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Sibel et la langue sifflée
Un premier lien entre le Béarn et le Caucase avait été pour moi (avant même que je ne mette les pieds en Abkhazie) mon roman La Révolution des Montagnes. C'était purement intuitif, deux ans avant la guerre en Géorgie (et longtemps avant ma conversion).
En 2009 quand je suis allé faire du contrôle électoral à Soukhoum j'avais même proposé au militant et journaliste occitaniste David Grosclaude de m'y accompagner.
Et puis plus rien... Jusqu'à ce qu'une conférence à Gourette cette année, de Philippe Biu, sur les langues sifflées me fasse découvrir que ce genre de langue a existé jusqu'aux années 1990 dans la vallée d'Ossau (au village d'Aas)... et en Turquie... La Turquie, ce n'est pas encore le Caucase, mais cela s'en approche.
J'en discutais en début de semaine par mail avec ma correspondante à Ankara qui a épousé un Abkhaze. Sur les conseils de Philippe Biu, je lui ai parlé du film Sibel paru en 2019.
Ce matin elle m'écrit
"Je ne l'avais pas vu mais hier soir j'ai regardé. Un film intéressant. C'est la région de la mer noire (Karadeniz), la même que dans le documentaire. Je pense que cette langue est utilisée dans cette région de la Turquie. Comme elle est très montagneuse, les gens l'utilisent pour faciliter la communication. Le film a été tourné à Kuşköy, à Giresun (une ville assez conservatrice). Kuşköy, c'est un nom composé de kuş (oiseau) et de köy (village). Peut etre que cela provienne de la langue utilisée.
Du coup, j'ai regardé la biographie de l'actrice et j'ai vu que son père est d'origine tcherkesse, et sa mère abkhaze. Ma conviction que les Circassiens et les Abkhazes ne sont pas une minorité dans ce pays se renforce "progressivement:)) Elle est francophone"
Effectivement Damla Sönmez, née en 1987 à Istanbul, qui a reçu le Golden Ball à l'âge de 27 ans en 2014 pour "Sea Level", est fille unique d'un père tcherkesse et d'une mère abkhaze. Son père est de Diyarbakır (dans le Sud-est de Turquie, sa partie kurde), sa mère de Bartın sur la Mer Noire. Elle a étudié au lycée français d'Izmir puis un an à la Sorbonne en études théâtrales.
Sur Kuşköy, 350 habitants, dans la Chaîne Pontique il a droit à une fiche Wikipedia en français à cause du film.
En 2003, les réalisateurs du film Guillaume Giovanetti et Çağla Zencirci ont découvert la langue sifflée dans un livre "Les langages de l’humanité" qui les a marqués. "Alors que nous voyagions dans la région de la Mer Noire en Turquie en 2014, racontent-ils, la langue sifflée est revenue à notre esprit, et nous avons cherché le village en question. Nous voulions aller à la découverte de cette langue, savoir si elle existait vraiment, et étions animés par une curiosité d’ordre quasi ethnographique. Nous avons découvert Kusköy - qui signifie village des oiseaux. Nous craignions un peu que ça ne soit que du folklore, que seuls quelques vieux parlent cette langue. Ça n’a pas été le cas. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, ce n’est pas une langue éteinte. Les adultes la maîtrisent tous parfaitement. Mais bien sûr, la génération biberonnée aux téléphones portables la comprend moins bien. Alors les villageois ont commencé à l’enseigner à l’école, donc les enfants la pratiquent. Et dès que les smartphones ne captent plus en montagne, ça commence à siffler. Le son se diffuse beaucoup mieux ainsi. La langue sifflée n’est pas un code comme le Morse mais une véritable retranscription en syllabes et en sons de la langue turque."Sibel était leur troisième long-métrage.
Hé oui. La définition de la langue des oiseaux ne correspond pas forcément aux jeux sur les homophonies des ésotéristes...
Badra Gunba président
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Selon le président de la Commission électorale centrale abkhaze Dmitri Marshan, le 2 décembre, le pro-russe « Gunba Badra Zurabovich est considéré élu », ayant obtenu 54,73% des voix contre 41,54% pour Adgur Ardzinba, après une campagne qui lui a coûté 20 millions d'euros (presque 100 euros par Abkhaze). Un mois avant le premier tout de la présidentielle du 15 février, les quatre candidats s'étaient recueillis devant le chêne sacré du sanctuaire Elyr-nykha. Il fallait bien cela pour calmer les tensions des derniers mois dans ce petit pays.
