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Le blog de Frédéric Delorca

Articles récents

L'Abkhazie et l'hégémonie occidentale

7 Mars 2011 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Abkhazie

Il est très à la mode de dire que l'Occident est en perte de vitesse et que des pays "émergents" sont prêts à lui damer le pion. La presse dominante  brode sur ce thème pour nourrir des craintes fantasmatiques, à l'égard de pays comme la Chine notamment (comme autrefois à l'égard de l'URSS), et les adversaires de l'ordre mondial veulent bien y croire pour se redonner le moral.

 

Je crois que, si le reflux occidental existe (en fait il existe depuis 1945 si on prend comme critère la part des Occidentaux dans le Produit mondial brut), il ne faut pas en exagérer la portée.

 

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Une des preuves du maintien de l'hégémonie économique, politique et militaire occidentale se rencontre sur le dossier de la reconnaissance des républiques sécessionistes de Géorgie. Trois pays ont suivi la ligne de Moscou, trois seulement, un chiffre qui n'a pas changé depuis décembre 2009.

 

Je lisais ce matin un peu par hasard une dépêche de RIA Novosti d'août dernier reprenant les propos du président Biélorusse Loukachenko pour justifier son refus de reconnaître le gouvernement de Soukhoumi. Je crois que l'explication en dit long sur la nature des rapports de forces :

 

"Je lui ai dit [au Président russe] : pas de problème pour la Biélorussie afin de reconnaître l'Ossétie du Sud et l'Abkhazie. Mais je lui ai énuméré les problèmes pouvant surgir à cette occasion pour la Biélorussie dans ses relations avec l'Union européenne, les Etats-Unis, la Communauté des Etats indépendants (CEI) et ainsi de suite (…) plus d'une dizaine de problèmes".

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La lecture sérieuse

3 Mars 2011 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Ecrire pour qui pour quoi

Ce qui m'a toujours séduit chez Boudon, et qui me séduisait à la Sorbonne (Paris IV à l'opposé de Paris I) en philo même si je m'y ennuyais ferme, c'est qu'il défend une culture de la lecture sérieuse des auteurs (contre le "carottage" qu'il prête à Althusser, et que mon censeur de lycée en 1987 prêtait à Foucault, mais il est significatif que j'aie eu mon prix au concours général dans un lycée où le censeur était foucaldien, fermons la parenthèse).

 

La lecture sérieuse. Rien ne la remplace. Et pourtant tout nous en détourne. Si je veux me sentir utile à mon époque en ce moment, je vais éplucher l'actualité, la commenter, ce qui me vaudra le titre de "spécialiste de la géopolitique" par exemple (qu'un normalien dans un de ses mails m'a accordé bizarrement cet après-midi) et quelques lignes dans le Monde Diplo.

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Un autre travail, qui consiste à se lancer dans des auteurs oubliés, ou méprisés, sans savoir ce qu'on y cherche, est beaucoup plus ingrat. Il vous coupe du monde, fait de vous un moine ou un fou. Et pourtant une certaine essence du travail intellectuel se trouve bien là, dans cette lecture non-mondaine, anti-mondaine, qui, dans le totalitarisme actuel du "nous" du "tous ensemble dans le présent actuel", vous conduit sûrement à la mort.

 

Ce soir j'ouvre un bouquin de Christopher Lasch qui traine dans ma bibliothèque. Je m'attends à y tomber sur considérations à la Michéa sur le système mondialisé. Pas du tout. Je découvre un passage sur la psychanalyse et la honte. Un hasard complet. Il y a un mois je suis tombé en lisant Julius Evola (auteur prohibé dans le monde d'aujourd'hui) un passage sur la honte, qui me fait penser à celui de Sartre dans je ne sais plus quel livre, et celui de Lévinas dans Le Temps et l'Autre. Je tiens là une piste de ce que je pourrais faire : une topologie de la problématique de la honte et de la pudeur chez ces quatre auteurs, les faire dialoguer à quatre autour de ça. J'en tirerais sans doute quelque chose de plus profond que le bricolage que l'historien Jean Claude Bologne effectue autour de ces concepts dans son dernier livre sur les sentiments féminins. Je le ferai peut-être un jour. Mais il est significatif que rien dans le système social actuel ne nous encourage à le faire. Et Boudon a même raison de dire que les enseignants eux-mêmes ne le font plus. Pour tous les grands auteurs ne sont plus que des avatars sur Internet, des sémaphores.

