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En lisant Internet j'apprends qu'un acteur célèbre a failli trouver le porte-monnaie de la mort sur un quai à Saint Tropez. Un "malaise" à 84 ans. Le patriarche thodoxe de Serbie, lui, a trouvé son porte-monnaie en dormant ce matin. Trois jours de deuil à Belgrade. Du temps où j'allais à Belgrade je ne pensais jamais à la mort. Elle était purement abstraite. Même si je songeais au décès des victimes "collatérales" de nos bombes, la liquéfaction des orgaes ne m'effleuraient pas. Je ne voulais que vivre, découvrir, expérimenter, comprendre, témoigner, me prouver à moi-même des tas de choses, et accomplir des tâches utiles à mon époque. C'est depuis que je ne vais plus au devant des populations en guerre que je pense beaucoup au trépas. Encore une réalité bien normale et somme toute banale. J'ai lu quelque part que presque aucun des atomes qui composaient mon corps il y a 10 ans (dans l'avion pour Belgrade) n'existe encore de nos jours (et a fortiori pour ceux de mon corps d'enfant). Tout est mort (sauf les atomes des os). Un autre individu s'est substitué à celui de 1999, même si les cellules du cerveau (elles aussi renouvelées) par le processus de la mémoire, ont gardé le sentiment d'une continuité du "moi". Le philosophe Eric T. Olson développe toute une analytique un chouia scolastique sur la conservation de l'identité dans le temps. Etrange mécanisme qui touche aussi les animaux. Bizarrerie de tout ce foisonnement biologique à la surface de notre petite sphère bleue.
Hiérarchies dans les petits salons du livre

Nous étions 4 à attendre le minibus à la gare RER (sur les 50 auteurs invités). Nous ne nous connaissions pas. Une femme et trois hommes. Dans le minibus, la femme - qui publie chez un petit éditeur, mais diffusé par le Seuil... - me dit "comment ça, vous ne restez pas pour diner ? mais si vous avez le prix ça la fichera mal". Elle a déjà songé au fait qu'on ne peut partir après le prix, ce qui ne m'a pas effleuré - et pour cause : je n'ai jamais pensé avoir el prix.
Nous arrivons au théatre où se passe le salon. Nous nous attendons à ce que les 4 soyons logés à la même enseigne et fassions la visite des lieux ensemble. Mais là, surprise : la femme qui était avec nous est prise à part. On ne la reverra plus. Première entorce à l'égalité : certains sont plus attendus que d'autres.
Deuxième source d'inégalité : dès que nous entrons dans le théatre, quelqu'un interpelle une des personnes parmi les trois qui restions. Il la connaît et lui parle de son livre. Les deux autres (moi et un vieux du minibus dont je n'ai jamais su le nom) seront livrés à eux-mêmes et priés de déjeuner par leurs propres moyens : outsiders d'emblée.
Après le déjeuner j'apprends que certains écrivains seront conviés à des tables rondes pour évoquer leur parcours, ce qui ne sera pas mon cas. On m'indique que les tables rondes ont été constituées par les personnels administratifs de la ville (une ville de droite, je le mentionne à toutes fins utiles quand on sait combien la fonction publique territoriale est politisée).
Au stand où je suis il y a trois écrivains. Une femme qui a publié chez un gros éditeur et qui a déjà fait six ou sept salons (dont celui de Paris). Une autre qui publie chez un petit en province et qui a fait un salon à Lyon (elle a connu cet éditeur en grenouillant dans le milieu littéraire et artistique de sa province).
La femme qui bosse chez le gros éditeurs en est presque une salariée. Elle vend pas mal, mais toujours avec des contraintes de délais et doit accepter que l'éditeur sabre ses textes (ce qui n'est pas mon cas). Je ne sais même pas si elle a le droit de choisir ses sujets. Celui de son roman est une biographie romancée d'une femme d'artiste (sujet en or, proche de l'essai, et cependant délassant pour le lecteur, qui attire beaucoup de monde). Elle signera beaucoup de livres.
Deux membres du jury successivement passent à notre stand - deux personnes âgées. L'une n'a pas lu mon livre, l'autre dit "c'est politique" en ayant du mal à cacher le mépris que le mot "politique" lui inspire. Il est clair que ce jury - quatre fois dix personnes, dont vingt dit ont ont lu tous les livres - sont des bourgeois retraités.
