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Retour d'un mot sur CK
J'observe toujours que les anarchistes (D. Graeber par exemple) se réjouissent de ce qui s'est passé à ce moment-là. Pour eux le slogan "que se vayan todos" qui fut celui du mouvement social au début des années 2000 démontre une capacité nouvelle à refuser toute forme de domination politique. Telle n'est pas l'analyse que font les communistes latino-américains (José Reinaldo Carvalho au Brésil par exemple) pour lesquels le slogan signifiait une sorte de démission de la gauche, qui ne pouvait que remettre en scelle les classes dominantes via l'aile gauche du péronisme.
A mon avis, sur le dossier argentin, ce sont les seconds qui ont raison. L'expérience "anti-politique" argentine, comme celle du Chiapas, a peut-être nourri des expériences locales intéressantes, mais je ne vois pas de preuve qu'elle ait fait durablement reculer le pouvoir étatique, ni qu'elle ait donné concrètement aux milieux populaires des chances d'émancipation. Le retour en force du péronisme "progressiste" était sans doute inévitable devant un tel vide politique.
Je suis frappé en tout cas par la vacuité des commentaires dans les pays du Nord à propos de la victoire de Cristina K. Les "analyses" les plus visibles dans la presse furent celles des tenantes d'une féminisme "sociétal" de centre gauche, comme Hillary Clinton ou Ségolène Royal qui n'y voient qu'une victoire "des femmes" (désamorçant ainsi l'enjeu social de l'élection). D'autres n'y ont vu que la perpétuation du pouvoir de Nestor Kirchner via sa femme.
J'observe que le bilan du mandat de Nestor Kirchner est lui-même assez bâclé par nos médias, qui ne veulent surtout pas voir les succès du refus du néo-libéralisme. Du coup, on impute le redressement argentin des dernières années au matières premières. Le Monde du 30 octobre 2007 intitule un de ses articles "Argentine : le salut par le soja" (http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3222,36-972340,0.html?xtor=RSS-3210). Deux jours plus tôt sa correspondante à Buenos Aires notait "L'Argentine connaît depuis cinq ans une croissance à la chinoise de 8 % à 9 % par an grâce à un contexte international favorable, avec l'envolée des prix des matières premières. Une grande partie de la dette externe a été restructurée. Le chômage et la pauvreté ont reculé, même si les inégalités restent criantes." (http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3222,36-971900,0.html?xtor=RSS-3208).
Une certaine littérature de gauche argentine continue de parler d'un processus "sosuterrain" de recomposition de la classe ouvrière de ce pays (http://www.mas.org.ar/periodicos/per_111/071005_02by3_editorial.htm). Qu'en est-il réellement ?
A propos des pouvoirs du Tiers-Monde
L'économiste estimait que le Tiers-Monde avait beaucoup plus de chances qu'à l'époque de Bandoung de remettre en cause certains de ces cinq monopoles, notamment celui de la finance et celui de la technologie.
Sur la finance, disait-il, on peut espérer bientôt un krach boursier destructeur. Sur les technologies, le Tiers-monde (ou du moins certains de ses pays comme l'Inde ou le Brésil) a les moyens de s'autonomiser sans plus dépendre des pays du Nord.
J'avoue que je soupçonne ce propos, auquel personne n'a rien objecté au cours de la réunion (ce qui montre qu'il reflète un certain état d'esprit dominant dans la gauche anti-impérialiste), de pécher par excès d'optimisme.
Sur le plan financier, le fantasme du krach a du succès depuis trente ans, mais trouve assez peu de confirmation empirique. Déjà quand on relit un bouquin comme Fidel y la religion, on y trouve, au début des années 1980 ,une théorie selon laquelle l'effondrement financier en Occident est imminent dès lors que le dollar est survalorisé (c'est à l'époque de Baker) tandis que les USA accumulent les déficits. Depuis lors nous n'avons eu que des krachs locaux et circonscrits. Les mêmes déséquilibres qu'au début des années 1980 subsistent, à ce détail près que la Chine a remplacé le Japon comme Junior partner chargé du financement du Trésor américain.
