Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Le blog de Frédéric Delorca

Articles avec #debats chez les "resistants" tag

N'y a pas arren de Coupat

1 Février 2009 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Débats chez les "résistants"

Hier, un ami me rappelait que tout parti révolutionnaire qui se respecte est doté d'une structure clandestine en plus de la structure officielle, et que c'est même l'existence de cette structure qui est le signe de sa vocation révolutionnaire. LO et même d'autres partis à gauche de la gauche auxquels on ne s'attend pas en ont une. Le PC a liquidé la sienne dans les années 80, ce qui est significatif, disait-il.

Le même jour des gens manifestaient pour Coupat. J'avoue avoir du mal à me faire une opinion sur cette affaire. Si la demande de libération a été rejetée en appel, c'est bien qu'il doit y avoir quelque chose au dossier. Les articles de profs du Quartier latin sur ce sujet en défense de Coupat ne sont pas vraiment convaincants. A chaque fois ils relèvent un ou deux faits qui peuvent aller dans le sens de Coupat et caricaturent la position des pouvoirs publics, mais ce n'est pas ainsi qu'on défend utilement une cause. Il faudrait reprendre point par point l'acte d'accusation et le démonter. Je n'ai pas l'impression que les défenseur de Coupat soient en mesure de le faire, ni dans la presse ni - c'est plus grave - dans les enceintes judiciaires. Cela ne signifie pas que Coupat soit coupable, mais simplement qu'il reste des ombres au dossier. Voilà pourquoi il est difficile d'arrêter une position sur ce sujet.

 

La tendance des organisations de gauche à caricaturer l'accusation, et à passer sous silence certains faits gênants plutôt que d'en discuter rationnellement (jusqu'à même montrer qu'ils ne sont pas si gênants qu'on veut bien le penser au départ) est une tendance habituelle de la gauche de la gauche. Dans "10 ans sur la planète résistante", je l'ai mentionnée à propos de l'affaire Bishara. C'est aussi lié au fait que les gens de tous bords n'aiment pas les vérités argumentées. Ils voient dans les arguments quelque chose d'ennuyeux et de violent dont il ne faut user qu'à dose homéopathique à des fins rhétoriques. Ce qui permet ensuite à leurs adversaires de les taxer de malhonnêteté et de sectarisme.

 

En outre, en ce moment, peu de gens à gauche ont envie d'examiner sérieusement les arguments pro- ou anti-Coupat, parce qu'à travers Coupat ils se mobilsient pour autre chose : pour ceux qu'ils appellent la "criminalisation" du mouvement social (les arrestations et intimidations de syndicalistes, de défenseurs des sans-papiers etc). Dans l'affaire Coupat ils tiennent un intellectuel (comme Batisti) qui en plus ne se voit pas reprocher des crimes de sang (et auquel donc on n'a pas besoin de demander 20 ans de repentance avant de le juger défendable).

 

J'ai répondu hier à mon correspondant que de toute façon, les structures clandestines ne servaient sans doute pas à grand chose dans nos sociétés vu que, de toute façon, aucune des conditions ne sont réunies pour une résistance armée efficace (à commencer par la formation des jeunes à la discipline). La formation du NPA a posé ce genre de question, notamment quand un ancien d'action directe a voulu adhérer à ce parti sans dénoncer la lutte armée. Je me souvient de Cohn Bendit expliquant il y a deux mois que Besancenot en fait croyait en la lutte armée puisqu'il soutient le Che. Sans doute aussi la résistance armée au Proche-Orient (Liban, Palestine) donne-t-elle des idées à certains révoltés, mais je pense que ces gens sont vraiment décalés par rapport à la réalité sociale européenne. Sans doute le mieux qu'on puisse espérer en Europe en ce moment serait la victoire en France par les urnes et non par les armes d'une coalition de gauche comme celle du mouvement bolivarien en Amérique latine, une victoire qui déboucherait sur une sortie de l'Union européenne et de l'OTAN et une alliance avec les pays progressistes. Mais comme me le disait quelqu'un l'an dernier, nous manquons de leaders charismatiques pour pouvoir espérer cela. Nous manquons aussi de cadres moyens réellement formés à une culture de gauche à la fois radicale et réaliste (ce qui aussi le cas en Amérique latine, et cela y paralyse les avancées démocratiques). Notre "génération Casimir" ne les fournira pas.

Lire la suite

Franco-africanisme et eurasiatisme

5 Décembre 2008 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Débats chez les "résistants", #Peuples d'Europe et UE

Edgar, sur le blog http://www.lalettrevolee.net/, faisait remarquer à juste titre que la France est culturellement plus proche du Maghreb ou de l'Afrique occidentale que de la Lettonie. Cette remarque ranimait en moi le souvenir de cette idée que j'avais avancée dans Programme pour une gauche française décomplexée : si la France devait prendre son indépendance à l'égard de l'Union européenne, elle pourrait reprendre le chemin d'une relation privilégiée avec l'Afrique, et, de ce fait, relever un défi majeur : celui de liquider complètement le passif du colonialisme en tentant ce que le colonialisme empêchait : une union sur un pied d'égalité avec les pays et les peuples autrefois maintenus sous le joug. Cela supposerait d'ailleurs un gros travail de nettoyage du linge sale, à l'image de ce qui fut fait en Afrique du Sud dans les années 1990 pour liquider le passif de l'apartheid. Mettre les relations franco-africaines sous l'égide d'un tel projet politique serait sans doute plus fécond, que l'éternel travail de culpabilisation et de demande de réparations "mémorielles" ou même "juridictionnelles" qui actuellement ne dessine aucun avenir commun.

La sortie de l'Union européenne ouvrirait la perspective de ce renouveau politique avec l'Afrique. Elle permettrait aussi de rapprocher la France des grandes puissances du continent eurasiatique : la Russie et la Chine. Je lis en ce moment le blog d'Alexandre Latsa qui rêve d'un continent gouverné par Moscou (http://alexandrelatsa.blogspot.com/2008/11/moscou-capitale-de-leurope.html). J'ai entamé un dialogue avec son auteur. Je n'ai pas encore suffisamment avancé pour connaître ses positions. Je sais qu'il y a - sur ce sujet comme sur tant d'autres - des spéculations qui sentent le soufre, comme un projet proche de l'extrême-droite qui, me disait-on il y a quelques mois, défend l'idée eurasiatique mais sur des bases très sélectives et ambigues, au point par exemple d'y intégrer le Japon et pas la Chine. Je ne sais pas si M. Latsa est proche de cette tendance. Il ne semble pas, si j'en juge par la manière dont il met en avant la faucille et le marteau. Mais notre discussion ne faisant que commencer ce point n'a pu être éclairci.

Pour ma part, je ne souhaiterais pas que notre continent soit soumis à Moscou, même si j'apprécie le côté provocateur de cette idée, qui force à réfléchir. La Russie m'intéresse beaucoup comme expérience culturelle, politique, économique, je veux dire comme une possibilité de faire vivre ensemble des êtres humains dans un certain style de cohabitation. Elle m'intéresse en un sens comme les Etats-Unis m'intéressent, comme la Chine, comme toute entité politique de grande envergure. Au delà de la curiosité, je lui voue une certaine affection au vu de ce que je peux en connaître, et, comme le projet franco-africain dont je parlais plus haut, elle m'intéresse comme un partenaire potentiel pour libérer nos pays de la chappe de plomb euro-atlantiste qui l'écrase depuis 60 ans et qui a liquidé chez nos concitoyens tout sens du réel et tout sens de la liberté de choix collectif entre divers avenirs possibles. Je crois qu'il ne faut pas s'aveugler sur la Russie : c'est un pays dont le gouvernement a gardé des tendances autocratiques, et où les méthodes brutales demeurent. La campagne de terreur dont ont été victimes de nombreux militants des droits sociaux (voyez l'agression dont fut victime à Moscou le 13 novembre après beaucoup d'autres Carine Clément, sociologue, directeur de l’Institut indépendant de l’Action collective, engagée dans le réseau « Union des soviets de Coordination de Russie » et dans les luttes concernant le droit au logement) en atteste. Le peu que je connais de ce pays révèle qu'il trouve mal son équilibre entre  la persistance de gangs privés peu recommandables et d'une bureaucratie conservatrice et souvent inefficace. Mais je crois qu'il faut miser sur les bons côtés le Russie. Le fait que ce pays croit en l'Etat, c'est-à-dire à la possibilité de définir de nouvelles options politiques, pour lui-même et pour le monde. Le fait aussi que c'est un pays qui souhaite équilibrer les rapports de force, là où les Etats-Unis n'ont cessé d'afficher leur volonté de "leadership" (certes Obama a adouci le discours, mais sans changer les hommes, ainsi que le montre la constitution de son équipe ce qui est de mauvais augure).  Et ce pays, de fait, a joué un rôle positif pour la paix face aux Etats-Unis, dans les Balkans, dans le Caucase, au Proche-Orient. Par conséquent, sans aller jusqu'à souhaiter que Moscou gouverne le continent, il faut vouloir une coopération accrue avec la Russie. C'est ce qu'ont compris, après les latino-américains et beaucoup de peuples du Tiers-monde, les résistants à l'euro-atlantisme en Europe.

Reste à organiser tout cela, au niveau-même de l'opinion. Créer des cercles pour promouvoir à la fois l'idée d'un renouveau des relations franco-africaines, et celle d'une coopération russo-française et sino-française dans l'esprit eurasiatique. Faire avancer ces idées contre le formatage euro-atlantiste, proposer des actions concrètes, et des programmes politiques concrets dans ce sens. Il y a beaucoup à faire.
Lire la suite

Gouvernement mondial

1 Novembre 2008 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Débats chez les "résistants"

Un mien ami me transmettait tantôt le texte suivant extrait d'un livre d'Hubert Védrine :

""Paradoxalement, du moins en apparence, certains militants altermondialistes et certains partisans de la "gouvernance" se rejoignent lorsqu'ils vont jusqu'à caresser l'idée d'un gouvernement mondial. On ne peut que s'étonner qu'un concept qui recèle un potentiel totalitaire aussi évident puisse séduire qui que ce soit dans les rangs de la gauche précisément antitotalitaire! Quel gouvernement mondial, pour faire quoi, désigné par qui, composé de qui, contrôlé par qui? Et s'il devenait répressif , sur quelle Lune se réfugieraient ses opposants? Ces questions ne sont pas posées. A moins qu'il ne s'agisse, synarchie réinventée, du secrétariat général de l'ONU et des directeurs généraux de  l'OMC et du FMI? Ou de ce G8 dans lequel les altermondialistes, cherchant un lieu où se rassembler pour manifester, avaient feint de voir, dans un hommage aussi paradoxal qu'erroné, les directoire du monde?" ("Continuer l'Histoire", Fayard, 2007)

Dans l'échange de mail qui s'en est suivi j'ai formulé la remarque suivante :

Védrine a raison de souligner les dangers d'un gouvernement mondial.
 
En même temps, on voit mal comment l'espèce humaine y échappera à terme (la technologie a beaucoup uniformisé et rapproché les êtres), sauf si l'épuisement du pétrole nous fait "revenir en arrière" sur le plan des mentalités (et des rapports internationaux)
 
Les humains, à mesure qu'ils prennent conscience de leurs ressemblances, et des dangers communs qui les guêtent, peuvent être de plus en plus tentés d'abolir les Etats.
 
Le problème c'est qu'un gouvernement mondial aujourd'hui, s'il avait une structure de démocratie formelle (avec un "sénat" qui serait l'assemblée générale des Nations-Unies représentant les anciens Etats, et une chambre basse composée de députés élus au suffrage universel direct mondial) fonctionnerait comme l'Afrique du Sud. La chambre basse et le gouvernement officiels seraient contrôlés par les élites chinoises et les indiennes (les élites des peuples les plus nombreux, ponctuellement appuyés par les Indonésiens, et quelques autres peuples denses) comme elle est aujourd'hui,en Afrique du Sud, entre les mains des élites khosas et zouloues, tandis que le pouvoir économique serait entre les mains de la bourgeoisie euro-états-unienne comme il est dans les mains aujourd'hui de la bourgeoisie anglosaxonne et afrikaner en Afrique du Sud. Rien n'indique que cet équilibre ferait les affaires du Transnistrien ou du Peul moyen, ni de l'intérêt général humain...

Je livre ces considérations spontanées et sans prétention à votre réflexion, et au débat sur l'avenir de notre espèce...

