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Performances artistiques, psychanalyse, sécessionnismes et autres créations de l'esprit
J'assistais hier soir en province à une performance artistique dans un petit théatre. Juste avant il y avait 40 personnes pour la projection vidéo, puis, quand la perfomance commença, nous n'étions plus que sept, aux premières loges si l'on peut dire, puisque le public était assis sur des chaises intallées sur la scène même.
L'artiste participe à plusieurs festivals comme ça aux quatre coins de l'hexagone. Je l'ai interviewée il y a 3 jours. Une impression de sérieux et de modestie (ce qui est rare dans ce milieu) se dégageait de sa personnalité. J'ai un peu de mal à concevoir qu'on ne puisse travailler à chaque fois que pour six ou sept personnes. Cela me fait penser aux remarques de Paul Veyne sur les inscriptions de la colonne de Trajan à Rome, situées si haut dans l'édifice que personne de toute façon ne pouvait les lire. Bien sûr l'artiste fait des photos, des vidéos, ces images seront diffusées dans d'autres festivals, mais pour combien de personnes à chaque fois ?
Je me dis qu'aussi peu de gens connaissent les productions de cette artiste que les miennes (au fait : la bibliothèque de Sciences Po vient d'acheter mon bouquin sur l'Abkhazie - ils ont l'oeil les bougres !), mais que c'est elle qui a raison. Il faut avoir l'esprit d'un artisan dans tout ce que l'on fait.
Suivant les goût du temps, mais à contre-temps, j'ai acheté cette semaine le Livre noir de la psychanalyse, plutôt que le bouquin d'Onfray sur Freud. Je ne partage pas certains de ses plaidoyers pour les méthodes comportementalistes, mais le livre est utile. Je recommande notamment la contribution du psychiatre lyonnais Jean Cottraux qui a entre autre le mérite de montrer les effets des modes parisiennes en province (et les bienfaits relatifs du conservatisme de celle-ci à l'égard des délires de la capitale). L'ironie de Cottraux sur l'obséquiosité de Deleuze accueillant Lacan à la gare me touche évidemment. Ce sont les impostures de toute une époque dont il est fait le procès ici.
Je suis encore frappé par l'arrogance avec laquelle les pontes de la psychanalyse ont répliqué à cet ouvrage, comme s'il s'agissait d'une sorte d'attaque "américaine" contre eux - les philosophes avaient usé du même argument contre le livre de Sokal et Bricmont dans les années 1990. Les ressorts du nationalisme fonctionnent toujours dans l'intelligentsia. Plus profondément, je ne comprends pas que des abus de pouvoir, dûment démystifiées, comme le cléricalisme de la psychanalyse, ou l'aura de M. Kouchner, ou le système éditorial de Bernard-Henry Lévy, et tant d'autres tristes réalités de notre temps, survivent si facilement aux attaques dont ils font l'objet. Comme si au fond les critique n'avaient pas d'importance. Comme si l'opinion publique tenait à rester sous le joug de tant d'absurdité. On trouve toujours à ceux qui ont abusé de la confiance du monde des circonstances atténuantes et des raison de persister dans leur puissance. N'est-ce pas étrange quand même ? le peu de pouvoir qu'a l'intelligence en ce bas monde...
Je ne puis terminer ce billet sans dire un mot d'un reportage d'Arte ce soir sur la Papouasie. Le reportage déplore que l'Indonésie n'aide point les Papous qu'elle a colonisés et soutient leur indépendance. Issu d'une minorité gasconne méprisée, j'ai beaucoup de sympathie pour différents sécessionnismes (notamment celui des Sioux Lakota aux Etats-Unis), mais je suis allergique à l'ingérence du fort dans les affaires du faible. L'Occident étrangle l'Indonésie via le FMI, l'OMC. Comment ses journalistes peuvent-ils en prime soutenir les sécessionnismes en leur sein ? Si la Chine étranglait financièrement la France, accepterions nous qu'en prime un journaliste de Pékin explique que la région de Nice doit faire sécession parce que Paris ne l'aide pas ?