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Le retour du petit carrosse de Raymond Boudon

3 Mars 2011 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Philosophie et philosophes

Il a vécu de sa petite rente de sociologue libéral parmi les exilés de Coblence (ou plutôt ceux de Paris IV, mais c'est pareil) quand le Quartier latin faisait sa petite révolution par les sciences humaines. Thermidor a eu raison de la Montagne, et sans même qu'il y eut de parenthèse impériale, les Bourbon sont revenus et Raymond Boudon vient mettre son point final aux rêveries des petits bourgeois excités qui, dans les années 70, ne voulaient pas l'entendre. Un site de droite, "enquête débat", lui donne la parole.

 

Jeu de balancier de l'histoire moderne. Presque anecdotique au fond. Cela dit Boudon m'ennuyait à 20 ans, mais à 35 j'appréciais son souci de rester proche de l'esprit scientifique. Il est vrai que le structuralisme a beaucoup trop abîmé le peu de scientificité que les sciences humaines pouvaient avoir. A part ça j'aime bien ce qu'il dit d'Althusser.

 

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Sortie de mon livre "Denise Albert, une résistante à Sevran"

3 Mars 2011 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Un livre épuisé sur D. Albert

visuel-couverture.jpgVient de paraître"Denise Albert, une résistante à Sevran" au Editions Le Temps des Cerises.

 

Pour avoir une idée du contenu on peut se reporter à la vidéo de décembre 2009 ci dessous :

 

 

 

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Recension de mon livre "Abkhazie" dans Le Monde diplomatique

1 Mars 2011 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Abkhazie

Ci-dessous la recension de mon livre "Abkhazie" sous la plume d'Evelyne Pieiller dans Le Monde Diplomatique de mars 2011 :

 

CR Abkhazie Diplo 2

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Un mot sur la Libye

25 Février 2011 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Colonialisme-impérialisme

Quand j'ai lu cette semaine que la Jornada (journal mexicain) publiait un billet de Castro sur l'intervention possible de l'OTAN en Libye, je me dis décidé à écrire un billet interrogatif (et pas péremptoire) du tout, sur la question des ingérences occidentales dans ce pays. J'avais lu aussi la déclaration du ministre des affaires étrangères britannique sur une possible fuite de Kadhafi au Vénézuela, et l'attitude occidentale me semblait plus franchement favorable à la révolution libyenne qu'elle ne l'avait été, par exemple, à celle d'Egypte.

 

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J'ai donc pensé qu'il était de mon devoir de poser, sur le blog de l'Atlas alternatif, la question des ingérences pour faire réfléchir les gens et les déscotcher un peu de leur fascination pour l'image du Kadhafi dément et "boucher de son peuple" que nous vendent les médias (comme ils l'avaient fait auparavant sur Saddam Hussein). En même temps je voyais bien que poser la question pouvait dans un sens passer pour une attitude hostile à la révolution libyenne (ce qui n'est pas du tout ma position), et pour une tendance "complotiste" digne de l'extrême-droite...

 

J'ai donc écrit mon article dans un premier temps sans l'envoyer aux abonnés du blog. Sa publication n'a été signalée que par le flux RSS sur Facebook - accessible aux 4 400 "amis" du réseau. A ma surprise le lendemain j'ai vu que plus de lecteurs de Facebook s'étaient manifestés pour "aimer" mon article que pour les articles précédents, et j'en ai donc conclus que l'article répondait à un certain besoin. C'est à ce moment là que je me suis décidé à le transmettre aux abonnés, tout en devinant qu'un certain nombre d'entre eux allaient grincer des dants.