Lire la suite

"La politique du nom propre"

22 Octobre 2008 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Débats chez les "résistants"

Je me suis souvenu, ce matin, en lisant le papier de mon ami Edgar sur son blog "La lettre volée" (http://www.lalettrevolee.net/), du livre de Derrida "Nietzsche et la politique du nom propre". Quand j'ai commencé mon engagement politique il y avait eu un débat avec certains de mes amis (par exemple celui que j'appelle Marc-Aurèle dans "10 ans sur la planète résistante") sur l'intérêt d'user ou pas d'un pseudo. Et encore aujourd'hui des discussions ressortent là-dessus à l'occasion de la publication de mon livre. Je pense qu'Edgar, qui n'est pas un journaliste professionnel (lesquels sont à peu près les seuls, avec les politiciens et certains profs, à ne pas devoir user de pseudos quand ils entrent en dissidence) connaît assez bien les contraintes de la vie sociale actuelle. Il décrit les choses fort justement. J'approuve complètement son propos ci-dessous.

FD

Lu ailleurs une bonne petite querelle (en commentaires) comme la blogosphère aime à en mener (cf. chez Toréador aussi, avec qui je suis entièrement d'accord).

Je ressors quelques idées que j'avais notées sur le sujet, pour l'occasion.

D'une part, les anti-anonymats attaquent les blogs anonymes en avançant l'idée que l'anonymat est synonyme de contenu banal. C'est idiot. Et quand bien même ce serait le cas, personne encore n'oblige quiconque à lire un blog anonyme.

L'anonymat marquerait des blogs lâches et de piètre qualité. Je crois que cette remarque est vraie pour un commentateur épisodique qui viendrait lâcher quelques injures sur le blog d'un autre, qu'il n'oserait pas signer de son nom. Mais ce qui est vrai pour un commentaire isolé devient faux pour un blog installé et pérenne.

L'anonymat n'est pas l'absence ni l'irresponsabilité

Sur la durée, l'anonymat s'efface. Peu importe qui signe ici du nom d'Edgar. Il se trouve que, sur ce blog, je réponds de ce que j'écris. Et les quelques commentateurs et lecteurs réguliers me lisent non pour ce que je suis "dans la vie" mais parce qu'ils apprécient ce qu'ils lisent ici, que cela prenne leurs idées à rebrousse-poil ou vienne conforter leurs propres opinions. Et les échanges parfois vifs montrent qu'à défaut de nous connaître en vrai nous sommes capables de discussions approfondies.

L'anonymat est relatif

De fait, ce blog est anonyme parce que je n'ai pas envie que n'importe quel client/fournisseur/relation de travail puisse tomber sur mes opinions poitiques en tapant sur Google, et ce pour les cinquante années à venir. Pour autant, il m'est arrivé de rencontrer les quelques commentateurs avec qui j'ai prolongé des échanges par mail, lorsqu'ils le souhaitaient ou à ma suggestion. Et plus question d'anonymat dans ce cas, bien évidemment. L'anonymat est donc une protection relative et de premier degré.

Le non-anonymat pèse et entrave


Je pense même, en sens inverse, que certains blogs signés de leur auteur perdent en qualité de ce fait. Comment ne pas penser que le fait de travailler pour une boite de publicité, une société de service ou autre n'incite pas forcément à une certaine réserve... Au moins le blogueur anonyme n'a-t-il rien à vendre, sinon la mince gloire de figurer à telle ou telle place du classement x ou Y... Encore ne peut-il même pas en profiter "dans la vraie vie".

Mon pseudo est une personne

Sur la durée donc, je ne crois pas qu'un blog anonyme qui se respecte (qui répond de ses positions, qui engage une discussion avec ses lecteurs) soit de moindre qualité qu'un autre - car c'est bien de qualité qu'il s'agit dans les reproches qui nous sont faits. Le pseudo devient unepersonne, à laquelle on s'attache et que l'on défend. S'il me venait à l'idée de traîner ici Balmeyer dans la boue (ce qu'à dieu ne plaise s'agissant d'un de mes blogs préférés), nul doute que ledit Balmeyer engagerait immédiatement une défense de son pseudonyme, auquel il tient certainement presque autant qu'à son nom réel.

Il y a donc, même sur un blog anonyme, une personnalité qui, pour être virtuelle en apparence, est bien réelle et mérite de ne pas être a priori ramenée à l'insignifiance.

Edgar
Lire la suite

Chomsky et Zunes contre Meyssan et Golinger ?

28 Août 2008 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Débats chez les "résistants"

Les polémiques dans les milieux résistants font partie du paysage depuis longtemps. Cela fait partie du jeu démocratique. Je trouve par exemple une critique amusante de l'évolution de José Bové et Clémentine Autain sur le site de la section du PCF du 15ème arrondissement de Paris (située à l'aile gauche de ce parti) sur http://vivelepcf.over-blog.fr/article-22284430.html, et un échange vif et instructif entre cette même section et le collectif trotskiste du PCF "La Riposte" sur http://www.lariposte.com/La-demarche-et-les-objectifs-de-La-Riposte-Reponse-1064.html. Je ne suis pas membre du PCF mais il est intéressant de connaître les débats qui traversent ce parti, dont une fraction au moins constitue une composante importante et utile du mouvement anti-impérialiste en Europe.

Plus ésotérique pour les Français, mais instructif aussi, peut apparaître le papier que Thierry Meyssan vient de signer contre une pétition signée par Chomsky, qui défend l’Albert Einstein Institution. Meyssan se place aux côtés de Golinger - associant d'une façon inattendue radicalisme et bolivarisme - contre cette pétition dont hélas Meyssan ne donne pas le lien.

J'ai déjà sur ce blog dit un mot d'Eva Golinger (http://delorca.over-blog.com/article-21339393.html) et j'avais signalé il y a  plus d'un an la publicité faite par Chavez aux thèses de Meyssan sur l’Albert Einstein Institution  (http://delorca.over-blog.com/article-6764817.html). Je ne m'attendais pas à voir Chomsky dans un camp différent de celui de Golinger dans cette affaire. Meyssan en profite pour ressortir les articles de Blankfort (bien connus dans la mouvance anti-impérialiste) sur le "sionisme" de Chomsky.

Mondialisation.ca, le site de Chossudovsky (dont on connaît les nombreux textes, depuis la guerre de Yougoslavie) reproduit l'article de Meyssan.

La position de l’Albert Einstein Institution sur Meyssan est disponible sur http://www.aeinstein.org/organizations_attack_responses.html. Je trouve particulièrement utile l'échange entre George Ciccariello-Maher et Stephen Zunes dans les pages du magazine marxiste américain Monthly Review  (http://mrzine.monthlyreview.org/cmg050808.html). L'impression qu'on retire de toutes ces lectures est que, peut-être, Meyssan force le trait une fois de plus. Quant à cette polémique sur l'attitude de l’Albert Einstein Institution à l'égard de l'opposition à Chavez, elle pose la question, de nouveau, de la place d'une certaine gauche "alternative" anti-autoritaire, dans un conflit entre une puissance impérialiste et un gouvernement encerclé qui résiste. Un problème que j'avais connu de près pendant la guerre de Yougoslavie (j'en parle dans mon livre à paraître "10 ans sur la planète résistante"). Ce n'est pas une question facile.

A part ça, je vous signale que j'ai signé la pétition en faveur du journaliste de RFI Richard Labévière (http://www.ipetitions.com/petition/Labeviere2008?e), qui m'avait interviewé en 2006 lors de la publication de l'Atlas alternatif. Le licenciement de Labévière n'est guère une surprise sachant comment fonctionnent nos médias, mais il est souhaitable en effet de manifester notre désaccord devant la réduction du pluralisme dans le service public. Le bloggueur Bernard Fischer consacre au dossier Labévière plusieurs pages sur http://fischer02003.over-blog.com/, y compris au début d'une controverse (si j'ai bien compris) sur ses propos tenus récemment au Liban... en présence de Meyssan... 

Lire la suite

Fragiles alternatives

23 Juillet 2008 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Billets divers de Delorca, #Débats chez les "résistants"

J'entendais tantôt dans un train de la banlieue ouest de Paris une petite cheftaine (pour situer son profil sociologique : une maghrébine quadragénaire) narrer par le menu à ses petites camarades (des grosses dames africaines) la manière dont elle sanctionnait les retards de ses subordonnés, et les divers menus manquement à la discipline, comment elle en rendait compte à "sa hiérarchie", quelle rectitude elle mettait dans le blâme, car il y allait de la "crédibilité" de son "management". Elle parlait d'une fille : "Elle est très productive. La plus productive de toutes. Mais elle a le manque de ponctualité dans le sang - elle est même arrivée en retard le jour de son bac. Elle lutte contre ce naturel. Mais elle n'y arrive pas. Alors je la sanctionne".

Un petit parfum du micro-fascisme qui fait le quotidien exitentiel dans le monde capitaliste d'aujourd'hui. La nana a un moment s'est exclamé : "En plus je dois former des Marocains pour qu'ils appliquent nos procédures. Pendant 5 jours. Après ils rentrent au Maroc. S'ils n'ont pas compris au bout de 5 jours, j'irai les former sur place. Peut-être que quand ils seront formés l'activité sera délocalisée et je serai virée par ceux que j'aurai instruits. Ce serait marrant. Bon remarque sur le coup je ne me marrerai sûrement pas". Etrange tous ces gens qui travaillent avec l'épée de Damoclès de la disparition pure et simple de leur activité de l'horizon français.

Bien sûr tout le monde sait que ce système ne fonctionne pas. Qu'il broie les ressources de la planète, les vies humaines, tout ça pour pouvoir gaspiller toujours plus, s'abrutir toujours plus, et terminer sous Prozac ou Lexomil.

Mais personne en Europe n'a la force de rechercher autre chose, et sans doute personne ne l'aura sans grande catastrophe (tant que l'Etat  providence amortira les effets les plus immédiatement douloureux du capitalisme).

Et ne croyons pas (comme on le pense parfois) que les pays "non occidentaux" ou victimes de l'Occident sont plus assoiffés d'alternatives que nous. Je lisais un forum serbe hier sur l'arrestation de Karadzic. Les gens qui y dédendaient  le point de vue "occidental" y étaient aussi nombreux et aussi virulents que les tenants des arguments "patriotiques" (or le sens de l'opposition patriotique est le premier jalon du combat pour l'alternative dans ce genre de pays). C'est une loi sociale bien connue qui veut que le point de vue du plus riche fasse toujours beaucoup d'adeptes. Il se pare de mille vertus du seul fait qu'il émane des puissants.

Sur un autre continent, je lisais hier un bon texte de Znet sur l'avenir de la révolution bolivarienne. Très bon article éloigné des apologies creuses (je pense à une militante d'un cercle bolivarien qui, l'an dernier, me disait détester les intellectuels à cause de leur propension à la réflexion critique !). Znet n'est pas accessible ce soir, mais je crois que l'article était sur www.zmag.org/znet/viewArticle/18238. Il soulevait quelques problèmes réels : sur le risque qu'Obama séduise une partie des Latinos (alors que Bush était un utile repoussoir), sur les problèmes que le Pérou et la Colombie posent au bolivarisme, sur l'autonomie croissante de Correa face à son allié vénézuélien.