Je cite la région de Nice à dessein car elle a fêté cette semaine le 150ème anniversaire de son rattachement à la France. A ce propos un ami anarchiste m'écrit : "Le Comté de Nice a constitué pendant des siècles une confédération de communes librement associées entre-elle ; dont l’économie était essentiellement autosuffisante et localisée.
Malgré les dégradations (bétonnage de nos cotes et de nos montagnes, destruction d’écosystèmes importants); nous disposons encore d’atouts majeurs : Des terres peu polluées, de l’eau, une réserve de biomasse importante et un climat encore propice.Alors ! Pourquoi pas ? Pourquoi ne pas faire valoir notre droit et reprendre nos libertés afin de construire un autre modèle de développement pendant qu’il en est encore temps.Le traité de Turin de 1860 est caduc ( devant l’ONU depuis le 24 Mars 2010) , le Comté de Nice et la Savoie sont en droit de recouvrer leurs libertés confisquées une premiére fois de Septembre 1792 à 1814 puis de 1860 à nos jours."
Je vous laisse juges....
L' appel d'il y a 70 ans
Nous commémorons aujourd hui les 70 ans de l'appel du grand Charles sur fond de sondage indiquant que le gaullisme (largement trahis par les-soi disant disciples du général, M. Sarkozy notamment) ne dit plus grand chose à personne.
Je suis étonné pour ma part du fait qu'on ait imposé aux maires, notamment ceux de gauche, pendant des décennies de faire l'éloge à chaque 10 juin du chef d un parti (l'UDR) qu'ils affrontaient (lui ou son héritier) à chaque élection et auquel ils reprochaient même d'être revenu au pouvoir par les armes.
On aurait pu tout aussi bien leur faire commémorer la création du conseil national de la résistance le 27 mai 1943 voire l'appel du 17 juin 1940 du communiste Charles Tillon qui commençait ainsi : « Les gouvernants bourgeois ont livré à Hitler et à Mussolini : l’Espagne, l’Autriche, l’Albanie et la Tchécoslovaquie... Et maintenant, ils livrent la France. Ils ont tout trahi. Après avoir livré les armées du Nord et de l’Est, après avoir livré Paris, ses usines, ses ouvriers, ils jugent pouvoir, avec le concours de Hitler, livrer le pays tout entier au fascisme. Mais le peuple français ne veut pas de l’esclavage, de la misère, du fascisme ». Il se terminait par un appel à l’insurrection : « Peuple des usines, des champs, des magasins et des bureaux, commerçants, artisans et intellectuels, soldats, marins, aviateurs encore sous les armes, unissez vous dans l’action !».
Voici un regard africain sur notre histoire dans les années 40 et ses conséquences, regard largement caricatural (quoique pas seulement), mais sans doute révélateur d'un état d'esprit.
L'Occident et le reste du monde
Ce matin, je trouve un petit article sur la manière dont l'Occident fait du "lobbying" pour pousser des pays du Sud à reconnaître le Kosovo - lisez ici. Ce n'est pas très glorieux mais c'est quand même moins grossier que le chantage à l'aide économique qu'on a connu en d'autres temps (il est vrai qu'en ce moment, un pays que l'Occident n'aime pas peut se retourner vers la Chine).
Il y a décidément diverses choses que les pays riches ne peuvent pas comprendre. Sur les pirates au large de la Somalie par exemple : leur côté Robin des Bois. Vous n'y croyez pas ?
Alors lisez ceci publié sur le site vénézuélien Aporrea le 21 janvier dernier :
"Des porte-parole de ceux qu'on appelle les « pirates somaliens » ont exprimé leur volonté de transférer une partie de ce qu'ils ont pris à des bateaux transnationaux et l'envoyer à Haïti. Les chefs de ces groupes ont déclaré avoir des liaisons dans divers endroits du monde qui les aideront à garantir l'envoi de l'aide, sans être détectés par les forces armées des gouvernements ennemis. Les « pirates » redistribuent normalement une partie considérable de leurs profits auprès des parents et de la population locale. Dans leur mode d'action, les « pirates » demandent aux entreprises transnationales propriétaires de la cargaison confisquée de payer son prix en liquide, puisque les banques ne peuvent pas opérer en Somalie. « L'aide humanitaire à Haïti ne peut pas être dirigée par les Etats-Unis et les pays européens, car ils n'ont pas d'autorité morale pour cela. Ce sont eux qui font de la piraterie sur le dos de l'humanité depuis de nombreuses années », a dit le porte-parole somalien."
