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Souvenirs d'une époque peu patriotique
Extrait de "La Promesse de l'aube" de Romain Gary (Folio p. 239, édition originale 1960) :
"Je fus incorporé à Salon-de-Provence le 4 novembre 1938. J'avais pris place dans le train des conscrits et une foule de parents et amis accompagnaient les jeunes gens à la gare, mais seule ma mère était armée d'un drapeau tricolore qu'elle ne cessait d'agiter, en criant parfois "Vive la France", ce qui me valait des regards hostiles ou goguenards. La "classe" qui était ainsi incorporée brillait par son manque d'enthousiasme et une profonde conviction, que les événements de 40 devaient justifier pleinement, qu'on la forçait à prendre part à un "jeu de cons". Je me souviens d'une jeune recrue, laquelle, irritée par les manifestations patriotardes et cocardières de ma mère, si contraires aux bonnes traditions antimiitaristes en vigueur, avait grommelé :
- Ca se voit qu'elle est pas française, celle-là.
Comme j'étais déjà moi-même excédé et exaspéré par l'exubérance sans retenue de la vieille dame au drapeau tricolore, je fus très heureux de pouvoir prendre prétexte de cette remarque pour me soulager un peu en portant à mon vis-à-vus un très joli coup de tête dans le nez. La bagarre devint ausitôt générale, les cris de "fasciste", "traître", "à bas l'armée" fusant de toutes parts, cependant que le train s'ébranlait, que le drapeau s'agitait désespérément sur le perron et que j'avais à peine le temps de paraître à la portière et de faire un signe de la main, avant de me replonger résolument dans la mêlée providentielle qui me permettait d'échapper au moment des adieux."
Comment la propagande de l’OTAN a remporté la bataille dans l’opinion publique française (1999)
Voici un texte que j'ai publié sur le site Résistance (disparu en 2001) et qui se trouve désormais sur le support Calaméo. Je ne l'ai pas relu depuis 2000, mais il me paraît malgré tout utile qu'il soit en libre accès sur Internet.
Flavia
Les jeunes esprits révolutionnaires qui ont parfois fréquenté mon blog et qui étaient épris d'un idéal de gratuité m'ont convaincu : l'art doit être accessible à tous, spécialement en ces temps de développement des e-books et de mutation profonde du monde de l'édition. J'ai donc décidé de mettre à la disposition de mes lecteurs la nouvelle "Flavia" que j'ai écrite il y a deux ans.
Je ne prétends pas que c'est ce que j'ai écrit de mieux - encore que chacun valorise différemment les écrits en fonction de sa sensibilité propre. Mais cela fait au moins un texte accessible en ligne.
Une trace yougoslave effacée : "Ca commence par un péché" (1954)
La chronique cinéma de La Vie parisienne de juillet 1956 relève ceci:
"Un film yougoslave, Ca commence par un péché, fait actuellement les délices des amateurs de sensualité rustique.
On ne doit pas s'embêter au pays de Tito, pensent les spectateurs en assistant aux assauts désordonnés que Peter Carsten livre aux très belles (et peu rebelles) Ruth Niehaus et Laya Rakz.
En quoi d'ailleurs ils se trompent, car le scénario de Ca commence par un péché est tout bonnement tiré d'une nouvelle de notre Maupassant, La Fille de ferme".
Ca commence par un péché (The beginning was sin en anglais) est un film du cinéaste Frantisek Cáp, né en Bohème et mort en Slovénie, qui a 41 ans lors de la sortie de ce film en Yougoslavie (en 1954). Sa fiche sur Internet Movie data base précise qu'il est sorti le 8 juin 1956 en France. Pour cinéfiches, ce n'est pas un film yougoslave, mais allemand...
Un cinéaste né dans la bohème autrichienne, et mort dans la Slovénie yougoslave est-il un yougoslave ? Grande question. Il semble que pour les Français de 1956 en tout cas, le film fût sans équivoque yougoslave. Certes il est sorti à Vienne un mois avant de sortir à Ljubjana, mais si c'est le critère, il faudrait le qualifier plutôt d' "autrichien" (car les Allemands de RFA ne l'ont découvert, comme les Français, qu'en 1956). Pour Wikipédia, Cap est tchécoslovaque. Les acteurs sont allemands, la production est à la fois allemande (Saphir films) et yougoslave (Triglav films basé en slovénie). Incontestablement l'empreinte germanique est forte, chacun se fera sa propre opinion sur la manière opportune de classer cette "oeuvre".
