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Gracchus Babeuf sur le génocide vendéen
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Francis Cousin (voir une bonne critique de Cousin ici, je ne développe pas) que j'écoutais ce soir sur You Tube m'a donné envie de lire Gracchus Babeuf (1760-1797), père du communisme en France, sur le "populicide" de Vendée.
Il y explique que l'atrocité de la guerre de Vendée est née de ce que la Convention (qu'il appelle "le Sénat", comme il nomme le Comité de Salut Public le "décemvirat", allusion ironique aux dérives de la fin de la République romaine) a créé des "la vice-royauté ou le proconsulat" dans les provinces dont les contradictions avec les décrets "sénatoriaux" de Paris allaient totalement brouiller l'image d'une loi expression de la volonté générale. En outre Babeuf, sur la foi du témoignage de Joachim Vilate, explique que Robespierre avait pour projet une "vraie régénration de la France" qui "ne pouvait s'opérer qu'au moyen d'une distribution nouvelle du territoire et des hommes qui l'occupent" sur la base de la règle de Rousseau inspirée de Lycurgue que chaque individu doit avoir une portion alimentaire suffisante et non excessive, garantie par la somme totale des produits du sol, ce qui supposait que "la population jamais n'excédât la proportion du total productif annuaire du territoire" (p. 26). Cela supposait une nationalisation des terres acquise par la terreur pour faire plier les grands propriétaires, mais aussi qu' "un dépeuplement éiat indispensable". Et là, Babeuf cite la P. 14 du témoignage de Vilate qu'on peut trouver ici une phrase de Barrère au Comité de Salut Public selon laquelle "le vaisseau de la révolution ne peut arriver au port que sur une mer rougie de flots de sang", tout en reconnaissant qu'il manque le "bordereau" des chiffres que le comité était prêt à retenir, mais en soulignant que le sacrifice de population devait surtout porter sur les sans-culottes (ce qui n'est pas exactement ce que disait Vilate qui parle de divers secteurs de la population).
Ainsi s'expliquent, dit Babeuf, les mesures politiques du comité de salut public (les décemvirs) comme il les appelle, mais aussi le fait que celui-ci se réjouisse autant du massacre des vendéens que de celui des soldats de la République, et encore celui du maintien de la guerre contre toute l'Europe. "Avec le système de dépopulation et de nouvelle disposition répartitive des richesses entre ceux qui doivent rester, on explique tout" (p. 31).
Dans une longue note de bas de page, Babeuf précise qu'il ne croit pas que la population française excédât le potentiel de son sol et que, dans cette hypothèse même platon, Mably, Montesquieu avaient envisagé la possibilité d'un appauvrissement ou d'une colonisation à l'étranger mais jamais le massacre de masse de sang froid.
Il faut comprendre le projet de dépopulation, dit Babeuf, pour comprendre les crimes de Carrier.
Les départements insurgés étaient peuplés d'hommes "agrestes, simples, bons, humains, très rapprochés de la nature et par conséquent propres à bien recevoir le dogme de la liberté" si toutefois ils n'avaient pas été intoxiqués par les "deux superstitions du sacerdoce et du nobilisme" (p. 39) superstitions que la "religion du républicanisme" aurait pu renverser si on s'y était bien pris. Hélas on y a "prêché la foi démocratique, exactement comme jadis celle du Christ le fut au Mexique" : "Crois aux trois couleurs ou je te poignarde" (il citera le cas d'un paysan massacré avec toute sa famille alors qu'il était prêt à épouser les valeurs républicaines). L'auteur s'appuie sur les rapports de Choudieu. Et à l'inverse à Paris on trompait le peuple en faisant croire qu'on levait les armées pour libérer le peuple vendéen opprimé par les "hordes de brigands". Finalement les rapports militaires montrent que les soldats de la République furent encouragés à piller systématiquement, alors que les insurgés, eux firent preuve de plus de retenue.
Camille Desmoulins dans un article sur la Vendée à la fois montre qu'elle aurait pu être conquise par l'éducation et qualifie ses habitants d'animaux à face humaine qui méritent qu'on les poursuive comme à la chasse.
Babeuf cite encore Lequinio :
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Celui-ci parle d'un plan de destruction totale. Pour Babeuf toute l'institution d'une vice-royauté en Vendée était au service de ce "populicide". Et les généraux républicains favorisèrent même les défaites de leur camp ou furent destitués en cas de victoires trop faciles pour pousser les Vendéens à s'enrôler davantage dans les rangs monarchistes. Il fallait d'abord faire mourir beaucoup de Républicains pour ensuite provoquer "l'anéantissement de la population vendéenne", qui était la seconde partie du but (p. 108).
