million de morts imputables directement aux politiques de privatisation en Europe de l’Est après 1989).
S’ajoutant à la campagne désastreuse menée par la Russie en Tchétchénie et aux méthodes anti-démocratiques d’un Eltsine qui n’avait pas hésité à bombarder la Douma en 1993 pour se débarrasser de ses opposants, la légitimité du président des oligarques était plus faible que jamais en 1996.
Face à lui, son principal rival était le candidat du Parti communiste Guennadi Ziouganov, partisan d’un retour au système social soviétique non sans réformes sérieuses sur le plan politique.
Alors que les sondages concrétisaient une irrésistible ascension du candidat communiste, se déclenchait une vaste campagne de propagande médiatique, alimentée à la fois par des capitaux et des « spin doctors » américains. Cette campagne, alimentée à l’époque par des fraudes qui restaient à l’état de forts soupçons, permit à Eltsine de passer d’un rien en tête au premier tour avec 35% contre 32% à Ziouganov et de remporter de justesse le deuxième tour avec 53%.
Mais, les révélations de Medvedev viendraient confirmer les doutes sur un scrutin qui aurait pu faire basculer l’histoire de la Russie post-soviétique. A deux jours d’un autre scrutin présidentiel décisif, elles révèlent tout le cynisme d’un régime au service d’une poignée d’oligarques, un système reposant sur la fraude et l’arbitraire."
Il faudrait vérifier un peu plus la véracité de cette nouvelle livrée au conditionnel. En voici la source. On peut se demander ce qu'il serait advenu si M. Ziouganov était devenu le président de la Fédération de Russie en 1996. La face de la "mondialisation libérale triomphante" en eût été changée. Nul doute que l'OTAN eût hésité à bombarder Belgrade en 1996 et le FMI à vouer l'Europe centrale à l'ultralibéralisme. Peut-être le PC de la Fédération de Russie n'aurait pas eu la force de restaurer le système soviétique, et sans doute les milieux d'affair dans ce pays auraient-ils eu les moyens de le plonger la pauvre Russie dans le chaos, avec l'aide de quelques "spin doctors" occidentaux. Mais au moins ces nouvelles sources de difficultés auraient-elles ralenti l'ardeur des milieux d'affaire de Wall Street et de la City en Europe de l'Est, et, par voie de conséquence dans le reste du monde. Le clintonisme et le blairisme triomphants auraient rencontré des obstacles géopolitiques un peu plus solides que l'altermondialisme. Et qui sait si cela n'eut pas donné des ailes à de nouveaux courants de gauche, y compris en Europe occidentale, à ce moment là. Car qu'un grand pays comme la Russie choisisse librement par les urnes de refaire confiance aux communistes, comme le fit la petite Moldavie un peu plus tard, n'aurait pu laisser personne indifférent.
Aujourd'hui encore le PC de la Fédération de Russie est la principale force d'opposition, et la seule à même de prendre le pouvoir en Russie face à Poutine. Nos médias n'en parlent guère et préfèrent s'intéresser aux petits partis de la mouvance libérale et aux blogueurs... Nous devions nous intéresser davantage à cet envers du décor car il est important pour l'histoire actuelle de notre continent et du monde.
Horkheimer et les réformateurs religieux
Tous les lettrés connaissent vaguement l'existence de l'Ecole de Francfort, ne serait-ce que parce qu'on leur apprend qu'Habermas en est issu.
Je relisais récemment un bouquin d'un de ses membres les plus éminents, Max Horkheimer, Théorie Traditionnelle et Théorie Critique (ed Tel Gallimard, j'ignore s'il est encore édité). Je m'y suis plongé par désoeuvrement comme je l'avais fait avec Le génie du Christianisme de Châteaubriand il y a quelques mois.
Bizarrement j'ai découvert à cette occasion qu'un de ses essais, qui forme un chapitre du livre, "Egoïsme et émancipation", daté de 1936, se penche sérieusement sur un sujet qui me tient à coeur : le lien entre réforme politique et réforme morale. Il s'intéresse particulièrement à Rienzo, Savonarole, Luther, Calvin, et d'une façon très suggestive étend sa liste jusqu'à Robespierre.