"Il a été allégué, peut-on lire aujourd'hui dans BirGün, que le rédacteur en chef d’un journal qui avait activement fait campagne pour Adgur Ardzinba se rendait fréquemment à Istanbul avant les élections et participait à diverses activités éducatives de nature politique. De même, il est allégué que le journal proche d’Ardzinba a reçu une aide « généreuse » via la tristement célèbre institution « Agence des États-Unis pour le développement international - USAID », que Trump a récemment fermée." Il conclut que l'option pro-russe est la meilleure garantie de stabilité.
Un avis qui bien sûr ne fait pas l'unanimité. Des citoyens abkhazes arrivant en Russie pour participer aux élections présidentielles en Abkhazie se sont vu refuser l'entrée sur le territoire et ont reçu des ordres d'expulsion, notamment Baras Kudzba , un musicien abkhaze de renom. Et il y a eu beaucoup de propagande autour des investissements russes (notamment la remise en fonction de l'aéroport de Soukhoum) et de chantage au développement (avec quelques coupures d'électricité à la clé). Le député de la Douma d'État russe Konstantin Zatouline, vice président de la CEI le 21 février avait avoué sur la radio Govorit Moskva avoir rencontré l'opposition abkhaze et leur avoir dit sur le ton de la menace : "La Russie ne voudrait vraiment pas intervenir dans la question de savoir qui devrait être le président de l’Abkhazie, qui ne devrait pas être le président de l’Abkhazie, les autorités en Abkhazie. Mais je vous en prie, ai-je dit, ne faites pas de l’accord avec la Russie un prétexte pour des affrontements internes en Abkhazie. Parce que cela vous coûtera plus cher." il accusait aussi de jeunes opposants d'avoir menacé les Arméniens d'Abkhazie (qui soutiennent Gunba),
L'intention impériale russe se ressentait dans cette phrase de Zatouline habilement enveloppée d'un apparent souci d'équité : "Aujourd’hui, un citoyen d’Abkhazie possédant un passeport de citoyen de la Fédération de Russie, lorsqu’il vient en Russie, a les mêmes droits que vous et moi. Il peut faire des affaires. Il peut apprendre. Il peut acheter des biens immobiliers, louer des terrains, etc. (....) Mais quand un citoyen russe sans passeport abkhaze vient en Abkhazie non seulement comme touriste qui va laisser ici de l'argent dont tout le monde est content, acheter des mandarines ou autre chose, on lui dit : tu es un étranger, tu ne peux pas acheter un appartement ici, tu ne peux pas obtenir de terrain pour ton usage ici, tu dois le louer. Même si personne n’a l’intention d’extraire la terre abkhaze à coups de seaux et de l’exporter en Russie.
Une remarque aussi de Zatouline "En Géorgie, les partisans de Saakachvili ont réussi à attirer les investissements étrangers et à transformer l’Adjarie en un paradis touristique. Ils les ont attirés avec de l’argent du Kazakhstan, avec de l’argent de Turquie. "
Pour revenir à l'article de Bir Gun, l'accusation de soutien de la Turquie à l'opposition de semble pas fondée. Le gouvernement turc au contraire a fermé un bureau de vote abkhaze dans la province de Sakarya sur les bords de la Mer Noire à la demande d'İbrahim Avidzba, le représentant plénipotentiaire de l'Abkhazie en Turquie selon la commission électorale centrale abkhaze. La Fédération des associations abkhazes (AbhazFed), qui avait organisé le processus électoral en Turquie, a indiqué avoir été contactée par le département de police de Sakarya le 11 février, l'informant que l'événement ne serait pas autorisé en raison d'une directive écrite du ministère de l'Intérieur.
De même le financement par les USA reste très hypothétique, USAID ayant été interdite en décembre 2023. Leuan Lagulaa, Directeurr d'ApsnyHabar a parlé à Istanbul à l'invitation d'associations abkhazes mais il n'y a pas de traces de financements louches. Un faux document a prétendu que le chef d'extrême droite panturc (lui-même turkmène) Devlet Bahçeli aurait demandé les soutien de chefs de l'opposition abkhaze et menacé les Arméniens, mais la signature du document est directement copiée d'une page Wikipedia.