Les alternatives sont fragiles.
Lire la suite

Also sprach Noam Chomsky

27 Juin 2008 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Philosophie et philosophes, #Débats chez les "résistants"

 

Transcription de l’intervention de Noam Chomsky à la conférence Z Media Institute talk, Juin 2007.
>

> Traduit de l’anglais par Dominique Arias
> (Les notes entre […] sont du traducteur et n’engagent que lui)
>

>
> Vous êtes tous au courant, bien sûr, qu'il y a eu des élections [au Congrès] – enfin, ce qu’on appelle ici, aux Etats-Unis, des "élections" – en novembre dernier. Le seul véritable enjeu de ces élections, c’était : "Qu’est ce qu’on fait des forces américaines en Irak ? ", et il y a eu, selon les critères américains, une majorité absolue en faveur d'un retrait des troupes U.S. selon un calendrier précis.
>
> Comme peu de gens le savent, quelques mois plus tôt, il y avait eu un vaste sondage en Irak, mené par les Etats-Unis avec d’intéressants résultats. C’était pas vraiment un secret ici… En cherchant bien, on pouvait même trouver ici ou là quelques allusions, donc c’est pas qu’on n’en parlait pas du tout... Ce sondage montrait que deux tiers des habitants de Bagdad voulaient que les troupes US se retirent immédiatement. Dans le reste du pays, à une large majorité, les gens voulaient un calendrier de retrait strict sur un délai d'un an voire moins.
>
> Les taux étaient plus élevés dans la partie arabe [non kurde] de l'Irak, là où les troupes US étaient effectivement déployées. Une très grande majorité y estimait que la présence des troupes US augmentait le niveau de violence, et une proportion remarquable d’environ 60 pourcent sur l'ensemble de l'Irak – ce qui veut dire bien davantage dans les zones où sont déployées nos troupes – trouvait que les forces U.S. étaient des cibles d’attaques légitimes. Il y avait donc un consensus considérable entre Irakiens et Américains sur ce qu'il faudrait faire en Irak, à savoir : Retirer les troupes, soit immédiatement, soit en fonction d’un calendrier strict.
>
> Eh bien, la réaction post-électorale du gouvernement américain face à un tel consensus, a été de fouler au pied l'opinion publique en augmentant les effectifs en place de quelque 30 à 50 000 hommes… Comme on pouvait s’y attendre, le prétexte c’était : "Nous sommes confrontés à une ingérence étrangère en Irak, contre laquelle nous devons défendre les Irakiens. Les Iraniens sont en train d’interférer en Irak !" On a alors assuré pouvoir prouver la découverte d’engins explosifs, de bombes placées le long des routes et portant des marquages iraniens, puis la présence de forces iraniennes en Irak. "Qu’est-ce qu’on peut faire ? Il nous faut renforcer notre présence pour protéger l'Irak contre cette intervention extérieure !"
>
> Après, il y a eu toute une polémique... Nous vivons dans une société libre et ouverte après tout, donc nous avons des débats "virulents". Il y avait d'un côté les faucons, qui disaient : "Les Iraniens interfèrent en Irak, nous devons les bombarder !" De l'autre il y avait les colombes, qui disaient : "Comment être certain que ces preuves sont correctes ? Vous avez peut-être mal lu les numéros de série ou, peut-être, ce sont seulement les Gardiens de la Révolution et non le gouvernement..."
>
> C’était donc le genre de débat habituel, et qui illustre cette distinction fondamentale et omniprésente entre différents types de systèmes de propagande. Pour ne citer que les plus importants – en exagérant à peine – la propagande des états totalitaires consiste à dire : "Vous avez plutôt intérêt à être d’accord, sinon..." – et le "sinon" en question peut avoir différentes conséquences selon la nature du régime. En réalité, les gens peuvent bien croire ce qu'ils veulent du moment qu'ils obéissent... Dans les sociétés "démocratiques" on utilise une méthode différente : on n’y énonce pas formellement la "ligne du Parti", ce serait une erreur. Ce qu’on fait c’est qu’on la pose d’abord comme une évidence, puis on encourage un vif débat, mais qui ne doit pas sortir du cadre de la ligne du Parti. Ça sert fondamentalement à deux choses : d'abord, à donner l'impression d'une société libre et ouverte puisque, après tout, les débats sont houleux. Ensuite, cela instille une ligne de propagande qui devient finalement une sorte d'évidence, comme l'air qu’on respire.
>
> Et c’était précisément le cas ici. C’est vraiment un exemple classique… Tout le débat autour de "l'interférence iranienne" en Irak n'a de sens que si l’on part d’un principe : que "le monde nous appartient". Si le monde nous appartient, alors le seul problème qui puisse se poser, c’est que quelqu’un d’autre "interfère" dans un pays que nous avons envahi et que nous occupons.
>
> De fait, si vous reprenez tout le débat qu’on a eu ici, et qui est loin d’être clos, sur cette "ingérence iranienne", personne ne vient vous dire que tout ça n’a aucun sens. Comment peut-on reprocher à l'Iran d’interférer dans un pays que nous venons d’envahir et que nous maintenons sous occupation ? Ça n’a de sens que si l’on part du principe que "le monde nous appartient." Une fois qu’on s’est bien mis cette idée là en tête, l’ensemble du débat paraît tout à fait pertinent.
>
> On publie en ce moment pas mal de comparaisons entre le Vietnam et l'Irak. Dans l’ensemble, les deux conflits n’ont littéralement rien à voir. Leur nature, leurs objectifs, tout ça est totalement différent, en dehors d’un point : la manière dont ils sont perçus aux Etats-Unis. Dans les deux cas, le terme qui revient constamment c’est le mot "bourbier". Est-ce que c'est un bourbier ? Au Vietnam, tout le monde le reconnaît aujourd'hui, c’était un bourbier… Alors la grande question, c’est de savoir si l'Irak aussi est un bourbier… En d'autres termes : "Est-ce que ça ne nous coûte pas trop cher ?" Ça, c’est la grande question qui mérite débat…
>
> Concernant Vietnam, c’était toute une polémique... Pas au début ! En fait, on en a tellement peu discuté au début que littéralement personne n’arrive même à se souvenir quand la guerre a commencé. 1962, pour ceux que ça intéresse… C'est cette année là que les Etats-Unis ont attaqué le Vietnam. Mais il n'y a pas eu de discussions, pas de débats… rien !
>
> Vers le milieu des années 60, le débat médiatique a commencé – avec l'éventail habituel d'opinions, les faucons d’un côté, les colombes de l’autre. Les faucons disaient que si on envoyait davantage de troupes on pouvait gagner. Quant aux colombes… Arthur Schlesinger, célèbre historien et conseiller de Kennedy, écrivait dans un bouquin, en 1966, qu’il ne nous restait plus qu’à prier pour que l’avenir donne raison aux faucons et que l'envoi de toujours plus de troupes (on en était à près d’un demi-million à l'époque) finisse par marcher et par nous apporter la victoire. "Si ça marche, nous louerons tous la sagesse et clairvoyance des dirigeants américains pour avoir su remporter cette victoire" – dans un pays que nous sommes en train de réduire à l’état de ruines et de décombres.
>
> Ça traduit mot pour mot le point de vue des colombes aujourd’hui. Prions tous pour le succès de "la déferlante" ! Si elle marche – au-delà de nos espérances – nous louerons tous la sagesse et clairvoyance de l'administration Bush, dans un pays qui, pour être honnêtes, est totalement dévasté et qui restera l’un des plus épouvantables désastres de l'histoire militaire pour sa population.
>
> Si vous prenez les positions les plus à gauche dans le débat médiatique, vous trouvez des gens comme Anthony Lewis qui, à la fin de la Guerre du Vietnam, en 1975, écrivait rétrospectivement que la guerre était initialement partie sur de bonnes intentions, pour faire une bonne action – ça va de soi, parce que… c’est nous… après tout... Donc, ça partait d’une bonne intention mais en 1969, dit-il, il était clair que la guerre était une erreur. Pour nous, aller jusqu’à la victoire reviendrait trop cher… Pour nous ! Donc c'était une erreur et il fallait se retirer. Ça, c’est ce qu’on faisait de plus extrême comme critique !
>
> On en est toujours au même point… En réalité, on pouvait se retirer du Vietnam parce que les Etats-Unis y avaient dores et déjà atteint leurs principaux objectifs. En Irak on ne peut pas, parce que nous n'avons pas atteint nos objectifs.
>
> Et pour ceux d'entre vous qui sont assez âgés pour s'en souvenir – ou qui ont lu quelque chose là-dessus – le fait est que le mouvement pacifiste lui-même était quasiment aligné sur cette position. Tout comme le débat médiatique, l'opposition à la guerre et y compris le mouvement pacifiste, restait principalement focalisée sur le bombardement du Nord Vietnam. Mais quand les Etats-Unis ont commencé à bombarder le Nord régulièrement, en février 1965, ils ont aussi progressivement intensifié le bombardement du Sud, jusqu’à en tripler les proportions – et à l’époque l’agression du Sud Vietnam durait déjà depuis trois bonnes années. Quelques centaines de milliers de Vietnamiens avaient déjà été tués et des milliers voire des dizaines de milliers, avaient été déportés vers des camps de concentration. Les Etats-Unis avaient déjà lancé leur guerre chimique pour détruire la nourriture, les récoltes et la couverture végétale. En 1965, le Sud Vietnam était déjà totalement anéanti.
>
> Pour les Etats-Unis ça ne coûtait pas grand chose de Bombarder le Sud, parce que le Sud n'avait aucun moyen de se défendre. Bombarder le Nord, c’était déjà plus risqué. Vous bombardez le Nord, vous bombardez les ports où vous risquez de toucher des navires russes et là, ça commence à devenir dangereux. Vous bombardez les lignes intérieures chinoises – il se trouve que les lignes de chemins de fer chinoises qui relient le sud-est et le sud-ouest de la Chine traversent le Nord Vietnam – Qui sait comment ils vont réagir…
>
> En fait, on a accusé les Chinois (et à juste titre) d'envoyer des troupes au Vietnam – c’était précisément pour y reconstruire les voies que nous étions en train de bombarder. Mais là, c’était "de l’ingérence" ! On lésait notre "droit divin" de bombarder le Nord Vietnam. De sorte que tout le monde restait focalisé sur le bombardement du Nord. Le slogan du mouvement pacifiste "Stop the bombing !" [Arrêtez le bombardement] faisait référence au Nord Vietnam.
>
> En 1967, pour Bernard Fall, l’un des plus grands spécialistes du Vietnam, féru d’histoire militaire et le seul spécialiste du Vietnam à avoir les faveurs des autorités américaines – c'était un faucon en l’occurrence, mais qui s’intéressait au sort des Vietnamiens – la question était de "savoir si le Vietnam survivrait en tant qu'entité culturelle et historique sous les pires bombardements qui aient jamais été infligés à un pays de cette taille. " Lui, parlait du Sud. Il insistait régulièrement que c’était contre le Sud que portait notre attaque. Mais quelle importance ? Ça ne nous coûtait rien, alors autant continuer... Et les polémiques n’allaient jamais plus loin que ça, ce qui n’a de sens que si l’on part du principe que "le monde nous appartient".
>
> Si vous lisez, mettons, les "Pentagon Papers." Il y apparaît que le bombardement du Nord faisait l'objet d'une planification considérable – une planification très détaillée, minutieuse, pour déterminer exactement jusqu'où on pouvait aller, ce qui se passerait si on allait un petit peu trop loin, et ainsi de suite... Mais vous n’y trouverez pas la moindre discussion concernant le bombardement du Sud, littéralement aucune ! A peine, de temps à autre, un communiqué du genre "Bien, alors on va tripler l’intensité des bombardements !", ou quelque chose dans ce genre.
>
> Si vous lisez les mémoires de guerre de Robert McNamara – à l'époque, c’était La colombe par excellence – il y fait un compte rendu détaillé de la planification minutieuse du bombardement du Nord, mais il ne dit pas un mot de sa décision d’intensifier drastiquement le bombardement du Sud, alors qu’on commençait seulement à bombarder le Nord.
>
> Je dois quand même préciser que, s’agissant du Vietnam, je ne parle ici que de ce dont on pouvait débattre, y compris chez les leaders du mouvement pacifiste. En dehors de ça, il y avait aussi l'opinion publique, radicalement différente mais loin d’être dépourvue d’intérêt. En 1969, pour presque 70 pourcent de l'opinion publique la guerre n’était pas une erreur, elle était fondamentalement injuste et immorale. C'est textuellement ce qui ressortait du sondage et ce pourcentage est resté à peu près constant depuis, jusqu’aux récents sondages de ces dernières années. Ces chiffres sont assez remarquables parce que les gens qui répondent comme ça à un sondage doivent sûrement se dire : " Ça, je suis probablement la seule personne au monde à le penser…" Ils n'avaient certainement pu lire ça nulle part et ils n’avaient pu l’entendre nulle part. Mais c’était la véritable opinion publique.
>
> Et il en va de même pour toutes sortes de sujets. Mais pour l’opinion « rendue publique », c'est à peu près ce que je décrivais tout à l’heure : un débat très houleux entre faucons et colombes, reposant entièrement sur l’idée – que personne n’exprime jamais – que le monde nous appartient. De sorte que la seule chose qui importe au bout du compte, c'est « Combien ça nous coûte ? », et le cas échéant pour les plus sensibles, « Est-ce qu’on en tue pas un peu trop ? »
>
> Pour en revenir aux élections, beaucoup ont été très déçus parmi les opposants à la guerre – la majorité de la population – que le Congrès n’ait pris aucune décision en faveur du retrait des troupes. Il y a eu une « résolution Démocratique » [proposée par les Démocrates], aussitôt bloquée par un veto, mais à y regarder de près, ça n’avait rien d’une proposition de retrait. Le général Kevin Ryan, un ancien de la Kennedy School, à Harvard, en a fait une assez bonne analyse. Il l’a examinée en détail et il a dit qu’on devrait plutôt appeler ça une proposition de redéfinition de l'ordre de mission. Disons que ça revenait à garder le même nombre de soldats mais avec une mission légèrement différente.
>
> D’après lui, ça ouvrait surtout la porte à des mesures d’exception au nom de la sécurité nationale. En gros, si le président estime qu'il y a menace pour la sécurité nationale, il peut faire absolument ce qu’il veut – fin de la résolution. Deuxième faille, elle donnait le feu vert aux « activités anti-terroristes. » Bon, en clair on peut faire ce qu’on veut quoi. Troisième point, elle avalisait l'entraînement des forces irakiennes. Là encore, carte blanche…
>