Sur le volet technologique là encore on peut nourrir des doutes. Les meilleures cartes - celles qui concernent la prochaine révolution technologique : nanotechnologies, bio-technologies - se trouvent entre les mains de la Triade. Quand Monsanto nourrira l'ensemble de la planète avec ses OGM brevetés, il ne servira à rien en termes de souveraineté au Brésil de fabriquer ses propres ordinateurs. De même le fait que le Tiers-monde soit de plus en plus à même de se doter de l'arme nucléaire sera dépourvu de toute signification si les Etats-Unis (ou la "Triade") se dotent de boucliers anti-missiles comme le radar qu'ils installent e Europe centrale. Les Chinois l'ont bien compris en se lançant dans la conquête de l'espace (où une partie de l'enjeu de la neutralisation des armes nucléaire ou au contraire de leur optimisation pourra se jouer) avec leur programme lunaire. Peut-être eux ont-ils une chance de se faire une "place au soleil" dans une Triade élargie comme auparavant le Japon avait pu le faire - mais rien n'est certain dans ce domaine, car on voit mal un cinquième de l'humanité pouvoir intégrer d'un coup le club des puissances exploitantes, la planète n'ayant à ce jour pas les moyens de supporter un club si élargi...
Méfions nous donc des excès d'optimisme, tout autant que d'un trop grand pessimisme.
Quand le peuple n'est plus qu'une masse de consommateurs...
Dans le même ordre d'idée 52 % des Américains soutiendraient le bombardement de l'Iran, au risque de précipiter le pays dans le chaos politique et social, après avoir anéanti la société irakienne, et plongé l'ensemble du Proche-Orient dans l'instabilité. 53 % d'entre eux d'ailleurs croient à un bombardement avant novembre 2008 (sondage Zogby International http://www.yomiuri.co.jp/dy/world/20071031TDY06308.htm).
Le marché de la consommation de clichés médiatiques et du lavage de cerveaux se porte bien dans les pays riches.
Un article de David Graeber

Cristina K
Pour info je signale un clip machiste anti-Cristina sur http://fr.youtube.com/watch?v=6TwQuYO5XZw
John-Kenneth Galbraith : Economie hétérodoxe
Je viens de publier sur parutions.com un compte-rendu d'un recueil d'essais de John-Kenneth Galbraith, économiste américain né au Canada qui fut un des grands pontes du keynésianisme d'après-guerre : cf http://parutions.com/index.php?pid=1&rid=4&srid=94&ida=8592.
Ce genre de livre est une occasion de réfléchir à l'apport de ces économistes qui, en rupture avec la tradition libérale, défendirent l'interventionnisme étatique dans l'intérêt même de la régularité de la croissance sur le long terme. Je n'ai pas pris la peine dans ce CR de compléter mon propos par des confrontations du keynésianisme avec d'autres courants économiques utiles pour la gauche comme les théories de la décroissance, ce que j'aurai peut-être l'occasion de faire ultérieurement.
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John Kenneth Galbraith, Economie hétérodoxe
L'auteur du compte rendu : Juriste, essayiste, docteur en sociologie, Frédéric Delorca a dirigé, aux Editions Le Temps des Cerises, Atlas alternatif : le monde à l'heure de la globalisation impériale (2006).
Sous le titre Economie hétérodoxe, les éditions du Seuil publient cet automne le dernier recueil d’essais du très grand économiste américain (né canadien) John Kenneth Galbraith décédé l’an dernier à Cambridge (Massachussets).
Dans cette série de textes, l’auteur qui fut un pape du keynésianisme et de l’Etat providence (il commença sa carrière comme conseiller du New Deal de Roosevelt, et occupa, outre sa chaire à Harvard, des postes de responsabilité pendant les Trente glorieuses) confirme l’ampleur de l’érudition économique mais aussi historique et sociologique qui caractérisait déjà son œuvre des années 1960-1970.
Le lecteur trouvera notamment dans les chapitres de l’essai intitulé L’Economie en perspective (1987) un tableau magistral de l’histoire de la science économique occidentale d’Aristote au XX ème siècle, à la fois synthétique et pénétrant, et - ce qui ne gâche rien - agrémenté d’un solide sens de l’humour anglo-saxon.