Les souverainistes renversent le gouvernement abkhaze
La vie n'est pas un long fleuve tranquille au pays des sept montagnes sacrées autrement appelé "pays des âmes" (l'Abkhazie).
Le 17 novembre des membres de l'opposition à la loi sur les investissements russes ont défoncé avec un camion les grilles du parlement et du palais présidentiel puis se sont entièrement emparés de leurs administrations, et annoncé la formation prochaine d'un gouvernement provisoire. Ils ont ainsi pu forcer le président Aslan Bjania et le premier ministre Alexandre Ankvab à démissionner. Il était reproché à ce dernier son intention de ratifier un accord d'investissement avec la Russie, susceptible de nuire aux activités commerciales locales.
C'est qu'en Abkhazie, on ne plaisante pas avec la souveraineté nationale, comme on l'avait déjà vu avec la loi sur les appartements (qui a été dans un premier temps réduite à l'Abkhazie de l'Est puis retirée)...
Le vice-président Badra Gunba assurera la présidence par intérim, tandis que l'ancien président du parlement Valeri Bganba occupera le poste de Premier ministre.
Le Monde du 17 novembre précise que "craignant d’être mal compris, les protestataires et l’opposition ont toutefois donné des signes montrant que leur manifestation n’était pas antirusse, mais plutôt contre l’accord et contre le gouvernement d’Aslan Bjania."
Le député social-démocrate (parti "Russie Juste") de la Douma russe Oleg Shein explique sur Telegram (traduit par Abkhazworld) :
Contrairement à l’Ossétie du Sud, une petite vallée d’environ 30 000 habitants qui cherche à s’intégrer davantage à la Russie, l’Abkhazie construit un État indépendant fondé sur les principes de la démocratie militaire. Les postes de direction dans le pays nécessitent la connaissance de la langue abkhaze, une langue aussi complexe que le chinois, ce qui rend difficile pour les groupes ethniques non abkhazes, comme les Russes et les Arméniens, d’occuper des postes importants.
Depuis son indépendance, l’Abkhazie a connu cinq présidents. Alors que les deux premiers sont décédés en cours de mandat (beaucoup pensent que Vladislav Ardzinba a été empoisonné lors de négociations avec les Géorgiens) [les Abkhazes évitent généralement d’en parler, bien qu’Ardzinba lui-même ait suggéré qu’il ait été empoisonné, mais pas à Tbilissi. Dans le même temps, la mort de Sergey Bagapsh a également soulevé des questions, car il est décédé dans un hôpital de Moscou des complications suite à ce qui devait être une simple opération pour une maladie pulmonaire due à un fumeur. — Ndlr], le troisième a démissionné à la suite de manifestations de masse, et le quatrième n’a pas réussi à se faire réélire et a été contraint de démissionner. Les élections en Abkhazie sont compétitives et le Parlement joue un rôle important dans la gouvernance.
Les détracteurs comparent souvent les ruines de Soukhoum à la modernité étincelante de Batoumi en Géorgie. Cependant, alors que Batoumi a attiré les investissements européens, l’Abkhazie a délibérément tenu les investisseurs étrangers à distance, craignant de perdre sa souveraineté et de devenir une économie satellite comme la Barbade, où une grande partie des terres et de l’industrie appartient à des entreprises étrangères et où les locaux servent de main-d’œuvre.
Le principal point de discorde est l’« accord d’investissement ». Cet accord vise à attirer des capitaux russes à grande échelle capables d’investir plus de 2 milliards de roubles (20 millions de dollars) dans des projets individuels. Pour mettre les choses en perspective, le budget total de l’Abkhazie est de 12 milliards de roubles (120 millions de dollars), dont environ 5 milliards (50 millions de dollars) proviennent de l’aide financière russe.
En vertu de cet accord, l’Abkhazie serait obligée d’approuver tout projet d’investissement proposé, d’allouer des terres et des infrastructures à cet effet, de rembourser 50 % de la TVA et de renoncer aux impôts sur les bénéfices et la propriété pendant huit ans. Les investisseurs auraient également le droit de faire venir des travailleurs extérieurs à la région, sans recourir aux ressources de main-d’œuvre locales. Au départ, l’accord prévoyait le remboursement intégral de la TVA, mais l’Abkhazie a réussi à négocier une concession.