A l'heure où l'on apprend que Monsanto veut faire main basse sur l'agriculture haïtienne, cette dépêche sur la Somalie, que vous ne lirez nulle part dans nos journaux, donne quand même à réfléchir.
Le jeu des préférences idéologiques
Il est un exercice auquel tout le monde devrait s'astreindre car c'est une bon test d'universalité de l'esprit, et de symbiose avec l'intérêt commun universel de l'humanité : il consiste à essayé de répérer dans les courants de pensée avec lesquels on n'est pas d'accord, la tendance qui nous semble la plus intéressante, ou la moins mauvaise, du point de vue de l'intérêt général de l'humanité. Dans les diverses idéologies que l'humanité a inventées, parfois sur les bases de croyances complètement fausses, quelle tendance était malgré tout la plus proche de l'intérêt universel de l'humanité.
Par exemple si vous me demandez dans les philosophies-religions asiatiques, laquelle me paraît la plus intéressante, je continuerais aujourd'hui à dire le bouddhisme (même si le taoïsme m'intrigue beaucoup et suscite de plus en plus mon intérêt). L'aptitude de cette doctrine (que pourtant sur le fond je n'approuve pas, pas plus d'ailleurs qu'aucune autre philosophie asiatique fondée sur des bases pré-scientifiques) à prendre en compte l'unité des espèces vivantes, à travailler sur une "sortie" de l'économie du plaisir et du déplaisir, et sa capacité de fonder des systèmes politiques durables à travers l'Extrême-Orient m'impressionne (même si je hais particulièrement celui des Tibétains).
Si vous me parlez des monothéismes, je continuerai à dire que le judaïsme est celui qui m'impressionne le plus. Parce qu'il fut le premier, parce qu'il est devenu d'une très grande intransigeance aussi bien sur l'éthique que sur les rituels. L'Islam me plaît beaucoup aussi par son pragmatisme, sa capacité d'organiser des systèmes politiques sous des latitudes culturelles très différentes, et sa fidélité à l'esprit du judaïsme, plus grande à mes yeux que celle du christianisme. Mais je continuerais à trouver au judaïsme le mérite d'avoir été pionnier et une impressionnante subtilité.
Dans la philosophie grecque ancienne le courant le meilleur, je l'ai déjà dit, selon moi est le stoïcisme, malgré certains de ses égarements (encore que je continue à réserver aussi une tendresse particulière à Platon qui est une sorte de Staline de la révolution philosophique, avec toutes les vertus et tous les travers qu'on peut reconnaître à ce genre de figure).
Dans l'école de pensée marxiste (à laquelle je n'adhère pas, pas plus qu'aux précédentes que j'ai citées), le courant le plus intéressant est sans doute le maoïsme. Parce qu'il a cru aux paysans autant qu'aux ouvriers, parce qu'il a pensé le colonialisme bien mieux que le marxisme classique (ce n'est pas un hasard si parmi les meilleurs anti-impérialistes en ce moment, parmi les plus sincères, on trouve beaucoup d'ex-maos), sa prise de distance à l'égard d'un certain mécanisme marxiste (il y a de la poésie chinoise dans le maoïsme), son courage à affronter la question du pouvoir (et des trahisons) des intellectuels (la révolution culturelle).
Dans le libéralisme, la version la plus intéressante est celle qui se tient à la limite de l'anarchisme. Principalement les libertariens, parce qu'ils ont une sainte horreur des oligopoles, des oligarchies, et du pouvoir militaire auquel elles s'associent.