> Ensuite, elle disait que des troupes devaient être maintenues "pour assurer la protection des forces et des installations américaines. " C'est quoi ces "forces américaines" ? Eh bien, ces forces américaines c’est celles qui sont intégrées à des unités irakiennes au sein desquelles 60% de leurs camarades estiment constituer – en tant que troupes US, bien sûr – autant des cibles d’attaques légitimes. D’ailleurs, vu que ce pourcentage est en progression constante, il a probablement grimpé depuis… Bon, d’accord, ça veut dire qu’il faudra prévoir pas mal de renforts en fait... Quels sites nécessitent une protection, ça c’était pas précisé dans la "résolution Démocratique", mais le terme d’installations inclut notamment ce qu'on appelle "l'Ambassade". L'ambassade des Etats-Unis en Irak ne ressemble à rien de ce qui au monde a jamais pu être appelé une ambassade. C’est littéralement une ville à l'intérieur de la zone verte – cette zone protégée d’Irak intégralement gérée par les Etats-Unis. Elle a tout ce qu’il faut, depuis les missiles jusqu'aux Mac Donald’s, tout ce que vous voulez… Ah, ils n'ont pas construit une installation aussi colossale avec l'intention d'en partir…
>
> Ça c’est une de leurs installations, mais y en a d'autres... Il y a des "bases militaires semi-permanentes", qui ceinturent progressivement tout le pays. "Semi-permanentes" signifie "permanentes", enfin aussi longtemps qu’on veut, quoi...
>
> Le général Ryan laissé de côté pas mal de choses en fait. Il n’a pas dit que les Etats-Unis conservaient le contrôle de la logistique, or la logistique c’est tout ce qu’il y a de plus vital pour une armée moderne. A l’heure actuelle c’est près de 80 pourcent de l'approvisionnement qui arrive par le sud, depuis le Koweït, et qui doit traverser un territoire en rébellion, donc particulièrement sujet aux attaques. Ce qui veut dire qu'il faut y maintenir un maximum de troupes rien que pour maintenir l’approvisionnement. Outre, bien sûr, que ça nous assure le contrôle de l'armée irakienne.
>
> La "résolution Démocratique" élude complètement l’aviation. L’aviation, elle peut bien ce qu’elle veut... Elle bombarde plutôt régulièrement dans l’ensemble et elle peut bombarder encore plus intensivement… où est le problème ? La proposition élude aussi les mercenaires, dont le nombre est loin d'être négligeable. Selon certaines sources, comme le Wall Street Journal, il y en aurait actuellement environ 130.000, soit un nombre sensiblement équivalent à celui de nos troupes régulières, ce qui n’a finalement rien de bien surprenant. Traditionnellement, on mène plutôt les guerres coloniales avec des mercenaires qu’avec ses propres troupes – qu’il s’agisse de la Légion Etrangère française, des Gurkhas britanniques ou des Hessois, comme dans la Guerre Révolutionnaire [la guerre d’indépendance U.S., 1775-1783]. C'est notamment pour cette raison qu’on a laissé tomber le service militaire. Ça permet d’envoyer des soldats professionnels plutôt que des types ramassés dans la rue.
>
> Donc, effectivement, c’était juste une redéfinition de l'ordre de mission, mais on y a quand même mis un veto parce que même ça c’était trop demander. Et effectivement beaucoup de gens ont été réellement déçus… Pour autant, il serait exagéré de dire qu'aucun haut responsable à Washington n'a plaidé pour un retrait immédiat. Il y en a eu… La personne la plus haut placée que je puisse citer comme exemple, a répondu – lorsqu’on lui demandait quelle était la solution au problème en Irak – « C’est plutôt évident ! Retirer toutes les forces étrangères et retirer toutes les armes étrangères. » C’était Condoleeza Rice et elle ne faisait absolument pas allusion aux forces US, elle parlait des forces iraniennes et des armes iraniennes. Et là encore, c’est assez logique en fait, si l’on part du principe que le monde nous appartient. Parce que dès lors que le monde nous appartient, les troupes US ne peuvent être considérées nulle part comme des forces étrangères. De sorte que si nous envahissions l'Irak ou le Canada par exemple, nous sommes des forces autochtones. C’est les Iraniens les forces étrangères…
>
> J'ai attendu… pour voir si quelqu'un, au moins dans la presse ou les magazines, ferait remarquer qu'il y avait quand même quelque chose de bizarre là-dedans. Pas un mot… Rien ! Je pense que tout le monde a trouvé que c’était un commentaire parfaitement sensé. Non mais je n'ai pas trouvé une seule personne pour dire : « Hé, attendez une seconde ! Il y a de forces étrangères là-bas, oui… 150.000 soldats américains et de l'armement américain en pagaille… »
>
> Alors évidemment, c’est logique que lorsque des marins britanniques ont été capturés dans le Golfe par les forces iraniennes, on ait eu toute une polémique pour savoir s’ils étaient dans les eaux territoriales irakiennes ou dans les eaux territoriales iraniennes ?" En fait, on n’en sait trop rien parce qu'il n'y a pas véritablement de frontière, ce que certains n’ont pas manqué de souligner. Ce qui semblait clair, c’est que si les marins britanniques avaient effectivement été capturés dans les eaux irakiennes, l'Iran avait commis un crime en intervenant en territoire étranger. Mais la Grande Bretagne ne commet aucun crime en croisant dans les eaux irakiennes parce que la Grande Bretagne est un allié des Etats-Unis et le monde nous appartient, donc si elle veut être là, c’est son droit voilà tout.
>
> Et pour l’éventuelle prochaine guerre, à qui le tour ? L'Iran ? Il y a eu des menaces très crédibles de la part des Etats-Unis et d'Israël – un allié U.S. notoire – concernant une attaque sur l'Iran. Il se trouve qu'il y a un machin qu’on appelle Charte des Nations Unies, dont l’article 2 définit comme un crime "la menace ou le recours à la force dans les affaires internationales." "La menace ou le recours à la force…"
>
>
> Et ça dérange quelqu'un ? Non, parce que nous, nous sommes au-dessus des lois, par définition… ou plus exactement, nos menaces et nos recours à la force n’ont rien d’international. Elles sont toujours locales, puisque le monde nous appartient. Donc, tout va bien ! Donc on peut bien menacer de bombarder l'Iran. On va le faire, on va pas le faire… Ça, c’est la grande question en ce moment… Quant à savoir si c’est légitime… Savoir si ce serait une erreur ou pas, là, oui c’est sujet à polémique, mais vous entendez quelqu'un dire que ce serait illégitime ? Au Congrès, par exemple, les Démocrates refusent de voter un amendement imposant à l’exécutif de rendre compte au Congrès de son intention de bombarder l'Iran – de rendre compte, d’informer... Même ça, c’est rejeté d’office !
>
> Le monde entier est atterré devant cette éventualité ! Ce serait monstrueux... Un éminent spécialiste britannique de l’histoire militaire, Correlli Barnett, a récemment écrit que si les Etats-Unis attaquaient effectivement – ou si Israël le faisait – ce serait la troisième guerre mondiale… L’agression de l'Irak a été suffisamment épouvantable. Outre qu’elle a dévasté l’Irak, le Haut Commissariat aux Réfugiés [des Nations Unies] a estimé le nombre de personnes déplacées, ils arrivent à près de 4,2 millions au total. Plus de 2 millions ont fui le pays, 2 autres millions ont fui leur région sans pouvoir quitter le pays. Ça, c’est en plus du nombre de morts qui, si on se fonde sur les dernières études tourne vraisemblablement autour d’un million.
>
> Les services de renseignement US, d'autres agences de renseignement et divers experts indépendants, avaient prévenu qu'une attaque contre l'Irak augmenterait probablement la menace terroriste et le risque de prolifération nucléaire. Mais ils ont bien plus augmenté ce qu’on avait imaginé. Des spécialistes renommés en matière de terrorisme, comme Peter Bergen et Paul Cruickshank, estiment (principalement sur la base de statistiques gouvernementales) que ce qu'ils appellent "l'effet irakien" a multiplié le risque de terrorisme par sept, ce qui n’est pas rien... Ça vous donne une idée de la priorité accordée par nos dirigeants à la protection de la population. Elle est plutôt basse…
>
> Donc quel serait cet "effet Iran" ? Mais, il est incalculable ! Ce pourrait être la troisième guerre mondiale… Très probablement une augmentation massive du terrorisme et qui sait quoi d’autre... Même dans les pays frontaliers de l'Iran et où on n'aime pas spécialement l'Iran, comme le Pakistan, l'Arabie Saoudite ou la Turquie, même là, une très large majorité de la population préférerait voir l’Iran doté de l'arme nucléaire à une intervention militaire US quelle qu’elle soit, et ils ont raison ! Une intervention militaire serait dévastatrice ! Ce qui ne veut pas dire qu’on ne va pas le faire... Chez nous, il n'y a littéralement aucune discussion sur la légitimité d'une telle action. Encore une fois, si l’on part du principe que tout ce que nous faisons est légitime, ça risque simplement de coûter trop cher…
>
> Est-ce qu’il reste quand même une solution à la crise iranienne ? Il y a quelques solutions plausibles, oui... On peut imaginer un accord autorisant l'Iran à disposer d'énergie nucléaire – au même titre que tous les signataires du traité de non-prolifération – mais sans disposer d'armes nucléaires. Ça aurait d’ailleurs l’avantage d’appeler à la création d'une zone dénucléarisée au Proche-Orient. Ça inclurait l'Iran, Israël – qui a des centaines de têtes nucléaires – et toutes les forces américaines ou britanniques déployées dans la région. On pourrait même envisager que les Etats-Unis et d'autres puissances nucléaires respectent l’obligation légale qu’ils ont – au regard d’une décision unanime de la Cour Internationale de Justice – de procéder à l'élimination totale de leur arsenal nucléaire en gage de bonne foi. [ndt : Tout ce paragraphe (« On peut imaginer un accord… ») énumère simplement les principes de base du Traité de Non-Prolifération nucléaire (TNP) dont l’Iran et les USA sont signataires mais qu’Israël a toujours refusé de signer.]
>
> Est-ce que c’est faisable ? Dans l’absolu oui, c'est faisable… en supposant que les structures sociales aux Etats-Unis et en l'Iran deviennent réellement démocratiques… parce que justement ce que je viens de dire à propos de l'opinion publique est vrai pour l’immense majorité de la population, en Iran comme aux Etats-Unis. Sur tout ce que je viens d’évoquer, mais littéralement tout le monde est d’accord ! Alors oui, il serait parfaitement possible de régler le problème si ces deux pays fonctionnaient d’une manière réellement démocratique, c'est-à-dire si l'opinion publique y avait la moindre influence sur les politiques gouvernementales. Le problème aux Etats-Unis, c’est l’incapacité de nos dirigeants à adhérer à quoi que ce soit qui ait l’aval de l'écrasante majorité de la population et à en faire une politique gouvernementale. Bien sûr, on peut le faire… Les paysans en Bolivie arrivent à le faire… c’est clair que nous, ici, on pourrait le faire aussi…
>
> Qu’est-ce qu’on peut faire pour faire de l'Iran un pays plus démocratique ? Peut-être pas directement mais indirectement on peut... On peut accorder plus d'attention aux dissidents et aux réformateurs iraniens, qui luttent courageusement pour que la société iranienne devienne plus démocratique. Et on sait parfaitement le message qu’ils essayent de faire passer, ils sont suffisamment clairs là-dessus. Ils supplient les Etats-Unis de retirer leurs menaces contre l'Iran… Plus nous menaçons l'Iran, plus nous apportons de l’eau au moulin des branches les plus réactionnaires et les plus fanatiques du gouvernement. Les menacer c’est abonder dans leur sens... Et c'est exactement ce qui se passe ! Comme on pouvait s’y attendre, les menaces ont entraîné une vague de répression.
>
> A présent les Américains se disent scandalisés par la répression – et il y a de quoi s’indigner – mais nous devrions reconnaître que cette répression est la conséquence directe et prévisible de dispositions dont le gouvernement U.S. ne démord pas. Lorsqu’on prend des mesures dont les effets sont parfaitement prévisibles, condamner ces effets c’est vraiment le comble de l'hypocrisie.
>
> Tenez, s’agissant de Cuba, près des deux tiers des américains pensent que nous devons absolument lever l'embargo et toutes les menaces qui vont avec, et rétablir les relations diplomatiques. Et c’est le cas depuis les premiers sondages sur la question, ça fait une trentaine d’années. Les chiffres fluctuent mais restent à peu près au même niveau. Ça n’a strictement aucun effet sur la politique des Etats-Unis, que ce soit en Iran, à Cuba ou ailleurs.
>
> Donc il y a effectivement un problème et ce problème c’est que les Etats-Unis sont tout sauf une démocratie réelle. L'opinion publique n’y a strictement aucun poids et, pour nos élites comme pour ceux qui font l’opinion, c’est un principe, il n’est pas question de lui en donner ! Le seul principe qui compte c’est : "Le monde nous appartient et vous, vous la fermez ! Américains ou pas…"
>
> Alors oui, il y a une solution potentielle au problème le plus grave qui soit et c'est toujours la même : Agir, pour que notre propre pays devienne une véritable démocratie. Mais ça, ça contredit diamétralement le fondement même de tout ce que nos élites appellent le "débat public", à savoir que le monde nous appartient, que toutes ces questions ne se posent même pas, et que le public devrait n’avoir aucun point de vue sur la politique étrangère ou sur quelque politique que ce soit.
>
> Un jour, j'étais en voiture, je partais travailler en écoutant NPR. NPR est considéré ici comme une radio d’extrême gauche. Enfin c’est ce qu’on dit… Il me semble avoir lu quelque part – je ne sais pas si c'est vrai – que d’après Obama, l’espoir des colombes libérales, l'éventail des opinions aux Etats-Unis, d'un extrême le plus débile à l'autre, irait de Rush Limbaugh [archétype du faucon d’extrême droite] à NPR. Pour lui, la vérité se situait pile au milieu et c'est là qu’on allait le trouver… au milieu des débiles…
>
> Donc, j’écoutais NPR et il y avait un débat radiophonique. C'était un peu comme au Club des Universitaires de Harvard : des gens sérieux, éduqués – pas de faute de grammaire – qui savent de quoi ils parlent, très respectueux, etc. Le débat portait sur ce qu’on appelle le « système de défense anti-missiles », que les Etats-Unis essayent de mettre en place en Tchécoslovaquie et en Pologne, et sur la réaction des Russes. Alors la grande question, c’était : "Mais qu'est-ce qui leur prend aux Russes ? Pourquoi un comportement aussi agressif et irrationnel ? Qu’est-ce qu’ils cherchent… une nouvelle Guerre Froide ? Non mais ils ont vraiment quelque chose qui ne tourne pas rond… Est-ce qu’il y a moyen de les calmer, de les rendre moins paranoïaques ?"
>