L’accord couvre tous les secteurs de l’économie, y compris le tourisme, les services publics, la production d’énergie, l’agriculture et la production industrielle, à l’exclusion de la production alimentaire.
En outre, l’Abkhazie ne serait pas autorisée à introduire de nouvelles réglementations liées aux normes environnementales, à l’architecture ou à d’autres exigences qui s’appliqueraient rétroactivement aux accords d’investissement existants. Bien que l’accord prévoie que l’Abkhazie indemnise les investisseurs pour les dommages, il ne contient aucune clause de réciprocité tenant les investisseurs responsables des dommages potentiels.
Ces conditions ont suscité une vive inquiétude parmi les citoyens abkhazes, qui constituent la toile de fond de la récente vague de protestations. Beaucoup craignent que l’accord ne porte atteinte à la souveraineté de l’Abkhazie et ne privilégie les intérêts extérieurs aux besoins locaux. Voilà la base du mécontentement qui anime les manifestations.
L'ex-députée Natalie Smyr estimait l'été dernier que jamais un gouvernement abkhaze n'avait autant pris ses compatriotes pour des idiots que celui qui vient d'être renversé.
A noter aussi que la mobilisation populaire contre ce gouvernement d'oligarques commençait à obtenir le soutien de peuples voisins. Ainsi par exemple l'association Abaza, en République russe de Karatchaïévo-Tcherkessie, qui fait le lien avec la diaspora abkhaze à travers le monde.
La belle circassienne
On a parlé de Pierre Loti, de sa passion pour une Circassienne en Turquie. Du temps où l'on disait les choses ouvertement, il était fréquent de considérer les Circassiens (Abkhazes, Tcherkesses, Tchétchènes) comme les plus beaux êtres humains du monde (voyez le rapport "Circassiens syriens / Unité de renseignement française Damas – Quneitra 1935" ici) et le thème de la belle Circassienne prisonnière du harem du Sultan était si répandu qu'il fut même un sujet d'attraction dans les spectacles forains aux Etats-Unis.
Chose étrange, Paris eut aussi sa belle Circassienne à l'époque de la Régence. Ce fut Mademoiselle Aïssé (1693-1733), que le comte Charles de Ferriol, ambassadeur de France à Constantinople acheta en 1697 (à l'âge de 4 ans). Ferriol était habitué à acheter de belles esclaves au marché turc nous dit Sainte-Beuve "et ce n'était guère dans un but désintéressé" La belle fut mêlée dès sa prime adolescence aux salons parisiens et entretint des correspondances avec les grands esprits du XVIIIe siècle. Son personnage allait inspirer beaucoup d'oeuvres littéraires au siècle suivant.
L'historien légitimiste Capefigue nous dessine, comme nous l'aimons nous autres sociologues, l'espace de sociabilité dans lequel a grandi la belle orientale. Il y avait, nous dit-il, l'épicurien comte de Ferriol (le frère du diplomate qui l'avait achetée), sa femme, Mme de Ferriol ("soeur de la célèbre chanoinesse et du futur cardinal" écrira Sainte-Beuve), belle, galante, intrigante "très-protégée par le maréchal d'Uxelle en ce temps de moeurs faciles" (cela signifie qu'il était son amant), deux neveux (le comte d'Argental et le comte du Pont de Veyle), qui furent comme des frères pour Aïssé. "Cette famille appartenait tout entière aux moeurs libres de la Régence : ceux que Voltaire appelait ses chers anges ne se piquaient ni d'austère morale, ni de religion : gens d'esprit, insouciants ils se jouaient avec la vie et leur but était d'en descendre doucement de fleuve" écrit l'historien. Dans une lettre à Mme Calandrini de Genève, elle dit qu'elle était "le jouet des passions" des intellectuels qui fréquentaient le salon de son père adoptif. Un portrait l'a immortalisée à 16 ans.