 

Le surlendemain, l'audience du blog dépassait de pratiquement 30 % l'audience moyenne des jours de publication d'articles, avec notamment des gens qui s'y étaient connectés après avoir cherché sur Google des mots clés comme "qui derrière a révolution libyenne" lesquels montraient que des gens extérieurs à la mouvance de l'Atlas s'interrogeaient aussi là dessus. Mon article n'a pas été beaucoup repris sur des blogs, mais le journal communiste italien l'Ernesto l'a tout de suite traduit et publié, ce qui peut laisser penser qu'il a une "autre vie" désormais dans la langue de Dante.

 

Un camarade blogueur m'a interpelé par mail aujourd'hui en me reprochant gentiment (comme je l'avais prévu) la connotation "complotiste"  de l'article. Il a enveloppé son propos en me disant que décidément la gauche et l'extrême-gauche française ne croyaient pas aux révolutions, mais sa remarque me visait puisqu'il me transférait mon propre texte.

 

En réalité mon article ne reflète guère le point devue de la gauche et de l'extrême-gauche française où la haine de Kadhafi est très présente, mais plutôt celui de la gauche latino-américaine, très cité dans l'article, et plus précisément celui de Castro, de Chavez et d'Ortega (car le reste de la gauche là-bas aussi est divisée sur les événements libyens - voyez par exemple aporrea.org). A vrai dire il ne les reflète pas, car ces trois leaders (qui n'ont pas toujours été très clairvoyants, mais auxquels on ne peut pas reprocher de ne pas "aimer" les révolutions) sont beaucoup plus affirmatifs que mon article sur le cas libyen, mais disons que cet article rejoint certaines de leurs interrogations. Et surtout ce billet correspond avant tout à la vocation de l'Atlas alternatif qui est d'alerter les gens sur les ingérences extérieures sans se prononcer trop sur le fond des combats politiques internes aux pays concernés. J'estime que cette vocation n'est pas complotiste et paranoïaque comme elle l'est à l'extrême-droite (où elle en vient même à désarmer la combattivité des militants). Elle vise plutôt à accompagner les mouvements populaires en les aidant à se méfier des détournements et confiscations possibles de leur révolution par les puissances étrangères (ou du moins telle serait cette vocation si le blog dépassait un nombre de lecteurs très restreint). Un supplément de lucidité peut accroître l'efficacité de certains soulèvements.

 

Or, en terme de détournements et de confiscations possibles, les révolutions arabes nous ont servi leur lot de craintes ces derniers temps. Particulièrement en Egypte où l'on en vu un coup d'Etat militaire "made in CIA" se substituer purement et simplement à la révolution (même si ce n'est peut-être que provisoire).

 

Le risque de confiscation pro-occidentale en Libye est encore plus grand. Car quoique Muammar Kadhafi soit devenu avec le temps un despote corrompu, ami de Berlusconi et adepte de la répression des migrants africains (ainsi que l'a rappelé une association de sans-voix du Mali), il restait aussi un allié fidèle de Chavez au sein de l'OPEP, le supporter de la Palestine, et une certaine image, malgré tout, du socialisme anticolonialiste arabe dont les plus de quarante ans n'ont pas complètement oublié la signification.

 

Des analystes de droite américains, et des Russes aussi je crois, ont souligné que la CIA avait pu d'autant plus trouver un intérêt à renverser Moubarak (dès lors que l'armée égyptienne était sûre de pouvoir contrôler laprès-putsch) que celui-ci avait parfois nui aux Etats-Unis, en s'opposant par exemple à une guerre contre l'Iran. En Libye évidemment Kadhafi aura nui encore davantage il va de soi, au camp occidental que Moubarak, donc il est très logique que la hâte de le renverser soit grande.

 

Tout comme il est compréhensible aussi que le père de la révolution libyenne (celle de 1969) se dise prêt à mourir avec le régime qu'il a créé, son enfant, plutôt que de s'enfuir avec le butin comme l'ont fait les dictateurs "classiques" de Tunisie et d'Egypte. Normal aussi qu'il trouve assez de partisans, malgré l'ampleur du mécontentement populaire, pour pouvoir engager le pays dans une guerre civile, au moins pour quelques jours.