Si le public parisien se rinçait l'oeil devant ce film en rêvant de liberté sexuelle yougoslave, celui-ci ne semble guère avoir marqué l'histoire du cinéma puisqu'on ne trouve même pas un résumé de l'intrigue sur le Net.
En slovène, le titre de "Ca commence par un péché" s'écrit "V zacetku je bil greh". Chose étrange, en 1962, un film sortira avec les mêmes acteurs sous le titre Greh. Peut-être une adaptation pour la TV du film de 1954. Le pitch est un peu différent de la description de la Vie parisienne. Si celle-ci juge que Ruth Niehaus n'était pas "rebelle", selon Movies.tvguide elle est "raped" (violée) par Carsten... Le film a-t-il été "durci" dans le remake de 62 ou la version initiale a-t-elle été édulcorée par le machisme hédoniste de La Vie parisienne ? Pour le savoir il faut sans doute se reporter à la nouvelle de Maupassant qui inspira directement le scénario initial.
Au sujet de ce film on ne peut que se perdre en conjectures. Le compositeur de la musique était Bojan Adamic, un slovène, il y a une danseuse gitane, les personnages ont des prénoms yougoslaves. On peut supposer que cette transposition de Maupassant en Slovénie donnait au public allemand une image pittoresque de leur arrière-cour balkanique. Que le public français ait dû attendre deux ans pour découvrir ce film n'est pas très surprenant (d'ailleurs sans doute n'aurait-il jamais vu cette bizarrerie qu'il croyait purement yougoslave si elle n'était inspirée d'une nouvelle hexagonale). Qu'il en ait fallu autant en RFA est étrange.
Je suis évidemment, à titre de curiosité, preneur de toute information supplémentaire sur ce film disparu de nos archives.
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NB : puisque nous parlons de Yougoslavie, je signale que je suis choqué par la présentation que le magazine Philosophie de mois-ci fait de Peter Handke :
"Peu d'écrivains auront autant marqué leur époque, tant par le tempo de leur prose que par leur aptitude à saisir les émotions. Depuis quinze ans, cependant, l'Autrichien Peter Handke s'est en partie discrédité par ses déclarations sur le conflit en ex-Yougoslavie. Pour prendre du recul sur son parcours, à l'heure où il publie quatre nouveaux livres en France, nous l'avons rencontré dans sa retraite des environs de Paris."
L'incise sur la Yougoslavie dans cette introduction est scandaleuse. A supposer même que Handke ait tort sur la Yougoslavie (ce que je ne pense pas), il est totalitaire de coller ça dans la moindre présentation de cet auteur. Une revue littéraire aurait-elle eu la goujaterie dans les années 60 de présenter Malraux comme quelqu'un qui s'est "en partie discrédité par ses écrits sur les communistes dans les années 1930" ? Ses opinions politiques sur tel ou tel sujet n'ont pas à figurer dans la présentation de cinq lignes d'un auteur car une oeuvre ne se résume jamais à cela, et même lorsque la politique semble consubstantielle à l'oeuvre, il faut alors laisser à l'écrivain le bénéfice du doute, surtout sur un sujet aussi complexe que la Yougoslavie. Je suis aussi en total désaccord avec la présentation faite par un documentaire sur l'histoire récente du Kosovo diffusé par une chaine parlementaire la semaine dernière. Un mensonge répété cent fois ne fait pas une vérité.
L'héritage français et le problème de l'inquiétude de l'esprit
Comme Diogène promenait sa lanterne dans les rues d'Athènes à a recherche d'un homme ou de ce qui mériterait cette appellation, je continue d'agiter la mienne au dessus des vieux livres en essayant de comprendre ce que l'héritage historique de la France peut signifier aujourd'hui de positif pour un esprit de gauche ancré dans le XXIe siècle. C'est un exercice intellectuel auquel nos élites rechignent car elles le suspectent de passéisme et de fermeture aux apports extérieurs de notre époque. Etant moi-même largement d'origine étrangère, et ayant montré à travers l'Atlas alternatif notamment mon ouverture à tout ce qui se passe aux quatre coins du monde je me sens à l'abri de ces accusations, et simplement je ne vois pas pourquoi je m'interdirais de comprendre en profondeur l'héritage français, alors que d'autres (certains dignitaires de l'UMP) s'autorisent à imposer l'usage de l'anglais dans leur ministère, ou encore (sur les sites comme MSN ou Yahoo) nous infligent l'actualité des stars étatsuniennes comme si nous étions obligés de connaître par coeur leur pédrigrée. Que chacun se sente libre de connaître ce qu'il veut.