Le public qui vient au salon présente le même profil. Du coup la petite dame de Nice à ma droite a un avantage comparatif sur moi parce que son sujet - sur la mémoire des exilés italiens - ne choque pas et même attendrit les vieilles dames qui viennent assez nombreuses (peut être cinq ou six dans l'après-midi) demander des dédicaces. Il va sans dire que personne ne m'en demandera. De toute façon je ne suis pas venu pour ça. L'étude des mécanismes du salon m'intéresse davantage et dès 16 h j'ai quitté mon stand pour aller prendre un verre avec un pote à la buvette.
Le prix sera finalement remis par Dominique de Villepin (un ami du maire) à la jeune femme qui était dans le minibus le matin (et qui avait sans doute été briefée à ce sujet dès son arrivée). La machine littéraire bourgeoise aura tourné sur elle-même à plein rendement.
J'en ressors avec la conviction qu'il ne faut pas publier de livre (même si j'essaierai encore de caser un ou deux manuscrits qui restent dans mes tiroirs), en tout cas pas de la fiction. Un roman n'est publiquement défendable que s'il s'inscrit dans une thématique acceptable par des publics conservateurs. Les fictions qui sortent de ce créneau sont partout marginalisées. Il faut avoir le sentiment d'une profonde nécessité de ce qui est écrit pour ensuite le soumettre au public (ce qui était mon cas pour le premier roman mais ne le serait sans doute pas pour un second). Aussi bien les jurys que les visiteurs des salons (même des plus petits) sont extrêmement formatés dans leurs goûts. Seule une légitimation forte par un grand éditeur et un fort travail relationnel (par exemple des attachés de presse) avant le salon pourrait aider à infléchir un peu ce formatage, mais il est peu probable qu'aucun grand éditeur fournisse le moindre effort dans ce sens pour des ouvrages qui sortent du goût dominant. Autant dire par conséquent que le système est parfaitement verrouillé. Et qu'il vaut mieux donc soit écrire des essais solides, soit tenir des blogs sur Internet : ces deux voies sont les seuls moyens "d'écrire utile".
Débats indiens
En attendant Draveil

Naipaul m'a inspiré au milieu de années 2000. Je crois que j'avais envie de tranposer à mon propre univers (celui du Béarn) son analyse très perspicace de la dépossession coloniale, du vide. J'avais envie de montrer que cela existait aussi dans le sud de la France, chez les ouvriers. Et puis finalement j'ai renoncé à singer Naipaul. Le vide béarnais, le vide des pauvres (un certain vide, d'ailleurs parfois compensé par du trop plein) les esprits perspicaces le décèleront peut-être dans certaines réminiscences qui travaillent Fulgaran dans son aventure révolutionnaire. Je crois que cela suffit largement. Rien d'appuyé. A côté il y aura ma petite biographie factuelle, celle qui vient de sortir, qui ne dit peut-être rien d'essentiel, mais peu importe. Elle aidera à compéter ma fiche très formelle (et lacunaire) élaborée par la stagiaire de la bibliothèque nationale de France sur laquelle je suis tombé par hasard ce matin (la fiche sur mon grand père est mieux fournie).
Kundera c'est encore plus éloigné de moi. Son analyse "existentielle" (qui sent beaucoup l'heideggerianisme) de l'art du roman est éloignée de mes préoccupations, tout autant que sa "philosophie de l'histoire de la littérature" (elle aussi copiée de la philosophie de l'histoire de la métaphysique de Heidegger). Je pense que tous les auteurs de romans aujourd'hui se situent dans une "fin de l'histoire" au regard de ces catégories "historiales". Nous sommes au delà. Oui, peut-être sommes-nous tous dans la simple culture du dérivatif. Comment Irene Delse appelait-elle cela ? les "maniaques de l'écriture" ? les "graphomanes" ? Comme les collectionneurs de timbres. C'est d'ailleurs pourquoi je me rends à ce salon avec plus de sérénité que je ne l'eusse fait il y a 20 ans. Je ne risque pas d'y trouver des bourgeois prétentieux qui croient porter sur leurs épaules les grands enjeux d'une Culture millénaire. Il suffit de regarder cette vidéo pour se rendre compte qu'il ne s'agit que de gamins qui font des pâtés de sable.
Je ne dis pas que lorsque j'écrivais ce livre, aux deux étapes (en 1990 et 2007) des ambitions plus profondes ne le travaillaient pas, mais il faut être réaliste. Au final j'ai surtout cherché à créer un univers qui me ressemblait, un univers où je me sente à l'aise pour y faire évoluer mes personnages. Un univers, c'est à dire un style et des événements. Avec une contrainte seulement : que l'histoire soit crédible, que tout soit vérifiable.