Elle a d'ailleurs peut-être été d'abord l'amante de son propre père adoptif. Une lettre d'amour de celui-ci a été retrouvée et publiée en 1828. La lettre fut écrite quand Ferriol avait 60 ans et Aïssié 17. Sainte-Beuve pense que le comte y parle pour l'avenir pour contrer un rival, mais rien ne prouve, dit-il, qu'Aïssié, qui vivait à plus de mille kilomètres de son père adoptif, puisqu'il était en permanence à Constantinople à partir de 1700, ait accepté (on est donc très loin de la pédophilie brutale et vulgaire de notre époque). Elle habitait rue Neuve-Saint-Augustin, près de l'actuel métro Quatre Septembre chez Mme de Ferrol ce qui la protégeait de toute éventuelle entreprise de son père adoptif. Il a été souligné cette phrase d'Aïssié à Mme de Calandrini "Mon coeur ne pouvait être séduit que par la vertu ou tout ce qui en avait l'apparence". On est quand même loin de la dépravation que nous plaquons rétrospectivement sur la Régence.
Sainte-Beuve a aimé sa conversion à la vertu. Il a écrit "A l’époque la moins poétique et la moins idéale du monde, sous la Régence et dans les année qui ont suivi, Mlle Aïsé offre l'image inattendue d'un sentiment fidèle, délicat, naïf, discret, d'un repentir sincère et d'une innocence en quelque sorte retrouvée". Il y voit même une sorte d'allégorie du salut de la France par l'Orient : "il fallait que cette Circassienne, sortie des bazars d'Asie, fût amenée dans ce monde de France pour y relever comme la statue de l'Amour fidèle et de la Pudeur repentante" (bon, bien sûr ça ce n'est pas ce que la fiche Wikpedia polluée par l'idéologie actuelle en retiendra).
A 7 ans Aïssé (ou Haidée) quand elle représente sous le prénom de Charlotte la marraine du petit comte du Pont de Veyle à son baptême à St Eustache à Paris en 1700, elle ne sait pas signer mais sera instruite par la suite et manifestera dans ses lettres un style élégant et une personnalité délicate. "On ne peut peindre mademoiselle Aïssé, disait sa meilleure amie, qu'en jurant que l'âme d'un ange habitait son corps". Le romantisme allait ensuite célébrer son amour pour le chevalier d'Aydie. Voilà une charmante contribution du Caucase à notre histoire nationale.
Un point sur l'Ukraine et sur la Géorgie
Caroline Galacteros s'inquiète de voir les Ukrainiens s'attaquer à un des dix radars essentiels au dispositif nucléaire russe, près de la ville d'Orsk à 1 800 km du front. Sur la chaîne "The Duran", Sur la chaîne "The Duran", l'ancien avocat britannique Alexander Mercouris analyse cet événement d'une manière qui me paraît plus fine en rappelant que la doctrine nucléaire russe prévoit que Moscou peut enclencher une riposte atomique si sa force de dissuasion est attaquée. C'est la raison pour laquelle la Russie a préféré ne pas parler de cette attaque qui d'après sa propre doctrine implique une riposte de ce type (la Russie, rappelle Mercouris, tient toujours ses promesses en bien comme en mal à la différence de l'agitation des Occidentaux, ce qui l'oblige à un certain sérieux).
La question est de savoir, souligne Mercouris, si Kiev a agi de son propre chef ou a "testé" Moscou sur ordre des Occidentaux. Il semble en tout cas que le dommage sur les installations ait été assez faible.
Mercouris fait une étude assez sérieuse de la question des "lignes rouges". D'après lui jusqu'ici toutes les "lignes rouges" que les membres du lobby conservateur américain (des gens comme Victoria Nuland naguère, ou Eliot A. Cohen co-auteur d'un horrible article dans Foreign Affairs il y a peu) identifie comme ayant été franchies n'ont jamais été identifiées comme telles par les autorités russes.
Par contre l'autorisation que Macron, Scholtz et Biden (mais pas l'Italie) veulent donner à l'usage des missiles sur Belgorod (en territoire Russe) pourrait effectivement violer un tabou.