Dans le cadre de ma petite enquête, j'ai envie tout d'abord de revenir à ce numéro de 1919 de la NRF et plus particulièrement à l'article du sociologue durkheimien Raymond Lenoir intitulé "La pensée française devant la guerre".
La France est victorieuse mais exsangue. La NRF juge utile de réfléchir à la singularité de la pensée française, à la fois ouverte aux apports extérieurs, mais différente de ses concurrentes allemande et anglo-saxonne par son refus de la religiosité.
Certains passages de Raymond Lenoir, le choix de ses mots, retiennent l'attention (même si on a le sentiment d'avoir déjà lu cela ailleurs).
A propos de l'Allemagne romantique postkantienne il note : "Telle est la sensibilité allemande. Tout en elle traduit le trouble, l'inquiétude violente, le désir de vivre insatisfait. On sent ses religieux, sesmusiciens, ses philosophes à la poursuite de la vie. Mais elle est impétueuse et brutale ; c'est une chasse plutôt qu'une recherche. La vie se dérobe. Ils voudraient l'enserrer, la contenir dans un mouvement du coeur, dans un thème ou dans une formule, car ils croient encore à la puissance magique des formules. Ils apprêtent un piège dialectique. La vie mobile et fuyante contourne les appareils formidables des mots sans laise d'elle davantage qu'un reflet. Ils essaient lors de l'imiter ; ils se eulent multiples et universels comme elle. Ne voyant plus dans le réel que conflits, contradictions, antagonismes, ils demandent à l'imagination distendue le secret des métamorphoses. Le même mouvement d'idéalisme traverse Hegel, Fichte, Schelling et Wagner. Ils n'ont jamais su trouver la forme harmonieuse et aimée en qui la vie suspendue s'évanouit et s'achève. Leur métaphysique ne trahit qu'un mauvais esprit de révolte et leur inquiétude ne s'apaise que dans un rêve d'orgueil mystique. Ils ne savent que l'art de rêver".
Nietzsche le francophile, et Norbert Elias quinze ans après Lenoir écrivirent des choses semblables.
Lenoir estime qu'après le vide créé par l'échec de l' "aventure impériale" en France, la philosophie française à travers le spiritualisme s'est laissée envahir (parallèlement à l'occupation militaire) par cet esprit allemand. Ainsi, "la philosophie est devenue une manière d'art quand elle n'est pas une théologie bâtarde. La religiosité, le moralisme, le mysticisme sont les qualités auxquelles se reconnaît un "esprit phioophique". Tout est vu sous l'espèce du bien et sous l'espèce du beau (...) La dissociation de la sensibilité et de l'intelligence, la prééminence de la sensibilité, la confusion des idées, qui s'ensuivirent, coïncidèrent avec une méconnaissance de l'esprit français".
Lenoir n'est pas beaucoup plus tendre avec l'esprit anglo-saxon :"Nous avons des affinités avec la pensée anglo-américaine : même positivité, même goût du détail concret, même sentiment de l'expérience ; dans notre passé, les contacts avec l'Angleterre furent féconds (...) Mais là doit s'arrêter l'échange. Car nous ne tendons pas depuis tant de siècles à nous affranchir de toute tutelle religieuse pour remplacer la religiosité allemande par la religiosité anglo-américaine (...) Aussi les résistances que le Pragmatisme a rencontrées en France sont légitimes ; elles doivent être maintenues. Car le peuple américain fait l'apprentissage de la pensée. Il vient de s'apercevoir que la pensée matérielle n'est pas tout ; que l'homme n'épuise pas, même en des labeurs gigantesques, son activité ; qu'il existe aussi une vie spirituelle. Sa religiosité, son inquiétude morale, son idéalisme sont l'expression lyrique et confuse de cette découverte. (...) Et l'Amérique est vraisemblablement appelée à connaître, maintenant que son union nationale se fait au sortir de cette guerre, une crise intellectuelle qu'elle soupçonne à peine".
