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Pierre Vidal-Naquet et Bernard-Henri-Lévy
La plupart de mes lecteurs qui connaissent les vraies valeurs de ce monde diront que j'enfonce une porte ouverte, mais hélas je dois le faire maintenant que la production massive de contre-vérités est devenue un art légitime, cautionné par les médias et dont la culture Internet elle-même se nourrit. Je vous encourage donc à lire intégralement la controverse entre Pierre Vidal-Naquet et Bernard-Henri Lévy en 1979 (avec la contribution de Castoriadis) ici. Et je souhaite que cette lecture inspire à tout un chacun un vif désir de retourner à cela seul qui devrait nous inspirer : la lecture calme et patiente des textes, la rigueur dans l'acquisition des connaissances jusqu'au moindre détail, la confrontation minutieuse des faits, le refus du tapage, des postures, de la grossièreté du style et du geste.
Une mauvaise pente
Je regrette que certains, à gauche de la gauche, aillent mêler leur signature à celle de mouvements peu recommandables dans des pétitions sur le Proche-Orient - voyez ici. Je m'étais opposé à ce genre de "liaisons dangereuses"en 2000 à propos de l'opposition à la politique de l'OTAN dans les Balkans, je regrette que 12 ans plus tard les catégories se brouillent à nouveau. En outre le texte en cause a le tort de sousentendre que la Syrie n'est pas une dictature et que les forces d'opposition armée sont uniquement islamistes (ce dont personne n'apporte la preuve).
Je comprends que le jeu des pétro-monarchies, celui des Frères musulmans turcs, et la montée du salafisme comme en Libye suscitent des inquiétudes. Mais ce serait un tort que d'employer cette grille de lecture à titre exclusif. Il faut avoir l'honnêteté de dire qu'en Libye hier comme en Syrie aujourd'hui il a existé et il existe une pluralité d'oppositions au régime héritier du panarabisme socialiste. C'est mentir aux gens que de leur faire croire qu'il n'y a que des islamistes. Bien sûr la rébellion armée syrienne comprend des éléments particulièrement extrémistes et barbares, mais il semble fort que les groupes gouvernementaux en comptent aussi, et nous ne devons pas tomber dans un simplisme outrancier qui inverserait celui des grands médias sans ajouter de nuances.
Une grande partie de mon désengagement actuel des questions géopolitiques tient au fait que, sous l'influence de la culture Internet, les grilles de la contestation de l'ingérence occidentale deviennent partout outrancières. Ce nouveau style de la dissidence ne me plait pas du tout et je préfère de loin le silence de Lucrèce sur les rivages de la guerre civile au concours du plus gros mangeur de champignons hallucinogène que devient depuis deux ou trois ans le débat dans certains milieux "alternatifs".
L’entrée dans une "nouvelle époque"
Certains esprits progressistes qui essaient de penser le temps présent à partir de la lecture de divers théoriciens se disent que nous entrons dans une époque nouvelle, et que, si la « gauche » où les forces alternatives ne sont pas capables d’offrir des perspectives plus concrètes que « retournons au socialisme d’antan, la planification etc », c’est simplement parce que ces tendances n’ont pas été « encore » capables de penser complètement les processus en cours. Il y aurait juste un déficit théorique au fondement de notre impuissance, mais la sortir du « tunnel philosophique » et le changement de paradigme seraient pour bientôt.
Voilà une vision des choses optimiste que je ne partage guère. Parce qu’elle part du postulat selon lequel l’humanité suit une pente de progrès et qu’il suffit que les concepts s’ajustent à sa "praxis" pour que ce progrès devienne vraiment juste et placé au service de l’émancipation collective.
Pour ma part je suis assez sceptique sur la théorie. Il me semble que des théoriciens comme Locke, Montesquieu, Rousseau, Marx, chacun dans des registres différents (et en contradiction les uns avec les autres) ont produit des concepts puissants et beaucoup influencé leur époque, en convertissant des hommes politiques et des groupes sociaux qui ont tenté de traduire en acte leurs théories, mais aucun intellectuel ne saisit jamais la complexité des interactions sociales qui forment l’époque où ils vivent, et par conséquent les concepts produits n’ont qu’une valeur heuristique intéressante pour l’action, mais on ne peut jamais penser qu’ils suffiront à eux seuls à remettre les processus humains sur la voie de la justice et du Bien (pour parler comme Platon). Le rôle des idées dans le monde n’est pas nul, mais il n’est pas aussi performatif que les intellectuels le croient (et l’apparition du fascisme dans les années 20 l’a clairement montré aux marxistes, par exemple).