Maintenant il faut le montrer comme un chateau de sable. Et faire face aux problèmes de mon éditeur qui se dit que j'ai décidément publié trop de livres en 6 ans et qui ne sait pas comment s'en dépatouiller pour ma séance de signatures du 19.
Je n'attends rien de grand du petit business qui tourne autour de la littérature. Pour moi, si je devais trouver quelque chose de grand quelque part, ce serait encore et malgré tout dans la politique : dans cette image de l'ambassadeur de Cuba, hier, parlant de l'embargo et d'Obama dans le petit local de la section PCF de Brosseville, pour le plus grand plaisir du secrétaire de la section qui lisait mon discours intimidé et d'un vieux résistant de 45 qui s'y trouvait ; dans le pot de l'amitié après où un élu communiste arabe me disait "Sarkozy est moins français que moi, car moi mon grand père est mort pour la France". La grandeur est dans ce réel, ou dans les romans qui le prennent en charge. Mais ce réel a-t-il encore besoin de romans ?
Fidel à Brosseville
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Ce jour était un grand jour pour Brosseville puisque son maire accueillait, grâce aux bons offices du Sandiniste, le nouvel ambassadeur de Cuba à 14 h.
Notre troïka avait fait en sorte que la visite soit "informelle" pour ne pas affoler les socialistes de la majorité et pour ne pas attirer le député du coin. Nous voulions développer une dynamique
Le Sandiniste avait prévenu Cinderella : "Ne sois pas en retard, sinon la fois suivante on te séquestre". Langage rude, un peu trop peut-être, surtout qu'il l'a répété quatre fois. Mais on sait que Cinderella quand elle rentre manger chez son mari a tendance à traîner. Elle a déjà fait attendre un ministre pendant trois quarts d'heure. Moi, après avoir écrit le discours du secrétaire de la section communiste (un discours qu'il a beaucoup apprécié) j'avais composé des éléments de langage pour elle. Je lui avais expliqué : "On fait ça aux Affaires étrangères" ; je le lui ai répété quand elle a laissé entendre qu'on la prenait pour une marionnette. Difficile de travailler avec Cinderella sans la prendre pour une marionnette. Du coup grosse panique de sa part en fin de matinée quand je lui expliquais ce qu'était l'ALBA :" Ou la la, je ne sais rien ! c'est mon mari qui devrait recevoir l'ambassadeur, il saurait mieux" (j'ai appris une heure plus tard que son mari était à la section PC de Brosseville. Finalement elle a réussi à lâcher ses parapheurs pour aller déjeuner : "Je ne vais pas venir cet apres midi je vais me promener" a-t-elle encore lâché pour inquiéterle Sandiniste. "Si tu ne viens pas tu ne seras plus maire. On s'installera dans ton bureau et tu ne pourras plus jamais y entrer" a rétorqué le sandiniste en riant.
Entre midi et deux heures, on n'a pas cessé de s'inquiéter d'autant que le Sandiniste avait un pneu crevé, et risquait d'être mobilisé par l'intervention du garagiste sur sa voiture au moment même de la venue du diplomate.
Le dircab non plus n'en menait pas large : "Elle va parler de salsa pendant l'entretien, il va falloir la recadrer" -.
L'ambassadeur cubain est arrivé à 2 heure moins 5, avec son premier secrétaire. Un grand bonhomme l'ambassadeur. Nous avons été pris de court. Cinderella évidemment n'était pas rentrée. Nous avons installée l'ambassadeur dans son bureau. Mais le stress retomba vite : Cinderella parut à 14 h 05, pas très en retard finalement, avec l'adjointe à la coopération décentralisée, Malika, une élue radicale de gauche. Cinderella s'était remaquillée. Elle souriait beaucoup. Nous redoutions qu'elle parle de salsa, je ne sais par quel miracle, la conversation évita cette danse... pour parler du reggaeton... Oui, Cinderella parla du reggaeton, pendant 5 minutes, 10 minutes, uen demi heure. Ca ne me paraissait guère de bon augure car le reggaeton est une invention des exilés de Miami, assez étrangère à la culture de l'île. Mais l'ambassadeur était bonne pâte : "Je suppose que comme moi vous avez des enfants qui s'intéressent à cette danse. Personnellement je ne l'aime pas mais c'est vrai qu'à Cuba il est difficile d'y échapper. Je ne sais pas comment ils ont fait : pendant une demi-heure ils n'auront parlé que de danse d'expression corporelle. Cinderella avait pourtant ma fiche sous les yeux, avec tous les objectifs politiques de notre réunion, mais elle n'arrivait pas à recadrer la conversation, comme si on lui demandait de se faire violence.