> Alors ils avaient invité un grand spécialiste – un type du Pentagone ou quelque chose comme ça – qui faisait très justement remarquer qu'un système de défense anti-missiles s’inscrit avant tout dans un système d’attaque. Les analystes stratégiques ne sont pas dupes, d’un côté comme de l’autre... Si on y réfléchit une minute, c’est plutôt évident. Un système de défense anti-missiles ne sert pas à grand chose contre une première frappe. En revanche, il peut – en principe… s'il marche – empêcher un tir de riposte. Si vous attaquez un pays le premier et que vous le rayez littéralement de la carte, par exemple… Eh bien, si vous avez un système de défense anti-missiles et que vous l’empêchez de riposter… ça vous fait une protection, au moins partielle. Si un pays dispose d’un système de défense anti-missiles fonctionnel, ça lui donne plus de latitude pour déclencher une première frappe. Bon, soit ! C’est évident et c'est pas un secret… Et aucun expert en stratégie ne l’ignore… Je peux expliquer ça à mes petits enfants, en deux minutes ils auront compris...
>
> Et sur NPR tout le monde était d’accord sur l’idée qu'un système de défense anti-missiles est un dispositif offensif… Arrive la deuxième partie du débat. "Eh bien, disaient nos experts, les Russes n’ont aucune raison de s’inquiéter ! Notamment parce que ce système n'a pas la capacité de stopper leur tir de riposte, donc pour l’instant, contre eux, ce n'est pas encore une arme offensive jouable…" Ensuite, ils ont expliqué que de toutes façons, la question n'était pas là puisque le système était dirigé contre l'Iran et pas contre la Russie.
>
> Bon, et la discussion s’est achevée là-dessus… Donc, premier point : le système anti-missiles est une arme offensive ; deuxième point : il est dirigé contre l'Iran. Petit exercice de logique : Qu’est-ce qui découle de ces deux affirmations ? Ce qui en découle, c’est qu’il s’agit d’une arme offensive, dirigée contre l'Iran… Bien ! Mais vu que le monde appartient aux Américains, quel mal pourrait-il y avoir à garder une arme offensive braquée sur l'Iran ? Donc, ça… c’était même pas la peine d’en parler ! A quoi bon ? Ça tient simplement au fait que le monde nous appartient…
>
> Il y a peut-être un an ou deux, l'Allemagne a vendu à Israël des sous-marins dernier cri, équipés pour porter des armes nucléaires. Pourquoi Israël aurait-il besoin de sous-marins portant des missiles à têtes nucléaires ? Il n'y a qu'une raison imaginable et tous ceux qui en Allemagne sont dotés d'un cerveau l'auront probablement compris – et leur hiérarchie militaire a fortiori – parce que c’est une arme offensive contre l'Iran. En achetant des sous-marins allemands, Israël fait très clairement comprendre aux Iraniens que, s’ils ripostent à une attaque israélienne, ils seront pulvérisés !
>
> Les principes fondamentaux de l'impérialisme occidental sont très profondément enracinés. Le monde appartient à l'Occident et désormais les Etats-Unis dirigent l'Occident donc, évidemment, ils marchent ensemble... Le fait d’avoir à fournir de l’armement pour une première frappe contre l'Iran n'a probablement – je le devine simplement – soulevé aucun commentaire. Où est le problème ?
>
> L'histoire, nous, on peut l’oublier, ça n'a aucune importance… C'est le genre de truc "ringard" et ennuyeux que nous n'avons pas besoin de connaître. Mais pour la plupart des autres pays, l'histoire, c’est important… Par exemple, aux Etats-Unis on ne va pas épiloguer sur l'histoire des relations entre les USA et l’Iran. Pour les Etats-Unis, le seul événement à retenir dans l'histoire iranienne et c'est 1979, quand les Iraniens ont renversé le tyran que soutenaient les Etats-Unis et qu’ils ont gardé une poignée d’otages pendant un peu plus d'un an. Ils ont osé ! Pour ça, il faut qu’ils soient punis !
>
> Mais pour les Iraniens, leur histoire c’est que pendant plus de 50 ans, littéralement sans interruption, les Etats-Unis n’ont jamais cessé de torturer les Iraniens. En 1953, les Etats-Unis ont renversé le régime parlementaire pour installer [réinstaller] à la place un tyran brutal, le Shah [ndt : Mohamed Reza Shah, dernier souverain de la dynastie Pahlavi, illégitimement installée en 1921 par les Français et les Anglais, après leur annexion et partage de l’empire ottoman. Le premier Pahlavi, Reza Shah, était un ancien Cosaque…], qu’ils ont soutenu sans faille alors qu'il battait littéralement tous les records en matière de violations des droits de l'homme dans le monde – tortures, assassinats, tout ce que vous pouvez imaginer. Le président Carter lui-même, lorsqu'il a visité l'Iran en décembre 1978, a chanté les louanges du Shah et de l'amour que lui manifestait son peuple et réciproquement et ainsi de suite. C’est d'ailleurs probablement ce qui a précipité son renversement ! Bien sûr les Iraniens ont cette curieuse manie de se souvenir de leur passé et de se rappeler qui était derrière... Quand le Shah a été renversé, l'administration Carter a immédiatement préparé un coup d'état militaire en envoyant des armes en Iran, via Israël, pour essayer d’aider une partie de l’armée à renverser le gouvernement. On s’est tout de suite mis à soutenir l'Irak, c'est-à-dire Saddam Hussein et son invasion de l'Iran.
>
> Saddam Hussein a été exécuté pour des crimes commis en 1982 – des crimes plutôt bénins au regard de ce qu’il a pu commettre par ailleurs : complicité dans l'assassinat de 150 personnes... Il manquait quelque chose au tableau ! 1982 est une année très importante dans les relations américano-iraniennes. C'est l'année où Ronald Reagan a retiré l'Irak de la liste des pays soutenant le terrorisme. Comme ça, les USA pouvaient commencer à fournir à l'Irak les armes dont il avait besoin pour envahir l'Iran, et notamment lui offrir les moyens de développer des armes de destruction massive. C'était en 1982 ! Une année plus tard, on envoyait Donald Rumsfeld pour signer les contrats… Les Iraniens n’ont probablement pas oublié que ça les a embarqué dans une guerre durant laquelle des centaines de milliers d'entre eux se sont fait massacrer grâce au soutien que les USA apportaient à l'Irak. Ils n’ont probablement pas oublié non plus qu’à peine un an après la fin de la guerre, en 1989, le gouvernement U.S. a invité des ingénieurs irakiens à venir aux Etats-Unis pour y suivre une formation sur l’art de fabriquer des armes nucléaires.
>
> C’est comme les Russes… Eux aussi ont une histoire ! Notamment dans le fait qu'au cours du siècle dernier, la Russie a été envahie et quasiment détruite, à trois reprises, via les pays de l'Est. Si vous regardez en arrière et que vous vous demandez à quand remonte la dernière invasion des USA via le Canada ou le Mexique… Ça n’arrive jamais ! Nous, on écrase les autres mais on est toujours en sécurité. Mais les Russes n'ont pas ce luxe… En 1990, il s’est passé quelque chose d’ahurissant. Non, j'en étais atterré, sincèrement. Gorbatchev a autorisé la réunification de l'Allemagne, c'est-à-dire son intégration à l'Ouest et sa re-militarisation au sein d'une alliance militaire hostile. L'Allemagne ! Cette même Allemagne qui a littéralement détruit la Russie à deux reprises ! C’était pas rien comme traité...
>
> En fait, il y a eu un malentendu… Le président de l'époque, George Bush Premier, s’était personnellement engagé à veiller à ce que l'OTAN ne soit pas élargi à l'Est. Les Russes demandaient aussi – mais ils ne l'ont pas obtenu – un accord sur la création d’une zone dénucléarisée allant de l'Arctique à la Baltique, ce qui leur aurait donné un minimum de protection contre une attaque nucléaire. Ça, c’est ce qui était convenu en 1990 ! Puis Bill Clinton est arrivé au pouvoir, un soi-disant libéral... Une des premières choses qu’il a faites a été d’annuler cet accord, unilatéralement, et d’élargir l'OTAN à l'Est.
>
> Pour les Russes c’est vraiment grave ! Quand on regarde l’Histoire russe… Ils ont quand même eu 25 millions de morts pendant la Seconde Guerre Mondiale et plus de 3 millions pendant la Première. Mais vu que le monde appartient aux Etats-Unis, si nous voulons menacer la Russie, c’est pas un problème ? C’est toujours au nom de la liberté et de la justice, après tout, et si ça les fait marronner et grincer des dents, on se demande simplement pourquoi ils sont aussi paranoïaques. Pourquoi est-ce que Poutine se met à brailler d’un coup, comme si on les menaçait ou presque ? Vu que le monde nous appartient, nous, on ne peut être une menace pour personne…
>
> Aujourd’hui, un autre grand sujet qui fait la une des journaux, c’est "l'agressivité" de la Chine. On s’inquiète beaucoup du fait que la Chine renforce en ce moment son système de défense. Est-ce que la Chine envisagerait de conquérir le monde ? Voilà encore un grand sujet de débats ! En fait, c’est quoi le problème ? Pendant des années la Chine a été la première à tout faire pour empêcher la militarisation de l'espace. Si vous reprenez les débats de la Commission sur le Désarmement de l’Assemblée Générale des Nations Unies, les votes étaient à 160 contre 1 ou 2. Les Etats-Unis tiennent absolument à militariser l'espace. Ils n’ont aucune intension de laisser un traité restreindre explicitement leur présence militaire dans l'espace.
>
> La position de Clinton était que les Etats-Unis devaient contrôler l'espace à des fins militaires. L'administration Bush est encore plus radicale. Elle considère que l'espace devrait appartenir aux Etats-Unis. Selon ses propres termes : "Nous nous devons de posséder l'espace à des fins militaires !" ["We have to own space for military purposes !"] Voilà le niveau du débat ici ! Les Chinois ont tout fait pour empêcher ça et on comprend vraiment pourquoi... Si vous lisez le journal le plus respectable du monde – je suppose – le Journal of the American Academy of Arts and Sciences, vous y trouvez la fine fleur des experts en stratégie militaire, des gens comme John Steinbrunner ou Nancy Gallagher, qui avertissaient il y a à peine quelques années que la militarisation agressive de l'administration Bush nous menait droit vers ce qu'ils appelaient "the ultimate doom" [ndt : approximativement : "droit dans le mur" ou "droit à la catastrophe" (voire "droit à l’apocalypse")].
>
> Bien sûr on peut s’attendre à des réactions… Si vous menacez les gens de destruction, ça les fait réagir. Ces analystes en appellent "aux nations éprises de paix" pour contrer le militarisme agressif de Bush. Ils espèrent voir la Chine emmener dans son sillage les nations éprises de paix pour contrer l’agressivité U.S… Cela en dit franchement long sur l'impossibilité d’instaurer une démocratie aux Etats-Unis ! Encore une fois, c’est tout ce qu’il y a de plus logique. Pour Steinbrunner et Gallagher les Etats-Unis ne peuvent pas fonctionner démocratiquement, ça n’est même pas envisageable… Donc il ne reste plus à espérer que la Chine puisse encore faire quelque chose.
>
> Bon, la Chine a quand même effectivement fait quelque chose : Elle a fait comprendre aux Etats-Unis qu'elle avait bien compris qu'ils envisageaient d'utiliser l'espace à des fins militaires. Alors la Chine a abattu un de ses propres satellites. Tout le monde comprend pourquoi… La militarisation et l'armement de l'espace reposent fondamentalement sur les satellites. Alors que les missiles sont extrêmement difficiles, voire impossibles à intercepter, les satellites, eux, sont très faciles à abattre. Au moins, on sait où ils sont. Donc, la Chine a dit "Ok, on a compris… Vous voulez militariser l'espace. On peut toujours vous mettre en échec, non pas en militarisant aussi l’espace – on peut difficilement vous faire concurrence dans ce domaine – mais en abattant vos satellites." C’était ça l’histoire du satellite abattu. Pas de doute que tous les analystes militaires l'auront compris et toute personne censée peut le comprendre. Mais pour ce qui est du débat… Toute la polémique se résume à : "Est-ce que la Chine envisage de conquérir le monde en abattant un de ses satellites ?"
>
> Il y a environ un an, il y a eu à nouveau toute une série d'articles et de gros titres sur "l'escalade militaire de la Chine". Le Pentagone affirmait que la Chine avait renforcé ses capacités militaires offensives – quelque 400 missiles pouvant être armés de têtes nucléaires. Il y avait alors tout un débat pour savoir si ça prouvait que la Chine essayait conquérir le monde, ou si les chiffres étaient faux, etc.
>
> J'ouvre une parenthèse. On a combien de missiles d’attaque armés de têtes nucléaires aux Etats-Unis ? En fait, on en a pas loin de 10.000. Les Chinois, eux, en auraient dans les 400 à l’heure actuelle, à ce qu’en disent les faucons. Ça prouve bien qu’ils essayent conquérir le monde, non ?
>
> En fait, si vous lisez attentivement la presse internationale, il se trouve que si la Chine renforce actuellement ses capacités militaires, c’est non seulement à cause de l'agressivité dont les Etats-Unis font preuve un peu partout dans le monde, mais aussi parce que les Etats-Unis ont fortement augmenté la précision de leur force de frappe, de sorte qu’ils peuvent à présent détruire les sites de lancement d’une manière beaucoup plus sophistiquée qu’auparavant, où qu’ils soient, même s’ils sont mobiles. Ah oui, c’est qui au fait, qui essaye de conquérir le monde ? Mais… les Chinois bien sûr, puisque nous… vu que le monde nous appartient, forcément c’est eux qui essayent de le conquérir !
>
> Et on pourrait continuer comme ça indéfiniment... Prenez un sujet au hasard. Non, essayez, c’est un bon exercice ! Ce seul principe de base, "Le monde nous appartient", suffit à résumer toutes sortes de débats sur la politique étrangère…
>
> Je terminerai simplement sur quelques mots de George Orwell. Dans l'introduction de La Ferme des Animaux, il disait : "L'Angleterre est une société libre, mais pas très différente du monstre totalitaire que j'ai décrit." Et il ajoutait : "En Angleterre, les idées impopulaires peuvent être éliminées sans recourir à la force." Ensuite, il embrayait sur une série d’exemples assez discutables et il terminait sur une explication très courte, à peine deux phrases, mais qui vont droit à l'essentiel. Il disait : "L’une des raisons est que la presse appartient à des gens extrêmement aisés et qui ont les meilleures raisons du monde de ne pas désirer que certaines idées puissent être exprimées. Et la seconde raison – et celle là me semble encore plus importante – c’est une bonne éducation… Si vous avez fréquenté les meilleures écoles et que vous êtes diplômé d'Oxford ou de Cambridge, vous gardez ancré au plus profond de vous-même la notion qu'il y a certaines choses qu’il serait préférable de ne pas dire, et qu’il serait même préférable de ne pas penser. Et ça, c'est le moyen le plus élémentaire d’empêcher que soient exprimées des idées… "impopulaires".
>
> Pour leur part, les idées de la grande majorité de la population, ceux qui n’ont pas fréquenté Harvard, Princeton, Oxford ou Cambridge, permettent à ces gens là de réagir comme des êtres humains, comme ils le font souvent… Et il y a là une leçon qui vaut pour tous les activistes…
>