Que serait alors l'esprit français entre ces deux modèles ?
Lenoir le caractérise ainsi : "Sans désapprendre de pleurer et de rire, il a apris la mesure dans l'expression des sentiment. Jamai il ne s'abandonne à l'ivresse de sentir. C'est qu'un plaisir d'intelligence rend plus intense encore son émotion. (...) Car l'esprit français n'est ni très sensuel ni très mystique. Il ignore la sensualité inquiète, énigmatique et pesante des pays protestants. Amoureux des lignes, des couleurs et des formes, il goûte dans les sensations une joie pure et subtile. Il est trop mobile pour être sentimental. Il y a en lui un besoin de précision et de netteté par quoi il répugne, jusque dans sa musique même, qui est musique de danse, aux inquiétudes prolongées. Pour lui le monde extérieur existe. Et, comme il est curieyx, le spectacle des choses l'empêche de méditer trop longtemps et de se perdre dans la contemplation mystique du moi. Il ignore le tourment infini, car il sait que là où sont les raisons véritables de vivre est aussi la joie de vivre. Sa tristesse est dans la nostalgie, dans le regret des horizons accoutumés. Depuis Ronsard, son lyrisme intérieur et sans fièvre dit la fluctuation des désirs précis et le retour des saisons".
Selon Lenoir cet esprit va avec le mélange de scientificité et de scepticisme qui caractérisait le 18ème siècle.
On peut se demander si la pensée française des années 60-70, 50 ans plus tard, en utilisant Nietzsche, Heidegger et Freud contre le rationalisme n'a pas en quelque manière prolongé l'inquiétude morale à laquelle le style français de la grande époque devait être, selon Lenoir, l'antidote. Elle l'aurait prolongé, en lui ôtant son horizon mystique, remplacée par une sorte de bougisme politique dont Bernard-Henri Lévy et la croisade pour les "droits de l'homme" seraient un des ultimes avatars.
A la lecture de tout cela, on voudrait partir en quête de cet art de vivre et de penser vers lequel la NRF voulait faire signe pour reconstruire la France, en savoir plus sur son compte (même si l'on n'est pas tout à fait novice en la matière et qu'il nous suffit de nous souvenir de notre enfance il y 30 ans pour en reconnaître certaines traces). Il se trouve que par hasard, je me suis procuré un numéro de la revue La Vie parisienne de mai 1957. La revue alors a presque cent ans. Bien que marquée, au sortir de la seconde guerre mondiale, par la culture anglo-saxonne encore plus que ne l'était l'époque de Raymond Lenoir, elle se veut encore la vitrine d'un art de vivre français : cette civilisation du vin, du café-théâtre et des femmes légères qui faisait encore de Paris à l'époque une capitale légendaire dans le monde.
A sa lecture il est évident que le monde qu'elle dépeint et défend n'est plus le nôtre, et trouverait difficilement un moyen de s'imposer ou de revivre parmi nous.
Je lisais hier soir dans les pages de cette revue une évocation par Roland Dorgelès de l'académie Goncourt de ce qu'était le Montmartre de 1910-1920, quartier de pauvreté et de Bohème, où l'on enterrait un jeune camarade chaque années, mais où les "vingt francs" pour boucler les fins de mois "finissaient toujours par tomber du ciel" et où il y avait "de vrais jardins que Pâques fleurissait de lilas". Un quartier d'art et d'amour libre "à part le mariage, toutes les liaisons nous semblaient légitimes". Dorgelès a la bonne idée de décrire l'amour à Montmartre en ce temps-là, le rite des idylles comme il dit (de ces idylles dont l'espérance de vie n'excédait pas six mois).