Un des intérêts de ce travail est notamment de rappeler avec honnêteté au lecteur soucieux de comprendre les raisons du triomphe actuel du néo-libéralisme, les motifs du succès mais aussi de la fragilité du système keynésien que Galbraith contribua pourtant à mettre en pratique aux Etats-Unis. Comme le souligne Galbraith, Keynes eut le tort de laisser aux néo-classiques la suprématie dans le domaine de la théorie de la fixation des prix et des salaires (la « micro-économie ») tandis que lui ne s’intéressait qu’à la régulation macroéconomique. Ce faisant, quand son modèle se grippa avec les cycles d’inflation de la fin des années 60, le monétarisme de Milton Friedman (la restriction de la masse monétaire) devint le seul « outil de rechange » directement applicable, au service de la « révolution conservatrice », un outil d’ailleurs plus indolore que les hausses d’impôts pour les financeurs des campagnes électorales. On est ici assez éloigné de certaines théories de gauche qui tendent à imputer l’essor du monétarisme à une sorte de complot académique.
La curiosité de Galbraith pour la sociologie le conduit à esquisser – dans Anatomie du Pouvoir (1983) - une théorie du pouvoir à l’aide de catégories sur les formes de domination – la personnalité, la persuasion, la dissuasion et l’organisation – qui ressemblent beaucoup à des idéaux-types weberiens, même si le mot n’est jamais prononcé. A la lumière de ces concepts, Galbraith revisite toute l’histoire du monde, pour aboutir au phénomène majeur du XX ème siècle : le triomphe de l’organisation, dans tous les domaines (y compris dans l’armée et dans la religion, dont Galbraith ne cache pas le rôle central dans le système américain). Le lecteur pourra regretter certaines simplifications (sur l’Antiquité notamment), et la prégnance contestable d’un certain fonctionnalisme qui sépare artificiellement les individus des institutions. On peut en outre se demander si la clé d’interprétation de la modernité (et des impasses actuelles de la science économique) – le développement des organisations – n’est pas un peu trop systématique pour être intellectuellement satisfaisante. Mais force est en tout cas de reconnaître que Galbraith au moins s’y révèle comme un social-démocrate méritant, qui ne s’arrête pas à la défense des services publics, et sait aussi faire le procès de la bureaucratie, aussi bien dans le secteur privé que dans les administrations.
Les textes plus récents, qui remontent aux années 1990, s’avèrent encore utiles de nos jours, pour comprendre les années 2000.
Dans La République des satisfaits, écrit en 1992, Galbraith plaide pour une approche de la société en termes de classes sociales, et s’attache à montrer les ravages écologiques et sociaux que cause l’indifférence des classes supérieures (les « satisfaits ») à l’égard des classes populaires dont leur bien-être pourtant dépend en grande partie. Un aspect original de ces considérations concerne la politique étrangère dont Galbraith (en tant qu’ancien ambassadeur en Inde de John Kennedy) soutient qu’aux Etats-Unis elle repose principalement sur la routine et ne requiert jamais de grandes innovations intellectuelles. Il en résulte, selon lui, un conservatisme suranné dans les méthodes et dans les objectifs, notamment dans la valorisation de la force militaire même en l’absence d’ennemi de grande envergure. L’analyste démocrate qui dénonce l’envolée du budget militaire américain d’une décennie sur l’autre, n’est alors pas loin d’anticiper le phénomène Rumsfeld, et les utopies néo-conservatrices qui conduisent aujourd’hui son pays au désastre militaire.
Cet essai, ainsi que les suivants dont la tonalité ne varie guère, s’achèvent sur un constat pessimiste. « Les riches, y compris ceux qui parlent pour eux et ceux qui sont leurs alliés politiques, sont solidement installés aux commandes. Ils sont ce qu’on appelle la réalité politique et ils le seront encore dans les temps à venir », conclut l’économiste à la fin de l’ouvrage. Un diagnostic désabusé à peine tempéré par un appel à un sursaut démocratique… en forme de bouteille à la mer…
Frédéric Delorca
Douce France
Expulsion cinema
envoyé par jeudinoir