 

Mais on voit bien qu'aujourd'hui Kadhafi n'est déjà plus le problème, pas plus que Ben Ali ou Moubarak. Le problème c'est le devenir de la volonté populaire - cette volonté baroque, imprévisible - qui a émergé dans le monde arabe cet hiver. Il est clair que Washington a trouvé le moyen de prendre le train en marche au bon moment. On retrouve là toute la finesse des démocrates au pouvoir et de l'école de Brzezinsky : ils savent épouser l'énergie politique des pays musulmans bien mieux que les néo-conservateurs. Ils sont su redécorer (comme le disent les supects de Tarnac dans un communiqué récent) les révoltes aux couleurs du jasmin et du lotus comme s'il s'agissait de mouvements bourgeois colorés à l'ukrainienne contrôlés par leurs soins (alors justement qu'au début rien n'était contrôlé du tout).

 

Les peuples arabes peuvent-ils maintenant faire quelque chose pour que cet hiver qui fut le leur ne devienne pas un printemps de la CIA ? Voilà la seule grande question qui est posée aujourd'hui, et, pour tout dire, la réponse que je serais tenté de donner n'est pas très optimiste, mais je suspends encore mon jugement là dessus.

 

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Vive l'artisanat !

23 Février 2011 , Rédigé par Frédéric Delorca

Actualisation 2019 : Mes découvertes sur le monde des médiums, de la sorcellerie, et des forces invisibles m'ont fait complètement renier ce livre "Eloge de la liberté sexuelle stoïcienne" dont j'ai demandé à mon éditeur de ne plus le publier

Croyez moi, mes amis, dans le "travail intellectuel" (so to speak), rien ne vaut l'artisanat. Polissez votre meuble, huilez votre montre suisse, fabriquez vos petits jouets tranquillement dans votre coin. Peut-être un jour une multinationale s'intéressera-t-elle à ce que vous faites, peut-être pas, et peu importe.

 

eloge toicien

Ce soir je regarde la page Facebook de mon éditeur (le Cygne). Je vois qu'il annonce la sortie de mon avant-dernier livre (le dernier étant pour mars au Temps des Cerises), "Eloge de la liberté sexuelle stoïcienne", un livre très personnel, mais il faut aussi, hélas, parfois écrire aussi des choses comme cela pour le repos de la conscience. Un type ajoute comme commentaire : "Ce récit m'a tout l'air fameux! Il m'en faudra quelques exemplaires pour mon prochain passage à Paris...à bientôt!". Je me renseigne sur ce monsieur en cliquant sur son nom (merveille de la technologie facebookienne). Je découvre qu'il se dit anticapitaliste, qu'il a bossé pour la petite maison d'édition de son père et qu'il "exerce l'activité de bouquiniste mobile entre Nantes et Rennes." Aussi il "défend la cause animale et le végétarisme".

 

Voilà donc que "la traçabilité" de mon petit récit très personnel est établie à mes yeux. Je sais qu'il va maintenant se ballader entre Nantes et Rennes dans la malette d'un bouquiniste ambulant "anticapitaliste". Le voilà embarqué donc sous des cieux un peu bohème. Peut-être aussi ira-t-il dans la bibliothèque de ce poète et blogueur marocain qui a mis un "j'aime" sous l'annonce de mon éditeur relative à ce livre.

 

J'aimerais bien connaître la suite de l'histoire. Qui du côté de Rennes et de Nantes va donc acheter un exemplaire de ces livres que le libraire ambulant aura pris dans sa malette ? Le poète marocain sera-t-il si déçu par ce bouquin qu'il s'en débarrassera immédiatement dans une "foire à tout" ?

 

Allez savoir. "Vos livres vont vivre leur vie" m'avait dit un libraire un jour. On ne sait jamais où ils vont se retrouver. L'idée est grisante je trouve...