Il y a dans sa démonstration de fâcheuses simplifications inhérentes au dogmatisme marxiste qui l'incitent à voir dans ces prédicateurs de simples "chiens de garde" de la bourgeoisie dont l'unique fonction est de "formater" le peuple en fonction des intérêts de cette classe, en retournant ses aspirations légitimes vers une forme de flicage de soi-même et d'autoculpabilisation permanente. Tout cela n'est pas satisfaisant intellectuellement car cela ne permet pas de comprendre par exemple l'engouement de la noblesse française pour le protestantisme (une noblesse aux intérêts souvent opposés à ceux de la bourgeoisie). Mais Horkheimer a raison quand même de souligner ( et c'est le b-a ba de la sociologie) qu'une quête spirituelle ne nait pas "hors sol", que Luther a beau être un fils de paysan, il s'adresse tout de même à une certain public urbain, et, à ce titre, est tributaire des mouvements sociologiques de son temps, c'est-à-dire de la montée de la bourgeoisie dans les villes.
Il y a des remarques très importantes dans le travail d'Horkheimer, sur la convergence de la théorie protestante avec l'individualisme bourgeois sur la question de la rupture avec un clergé romain médiateur de la relation aux Ecritures, ou sur la valorisation de la "vocation" dans l'activité professionnelle. J'aime beaucoup l'inspiration nietzschéenne du philosophe qui reproche au penseur moustachu un certain an-historisme, mais lui rend aussi hommage sur certains points. Elle lui permet de livrer une critique radicale du protestantisme dont il dénonce tout à la fois l'anti-intellectualisme (je n'y avais jamais songé), et la haine profonde des masses (autrement dit aussi sa haine de vie, j'y reviendrai).
Bien sûr on peut être sceptique quand il reproche à Savonarole d'avoir fait augmenter le prix du pain en taxant les riches propriétaires (une façon quand même un peu artificielle de poser le prédicateur en agent de la bourgeoisie à la fois contre la noblesse terrienne et contre le prolétariat), mais plus intéressantes sont ses remarques sur les assemblées populaires au centre des prédications, de ce qui s'y joue de la construction et de la déconstruction de la subjectivité politique du peuple (on peut transposer ça à l'étude contemporaine du rôle de la télévision ou d'Internet, qui ont aussi leur prédicateurs propres). Mëme si la religion ou la morale ne sont jamais réductibles aux rapports de forces sociologiques, il est toujours bon de se démander qui elles servent. L'interrogation sur leur responsabilité politique doit nous hanter. La morale doit ainsi être élargie à la sociologie.
Horkheimer dresse au terme de sa chronologie un portrait qui m'intrigue beaucoup de Robespierre en dernier des prédicateurs bourgeois, usant lui aussi de "grigris magiques" comme les cocardes mais aussi sa vertu personnelle (voir l'opposition avec l'actrice Claire Lacombe p. 216). Robespierre mystique de son Etre suprême, arrivant là au bout d'un processus, et donc à la limite d'un autre quand il doit arbitrer entre plafonnement des prix et blocage des salaires, n'osant pas finalement "le grand saut" dans l'alliance avec le prolétariat (puisqu'il n'ose même pas donner les biens des "suspects" aux sans-culottes pauvres, ce qui eût créé une classe qui dût tout à la Révolution), et qui de ce fait mérite les insultes de la foule parisienne quand on le conduit à l'échafaud.
Le point qui fait le plus question dans la thèse d'Horkheimer, c'est bien sûr son option freudomarxiste. Il y a chez lui une sorte de mysticisme de l'énergie sexuelle, comme il y a une mystique du prolétariat. D'ailleurs il rend hommage à Wilhelm Reich qui fut une caricature dans ce domaine. Pour lui, répression du peuple et répression sexuelle (donc répression de la vie), vont de pair. Et d'une certaine façon la phrase de Saint Just "Le bonheur est une idée neuve en Europe" est pour Horkheimer un des signes de la position-limite des jacobins qui sur la question sexuelle comme sur la question sociale, les place à l'orée d'un autre monde, un monde qui sortirait du culte morbide de l'effort et du devoir propre au monde bourgeois, pour valoriser réellement l'égoïsme pulsionnel tel que le défendent des philosophes sceptiques matérialistes d'Aristippe de Cyrène et Epicure (c'est Horkheimer qui cite lui-même ces exemples, tout en se trompant sur Epicure) à Voltaire et Diderot.