En outre, je ne crois pas du tout qu’il existe une « flèche temporelle » orientée vers le progrès. Il y a eu des progrès technologiques et organisationnels très importants en Occident depuis la Renaissance, et qui ont tendu à se généraliser sur toute la planète, mais des déclins sont toujours possibles, pas forcément aussi abyssaux que le craignent les esprits apocalyptiques, mais tout de même significatifs, et il n’est pas évident que des « concepts » appropriés puissent freiner ce(s) déclin(s) comme, disons, l’idée du socialisme dans ses diverses déclinaisons a pu, à partir de 1860, limiter les effets destructeurs du capitalisme.
J’ai été intéressé dans les années 1990 par l’intuition de Cornélius Castoriadis (penseur qui présente de nombreuses insuffisances par ailleurs, notamment dans sa foi freudo-marxiste), selon laquelle nos démocraties entreraient en ce moment dans un processus comparable à celui qu’a connu la démocratie athénienne après la conquête macédonienne puis romaine : une dépossession massive de la subjectivité politique, une sorte d’aliénation politique qui dura pratiquement 2000 ans.
Pour ma part, je ne pense pas que nous devions comparer l’Occident à l’Athènes de l’époque de Philippe de Macédoine. Nous sommes plutôt Rome en 50 ou 60 av. JC.
Athènes fut une tentative de démocratie radicale (avec d’ailleurs beaucoup de défauts). Nous vivons, nous, depuis plusieurs décennies, dans un système aristocratique tempéré d’éléments démocratiques comme l’était la République romaine (avec son Sénat qui devait partager une partie du pouvoir avec un tribunat de la plèbe, et une assemblée des comices expression d’une forme de « démocratie directe » quoiqu’elle-même en grande partie pervertie, comme le sont chez de nous la plupart des rouages démocratique au niveau national comme au niveau supra-national, européen par exemple).
Les processus de transformation auxquels notre système est confronté sont analogues à ceux de la Rome de 50 avant Jésus Christ sur trois points capitaux :
1) Nous avons une montée en puissance de classes nouvelles : à l’intérieur de nos frontières (des diplômés nombreux qui ne veulent pas du travail manuel, et se veulent indépendants des appareils politiques et des institutions). Leurs équivalents en 50 av JC était l’ordre équestre sousreprésenté au Sénat, et des membres de la plèbe récemment enrichis ; à l’extérieur des frontières nationales pour nous il s’agit des pays émergents, pour la Rome de 50 av JC il s’agissait des bourgeoisies vassalisées des peuples récemment conquis tout autour du bassin méditerranéen, ainsi que des auxiliaires non romains employés par les légions.
2) De très grandes inégalités économiques et sociales liées au processus de mondialisation, dont l’équivalent dans la Rome du Ier siècle av JC était l’intégration du monde méditerranéen dans le réseau d’échange romain, de l’Espagne à la Palestine, et qui engendrait alors l’apparition de grandes exploitations latifundiaires, l’apparition de grands potentats économiques capables de corrompre les chefs politiques et financer des armées privées (et donc de menacer l’intégrité de l’Etat et de la chose publique), et des phénomènes de grande pauvreté en Italie (en plus de l’augmentation de la main d’œuvre servile) créant une clientèle naturelle pour toute forme d’aventurisme politique.
3) Le règne de la violence militaire, corrélat des deux précédents phénomènes qui, dans la République romaine finissante, joua un rôle analogue à l’émergence de la culture audiovisuelle (le règne de la vidéosphère comme dirait l’autre) et de la culture Internet. La violence militaire exerce sur les esprits le même effet de paralysie que la culture moderne de la vidéosphère, parce que toutes deux fascinent les instincts primaires de l’individu et fragmentent la cohérence globale de la vision du monde qu’il peut se construire. Je ne suis pas le seul à tracer un lien entre violence physique et hypnotisation par les images. Le premier je crois fut Walter Benjamin quand il s’efforça de penser le cinéma, l’image, la propagande, en même temps que la montée de la violence entretenue par les fascistes.