 

Du coup j'ai déjà un regret. Celui de n'avoir pas assez soigné le style, pas bien maîtrisé la narration. La dame des Editions "La Différence" m'avait dit que je tenais là un sujet extraordinaire, qu'il fallait y prêter beaucoup d'attention. Mais moi, toujours idiot, toujours démissionnaire, j'ai ruminé bêtement ce texte pendant 10 ans sans trop savoir quel ton lui donner, et finalement je n'avais plus que le souci de m'en débarrasser au détour de la quarantaine pour tourner cette page. J'étais égoïste. Je n'ai pas pensé au lecteur. Je ne savais pas que le sujet intriguerait du côté de Rennes, ou chez les poètes rifains. D'une certaine façon c'est en partie mon éditeur lui-même qui m'a convaincu de ne pas le prendre au sérieux. En 2009 quand je le lui avais proposé, il m'avait dit "c'est très personnel, difficile à vendre, écrivez plutôt un essai ou un récit de voyage". Et j'avais opté pour l'Abkhazie. Il avait raison de son point de vue puisque les essais chez lui se vendent mieux. Mais peut-être sur le long terme ma petite histoire peut-elle finalement intéresser davantage que l'Abkhazie, et, dans ce cas là, c'est la gravité de la dame des Editions "La Différence" qui se serait avérée très pertinente. Mais non, allez, j'assume toute la responsabilité de tout ça. Car la gravité de la dame avait fini par me paralyser. Le scepticisme des Editions du Cygne, lui, m'a libéré. J'ai pris comme un défi de les convaincre de le publier en 2011, et c'est devenu pour moi un jeu, et je n'ai plus trop prêté attention à ce que j'avais vraiment mis, retiré et rajouté dans ce livre pendant 10 ans. La légèreté, l'esprit du jeu, ont permis que le livre sorte. Reste à voir maintenant si le récit est toujours aussi "fameux" à la lecture détaillée, ou simplement rasoir pour les lecteurs, s'il échoue dans les canivaux de Rennes ou de Nantes ou essaime dans d'autres bibliothèques. Ne nous en préoccupons pas trop. De toute façon je ne saurai jamais vraiment ce que ce livre deviendra dans le regard de mes lecteurs tant les retours sur ce qu'on fait son finalement très rares. Dans un sens ce n'est pas plus mal.

 

Ces derniers jours je fais aussi un peu d'artisanat autour des révolutions arabes sur le blog de l'Atlas alternatif. Au Bahrein, en Libye. J'essaie de faire entendre quelques petites questions qu'on ne se pose pas assez. Sur le fond je me réjouis que ces peuples aspirent à la liberté. Mais je ne puis m'empêcher de réfléchir à ce que les officines occidentales font ici pour utiliser et encourager le besoin de démocratie des gens, là au contraire pour le réprimer. M. Medvedev en Russie est très inquiet. Il redoute que, une fois passée l'euphorie populaire, des régimes "fanatiques" s'installent au Caire ou ailleurs. Les Russes sont sans doute comme toujours trop pessimistes. Mais ils ont au moins le mérite de tenter de réfléchir à l' "après". Ce que je ne trouve pas beaucoup dans notre bonne presse...

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L'arrière-plan mitterrandien

19 Février 2011 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Souvenirs d'enfance et de jeunesse

Les années 1990 furent catastrophiques pour le monde parce qu'elles marquèrent l'apogée de l'arrogance occidentale et le début d'une foi stupide dans toute sorte de leurres comme ce que nous appelions, par exemple "les autoroutes de l'information", mais elles n'étaient pas encore catastrophiques pour la France.

 

Nous avions encore Mitterrand, nous l'avons eu jusqu'en 1995. Soyons clairs : je suis radicalement hostile au mitterrandisme comme pratique politique, comme art de la trahison, à l'égard duquel des gens comme Mélenchon sont très loin d'avoirs pris la distance nécessaire. Mais je défends le mitterrandisme comme style, comme langamitterrand.jpgge, comme comportement.

 

On ne sait jamais jusqu'à quel point un chef d'Etat surdétermine le mode de vie et les perspectives d'avenir des ses concitoyens. Aurions-nous eu le Grand siècle français sans Louis XIV ? Jusqu'où le chef d'Etat qui est le fruit d'une époque n'est-il pas aussi son père à maints égards ? De Gaulle n'a t il pas réellement retardé le déclin français ? Dans un pays aussi étatisé que la France on peut raisonnablement le penser.