Nous pourrions étendre ce petit jeu à des tas de domaines qui n'occupent pas une place centrale dans nos manuels scolaires (par exemple les cultures africaines ou amérindiennes, les religions païennes antiques etc). Je trouve cet exercice très salutaire pour les neurones.
Noam Chomsky Chez Taddéï (31 Mai 2010 Ce Soir Ou Jamais)
Etat moderne, Etat minable
L'Etat vend ses berlines, l'Etat vend son immobilier ! C'est l'ancien journaliste d'Europe 1 François Baroin qui orchestre la grande braderie. Normal : l'Etat, il faut que ce soit un truc pourri, un truc minable. Le PDG d'Areva et les actionnaires d'Elf peuvent afficher tous les signes extérieurs de richesse qu'ils veulent. L'Etat, lui, il faut qu'il soit pauvre, très pauvre. Et on peut faire confiance aux courageux enquêteurs du Canard enchaîné qui se réjouirent de la remilitarisation de la Rhénanie en 1936 (pas les mêmes, leurs parents, mais qu'importe, c'est une tradition de l'entreprise), et du bombardement de la Serbie en 1999, pour aller fliquer les derniers ministres bénéficiaires de logements de fonctions (plutôt que d'aller enquêter du côté des milliardaires de Neuilly-Auteuil-Passy)...
L'Etat à quoi ça sert ? A s'endetter pour soutenir les banques en faillite, à jouer les VRP pour vendre des avions de combat (comme notre sémillant ambassadeur en Irak), et bien sûr à taper sur les petits délinquants. Juste ça. Ca ne sert même plus à faire du "social" depuis qu'on en charge les collectivités locales (transfert du RSA aux départements, de la prise en charge des élèves l'après-midi aux communes etc.).
Au fait, vous avez vu que M. Baroin affiche un titre d' "avocat" sur Wikipedia ? M. de Villepin aussi, lui qui était diplomate. Diplomate, haut fonctionnaire, c'est tellement ringard ! Il vaut tellement mieux se dire avocat, beau parleur, spécialiste des mots creux, magicien des effets de manches, spécialiste de l'endormissement, ni vu ni connu j't'embrouille. Ca fait plus "privé". Surtout qu'on n'ait plus rien à voir avec le vieil Etat-garde-chiourme !
Sur la nature humaine (réponse au commentaire de "Dustyboy")
Un défi : en quelques minutes je vais essayer de donner mon avis sur les remarques du lecteur "Dustyboy). Je prends le pari qu'une réponse rapide, presque précipitée (dans tous les sens du mot) vaudra mieux qu'une longue réflexion (à mes risques et périls)
A titre préliminaire précisons qu'en bons chomskyens nous croyons tous ici en l'existence d'une nature humaine universelle, ce qui n'exclut pas bien sûr ensuite des modulations de cette nature suivant les contextes culturels.
Allez je me lance en reprenant le mots de Dustyboy (en italique). Mon commentaire est en police normale.
Sur Zinn tout d'abord, j'ai mal écrit. Je n'ai pas été au bout de mon idée. Il a bien écrit qu'il y avait bien plus d'exemples de violence et de domination dans l'histoire mais effectivement qu'il y avait aussi eu du progrès depuis plusieurs décennies. Dans mon élan j'ai omis de rajouter ça.
- Précision aussi : Chomsky estime que la nature humaine est aussi encline à la solidarité qu'à l'égoïsme
Pour appuyer un peu le cynisme dont je parlais, j'aimerais développer quelques petites choses. Pour en avoir pas beaucoup, beaucoup, beaucoup discuté depuis mon adolescence, je pense (et je m'y mettrais cet été, vacances oblige) qu'il est absolument crucial et "rhétoriquement" structurant que les individus ayant une sensibilité de gauche développent des arguments et contre-arguments solides sur le présupposé de la nature humaine corruptible et méchante. Bon là dîtes moi ce que vous en pensez mais c'est surprenant comment ça ressort.