Ces trois éléments exercent tendanciellement un effet dislocateur des institutions « démocratiques » (en fait artistocratico-démocratiques) anciennes et discréditent les corps intermédiaires garants de leur pérennité (la classe politique, les cadres de la fonction publique, les syndicats, mais aussi les journalistes, les artistes officiels, les écrivains etc). Ceux-ci, dans l’Occident contemporain, comme dans la Rome du Ier siècle, sont obligés de verser dans diverses formes de démagogie pour sauver le peu de légitimité qui leur reste : aujourd’hui « cool attitude », relâchement du langage, proximité artificielle avec l’électeur ou l’administré, culte du foot, de la fête, des bons sentiments, comme à l’époque romaine distributions gratuites de blés, organisation de jeux pour la plèbe, compromis sur le respect des valeurs traditionnelles.
La course démagogique est une source d’affaiblissement des institutions à l’égard du public auquel elles s’adressent, car elle montre que les classes sociales qui en sont les piliers (les magistrats, les enseignants, les syndicalistes etc, chacun dans des rôles distincts) ne croient plus en elles, mais aussi à la dissolution interne de ces institutions aux yeux mêmes de ceux qui les font fonctionner, encourageant par exemple les fonctionnaires à ne plus faire appliquer les lois, à se laisser corrompre etc.
Nous n’en sommes sans doute pas au même degré de dissolution des valeurs institutionnelles que dans la Rome de 50 avant Jésus Christ, mais nous sommes sur cette pente.
Je pourrais prendre ici l’exemple de l’art. Un lecteur me faisait remarquer il y a peu que la « posture » de l’artiste est désormais dénoncée comme une imposture. C’est un processus qui remonte au lendemain de la première mondiale (avec le dadaïsme, le jazz etc) et qui a été accéléré récemment par la transformation de l’institution artistique (avec ses académie) en « marché de l’art », avec ses mécènes, sa corruption, et où (presque) tous les coups sont permis. Dans ce dispositif tout le monde est encouragé à se sentir artiste de sa propre vie et les artistes « professionnels » en sont à cautionner ce fantasme, réduisant leur propre création à une sorte d’addendum « festif » (« fédérateur ») à ce que tout un chacun peut produire dans son coin (sur ce plan la décomposition de l’institution est beaucoup plus avancée que dans la Rome du Ier siècle av JC, où l’art, bien qu’ouvert à des importations grecques qui agaçaient les Sénateurs, et à des innovations populaires d’un goût douteux comme la pantomime restait tributaire d’une caste aristocratique qui lui maintenait une cohésion globale).
Cette décomposition des institutions aristocratico-démocratiques ouvre des boulevards, comme au Ier siècle avant Jésus-Christ à l’aventurisme de personnalités charismatiques (pour parler comme Max Weber). Au Ier siècle Pompée ou César, puis Octave (ceux qui maîtrisaient le mieux la chose militaire, en même temps d’ailleurs que les effets d’image). Aujourd’hui Chavez, Sarkozy, Marine Le Pen (avec des succès divers, et dans des registres différents, sans d’ailleurs que je porte ici le moindre jugement de valeur sur eux – je n’en ai pas besoin pour la démonstration de ce billet – ni bien sûr que je trace le moindre signe d’équivalence entre ces différents personnages, simplement chacun incarnent une forme d’aventurisme politique, de sortie partielle ou totale du vieux système aristocratico-démocratique qu’ils prétendent rénover ou transformer) ces derniers non pas en tant que chefs de guerre mais bons administrateurs de l’image médiatique (comparable comme nous l’avons dit à la violence militaire autrefois).