J'ai écouté avec attention les justifications qu'un colonel donnait sur une chaîne du service public à la proposition de notre cher président à ce sujet : l'intensité de l'attaque depuis le territoire russe justifierait cette innovation. Voilà un argument ad hoc assez fragile. Cela rappelle un peu le temps où Washington se sentait autorisé à attaquer le Nord Vietnam et le Cambodge au nom de la lutte contre le Vietcong au Sud. C'est aussi comme les droits de poursuites bizarres qu'Israël se reconnaît contre l'Iran et contre un peu tous ses ennemis à travers le monde. Sauf qu'ici on s'en prend à une grande puissance nucléaire. Il y a un fort parfum de folie dans toute cela; Folie peut-être encore un peu calibrée par des rouages que nous connaissons mal (y compris du côté des sociétés secrètes internationales), mais folie quand même.
Sur le front, on croit comprendre que la Russie conquiert des villages su côté de Kharkov. Zelensky arrive à y envoyer encore 20 000 hommes. Ce n'est pas encore l'épuisement total de l'armée ukrainienne que certains stratèges "non mainstream" nous annoncent depuis 6 mois. Ceux-ci assurent qu'ils s'en prennent, pour le coup, à des dispositifs ukrainiens de défense "essentiels" et que, par ailleurs ils poursuivent une "guerre d'attrition" très intelligente. Pour ma part je vois surtout une guerre d'usure très consommatrice de vies. Voilà le tragique de l'affaire. Mais la thèse de l'effondrement ukrainien imminent me laisse sceptique.
Zelensky en théorie n'est plus président de l'Ukraine depuis le 21 mai. La constitution lui impose de transmettre ses pouvoirs à la Rada (le parlement monocaméral). Mais il s’assoit dessus en tirant prétexte de la guerre. Et Macron l'invite sur les plages du Débarquement (comme si le nationalisme bandériste pro-SS dont Zelensky dépend était pour quelque chose dans la libération de l'Europe). Je n'ai toujours pas vu quelle disposition de la constitution ukrainienne permet ce maintien au pouvoir de l'ancien comédien (ont-ils un article 11 ?).
Intéressant aussi pour nous (pas seulement parce que je m'intéresse à l'Abkhazie), cette interview de Girogi Lasha Kasradze, sur Neutrality Studies, qui remet certaines pendules à l'heure par rapport aux caricatures de nos médias de services publics sur le thème "le gouvernement géorgien est pro-russe, parce qu'entre les mains d'un oligarque" alors que la population géorgienne est pro-européenne. Kasradze rappelle que la Géorgie n'a pas de relation diplomatique avec la Russie (ce qui n'est pas n'est pas spécialement un signe de bonne entente), que la loi de déclaration des ONG financées à plus de 20 pour cent par l'étranger a son équivalent aux USA (mais on comprend que cela gêne l'Europe car cela va révéler son niveau d'ingérence dans les affaires de Tbilissi), que tout est complexe en Géorgie : Saakachvili le sanguinaire anti-russe (auquel Raphaël Glucksmann fut lié de très près, on oublie de le dire) avait pour ministre des finances un oligarque lié à Moscou, que l'actuelle présidente sans pouvoir la française Zourabichvili ex-alliée de Saakachvili contre lequel elle s'était retournée fut élue avec les voix du parti Rêve Géorgien qu'elle combat aujourd'hui. Tout cela sur le dos de la population en grande partie contrainte à émigrer.
On a l'impression que Rêve Géorgien est comme le Parti des Régions ukrainiens en 2013 : plutôt pro-occidental, mais pas assez aligné sur les néo-conservateurs et leurs projets guerriers qui, du coup, le taxent de pro-russe. Kasradze plaide pour un sud-Caucase neutre ou en tout cas aligné ni sur Moscou ni sur Washington-Bruxelles, un peu comme l'Azerbaïdjan, avec une Géorgie confédérée à l'Abkhazie et l'Ossétie du Sud. Mercouris lui voyait comme avenir à l'Ukraine une réunification sans le "cancer" du bandérisme, dans la mouvance BRICS.
En ce qui me concerne je ne sais pas trop si une "BRICSisation" de ces pays serait une si bonne chose. Je vois en tout cas les malheurs que le bellicisme occidental leur inflige. Mais je doute que ce bellicisme ait dit son dernier mot. La rivalité atlantico-eurasiatique me semble avoir hélas encore de beaux jours devant elle.