C'est finalement le dircab et moi même qui avons dû nous efforcer de parler des politiques de coopération cubaines avec le Tiers-Monde, et de dire en quoi elles pouvaient intéresser notre ville. L'ambassadeur parla des millions de gens qui on retrouvé la vue dans le monde grâce aux médecins cubains, des paysans d'Haïti descendus de leur montagne en masse pour se faire soigner dans hôpital haïtiano-cubain, alors que les médias de droite faisaient courir le bruit que les chirurgiens cubains étaient des bouchers (les médecins privés accusent les Cubains de "casser le marché de la santé" - "comme si la santé était une marché, a dit l'ambassadeur"). Il nous dit un mot aussi du Qatar où il venait de servir et où l'ambassadeur voulait nommer l'hôpital cubain "Fidel Castro", ce que Castro refuse car il trouve ça de mauvaise augure tant qu'il est vivant. Le Sandiniste a dû rater cette anecdote car il s'est absenté une bonne demi heure pour parler au garagiste au pied de l'immeuble de la mairie.
Malika pendant cet échange eut des phrases un peu curieuses, comme "la démocratie de toute façon ça n'existe pas nulle part". Etrange pour une élue du centre gauche qui dit ça devant un ambassadeur cubain. Pour ne pas laisser Cinderella complètement en dehors de la conversation, à un moment, je donnai un coup de stylo sur le dernier paragraphe sur la coopération avec l'Algérie (où nous voudrions lancer un jumelage). Cinderella crispée, se fixa sur un détail du paragraphe, voulut compter s'il y avait bien six hopitaux prévus et vérifier qu'ils étaient dans ma liste, de sorte que la dimension générale du propos, c'est nous qui dûmes à nouveau la prendre en charge. Cinderella se rattrappa un peu ensuite en faisant visiter la zone industielle et sa ville en minibus. L'ambassadeur avait l'air ravi mais choisissait ses sujets en fonction de ce qu'il avait identifié comme ses thèmes de prédilection : les fleurs, les écoles, les crèches. Moi je parlais avec son secrétaire de Correspondances internationales dont il faisait partie.
A la section du PCF où l'on prit un pot de l'amitié, le secrétaire de section, qui a des airs de vieux barde gaulois, lut le discours que je lui avais fait, visiblement ému et content. L'ambassadeur, consciencieux, qui savait déjà avant d'arriver à Brosseville qu'elle était une commune à la population très jeune, a dû s'étonner de voir qu'il n'y avait dans ce local qu'une vingtaine de personnes, toutes de plus de 40 ans, sauf le dircab et moi. Il y avait notamment un vieux résistant dans l'assistance, comme il y en a toujours dans ce genre de réunion. Pour tous les gens qui étaient là, on sortait un peu des sordides histoires locales, notamment de cette affaire du maire communiste d'une ville voisine, fils et petit fils de grand militant, qui passe avec armes et bagages dans le camp écolo - "signe de la décomposition du parti" comme dit le Sandiniste, on ne put s'empêcher d'en causer un peu malgré tout.
L'ambassadeur expliqua encore une ou deux choses sur l'embargo, leur projet de monnaie commune avec les pays de l'ALBA, les incohérences entre l'Elysée et le Quai d'Orsay sur la politique de coopération décentralisée avec Cuba. Cinderella fit un discours rapide sur la coopération culturelle et ses bons rapports avec le PC.
Pendant le cocktail, coupe de champagne à la main, je discutai beaucoup avec Malika (qui est au chômage en ce moment), avec un conseiller municipal berbère marocain (qui a été conseiller dans une ville communiste il y a quelques années), et avec notre chef du protocole qui est kabyle (et qui a voyagé à Cuba en 1999). Un moyen d'évoquer les contradictions que traversent les familles autour de la question de la laïcité, du respect intergénérationnel, des relations entre Kabyles et Arabes (pourquoi les kabyles et les arabes se détestent ? parce que les arabes c'est des perses, c'est ça ?), entre Marocains et Algériens, toutes ces problématiques qui structurent profondément le vécu des gens. Et aussi le rapport au passé : "Sarkozy est moins français que moi disait l'élu marocain, car son grand père n'est pas mort pour la France comme le mien".