Les progressistes optimistes pensent qu’un effort conceptuel va vouer à l’échec l’aventurisme politique, qu’un nouveau Marx peut mettre bout à bout un nouveau paradigme (notamment avec l’écologie politique, malmenée par l’opportunisme des Verts), trouver une nouvelle formule d’émancipation des gens dans le monde globalisé tel qu’il est, dans l’état des technologies que nous avons (donc sans passéisme), et mobiliser un nouveau courant (« altermondialiste ») concret, intelligent, capable de refonder la chose publique au niveau planétaire et instaurer une nouvelle forme de justice et de liberté pour tous.
D’autres tout aussi optimistes mais moins « globalisateurs » pensent que le même résultat peut être obtenu à l’échelle des entités nationales pour peu que celles-ci chacune dans leur coin s’attachent à refonder leurs institutions et leur pacte social.
Pour ma part, comme Castoriadis, je suis plus pessimiste. Même si je ne crois que tout est fichu et ne nourris aucun fantasme millénariste de fin du monde, j’estime que le risque d’une vaste confiscation de la subjectivité politique collective, comparable à celui que Jules César, puis César-Auguste, est possible, même si elle ne revêtira pas la même forme qu’au Ier siècle avant notre ère (je veux dire que ce ne sera pas une dictature de mille cinq cents ans – si l’on va jusqu’à la fin de Byzance – sous la dictature d’un parrain).
Comme sous la République finissante, les institutions aristocratico-démocratiques engagées sur la voie apparente de la démagogie sont en réalité complètement égoïstes et dépourvue de toute imagination pour intégrer les changements de ce monde (notamment pour intégrer la montée des pays émergents). Elles utilisent les lois antiterroristes et les interventions de l’OTAN sur tous les continents, comme le Sénat menacé par les séditieux utilisait le « sénatus consultus ultimum » (c’est-à-dire les lois d’exception), mais n’ont aucun horizon humain nouveau à proposer.
L’ancien régime aristocratico-démocratique peut encore se perpétuer comme cela, entre des accès de fièvre sporadiques, ou il peut dégénérer en dictatures populistes plus ou moins éphémères (qui ensuite laisseraient la place à d’autres épisodes aristocratico-démocratiques abâtardis et vice versa), sans pour autant que le peuple ne récupère la moindre once de subjectivité politique (c’est-à-dire de pouvoir décisionnel réel, d'empowerment, et de capacité à penser collectivement son avenir). Et cette stagnation est d’autant plus probable que le pouvoir atomisateur de la vidéosphère sur les esprits (la nouvelle violence militaire fasciste) n’en est qu’à ses débuts.
Face à cette impasse, et en l’absence de l’apparition d’un nouveau Marx (et des conditions sociales d’un mouvement révolutionnaire unifié capable de porter sa parole), le meilleur rôle à envisager pour un intellectuel est celui qu’avait Caton d’Utique en 50 avant Jésus Christ : celui qui rappelle en toute rigueur les critères de la vérité et de la justice, et qui lui-même s’efforce de dire le vrai et de faire le juste. Cette tâche de l’intellectuel engagé suppose, à mes yeux, que l’intellectuel soit lui-même critique à l’égard de sa propre scholastic view, de ses propres privilèges, et ne se pose pas en donneur de leçons. Il ne peut être que témoin, témoin de ce qui lui semble possible, ou souhaitable, de ce que lui-même fait, sans illusion sur tout cela, et avec un regard critique à la fois sur les pouvoirs dominants et sur tout ceux qui proposent des « y a qu’à » et de fausses vérités « alternatives » qui ne feraient qu’orienter les gens vers des pseudo-voies émancipatrices en fait source de plus grandes confiscations de liberté. Ce rôle, selon moi, doit être éloigné de la démagogie, et donc solidaire aussi de certaines formes de conservatisme dans le style d’expression et dans le rythme de vie (il faut se tenir à l’écart de la frénésie, de l’utilitarisme, des fausses obligations morales tout comme des faux plaisirs faciles s'ils sont susceptibles de devenir addictifs, de tout ce qui affaiblit la pensée et trouble sa lente et solide affirmation).
Julian Assange, Tariq Ali et Noam Chomsky
Dans cette émission de Russia Today, les trois contestataires mènent un débat intéressant, accessible en anglais et en espagnol.