Deux illustrations : une connaissance à moi a fait un stage de trader à la Société Générale et nous avons discuté pendant 2h et quelques sur la finance. Et le fossé était incroyable ! J'ai comparé les traders mais plus globalement les agents de la finance à des flibustiers. On scrute tel marché, tel prise de risque et on prend position : en Asie, en Afrique, en Europe etc etc. Bon la discussion s'est vite articulée autour des produits financiers techniques et puis inévitablement quant on parle sérieusement d'économie, c'est-à-dire quand on se pose la question la plus difficile en économie à savoir la satisfaction du bien-être du plus grand nombre, la question devient philosophique. Et c'est là que le fossé apparaît. Cette connaissance m'a clairement dit et répété plusieurs fois qu'elle ne croyait pas en l'Homme. Pour elle, il était trop tard pour faire machine arrière. La finance a été dérégulée : "mais tu te rends pas comptes ?! Mais c'est pas possible de revenir en arrière ! mon gars t'as pas idée de la force du truc". Pour lui la course à l'argent est plus forte que le reste. L'Homme voudra toujours de l'argent et fera toujours tout pour dominer les autres.
- Bon, là dessus je ne suis pas d'accord avec vous. Vous prenez un cas extrême : le point de vue d'un type qui a été formé pour devenir un carnassier de la finance. J'ai connu ce genre d'individu à Sciences Po. Mais si je vous emmène à Brosseville dans ma banlieue parisienne, vous trouverez au contraire des tas de gens qui n'ont envie que de créer des associations d'entr'aide, qui en ont un besoin viscéral alors qu'eux mêmes sont pauvres. Ca n'a pas de sens de penser que ceux qui ont grandi dans une culture d'égoïsme sont plus conformes aux universaux de la nature humaine que les généreux (voir ma remarque sur Chomsky plus haut).
Mais j'ai envie de dire, comme je l'ai écrit déjà plusieurs fois sur ce blog : attention ! Votre regard est biaisé par Bourdieu que vous citez souvent. Beaucoup d'anthropologues dans le groupe MAUSS et aussi un Américain comme David Graeber, tous ayant en commun d'avoir travaillé sur le don, reprochent A JUSTE TITRE à Bourdieu d'avoir une anthropologie proche de celle des libéraux (et Marx aussi d'ailleurs) en ce sens qu'elle ne conçoit la vie que comme une recherche d'accumulation égoïste de capital (symbolique ou matériel).
C'est une grave erreur. L'être humain a aussi un besoin de don qui n'est pas réductible à une stratégie de distinction. C'est pourquoi le caritatif fonctionne toujour très bien. Les anthropologues montrent que quand même dans la relation marchande - qui est un type d'échange très particulier dans les échanges humains, autrefois marginal et, par la grâce du libéralisme, hélas, érigé de plus en plus au rang de norme de l'échange - il y a du non marchand qui passe : le vendeur de bagnoles ou la pute au coin de la rue investissent autre chose que de la simple volonté d'accumulation dans leur boulot, même s'ils ne se l'avouent pas consciemment. Il y a, dans notre cerveau, un besoin du regard d'autrui, et un besoin de mouvement vers autrui qu'on repère déjà chez l'enfant qui vient à 18 mois vous donner un bonbon (ce même enfant, qui, c'est vrai, est aussi par ailleurs le petit glouton égoïste qu'on connaît - sans même parler du "pervers polymorphes" de la fichu psychanalyse que j'exècre).
De grand mouvements d'argent ont été libérés, mais ne divinisons pas ce veau d'or. Il lui faut encore des Etats pour en fournir le socle. Même dans la très industrieuse Chine, les banques sont encore nationalisées, et le Parti communiste chinois n'a pas officiellement perdu l'espoir de pouvoir re-socialiser le capitalisme le jour où il lui aura apporté suffisamment de plus-value... Que seraient nos traders sans des Etats qui garantissent leur intégrité physique ?