Il détaille qui étaient les proies des artistes et écrivains de l'époque : "les petites de là-haut, trottins, dactylos, modèles, ingénues de dix-huit an, qui se mettaient à aimer, sans désir et sans fièvre, tout bonnement parce qu'elles atteignaient l'âge". Il raconte comment ils voyaient ces gamines grandir, simples enfants auxquelles ils ne prêtaient pas attention, jusqu'au jour où les seins se formaient, les hanches, et alors toujours la même chose, ils leur offraient un verre, parlaient de choses artistiques auxquelles les filles ne comprenaient rien, les embrassaient sur la bouche, puis un jour les faisaient monter chez eux. Dorgelès raconte notamment une histoire singulière qu'il eut avec une pauvrette de cette classe qui travaillait dans la couture et vivait chez sa tante dans un tout petit logement. Par respect et affection pour elle il se garda de coucher avec elle, mais un jour se laissa aller à sauter sa meilleure amie. Ladite amie lui demanda de l'aider à avoir une promotion sociale, et lui la fit entrer comme danseuse dans un cabaret. Au final celle-ci allait devenir une "poule" comme il dit, c'est-à-dire une quasi-prostituée, alors que la jeune première avec qui il avait toujours refusé de coucher lui en voulut toute sa vie de ne pas lui avoir assuré le même avenir. Il eût beau lui dire qu'il avait voulu préserver sa vertu, il était plus enviable alors pour une femme de se prostituer dans les cabarets que de rester couturière. La prostitution était le seul avenir désirable pour elle.
On découvre en lisant ces pages que l'art de vivre de Montmartre reposait profondément sur la prostitution généralisée de la gent féminine, comme le style français se nourrissait du quasi-servage de mes ancêtres ouvriers agricoles dans le Sud-Ouest. C'est à ce prix là que le "génie français" cultivait sa sensibilité propre.
On ne peut pas souhaiter que renaisse ce mode de vie-là, pas plus qu'on ne pourrait vouloir le retour de la consommation de vin des années 1930 à l'heure où tout le monde a une voiture et où l'alcool peut causer tant de décès sur les routes.
Est-il possible de repenser un "esprit français", en prise avec un certain art de vivre et une certaine sensibilité tels que les décrit Raymond Lenoir en 1919, sa quiétude intellectuelle, son "mol oreiller du doute" et son hédonisme délicat, sans toute l'infrastructure sociale - et toutes les injustices atroces - qui, il y a cent ans, en constituaient le fondement ? Voilà la grande question sur laquelle me laissent ces lectures.
La "guerre civile" syrienne
Voici ce que m'écrit un ami à propos d'un article que je lui ai envoyé d'Antiwar.com qui évoquait une confessionnalisation croissante de la "guerre civile" syrienne (usons de guillemets car l'expression fait débat) :
"Ce qu'il raconte ici est un simplisme énorme. D'abord depuis le début des événements, il y a des manifestants pro- et anti-régime, et dans les manifestations antitrégimes il y a des tireurs non identifiés qui tirent aussi bien sur la foule que sur les policiers ou militaires. Cela même les opposants aujourd'hui, au moins certains d'entre eux le reconnaissent . Les plus de cents militaires et policiers tués en sont d'ailleurs la preuve. La question est d'où viennent les armes qui les ont tués et qui les utilise.
Par ailleurs, les manifestations se concentrent, au moins au départ sur des villes frontalières avec la Jordanie, puis la Turquie, puis l'Irak occupé. Ce ne peut être l'effet du hasard. Alep, Damas bougent peu ou pas du tout. Hama a été difficile à faire démarrer et apparemment tout s'est de nouveau éteint avec ...la venue de l'ambassadeur US+Français ....et les consultations entre Bachar el Assad et les notables locaux.
Toutes les versions peuvent courir au sujet de savoir qui arme les tireurs dans les manifestations, entre celle sur des provocateurs extérieurs (venus de l'étranger) qui veulent mener à une guerre civile ou à celle des agents du régime qui veulent le durcir dans un affrontement frontal avec toutes les oppositions, externes mais surtout internes au régime.
Mais il est incontestable depuis le début qu'il y a une volonté de "quelqu'un" de diviser la société pour créer une ambiance de "qui tue qui.". Nous sommes dans un scénario entre celui algérien d'après 1988 à celui libyen du départ ...si ce n'est que, pour le moment, la guerre civile n'a pas (encore ?) vraiment démarré.