Je suis fort intéressé d'entendre Chomsky (qui a l'habitude de peser ses mots) dire (autour de la dixième minute) que Cuba est un pas qui a subi des pressions et même des attaques terroristes davantage que le reste du monde. Dommage que les propos de Chomsky soient coupés au moins deux fois.
Analyses partielles, prédictions désinvoltes
Deux traits caractérisent notre espèce de nos jours : elle est partielle et partiale dans l'analyse des faits, et présomptueuse dans son appréhension des conséquences des options qu'elle prône.
Prenons la guerre de Libye l'an dernier par exemple. Beaucoup de gens parmi ceux qui s'y opposaient étaient partiaux sur l'analyse des défauts et mérites de la dictature de Kadhafi, avec une forte tendance à surévaluer les mérites de celle-ci. Mais même parmi les plus prudents, les moins enclins à soutenir les dictateurs, beaucoup restaient encore très partiels dans l'analyse des pertes civiles occasionnées par les bombardements de l'OTAN. La plupart voulaient croire absolument que ces bombardements faisaient beaucoup de dégâts collatéraux (comme ils en firent dans d'autres guerres) et se croyaient supérieurement intelligent de mépriser les démentis apportés par le autorités miltaires de l'Alliance. Aujourd'hui même les aspects les plus critiques du rapport de l'ONU établi sur le sujet montrent qu'en effet les frappes ont été très chirurgicales. Alors on peut bien sûr mettre en doute l'ONU qui est loin d'être impartiale dans bien des cas, et dire, comme à propos de la Serbie, que le regime change a de toute façon rendu les enquêtes impossibles. Mais en vérité il n'y a pas beaucoup d'arguments au jour d'aujourd'hui pour discréditer le rapport de l'ONU, et il n'est pas du tout impossible, au fond, qu'il y ait eu effectivement un "effet d'apprentissage" chez les militaires occidentaux et chez les politiques, qui fait qu'enfin ceux-ci ont compris que les pertes collatérales desservaient les objectifs politiques fixés, de sorte que les victimes civiles ne devraient peut-être plus du tout être, dans les milieux antiguerre, un argument pertinent de l'analyse politique des relations intenationales.
Il en va de même sur le volet de l'appréhension des conséquences, ou autrement dit des prédictions. Tout le monde se montre d'une incroyable présomption et légèreté lorsqu'il avance des conséquences des solutions prônées. C'est particulièrement le cas des anti-européistes. Beaucoup depuis des années sont certains que l'argument du retour des guerres est une invention des fédéralistes, et que la xénophobie est un sous-produit dudit fédéralisme, non le résultat possible d'un retour aux souverainetés nationales. C'est vraiment faire preuve de prétention que d'affirmer qu'un effondrement de l'Union européenne n'entraînerait pas un retour des guerres. Dans mon "Programme pour une gauche décomplexée" je prônais à la fois la sortie de l'UE et l'augmentation des dépenses d'armement. Car je me garderai bien de faire le moindre pronostic sur l'esprit pacifique de nos Etats lorqu'ilse se trouveront de nouveau en compétition les uns avec le autres.
Cela me fait penser à la Grèce et à la Turquie. J'entendais hier Mme Voynet (sénatrice écologiste) expliquer à la télévision que la Grèce pour rétablir ses comptes devrait amputer ses dépenses militaires. C'est bien mal connaître ce pays et la nature du contentieux qui l'oppose à son voisin oriental dont les navires de guerre patrouillent au large de ses côtes. Les écologistes sont d'une naïveté désarmante dans tous les sens du terme.
L'âge venant j'en viens à éprouver beaucoup de compréhension pour les esprits conservateurs qui veulent ne rien changer de peur que les choses aillent de mal en pis. Qui n'a pu prévoir que la foudre frapperait l'avion du président nouvellement élu le jour même de son intronisation, doit nécessairement se garder de tout pronostic sur les conséquences prévisibles des solutions qui prône. C'est la grande leçon de Montaigne. On finit ainsi volontiers dans la peau d'un vieux lord anglais relisant les écrits de Hume. Mais bon je dis tout cela après avoir beaucoup milité, beaucoup écrit pour proposer des solutions nouvelles. J'estime qu'on a le droit de finir par le scepticisme. Mais il faut se garder de trop commencer par cette prudence.