Deuxième illustration : la discussion que j'évoquais avec mon cousin s'était terminée par son regard désabusé sur l'affluence de gens qui a eu lieu à Paris pour une distribution de billets et avait rameuté plus de 4000-5000 personnes. Et il a eu cette phrase illustrant à merveille sa position philosophique : "Et tu crois que tu peux les changer ces gens là ?" Alors il y a de tout dans cette question : la fatalité, le sous-entendu utopiste et bien sûr le mépris des autres. Parce que la spécialité de notre époque c'est de fabriquer toute une ordre de contestaires de salon. Chacun est plus lucide ou plus rebelle que l'autre en regardant la télé ou en écoutant son poste de radio. Heureusement que ça va se structurer tout ça (j'ai confiance en l'avenir...).
- "Le peuple ce sont ces habitants de Berlin minables à qui on donne quelques deutchmarks pour aller faire des achats dans les supermarchés de l'Ouest et qui y vont" disait avec mépris mon prof de sociologie dandy de droite à la Sorbonne en octobre 1989. Aujourd'hui on pourrait dire contre lui : le peuple ce sont aussi ces Amérindiens de Bolivie qui font une révolution pacifique en refusant le principe de délégation de pouvoir avec un chef à la tête. L'Amérique latine a fourni chaque année dans les années 2000 des exemples incroyables d'altruisme et de résistance aux sirènes du cynisme yankee.
anthropologique si je peux me permettre une telle pirouette. Je crois que nous nous fatiguons les uns les autres mais que désormais tellement différenciés alors nous avons peur les uns des autres. Or la position moyenne est la plus inconfortable. C'est comme les immigrés ou les enfants d'immigrés, c'est comme la position de gens comme Annie Hernaux : elle soumet à un nombre infini de paradoxes et de tensions. C'est terrible ça...
- Oui, sur la situation vraiment critique des masses européennes (c'est à dire des classes moyennes qui sont devenues la majorité). Pas d'accord avec le fait que c'est lié à leur confort. Le confort a été atteint dans les années 1960 comme jamais auparavant, et pourtant l'opinion publique européenne (et nord américaine) fut alors beaucoup plus solidaire et progressiste qu'elle ne l'avait jamais été dans l'histoire.
La situation critique des européennes est liée à beaucoup de choses. Ce que vous dites sur le côté "différencié" de chacun, la pluralité des identitités, est juste, le desserrement des éthiques collectives traditionnelles (familiales, villageoises), l'isolement des gens, la virtualisation des affects avec Internet, le développement du côté velléitaire. Tout un processus de fragilisation qui donne à chacun le sentiment de ne plus pouvoir rien entreprendre de durable et de solide avec autrui, pas même un bon mariage (et donc encore moins une action politique). Peur d'autrui, peur de soi-même, une forme d'infantilisation.
comment surmonter ça ? Je suis pas désespéré loin de là. Comme à d'autres époques nous avons nos verrous mentaux et matériels mais ce n'est rien ou du moins peu. Je reviens d'une réunion de mobilisation sur les retraites et ça donne le peps. Je crois que nous devons travailler dur à court-circuiter les faux fondements. J'ai retenu une chose particulière chez Chomsky: nous avons besoin d'éducation populaire. Et je rêve de mettre ça en place : nous devrions connaître des pans entiers du code du travail, savoir ce qu'est la monnaie, comment elle circule, la formation des prix, des salaires, c'est quoi la science, à quoi ça sert ? quelle est l'histoire sociale de la France etc etc !
Outre la critique sociale "classique" je crois que nous avons besoin d'une force de persuasion immense parce que comme je vous le disais plus haut, à mon sens, notre cynisme est aussi (et peut-être avant toute chose) une crise de scepticisme.
- L'éducation populaire oui. Mais attention. Des gens comme Onfray font de l'éducation populaire qui est de l'escroquerie. Et puis l'éducation populaire est un puits sans fond. Je connais un type (d'origine immigrée) qui veut créer une liste électorale aux municipales dans sa ville en 2014. Il ne sait même pas combien il y a de conseillers municipaux. Ce type - et tout un chacun - peut éprouver une peur panique devant la somme de connaissances qu'il faudrait avoir pour pouvoir entamer des projets dans la vie publique. La technicisation de tous les domaines (qui n'est souvent qu'un enfermement dans la logomachie) peut créer ce sentiment d'impuissance.