C'est étrange. Cette image de l'ambassadeur cubain dans le petit local de la section du PCF de Brosseville aurait pu cristalliser beaucoup d'énergie et d'idées. Mais le soir même, Cinderella allait présider un bureau municipal dans lequel elle allait se faire publiquement humilier par son directeur général sur une sordide histoire de projet de bulletin d'information. Incapable de faire face, elle allait reporter l'engueulade sur le dircab, le stress allait gagner à nouveau le Sandiniste. L'énergie accumulée avec la venue de l'ambassadeur était déjà volatilisée.
La religion unanimiste des puissants

Il y a, c'est vrai, d'un côté une religion officielle néo-libérale, avec ses grandes messes (autour de la guerre de Yougoslavie, de la mort de Michael Jackson, de celle de Claude Lévi-Strauss, ou des commémorations de la chute du mur de Berlin) avec ses grands prêtres (Bernard-Henry Lévy, Claire Chazal, Elie Wiezel, Vlaclav Havel etc). Mais cette religion n'est pas une bulle. Elle compte des tas d'adeptes ardents hypnotisés par la TV ou les grands journaux, arrogants, agressifs, prêts à fliquer les dissidents. Et cette masse (peut-être 20 % de la population - dans les pays du Nord, mais aussi du Sud), bien qu'hallucinée, est une composante à part entière de la réalité de ce monde, une force politique, pas simplement une superstructure.

Entre les deux il y a 60 à 70 % qui n'ont pas vraiment d'opinion fixe sur quoi que ce soit. Qu'on peut pousser à voter "non" au traité constitutionnel européen une année sans que ça les empêche de voter Sarkozy l'année suivante, qui se méfient des mass médias, tout en les adorant, qui sont prêts à toutes sortes de petits arrangements, dans un sens ou dans l'autre, dans le sens du voile, dans celui de la laïcité, dans le sens du néo-libéralisme, dans celui du socialisme, suivant le jour, suivant l'humeur, suivant l'évolution de la fiche de paye, suivant la dose de courage ou de lâcheté accumulée (et de ce point de vue là n'importe qui est susceptible de faire partie des 60 à 70 % un jour).
Ce qui exaspère les 20 % de tenants de la religion dominante, ce sont les 10 ou 20 % d'opposants motivés. Il est insupportable à leurs yeux qu'il y ait encore dans ce monde des réalités comme le gouvernement cubain, comme le Hezbollah, comme la gauche révolutionnaire basque etc (on pourrait multiplier les exemples d'organisations ou d'actes individuels anti-systémiques, dont tous ne sont pas également vertueux ni recommandables, mais qui ont en commun de heurter de plein fouet les dogmes libéraux). L'existence de ces opposants n'est pas seulement susceptible de faire basculer les 60 à 70 % d'esprits flottants dans une direction opposée aux intérêts des gouvernants. Elle est surtout, par elle-même, la preuve que le dogme n'est pas intangible. Puisqu'il y a des esprits humains qui peuvent les contredire de front, leur solidité laisse à désirer. Et donc il faut toujours plus, dans le camp des croyants, s'autoconvaincre par le matraquage (qui n'est pas seulement matraquage des opposants, mais d'abord auto-matraquage). Il faut toujours réinviter sur les plateaux TV Finkielkraut, BHL, Rupnik, Adler, toujours plus publier des livres dans leur sillage, toujours plus répéter sans cesse les mêmes inepties. Et bien sûr plus on ressace, plus on éveille des vocations à l'opposition dans le camp d'en face (en ce moment beaucoup de mes amis sont très remontés contre le matraquage sur le Mur de Berlin).
On peut se demander pourquoi tant de dogmatisme chez les 20 % du camp dominant, pourquoi tant de religiosité, et pourquoi ce besoin d'unanimisme sans lequel la "fête" officielle paraîtrait terriblement gâchée. Pourquoi, alors qu'il n'y a plus de parole divine révélée dont il faudrait être le témoin ? N'est-ce pas justement, paradoxalement, parce qu'il n'y a plus de Dieu dans ce camp dominant ? Puisqu'aucun Dieu ne vient valider le discours, il faudrait de l'unanimité humaine pour compenser. Cette nouvelle forme de religiosité politique, et la véritable hystérie unanimiste qu'elle provoque, mériterait une analyse anthropologique sérieuse. Je crois qu'il n'y a pas eu de précédent dans l'histoire.
Frédéric Delorca au salon du Premier roman à Draveil
Frédéric Delorca sera au salon du Premier roman à Draveil avec "La Révolution des Montagnes" (Editions du Cygne)
samedi 14 novembre 2009
Heure : 14 h à 18 h
Théâtre Donald Cardwell
1 allée de Villiers
91210 DRAVEIL
Tel: 01 69 40 95 00
Fax: 01 69 03 10 67