Par ailleurs, dire que le régime est une minorité (sous entendu alaouite) est une vision soutenue par ses opposants radicaux, mais dans le gouvernement la majorité des ministres est sunnite, suvis de chrétiens et il n'y a qu'un seul ministre alaouite ...à la direction du parti baath c'est la même chose ...je sais qu'on peut dire que le vrai pouvoir c'est la tête de la police politique dont le chef est le frère du président et donc alaouite, mais cela mérite réflexion et analyse. On ne peut balayer d'un revers de main tout les membres du baath et le gouvernement sous prétexte que ce seraient des potiches. on avait aussi dit que le régime de Saddam c'étaient les "sunnites" du clan tikriti et il s'avère qu'ils ont une base plus large puisqu'une grande partie de la résistance c'est eux, y compris dans la sud chiite.
Quoi qu'il en soit, des imams et oulémas sunnites soutiennent le régime syrien, d'autres non. ce qui montre que les choses sont complexes et que le simplisme est une arme de propagande mais pas d'analyse .Et de toute façon 30% de la population n'est pas sunnite et parmi les sunnites, il y a divisions entre islamistes (de différentes tendances d'ailleurs) et laics, ce qui fait dire que le régime a une "bonne base" d'au moins environ 50% de la population, mais probablement plus. Ce qui n'empêche pas de poser la question de la façon de gérer la crise et des structures qui permettent ou ne permettent pas d'affronter la crise et l'avenir.
Quoi qu'il en soit, c'est aux Syriens de décider s'ils veulent la guerre civile, la négociation, le coup d'état ou le statu-quo, ...sans ingérence extérieure. "
Je précise que je n'adhère pas complètement au propos de ce mail, même si certains passages me paraissent être de bon sens (et notamment la conclusion). Par exemple la thèse des snipers d'origine inconnue émane des médias officiels syriens et je ne suis pas sûr qu'elle soit si avérée que cela. Par conséquent, tout comme il faut trier dans les infos qui nous parviennent sur ce pays via les grandes agences de presse, il faudrait aussi effectuer un tri dans ce mail. L'Orient est compliqué comme dirait l'autre. Mais en tout cas ce courriel synthétique a le mérite de fournir un son de cloche que l'on n'entend guère en France.
"Le socialisme impérialiste dans l'Allemagne contemporaine" (1919)
En 1919, la France épuisée par cinq années de guerre, essaie de comprendre son ennemie vaincue, l'Allemagne.
Dans son numéro 73 du 1e octobre 1919 (p. 811), la prestigieuse Nouvelle revue française (NRF) publie une recension sous la plume du germaniste Félix Bertaux. Elle commente le livre "Le Socialisme impérialiste dans l'Allemagne contemporaine, dossier d'une polémique avec Jean Jaurès (1912-1913)" de son maître alsacien (futur professeur au collège de France) Charles Andler, spécialiste du socialisme allemand, qui vient de paraître.
"Ce dossier d'une polémique avec Jaurès remet sous les yeux du public des documents désormais historiques. On se souvient qu'en novembre 1912, Charles Andler avait publié dans l'Action nationale une étude approfondie du socialisme impérialiste dans l'Allemagne contemporaine. Il y dénonçait les tendances de l'aile droite du parti socialiste allemand. Gerhard Hildebrand, Atlanticus appuyé sur Kautsky, Max Schippel, Ludwig Quessel, Sudekum et l'Autrichien Karl Leuthner réclamaient une politique coloniale supposant l'appui socialiste donné à la diplomatie pangermaniste et au militarisme allemand. Hétérodoxie au sein de la Socialdémocratie, soit. Mais celle-ci n'avait acquis d'écrasantes majorités électorales qu'en allant au-devant des appétits germaniques. Gardant, par une imposture devenue éclatante en 1914, la façade internationale au-dedans, elle s'était faite nationale, de plus en plus étoitement. Au congrès d'Iéna, il avait échappé à Bebel : "Le mot d'ordre n'est pas de désarmer, mais d'augmenter les armements".
Cet esprit - faut-il dire nouveau ? - du socialisme allemand, Charles Andler nous le révéla en 1912. Sans se croire héroïque. Sans chercher le bruit.
Simplement il accomplissait un double devoir : devoir d'historien qui a jeté un nouveau coup de sonde dans des parages explorés par lui depuis vingt ans ; devoir de socialiste dont l'attachement à un idéal humain restera exemplaire.