De l'air !
Jour de pluie sur Paris. Je vois tout le monde s'enfermer dans ses petites marottes. Un ex pote à moi, proche des Indigènes de la République, qui essaie de se persuader que le projet de parti politique de la sénatrice verte Halima Boumédienne a de l'avenir, Mélenchon qui veut se présenter à Hénin-Beaumont, un souverainiste qui cite une publiciste de sa mouvance comme un argument d'autorité (*). Tout le monde à l'air d'avoir envie de se raccrocher à ses marottes, qu'il utilise comme des marqueurs identitaires sans plus relativiser, sans réinscire ça dans des perspectives plus générales bien pondérées (encore que pour la fixette de JL Mélenchon sur Hénin-Beaumont je comprenne le raisonnement stratégique derrière : abattre les extrèmes-droites en Europe et sortir les médias de leur fascination pour elles, mais parce que ce raisonnement tourne à la marotte, il devient contreproductif, le Front de Gauche devrait plutôt réfléchir sérieusement à ce qu'il veut faire du cadre national français...). Quand la politique n'est plus qu'affaire de fétiches, elle devient ennuyeuse à mourir. Je compte donc m'en éloigner dans les jours qui viennent pour quelques semaines. J'espère qu'aucun événement d'envergure ne m'y ramènera.
(*) Il vient de m'écrire qu'il ne l'a pas publié comme argument d'autorité (même si des lecteurs l'ont pris comme tel ainsi qu'on le voit dans les commentaires) et qu'il ignorait le background de cette publiciste. Dont acte. Mais la tendance à ne citer que les gens de son propre microcosme (limité à 50 personnes qui se connaissent toutes), même quand ce sont des Américains, est quand même le signe d'une sclérose de la mouvance.
Mélenchon et Todd
Je n'aime pas beaucoup Emmanuel Todd. Son anthropologie pour moi est fausse (et c'est un docteur en sociologie, et qui a eu pas mal d'anthropologie dans son cursus, qui vous parle). Sa volonté de rechercher dans les structures parentales des causes des systèmes politiques ne tient pas debout. Et la façon dont il ressort sa théorie des structures familiales pour expliquer que la culture française est de la même famille que celle des Etats-Unis me paraît tout simplement ridicule (comme l'argument qu'il avance en seconde ligne de la parenté de vocabulaire qui, comme chacun sait, naît du règne de Guillaume le Conquérant sur l'Angleterre et ne crée pas en soi de communauté de valeurs). Je vous livre néanmoins le débat entre Todd et Mélenchon ici. Car Todd a un point fort dans son argumentation : les classes moyennes n'ont peut-être pas les moyens psychologiques, économiques etc de mener une révolution, et on peut gagner du temps à convaincre les hauts fonctionnaires plutôt qu'à miser sur l'audace de la classe juste en dessous. Je n'ai pas d'avis définitif sur la question, car mon expérience (directe) de la haute fonction publique, comme celle de la classe en dessous (classes moyennes et moyennes inférieures - profs, petits fonctionnaires etc) m'ont laissé sceptique sur les deux volets. En ce moment, je veux miser sur la possibilité de changement qu'incarne Mélenchon, mais les arguments de Todd ne sont pas complètement erronés.
Pasolini à propos de l'avortement et de la consommation
Mon roman La Révolution de Montagnes, vous vous en souvenez peut-être, mentionne en son début un gros problème d'avortement auquel le héros Fulgaran est confronté et qui semble influencer beaucoup son rapport à la vie.
Pier Paolo Pasolini avait parfaitement compris l'enjeu existentiel de cette question. Voici deux pages édifiantes (extraites d'Ecrits corsaires) issues de sa polémique contre Italo Calvino et qui font le lien entre l'avortement et la société de consommation. Que question morale très complexe. La remarque sur le nouveau lien organique entre intellectualité progressiste et aliéanation au consumérisme ne peut pas laisser indifférent.