Lire la suite

Discussions sur la Résistance irakienne (suite)

10 Mai 2008 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Débats chez les "résistants"

Pour continuer sur la résistance irakienne, je livre ci joint la réaction de Bruno Drweski (qui a codirigé  "Irak : la parole à la résistance"‏ ) à une note de l'European Strategic intelligence and security center (un « think tank » qui affirme inscrire «son action dans le contexte du renforcement du lien transatlantique ».
- cette note figure au bas du texte).

F. Delorca

---------------------------------

Ce texte ci-bas des services spéciaux est intéressant car il pose plus de questions qu'il n'apporte de réponses :
 
1/ Est-ce que les auteurs de ce texte sont aveugles au point de croire ce qu'ils écrivent ici, ou est-ce écrit en direction d'un public à désinformer (comme de coutume) ?
 
2/ A aucun moment dans ce texte, il n'est question de la résistance armée irakienne. Comme si elle avait cessé d'exister comme par enchantement. Tout est ramené à "Al qaida" ...dont on connait les géniteurs. ...et aux chefs tribaux, dont on n'oublie que beaucoup sont en relations régulières soit avec les militaires irakiens (résistants), soit avec les baasistes, soit avec les résistants islamistes (pas al qaida), soit avec l'Association des oulémas musulmans, elle aussi conscience morale de la résitance. Or, toutes ces forces combattent l'occupation tout en acceptant des accords tactiques ici ou là contre par exemple cet "al qaida" créée par le pompier-pyromane US. Et cela les Irakiens le savent.
 
3/ On parle de l'Iran comme s'il était monolithique et qu'il n'y existait pas différents services et partis politiques. En conséquence, on ne mentionne même pas que les "plus protégés" par les pouvoirs de Téhéran sont les membres des brigades Badr et du SCRI, les opposants à l'armée du Mahdi justement.
 
4/ On néglige le fait que Sadr représente historiquement l'orientation chiite pro-arabe par rapport aux partis plus pro-persans. Qu'il y ait là aussi des alliances tactiques, comme dans le cas des autres résistants armés aux occupants (les "sunnites" ...qui ont dans leurs rangs beaucoup de chiites), passe inaperçu.
 
5/ On néglige aussi de mentionner que si Sadr a des appuis dans les classes populaires, c'est pour deux raisons :
- Son père a développé toute une "théologie économique islamique" opposée au capitalisme et à l'économie usuraire, y compris en dénonçant le clergé chiite enrichi grâce aux dons des pèlerins des lieux saints chiites (dont beaucoup de membres de ce clergé étaient iraniens)
- les cadres de l'armée du Mehdi et son proche entourage, sont pour la plupart issus de familles qui étaient au départ liés au Parti communiste irakien et qui ont rompu avec lui lorsque sa direction est devenue a/un parti nationaliste kurde de fait, puis, b/un parti de l'étranger et des USA. Il reste donc dans ce sud chiite là, un fond communiste (comme d'ailleurs au Liban, les anciens bastions du PC libanais sont aujourd'hui largement ceux du Hezbollah ; ...mais au Liban, le PCL coopère avec le Hezbollah!). Ce fond marxiste se manifeste sur le projet socio-politique de Sadr, ce qui explique qu'il reste, en principe, favorable à un Irak unifié et non confessionnel, socialement populaire. Et qu'il condamne au moins formellement tout conflit avec les sunnites (même s'il ne contrôle pas bien ses troupes ! ...ou qu'il s'est laissé manipulé ?).
 
6/ On néglige de constater que les multiples cessez-le-feu qu'a décrétés Sadr étaient en partie dus au fait que son armée du Mehdi qui s'est formée assez spontanément, dans la haine de l'occupant et des dignitaires chiites conservateurs, a vu entrer en masse des éléments troubles, criminels, cherchant à faire main basse sur les oléoducs et les droits de passage, ou liés à des services sans doute iraniens (l'un n'empêchant pas l'autre). Et que ces cessez-le-feu (mais aussi les négociations qu'il mène en alternance avec les USA, les pro-Badr et les divers services iraniens ont pour objet entre autre de dépister qui est qui dans ses propres rangs, et de lancer des épurations). Les Iraniens ayant un esprit au moins aussi perçant ( et "persan" ! sic !) que lui, on peut se demander qui intriguera le mieux dans ce jeu.
 
7/ Il est clair que l'Iran cherche à déserrer l'étau US à la fois sur ses frontières occidentales et orientales en jouant à terme contre les occupants ...mais aussi pour empêcher la reconstitution d'un Irak arabe et nationaliste sans doute. A-t-il la force de lutter en Irak contre deux adversaires en même temps ?
 
Toute la question est donc de savoir si, en tant qu'anti-impérialistes, nous devons soutenir n'importe quel adversaire des occupants, nationalistes arabes, baasistes, islamistes, Iraniens, etc. le plus fort étant le mieux, quelqu'il soit ? Une vraie question.

Et si les Iraniens vont s'entêter à rêver d'un Irak qui serait "ni-ni", ni US ni arabe ? Ou, si le réalisme aidant, ils ne parviendront pas à dépasser leurs rancoeurs datant de la guerre Iran-Irak, en soutenant l'unité nationale des Irakiens patriotes de toutes obédience (donc y compris les baasistes, les laics et les islamistes sunnites ? Rêvons !) ...comme essaie de le faire la Syrie. Et dans ce jeu, le Hezbollah sera-t-il l'intermédiaire entre Syrie et Iran et aussi entre sunnites et chiites opposés à l'occupation ? Ou n'y parviendra-t-il pas ? C'est d'ailleurs aussi sous cet angle que certains voient le conflit actuel au Liban, comme une conséquence de rapports qui se seraient distandus sur la ligne Hezbollah-Syrie-Iran. Le Hezbollah cherchant à contrôler l'aéroport de Beyrouth pour se rendre moins dépendant du transit syrien.
 
Mais, quoiqu'il en soit, les Irakiens ne veulent plus des occupants, dans leur immense majorité, et leurs divergences internes n'y changeront rien, même si elles peuvent retarder la libération. Et cela les USA ne veulent pas le voir, ou font semblant de ne pas le voir et cherchent à ce que les peuples ne le voient pas.
 