Il faudrait commencer par rassurer les gens sur leur aptitude à pouvoir mobiliser autour d'eux et construire des axes politiques même s'ils n'ont pas fait l'ENA. Leur faire comprendre que ce n'est pas un Strauss Kahn ni aucun soi disant spécialiste qui peut engendrer une économie réellement profitable à tous.
Il faut aussi, c'est vrai, déshabituer les gens de la dépendance à la consommation, et là, Arnsperger a sans doute raison, cela suppose les aider à gérer leur rapport à la mort, à leur égo. De toute manière le rapport à l'égo doit être repensé, et une éthique du devoir doit se substituer à celle de la jouissance personnelle. Une éthique de la construction sur le long terme aussi, et de la confiance (sans naïveté et sans excès) en soi et aux autres. Pour les publics les plus fragiles cela n'ira pas sans une certaine dose de religiosité. Mais je préfère une théologie de la libération à un rationalisme cynique et étroit qui fait le lit de la domination capitaliste. Au fait je vous signale un billet des Indigènes de la République qui dénonce à juste titre le fait que le Parti de la Gauche a refusé de manifester aux côtés de représentants musulmans contre le crime israélien contre la flottille pacifiste. Ca ce n'est pas du rationalisme cynique, mais c'est sans aucun doute du rationalisme étroit qui divise les classes populaires alors qu'il les faut rassembler.
Bon voilà j'avais promis de m'en tenir à une réponse hyper rapide. Je m'arrête donc là. Mais le plus dur reste à faire maintenant. Décrire très longuement (dans un livre ? dans un autre espace ?) cette éthique anti-capitaliste dans laquelle chacun pourrait retouver la force de prendre le chemin de l'action collective.
Les Normaliens
Je lis dans Le Monde aujourd'hui : "Rarement les murs de l'auguste établissement de la rue d'Ulm auront connu telle affluence. Plus de 1 800 personnes, selon les organisateurs, se sont pressées dans la nuit du vendredi 4 au samedi 5 juin au sein des locaux de l'école normale supérieure, à Paris, pour la première édition de la "nuit de la philosophie"."
Je parcours l'article en diagonale, rien que les noms cités m'attristent : soeur Monique Canto Sperber, l'abbé André Glucksmann, grands prêtres de la mondialisation libérale, de la religion du fric, de l'exploitation, de la guerre. Ca ne donne pas très envie de lire. Et les déclarations des intervenants du genre "Il s'agissait de montrer qu'il n'existe pas de clivage entre la philosophie médiatique et la philosophie académique "... aïe aïe aïe.
La Normale Sup' austère et bourgeoise d'autrefois n'était sans doute pas agréable à vivre. L'ENS soumise à la dictature de la bonne humeur médiatique obligatoire a l'air de l'être bien moins encore. Quand je vous dis qu'il devient impossible en ce bas monde d'aimer la culture pour elle-même, sauf à être dans une logique de résistance armée. Tout est fait pour détourner les gens de la lecture et de l'écriture sérieuses.
En parlant de vieilleries, je visitais la cathédrale d'Abbeville samedi. Les vitraux dévastés par les bombardements de 45 jamais réparés. Et les bas-côtés de la nef ravagés par la propagande ecclésiastique contemporaine dans tout ce qu'elle a de mièvre, de pseudo-festif, et d'aussi peu convaincue de son propre bien-fondé que la propagande médiatique de Normale Sup. Des dessins d'enfants, des dessins d'enfants à tout va, comme si seule la foi des enfants pouvait encore attester d'un semblant de vérité dans toute cette histoire. L'enfance mobilisée (Dawkins serait scandalisé), mais maladroitement. On laisse des fautes énormes dans les titres des dessins : signes de l'inculture des catéchistes ? ou fautes volontaires pour faire croire que les enfants eux-mêmes ont trouvé et écrit librement les titres des dessins (ce que bien sûr nul ne peut croire une seule seconde) ?