Et in Abkhazia ego
J'ai un nouveau point commun avec Deleuze, outre le fait (banal) d'avoir lu Spinoza, Leibniz et Nietzsche. J'ai parcouru comme lui le livre d'Ossip Mandelstam "Voyage en Arménie" dont il parle dans son Abécédaire. Et j'ai avec Mandelstam un point commun aussi : celui d'avoir mis les pieds en Abkhazie.
P. 32 il écrit : "Un jour, en Abkhazie, je suis tombé sur des terrains couverts de fraises nordiques à une altitude de quelque cent pieds au-dessus du niveau de la mer. Leurs jeunes forêts habillaient tous les mamelons. Les paysans bêchaient une terre douce, rougeâtre, creusaient des alvéoles en vue de cultures botaniques.
J'ai accueilli avec joie, justement ce jour-là, l'été nordique et sa monnaie de coralline. On voyait pendre, accords parfaits, harmonies de quintes, les baies mûres, ferrugineuses, chantant par nichées ou chacune sa note... Il y avait en elles, mais habitant le nord, une charnelle témérité tsigane à se lécher les babines".
Bachar El-Assad prochainement en Abkhazie ?
Le président syrien Bachar al-Assad a été invité à se rendre en visite officielle en Abkhazie, à l'occasion de l'intronisation de l'ambassadeur d'Abkhazie à Damas, La visite pourrait avoir lieu le 29 mai 2024, sixième anniversaire de l'instauration des relations diplomatiques entre les deux pays.
Avant sa nomination comme nouvel ambassadeur, Muhammad Ali était ministre-conseiller de l'ambassade d'Abkhazie en Syrie. L'ancien ambassadeur Bagrat Khutaba (41 ans) avait été précédemment nommé par décret d'Aslan Bjania représentant spécial du président de l'Abkhazie pour les relations avec les pays du Moyen-Orient. Il avait été question en 2022 de l'établissement de relations diplomatiques entre l'Abkhazie et la Palestine. Bagrat Khutaba, avait alors rencontré l'ambassadeur palestinien à Damas, Samir Al-Rifai, et des perspectives de reconnaissance mutuelle avec le Yémen avaient aussi été envisagées. On peut supposer que ces pistes là seront creusées par Khutaba dans ses nouvelles fonctions.
Pour la petit histoire ce Khutaba, prédécesseur du nouvel ambassadeur, est le fils d'un champion de lutte libre, Rachid Khutaba (72 ans) qui a son timbre en Abkhazie. Il a formé ses deux fils à la lutte. le frère de Bagrat Khutaba concourt d'ailleurs sous les couleurs syriennes.
Il y a eu 500 réfugiés syriens en Abkhazie pendant la guerre civile (dont probablement une majorité d'Abkhazes d'origine - il pourrait y avoir 5 000 Abkhazes en Syrie). C'est une exception par rapport à la politique très anti-immigrationniste de l'Abkhazie (voyez le refoulement de 13 réfugiés palestiniens l'an dernier).
Au moment du tremblement de terre en Syrie et en Turquie il y a un an, l'Abkhazie avait versé 200 000 dollars au premier pays, et 100 000 à l'autre, ce qui est un gros effort pour ce pays (cela faisait rapporté au nombre d'habitants c'est quatre fois plus que ce qu'a versé la Fondation de France).
Désireuse d'être plus associée aux BRICS, l'Abkhazie avait eu aussi des échanges avec l'Iran à l'époque d'Ahmadinejad en 2009, juste après la reconnaissance par la Russie. En 2021 une foire abkhaze en Iran avait été envisagée.
Situation dans le Caucase
J'ai publié récemment une tribune sur Abkhazworld qui commence à être commentée dans la diaspora circassienne.
Au même moment, la reddition des milices d'auto-défense du Haut Karabakh rebat les cartes dans le Caucase. Maxime Chevtchenko, sur Pravda.ru, journaliste chef d'un Parti russe de a liberté et de la justice dont le sigle singe l'ex-PCUS, explique que la mainmise de l'Azerbaïdjan sur le Haut-Karabakh réduit l'Arménie de Nikol Pachinian, ralliée aux Occidentaux à la portion congrue et la prive désormais de tout poids sur la scène internationale, et notamment de toute faculté de diviser une coalition russo-irano-turque anti-américaine. Il en conclut que les membres de l'OTAN vont, du coup, désormais investir tous leurs efforts sur la Géorgie en y provoquant un coup d'Etat.