L'expérience historique tend à prouver que, lors des décolonisations armées, tôt ou tard, un groupe prend le dessus sur un autre en éliminant ses concurrents, mais parce qu'il a su se montrer le plus ferme à l'égard des envahisseurs (communistes chinois vs. Kouomintang, communistes vietnamiens contre kouomintang vietnamien, FLN contre MNA, nassériens vs communistes et frères musulmans, bolcheviks vs mencheviks et autres socialistes au moment des interventions étrangères dans la guerre civile russe, Hamas vs Fatah, Hezbollah vs milices claniques, etc.). De mon point de vue, il semble donc que le meilleur groupe irakien sera celui qui parviendra à réaliser l'unité dans le combat (armé et politique) contre les occupants, mais aussi en éliminant les plus tièdes, les plus opportunistes et les plus incompétents. Et de cela nous n'avons pas le droit de nous mêler.

Bruno Drweski

Irak 2008
* NOTE D'ANALYSE DU 11 AVRIL 2008 DE L'EUROPEAN STRATEGIC INTELLIGENCE & SECURITY CENTER 
LE PROCHAIN DÉFI EN IRAK : DÉJOUER L'INFLUENCE DE PLUS EN PLUS MARQUÉE DE L'IRAN
Introduction
La présentation du Général David Petraeus devant le Congrès, le lundi 7 avril, était supposée apporter aux législateurs américains des preuves irréfutables que la stratégie des renforts (« surge ») avait porté ses fruits. Elle a été assombrie par la nouvelle du conflit entre chiites, qui a révélé le renforcement de l'emprise de l'Iran sur le destin de l'Irak.
En quelques semaines à peine, la nature du problème en Irak a pris une tout autre tournure. On pourrait en effet qualifier de réussite la canalisation des efforts américains pour brider les tribus sunnites du pays. La province d'al-Anbar dans l'ouest de l'Irak a été amenée sous contrôle, dans la foulée d'une stratégie mêlant une présence plus zélée des troupes américaines sur place, une attention renouvelée à la sécurité des civils sunnites et une stratégie consistant à récupérer les milices sunnites pour lutter contre Al-Qaïda.
Malheureusement, ces progrès ne suffiront pas à garantir une stabilité de longue durée en Irak. La clé de l'avenir de cette société se trouve dans la capacité du gouvernement central à contrôler la majorité chiite du pays. Les événements des dernières semaines ont révélé la vraie nature de la stratégie iranienne en Irak et laissent supposer les conditions d'une bataille que les Etats-Unis risquent de ne pas remporter dans les prochains mois et années en l'absence de volonté politique ou du soutien de l'opinion. Comme l'a déclaré un Marine américain stationné en Irak : « Si l'Iran ne dépensait qu'un millier de dollars pour chaque million que nous dépensons, elle pourrait encore sortir gagnante. Le temps joue en sa faveur ».
L'analyse qui suit (1) résume les progrès accomplis jusqu'à présent grâce à la stratégie de l'opération « surge », (2) révèle les menaces de cellules dormantes contre le gouvernement irakien qui ont soudainement été activées ces dernières semaines et (3) évoque les perspectives pour surmonter ces menaces, compte tenu des restrictions d'objectif dans lesquelles l'armée américaine et le gouvernement irakien doivent opérer.
La stratégie de l'opération « surge » et ses résultats
Le résultat le plus audacieux de l'opération « surge » a été de détruire et/ou déloger les forces « d'Al-Qaïda en Irak » des grandes régions d'Irak, notamment dans la province d'al-Anbar et plusieurs villages situés au nord et au nord-ouest de Bagdad. La plupart des brigades de combat supplémentaires déployées dans le cadre de l'opération « surge » ont été affectées à prendre le contrôle et à maintenir une présence dans les villages qui n'avaient précédemment été tenues que temporairement par les unités de Marines et avaient invariablement tendance à retomber sous le contrôle d'Al-Qaïda et de ses groupes affiliés après le départ des Marines.
L'opération « surge » a définitivement mis un terme à la présence continue d'Al-Qaïda dans les régions précitées. Outre le déploiement de troupes de combat supplémentaires, l'armée américaine a consenti un effort financier pour acheter la loyauté des milices tribales sunnites. Le système tribal sunnite avait été affaibli par la présence d'Al-Qaïda, qui oeuvrait dans leurs régions en usant des moyens les plus brutaux imaginables et s'est attiré la haine grandissante de la population locale.
L'organisation militaire tribale sunnite conjointe, connue actuellement sous la dénomination générique de « Sons of Iraq » (« Fils de l'Irak »), comprend quelque 90 000 combattants qui sont effectivement employés par les Etats-Unis, et s'est révélée une force fiable et stabilisatrice. Grâce à ces milices, mises en place au printemps 2007, les attaques anti-américaines (qui sont passées de 1300 incidents par mois à l'automne 2006 à moins de 200 à l'été 2007) ont diminué de façon spectaculaire et ces progrès se sont suffisamment maintenus pour permettre des sérieuses avancées dans le domaine de la reconstruction.
L'avantage supplémentaire de cette stratégie a été de redonner confiance et foi aux chefs tribaux sunnites et aux populations sous leur contrôle par rapport à l'activité politique de Bagdad. De grandes portions de la population sunnite irakienne ont repris espoir de jouer un véritable rôle dans l'avenir de l'Irak et ont largement surmonté leur crainte de voir leurs intérêts systématiquement menacés, comme ça a été le cas pendant les deux premières années de l'occupation américaine.
Cependant, les avancées qui ont été faites en 2007 n'ont pas atteint la région névralgique de Mossoul, située près de la frontière syrienne. Al-Qaïda reste présent et opérationnel dans cette région, où il continue à trouver un soutien solide auprès de la population sunnite. Cette situation s'explique en partie par le fait que les tribus sunnites de la région sont confrontées à ce qu'elles considèrent comme une menace pour leur existence, les Kurdes. Ces derniers ont repeuplé la région au cours de ces deux dernières années et réclament depuis longtemps de gouverner la ville de Mossoul et sa voisine Kirkouk, qui sont les régions urbaines les plus importantes à proximité des champs de pétrole du nord de l'Irak.
Dans les années 1990, Saddam Hussein a contrôlé une politique d'épuration ethnique à Mossoul et Kirkouk, lors de laquelle les familles kurdes ont été systématiquement chassées de chez elles et envoyées comme réfugiées dans la chaîne de montagnes du nord de l'Irak, sous contrôle kurde. Le retour de ces réfugiés ces dernières années a déclenché des tensions ethniques critiques entre les communautés arabes et kurdes de Mossoul et Kirkouk. Al-Qaïda est parvenu à exploiter ces tensions pour s'imposer dans la communauté arabe de ces villes. En outre, la proximité de ces régions urbaines avec la frontière syrienne a permis à Al-Qaïda de profiter d'arrivées massives et régulières d'armes et de djihadistes pour renforcer leurs rangs et leurs moyens.
La bataille pour Mossoul et Kirkouk devait représenter la dernière phase de l'opération « surge ». Malheureusement, les possibilités de remporter cette bataille ont beaucoup diminué dernièrement, compte tenu du fait qu'il faut assigner un nombre toujours plus important de forces irakiennes et américaines à résoudre les problèmes que posent les milices chiites soutenues par les Iraniens situées à Bagdad et à Bassora.

La menace montante
Alors que les Etats-Unis étaient en train de combattre Al-Qaïda à l'ouest de l'Irak, « l'Armée du Mahdi » de Moqtada al-Sadr renforçait ses effectifs et étendait son pouvoir destaudis de Bagdad à la ville portuaire stratégique de Bassora, où elle acquis un pouvoir grandissant sur des parties importantes du commerce irakien. (La plupart des exportations pétrolières du pays et des importations civiles transitent par Bassora et le port pétrolier voisin d'Umm Qasr).
Après un revers important en 2005, Moqtada al-Sadr a déclaré une « trêve », qui lui a permis de faire passer ses forces militaires de 2000 hommes légèrement armés issus des quartiers les plus pauvres de Bagdad à une force bien organisée, qui comprend à présent quelque 60 000 hommes bien armés et bien rémunérés, opérant dans de vastes communautés au sud de l'Irak. La milice du Mahdi bénéficie d'un soutien considérable de l'Iran, qui aide à financer et à équiper ses principales brigades et est connu pour offrir un entraînement spécialisé à quelques-unes de ses unités de commando.
Cette aide, fournie directement par la force « al-Qods » de la Garde révolutionnaire iranienne (al-Qods fait référence au Dôme du Rocher de Jérusalem), a renforcé de façon spectaculaire l'efficacité des attaques des milices antiaméricaines dans au moins deux domaines. En premier lieu, les attaques contre les lignes américaines de communication et de fourniture de service sont devenues beaucoup plus meurtrières après que les « engins explosifs improvisés », mieux connus sous le nom de bombes artisanales, ont été remplacés par des armes anti-blindage sophistiquées appelées mines « EFP ». Il s'agit de projectifs en cuivre en fusion qui peuvent pénétrer un blindage renforcé et dont le ratio de mort (kill-ratio) est très nettement supérieur à celui des bombes artisanales qui étaient utilisées auparavant.
En outre, les unités de commando bien entraînées ont appris à utiliser les tirs de mortier et tirs de roquette simples avec beaucoup plus de précision qu'auparavant. La capacité des milices à abattre un nombre de plus en plus important d'hélicoptères américains et à tirer des coups précis sur la zone verte de Bagdad occupée par les Américains, tout en échappant aux ripostes, a confirmé qu'il existe des commandos hautement entraînés don't les actions visent à soutenir les objectifs politiques de l'Armée du Mahdi et combattent des cibles américaines qui étaient précédemment considérées comme relativement sûres.
À l'instar des Moudjahidines afghans, les milices chiites irakiennes qui tiraient d'une manière sporadique en comptant davantage sur la chance que sur l'entraînement, le font désormais d'une manière systématique et précise, ce qui a un effet négatif sur le moral des troupes et augmente considérablement les risques auxquels l'armée américaine est exposée tant à Bagdad que dans des zones clés situées au sud sur les rives du Tigre et de l'Euphrate.
Pendant la trêve qui a eu lieu pendant ces dix-huit derniers mois, l'Armée du Mahdi a également étendu son emprise sur des secteurs critiques de l'économie irakienne. Avec des pratiques similaires, à de nombreux égards, à celles de la mafia, les milices sont parvenues à vendre leur protection à un nombre sans cesse accru d'entreprises, en se focalisant principalement sur les commerces d'import-export situés à Bassora. Cette activité a généré sur place une source importante de revenus supplémentaires pour les coffres d'al-Sadr, grâce notamment au bon vieux racket. Ces activités, associées à l'incursion réussie du groupe dans l'activité politique, sont parvenues à conférer à Moqtada al-Sadr un mélange de légitimité politique et de puissance brute que l'on pourrait bientôt comparer à celles qu'a acquises le Hezbollah au Liban ou le Hamas dans la bande de Gaza.
Au cours des dernières semaines, le gouvernement central irakien a tenté en vain de braver cette menace grandissante. Il craint que la milice d'al-Sadr ne devienne sous peu un Etat dans l'État, ayant le pouvoir d'influencer la plupart des décisions importantes du gouvernement irakien et d'exercer un chantage efficace sur le reste du pays comme le Hezbollah l'a fait au Liban ces dernières années. Moqtada al-Sadr s'est réfugié en Iran. Quiconque aurait douté du contrôle réel de Téhéran sur ce mouvement n'a eu qu'à observer la semaine dernière la délégation de parlementaires irakiens qui s'est rendue en Iran pour négocier un cessez-le-feu avec le commandant de la force d'al-Qods.
La force al-Qods est un noyau militaire iranien secret et très efficace auquel Téhéran confie des opérations sensibles de la plus haute importance. Qassem Suleimani passe généralement pour le leader actuel de la force avec qui les membres du Parlement irakien sont allés discuter des conditions de paix, alors que l'offensive du Premier ministre Nouri al-Maliki contre l'Armée du Mahdi, manifestement, s'essoufflait. La force serait née peu après la prise de pouvoir de l'Iran par les forces révolutionnaires islamiques, le 16 janvier 1979. L'unité était le service de renseignement du Corps de garde des révolutionnaires islamiques. D'après l'ancien agent de la CIA, Robert Baer, la force d'al-Qods est très proche du Président Ahmadinejad et d'autres mollahs conservateurs qui composent le Conseil du gouvernement
iranien.
La milice de l'Armée du Mahdi qui, de toute évidence, est devenue le principal relais opérationnel de la force al-Qods dans le théâtre irakien des opérations, représente, aux yeux du Pentagone, la plus grande menace pour la sécurité de l'Irak, allant jusqu'à supplanter Al-Qaïda en Irak comme « accélérateur potentiel de violence sectaire auto-entretenue le plus redoutable. » L'ascension de l'Armée du Mahdi au-devant de la scène a profité de l'incapacité des dirigeants américains et irakiens à faire face au mouvement alors qu'il n'était qu'à ses débuts, pendant les deux premières années d'occupation. En 2004, après un certain nombre d'opérations militaires probantes contre les milices du Mahdi, l'armée américaine a déclaré avoir vaincu la menace représentée par al-Sadr et ses partisans. Cette évaluation a sousestimé la vraie nature de la menace de ce mouvement.
La capacité de l'Armée du Mahdi à surmonter l'adversité tire son origine de l'attrait religieux exercé par ce mouvement sur les populations urbaines les moins instruites d'Irak et du soutien constant et à long terme fourni par l'Iran, qui investit dans le mouvement, dans l'espoir qu'il s'établisse en Irak aussi solidement que le Hezbollah ne l'a fait au Liban. Le pouvoir d'attraction religieux du mouvement se reflète dans le nom même de la milice : le Mahdi, dans l'interprétation chiite, fait référence au 12e imam, qui est pour la première fois apparu au VIIe siècle et est censé réapparaître, comme le Messie, dans une période de grand bouleversement, afin d'accomplir les prophéties du « jour de la résurrection», en rétablissant la droiture de l'islam et en transformant le monde entier en une société islamique parfaite et juste.
Quand il a créé sa milice en 2003, Moqtada al-Sadr a accusé les Etats-Unis d'avoir eu vent du retour imminent du 12e imam et d'avoir envahi l'Irak dans l'objectif précis de le trouver et le supprimer avant qu'il ne puisse réaliser la prophétie. Sa milice a donc été créée afin de protéger l'imam contre les envahisseurs américains. Les Etats-Unis n'ont jamais imaginé être confrontés à ce type de mouvement en Irak. Ils n'avaient pas non plus prévu la rapidité à laquelle un tel mouvement pourrait s'étendre, se retrouver au centre de l'attention et trouver du soutien dans les quartiers les plus pauvres d'Irak. Mais avec l'aide de l'Iran et une stratégie qui a permis au mouvement de jouer des replis stratégiques à chaque fois qu'il était menacé, le mouvement a survécu, s'est renforcé et s'est solidement installé dans les bazars de Bagdad et de Bassora, au point qu'il représente actuellement la menace la plus tangible à long terme pour la stabilité de l'Irak.
Options et contre-mesures
Compte tenu de la nature de la menace et du changement d'attitude des Etats-Unis en Irak, les possibilités de lutter contre l'influence de plus en plus prononcée de l'Armée du Mahdi sont limitées. Dans sa présentation devant la Commission des forces armées de la Chambre, le Général Petraeus a proposé le premier retrait des troupes américaines depuis le début de l'opération « surge ». Cette réduction des forces de combat en Irak cadre avec la logique de l'opération « surge » (dont l'objectif était de stimuler temporairement les moyens militaires, principalement pour prendre le contrôle d'endroits stratégiques, précédemment contrôlés par Al-Qaïda, de façon à ce que les milices sunnites puissent prendre la relève de la sécurité dans l'Ouest de l'Irak).
La manoeuvre reflète également la stratégie globale des Etats-Unis en Irak, que l'on peut décrire comme une tentative de transférer les principales opérations de combat sur le terrain aux unités irakiennes. Cette démarche vise à réorienter progressivement les objectifs de la mission des troupes américaines, qui était d'aboutir à un partenariat avec les unités de combat irakiennes alors que l'autorité gouvernementale est confrontée à des défis majeurs, pour fournir désormais un soutien logistique et aérien.