Mais tandis qu'Andler épiait dans les livres et dans la vie l'évolution sociale, que de toute son âme et de toute sa conscience il recherchait la vérité, d'autres intellectuels du parti restaient politiciens, tacticiens purs. Ignorant les faits qui les eussent tirés d'un optimisme béat, ils e prétendaient assurés de mener un mouvement international et unifié. Rêvant généreusement de souder les églises nationales, ils repoussaient la probe information qui démentait leur rêve. Même Jaurès fut victime de l'illusion ; il voulut l'être. Mal entouré, circonvenu et trop faible un jour pour regarder les choses en face, il se laissa aller à reprocher à son ancien camarade de travailler "pour l'Europe bourgeoise et réactionnaire". Et à sa suite un "troupeau de buffles" piétina l'apôtre de la vérité, au printemps de 1913, alors que l'on discutait de la loi de trois ans (*).
La justification d'Andler est venue - combien vite ! - et la réparation. Jean Richard-Bloch, Charles Albert, les plus purs, les meilleurs ont compris et témoigné. Jaurès aussi fût venu à résipiscence, dit Andler dans une émouvante introduction.
Ainsi se clôt pour l'auteur un débat dont il sort grandi. Et les pièces qu'il rassemble éclaireront l'histoire d'hier. Elles serviront en outre d'introduction à la vie de demain. Un merveilleux remueur d'idées nous initie dans ce livre, comme dans sa collection du Pangermanisme et dans ses récents articles de l'Action nationale, aux détours d'une politique sociale restée agossante. Lui seul peut-être connaît l'ensemble des faits, lui seul les domine. Il est vraiment au dessus de la mêlée pour l'avoir traversée en y laissant un sang généreux, pour l'avoir dominée d'une intelligence souveraine. C'est sur cette intelligence qu'il faut insister : alors que la cervelle s'oblitère chez les maniaques dangereux, un homme a su allier à la ferveur de l'action la probité de l'étude, à l'enthousiasme la conscience, à la chaleur la lucidité. Seuls les esprits ainsi libres doivent nous guider dans l'élaboration d'une nouvelle civilisation intellectuelle et sociale. Avec des maîtres comme Andler, des annonciateurs comme Albert Thierry, des chercheurs comme Pierre Hamp, la France y peut apporter une assez belle inspiration" ( *) sur le service militaire
Ce texte m'intéresse beaucoup, à plusieurs égards. L'idéologie européiste dans les années 1980-90 nous a conduitsà voir chez les socialistes français ralliés à l'Union nationale des cyniques opportunistes. Berteaux au contraire les considère comme des "purs" mais des purs lucides, en rappelant qu'ils ont eu le courage de ne pas s'aveugler sur l'internationalisme, c'est à dire aussi le courage de s'opposer à de logiques d'appareil qui s'aveuglaient pour présever une Internationale socialiste moribonde. Cela doit nous faire réfléchir : ceux qui condamnent le ralliement de certains socialistes français au patriotisme sont peut-etre aussi des gens qui méprisent par trop l'héritage républicain français et sousestiment le danger que fut pour l'Europe le pangermanisme.
En outre on retrouve dans ce texte un trait déjà rencontré dans les mémoires de Romain Rolland : l'image d'un Jaurès faible, qui contraste avec l'idéalisation du personnage dans notre mémoire collective.
Les considérations de Berteaux à ce moment-là sont d'autant plus importantes qu'elles ont gardé leur actualité. A l'heure où Berteaux écrit, la socialdémocratie nationaliste allemande assassine Rosa Luxembourg et magnigance pour créer un Etat "menchévik" en Géorgie contre le bolchéviks russes et contrôler de la sorte le prétrôle de Bakou, des aspects gommés de la mémoire européenne (et européiste) comme l'histoire de l'Abkhazie.
J'ajouterai que ces propos qu'on trouve dans la NRF ne sont nullement entâchée d'un nationalisme étroit. Ils sont introduit par un article très intéressant qui évalue les mérites des échanges intellectuels franco-allemands avant-guerre et ce les leçons qu'il faut tirer de la guerre pour redéfinir l'universalité intellectuelle française. Nous y reviendrons peut-être...