 

De même je pense que Mitterrand par son style a en quelque manière retardé la faillite générale de nos élites dont Sarkozy est aujourd'hui le nom. Il n'était pas particulièrement courageux (sauf contre sa maladie), pas particulièrement clairvoyant, pas particulièrement grand écrivain non plus, n'en déplaise à ses courtisans. Mais il avait pour lui simplement le fait de venir d'un autre monde, cette vieille bourgeoisie française un peu facho sur les bords qui avait au moins pour elle de chérir les belles lettres et de rejeter certaines facilités. Son appartenance à ce monde-là qui était déjà extrêmement daté dans les années 1980-1990 conférait à Mitterrand une grande capacité de résistance aux modes de son temps, et notamment à la dictature des médias, de sorte qu'il avait su les réduire à sa merci et non l'inverse.

 

Et son décalage à l'égard du nouveau monde qui allait naître - celui des année 2000 - d'une certaine façon "tirait encore" tout le monde vers le haut, au point d'ailleurs qu'ensuite son adversaire et successeur Chirac allait vainement tenter de le singer.

 

Avec le recul, je ne crois pas plaquer sur cette époque là une nostalgie erronée. Oui, j'étais alors élève de l'Ecole nationale d'administration, en plein milieu des années 1990, sur une pente personnelle beaucoup plus ascendante que celle d'aujourd'hui, mais ce n'est pas pour cela que je magnifie ces années. En ce temps là j'étais déjà critique du mitterrandisme, conscience de servir une République minée par des affaires troubles. Mais encore une fois, il y avait ce style du chef de l'Etat , qui par lui-même laissait entendre que l'Etat existait, "en soi et pour soi" comme eût dit Hegel, sans avoir besoin des caméras, ou de la bénédiction de Wall Street. C'est pour cela que même un asocial rêveur comme moi pouvait encore, en ce temps-là, trouver la force de faire le planton devant une caserne, ou prononcer des discours à la place d'un préfet dans des comices agricoles : parce que l'Etat n'était pas ridicule, l'Etat gardait sa propre assise.

 

Pour aussi excécrable que fussent le Prince et son cercle d'admirateur. Je pourrais épiloguer longtemps. Vous parler des ambassadeurs que j'ai connus en ce temps là, deux qui avaient été chefs du protocole de l'Elysée, je pourrais vous dire en quoi le style mitterrandien avait déteint sur eux dans les bons côtés et les plus négatifs. Mais je garde ces témoignages pour mes vieux jours, quand tout le monde sera mort et qu'ainsi je serai délivré de l'obligation de réserve.

 

Mais je crois vraiment que cet arrière plan mitterrandien donna un sens à mes vingt ans, à mes études à Sciences Po, à ma vision de l'avenir, même quand je m'y opposais, même quand je le dénigrais. Il en donnait à l'ensemble de la structure sociale dans laquelle je baignais. Et ce n'est sans doute pas un hasard si je suis allé écrire un mot, moi aussi, comme tant d'autres, sur le registre mortuaire du vieux président, au lendemain de sa mort.

 

En fait je ne suis pas loin de penser que nous qui avons eu 20 ans à Paris en 1990 sommes tous, peu ou prou, comme ce type dont on m'a parlé qui avait fait de longues études à Berlin Est pour devenir diplomate, et a décroché son premier poste de diplomate Est-allemand trois mois avant la disparition de la RDA pour finir au chômage. Seuls des gens particulièrement madrés, comme les ministres du gouvernement actuel, ceux qui dès le départ étaient nés pour dépasser l'Etat, peuvent échapper à ce sentiment.

 

Je crois que c'est une erreur que de chercher à compenser le sentiment du déclin de l'Etat français en bricolant sur Internet comme je le fais depuis douze ans maintenant. Internet ne fera pas revivre ce qui est mort dans l'aventure que l'Etat français nous offrait au début des années 1990 ni ne proposera aucune aventure de substitution. Les années de plomb sont loin d'être terminées.

 

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