La récente offensive du Premier ministre al-Maliki contre l'Armée du Mahdi à Bassora a été entravée par la désertion de plus d'un millier de troupes gouvernementales irakiennes. La plupart des forces américaines a évité de participer activement à une offensive sur le terrain à Bassora, où il n'y a pas de contrôle de la coalition depuis le retrait des forces britanniques, l'année dernière. Pourtant, l'appui aérien fourni par la Force aérienne américaine a eu des effets importants sur le nombre de batailles et a joué un rôle déterminant en convainquant des éléments de l'Armée du Mahdi de faire une trêve. En définitive, l'offensive du gouvernement irakien n'est cependant pas parvenue à démanteler l'Armée du Mahdi dans la région et a essuyé plusieurs revers importants sur d'autres fronts. Les attaques contre des oléoducs et les tirs de roquette concluants dans la zone verte ont été des signes inquiétants que l'Armée du Mahdi pouvait se battre sur plusieurs fronts en Irak et nuire gravement au sens de la mission et de la morale américaines.
Avec des candidats démocrates à la Maison-Blanche qui promettent un retrait rapide d'Irak, la présence américaine dans ce pays ne devrait pas se prolonger et le gouvernement irakien doit faire face à la perspective d'une diminution considérable du soutien qu'il reçoit des Etats-Unis dès janvier 2009. Bien que le résultat des élections américaines soit loin d'être joué et qu'aucun prétendant à la Présidence démocrate n'ait non plus promis de retrait total, il est clair pour la plupart des commandants en Irak que tout retrait significatif de troupes limiterait la capacité militaire américaine à participer activement, à l'avenir, à des opérations stratégiques sur le terrain.

Les estimations varient quant au niveau des forces requis pour simplement maintenir un contrôle sur les terrains d'aviation irakiens, les infrastructures de production et d'exportation pétrolière, la zone verte et les principales conduites d'alimentation. Plusieurs commandants sur le terrain ont prévenu qu'une réduction importante des forces américaines en dessous de la barre des 100 000 augmenterait la pression sur les troupes américaines et les employés civils restés en Irak et obligerait les Etats-Unis à adopter une position uniquement défensive.
Le prix à payer pour l'Iran afin de maintenir les tirs de roquette sur la zone verte, de propager l'utilisation des mines « EFP » le long des conduites d'alimentation américaines et de renforcer l'emprise de l'Armée du Mahdi sur les régions stratégiques de Bagdad et Bassora, serait minime comparé au prix à payer par les Etats-Unis pour maintenir à long terme une presence efficace dans la region. L'impression qu'il est impossible de gagner la guerre d'une manière decisive à bref délai contribuerait à demoraliser davantage les forcesaméricaines. La dynamique et l'initiative des forces américaines seraient perdues au profit de la milice rebelle chiite et le contrôle sur l'avenir du pays serait effectivement cédé aux décideurs de Téhéran.
Les Etats-Unis et sa coalition en déclin d'alliés commencent tout à coup à tomber à court d'options pour répliquer à la politique iranienne de « libanisation » de l'Irak, qui utilise de plus en plus l'Armée du Mahdi comme mandataire à plusieurs niveaux (politique, social et militaire) pour priver le gouvernement central du contrôle sur les zones capitales du territoire irakien, en rançonnant des secteurs importants de l'économie et en faisant varier les niveaux de violence au gré de Téhéran.
Il ne reste que deux possibilités. L'option A, qui est la plus probable, compte tenu des contraintes auxquelles les Etats-Unis sont soumis pour mener cette guerre, est de continuer à apporter le même niveau de soutien au gouvernement central irakien pour affronter la milice du Mahdi et d'espérer que tout se passera au mieux. Diverses tentatives pourraient être tentées pour racheter les armes des militants de l'Armée du Mahdi et offrir au groupe des possibilités de réintégrer l'activité politique en contrepartie d'une trêve sporadique. Dans le cadre de cette stratégie, on tenterait de relancer les négociations avec Téhéran, dans lesquelles les gouvernements américain et irakien n'auraient pas grand-chose à offrir, si ce n'est des concessions permanentes et, en définitive, accepter le contrôle grandissant de l'Iran sur l'avenir de l'Irak. L'espoir, dans ce cas de figure, serait que l'Iran trouve un intérêt à voir un Irak plus stable à ses portes et qu'il soit disposé à réduire son soutien à la violence, en échange d'une influence accrue sur les activités politiques du pays. Alors que cette situation bouleverserait l'équilibre stratégique dans la région et ne garantirait en aucun cas une paix à long terme, elle pourrait néanmoins offrir un compromis politique qui permettrait à Washington de se désengager de la région, si c'est ce que l'opinion américaine souhaite. L'option A tablerait sur un niveau de bonne volonté de l'Iran supérieur à celui qu'il a pu démontrer jusqu'à présent et pourrait finalement aboutir à un retrait américain d'Irak humiliant et précipité.
L'option B impliquerait un engagement américain à part entière pour un clan dans le conflit entre chiites, qui soit égal sinon supérieur à sa mobilisation récente contre Al-Qaïda dans les provinces occidentales de l'Irak et s'accompagne d'une série de mesures politiques et militaires visant à mettre Téhéran sur la défensive et obligeant ce régime à se désengager d'Irak ou à faire face à des représailles directes contre ses unités de la Garde révolutionnaire et la force d'élite al-Qods. L'option B nécessiterait une volonté de Washington d'intensifier le conflit, comme il l'a fait quand il a négocié son retrait du Vietnam. Cette sinistre comparaison ne présage, bien entendu, rien de bon, mais face à une alternative sombre et humiliante ou éventuellement à une provocation de l'Iran faisant une erreur d'appréciation sur la réaction de l'opinion américaine, les Etats-Unis pourraient examiner les options visant à réduire l'influence de l'Iran en Irak.
Cette stratégie comporterait des risques de taille et réclamerait beaucoup plus de préparation que ce n'a été le cas lors de la dernière tentative avortée de démanteler l'Armée du Mahdi de ses bases, dans les taudis de Bagdad et Bassora. Cette stratégie passerait par une opération de renseignements complète et prolongée visant à infiltrer l'Armée du Mahdi, en mettant sur écoute ses lignes de communication avec l'Iran et en isolant ses bastions à Bassora et Bagdad, des bases de soutien potentielles situées dans les villages disséminés aux bords des routes entre ces deux centres urbains, le long des rives du Tigre et de l'Euphrate. L'initiative d'infiltrer l'Armée du Mahdi pendant un certain temps serait coûteuse, demanderait un temps considérable et ne porterait ses fruits que si elle aboutit à une opération décisive, qu'elle jouit du soutien de l'opinion américaine et qu'elle peut montrer de véritables résultats. Pour se préparer à une telle opération, les Etats-Unis devraient réunir suffisamment de preuves du rôle direct de l'Iran dans le massacre de soldats américains en Irak, de façon à rendre crédible la menace de représailles directes contre l'Iran.
Par ailleurs, à la suite d'une offensive décisive contre l'Armée du Mahdi, le gouvernement irakien doit avoir à sa disposition un cadre de chefs militaires bien entraînés et d'administrateurs, prêts à reprendre le contrôle des zones qui sont actuellement aux mains des milices et avoir des plans concrets pour apporter des améliorations efficaces et mesurables aux conditions de vie des populations concernées. Selon des représentants expérimentés impliqués dans le conflit, une telle opération prendrait six à huit mois de préparation et devrait pouvoir compter sur un niveau de confiance meilleur qu'aujourd'hui entre les forces américaines et les forces du gouvernement irakien. Son succès dépendrait en outre de l'adhésion de l'opinion américaine à soutenir une escalade éventuelle du conflit impliquant des cibles en Iran. Aucune de ces conditions ne semble remplie pour l'instant.

Conclusion
Sans une erreur d'appréciation grossière de la part de l'Iran, les Etats-Unis risquent de rester bloqués dans une situation où ils pourraient, malgré leur écrasante suprématie militaire, voir leurs récentes avancées sur le terrain anéanties par les milices chiites contrôlées par les Iraniens. Jusqu'à présent, Téhéran a été très attentif à limiter sa guerre par procuration contre les Etats-Unis à des engagements de bas niveau qui sont tenables à long terme, à peu de frais, et qui, pourtant, ne parviennent pas à pousser l'opinion américaine à soutenir une politique de représailles directes.
 
Si Téhéran devait à l'avenir faire une erreur de jugement, il serait bon que les Etats-Unis aient un plan pour exploiter toute possibilité de réduire considérablement l'influence de l'Iran sur l'Irak. Faute de quoi, les Etats-Unis et leurs alliés irakiens continueront à se trouver devant un conflit ardu et pénible dans lequel Téhéran conserve en permanence l'initiative et risque de continuer à étendre son influence au fil du temps.
 
Michael SOUSSAN, Directeur du Bureau de l'ESISC à New York - Copyright © ESISC 2008 

 
Lire la suite
<< < 10 20 30 40 41 42 > >>