A la différence du vulgarisateur Onfray, je ne suis pas certain qu'on puisse continuer à "bricoler" avec le freudo-marxisme. On ne peut pas simplement donner acte à Horkheimer des critiques qu'il adresse au conservatisme réactionnaire de Freud et estimer que sur cette base on peut continuer à suivre l'Ecole de Francfort. Ce qui est critiquable chez Freud ce n'est pas seulement son conservatisme, mais toute une méthode théorique et pratique. Idem chez Marx. En même temps on ne peut pas complètement jeter le bébé avec l'eau du bain. Tout en étant encore trop fidèle à Freud, Horkheimer a quand même le mérite de poser la question d'un au-delà de la sexualité bourgeoise et de sa combinaison avec un au-delà de la répression des classes inférieures. Et la question reste d'actualité quand bien même le capitalisme en est venu à intégrer un certain érotisme à son fonctionnement répressif (voyez Luc Boltanski à ce sujet).
Superstitions dans nos campagnes
Actualisation avril 2016 - après mes enquêtes sur les médiums, je ne souscris plus au point de vue exprimé dans cet article qui correspondait à ma période rationaliste étroite. N'oubliez pas cependant que tout acte de sorcellerie, y compris celui de se faire porter, comme la consultation de voyants peut être un pacte avec le monde invisible et avoir des effets secondaires très graves...
Dans une petite ville du Béarn près de Pau, lorsque quelqu'un a le zona, presque tous les généralistes en viennent à lui dire "si vous y croyez vous pouvez aller vous faire porter". Qu'entend-on par là ? Se faire porter c'est aller chez un guérisseur. On m'a parlé d'un d'entre eux. Sexagénaire (né en 1944) deux fois divorcé, un pauvre homme revenu de toute forme de relation avec les femmes. Employé de la ville de Pau, il a dû abandonner son boulot pour cause de dépression. Ses parents vendaient des matelas. Je n'ai pas pu en savoir beaucoup plus sur lui. On m'a expliqué la nature de ses séances (pour lesquelles il reçoit 10 à 15 euros en moyenne, il n'est pas rare que les gens en fassent trois ou quatre).
En arrivant on vous demande si vous y croyez. Le guérisseur a le "pouvoir" de "porter sur lui" le zona des autres parce que lui-même a eu cette maladie. Il prononce alors la formule en béarnais "que portos tu ?" (j'adopte la graphie française en réaction à l'occitanisme) - que portes tu ?. La personne doit répondre "lou cindre" (le zona, en fait même les vieux qui connaissent un peu le béarnais sont peu nombreux à savoir qu'ainsi se nomme la maladie dans cet idiome), puis elle met ses mains sur le dos du guérisseurs qui alors effectue plusieurs fois le tour de la table en prononçant des formules pour lui-même, formules obscures et incompréhensibles. Au fur et à mesure il jette sur la table neuf bâtonnets qu'il a confectionnés. Quelqu'un m'a expliqué que le chiffre neuf a quelque chose de magique "depuis toujours". Jadis on disait que si un malade n'était pas guéri au bout de neuf jours il allait mourir, et l'on faisait dire des messes de neuvaine. A la fin de la séance le guérisseur recommande au malade de réciter trois "je vous salue Marie" le soir ce qui est indispensable à l'efficacité de ce "traitement".
J'ai été surpris de découvrir que ce genre de pratique existait encore et même était encouragé par les médecins professionnels. Compte tenu du nombre de cas de zona, cela doit concerner un nombre de personnes non négligeable.
La persistance de ces pratiques doit être liée au caractère périphérique de cette région (comme celui de la Bretagne ou de l'Auvergne). On a toujours du mal à penser les bizarreries liées aux périphéries. Elles se nichent dans toute sorte de pratique. Quand on me parle du fonctionnement de certaines administrations ou de certaines juridiction en Béarn je reconnais aussi souvent, des signes de son côté "périphérique", mais il demeure toujours clandestin. Cela ne se crie pas sur les toits.