Le 7 novembre (17 Brumaire) 1793, Merlin de Thionville explique ce qu'il faudra faire quand la Vendée sera vidée de ses habitants, et notamment y importer des Allemands. Fayau demande qu'on y envoie une armée d'incendiaires pour que nul homme, nul animal ne survive (p. 116). Cela se traduit sur le terrain par des exactions de sang froid; Aux abords de Nantes en octobre 1793 où les villageois sont pourtant prêts à s'enrôler dans les armées de la République le général Lusignan fait sortir les hommes d'un atelier et les tue de sang froid. Le 11 brumaire un décret (1er novembre 1793) un décret proclame que toute ville qui hébergera un insurgé sera proclamée rebelle et rasée. Le 17 novembre Carrier annonce la noyade des prêtres de Nantes dans la Loire. 800 personnes connaîtront ensuite le même sort. Dans la nuit du 10 au 11 décembre, de la Flêche au Mans la route est semée de cadavres égorgés selon Westermann. De même sur la route de Laval trois jours plus tard. Le 16 décembre Carrier organise la famille, ordonne qu'on prive la Vendée de fourrage et qu'on mette le feu aux fermes.
Tout le livre se poursuit dans cette veine. L'amusant de Villiers, ami de ND de Rocamadour, est ici battu par la profondeur d'un communiste. Voilà qui est inattendu de la part d'un esprit qui par ailleurs s'était tenu dans les rangs des révolutionnaires les plus radicaux. C'est tout à son honneur. On pourra lire aussi avec profit sa condamnation goguenarde du sectarisme jacobin ici et ici.
Pour le reste cet ouvrage peut nous faire réfléchir au projet génocidaire de Gaza et au thème de la "dépopulation" inscrit à l'ordre du jour du dernier club de Bilderberg à Stockholm (notez qu'Asselineau interrogé sur le sujet ici parle du Bilderberg mais n'a rien à dire sur la dépopulation). Il est temps de réfléchir courageusement (comme le fit Babeuf) à cette triste farce avant que nous n'en soyons tous les dindons.
Lukacs, Staline et l'émir d'Afghanistan
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Entre l'Iran et Marine Tondelier, Staline et Lukacs auraient choisi l'Iran :
"Le Caractère révolutionnaire du mouvement national n'implique pas nécessairement l'existence d'éléments prolétariens dans le mouvement, l'existence d'un programme révolutionnaire ou républicain du mouvement, l'existence d'une base démocratique du mouvement. La lutte de l'émir afghan pour l'indépendance de l'Afghanistan est objectivelent une lutte révolutionnaire, malgré le tour monarhiste des conceptions de l'émir et de ses partisans ; car elle affaiblit, désagrège, et sape l'impérialisme. Cependant que la lutte des démocrates et des 'socialistes' à tout crins, des 'révolutionnaires' et des républicains tels que, par exemple, Kérenski et Tsérétéli, Renaudel et Scheidemann, Tchernov et Dan, Henderson et Clynes pendant la guerre impérialiste était une lutte réactionnaire, car elle avait pour résultat de maquiller, de consolider, de faire triompher l'impérialisme (...) Lénine a raison lorsqu'il dit que le mouvement national des pays opprimés doit être apprécié, non du point de vue de la démocratie formelle, mais du point de vue de ses résultats effectifs dans la balance générale de la lutte contre l'impérialisme, c'est-à-dire 'non isolément mais à l'échelle mondiale' " (Staline, Les Questions du Léninisme t.1, p. 57)
Naturellement, ces analyses profondes de Lénine et de Staline ne s'appliquent pas seulement aux mouvements de libération nationale mais à l'ensemble des phénomènes relevant de la lutte des classes. Par conséquent aussi aux problèmes du développement idéologique (...) le critère démocratique formal, privilégié par les menchéviks et leurs héritiers idéologiques, souvent inconscients, ne doit pas être accepté, mais il faut lui sibstituer le profit réel pour la lutte de libération universelle qui brisera le joug du capitalisme (Georg Lukacs, Ecrits de Moscou p. 223)
Un débat entre des déçus de la gauche
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Dans les années 2009-2010, quand je travaillais pour Bastille-République Nation, j'avais été contacté par Pierre-Yves Rougeyron (PYR) qui m'avait invité à présenter mes bouquins au Cercle Aristote. A l'époque il gravitait autour de Florian Philippot fraîchement sorti du chevènementisme. C'était peu de temps après ma publication de "Programme pour une gauche déomplexée". J'avais décliné l'invitation.
Son Cercle a fait son chemin depuis lors. Il n'est pas besoin que je le commente ici. Si vous vous intéressez un peu aux débats sur l'histoire de la gauche, vous pouvez écouter la conférence ci-dessous. PYR y avait réuni un ancien lambertiste Laurent Henninger et un ancien communiste Romain Bessonet.
Les relectures du passé sont toujours partielles et partiales. Par exemple quand un des intervenants lance la tarte à la crême à droite maintenant selon laquelle la préférence nationale aujourd'hui marquée à l'extrême droite était de gauche à l'époque du Front Populaire : c'est archi-faux, il suffit de lire les Carnets de 1936 de Malraux pour voir que c'était déjà identifié comme un thème d'extrême droite à l'époque de Blum et que son adoption par les partis de gauche avait été très contestée. Sur Trotsky ils sont aussi un peu "gentils" - voyez l'exposé beaucoup plus décapant de Lilian Truchon ici : lui en a fait une lecture approfondie.
Mais bon, cette conversation a au moins le mérite d'évoquer divers thèmes à la mode chez les déçus de la gauche, donc elle est sociologiquement intéressante comme photographie d'une partie de l'opinion publique actuelle.
Elle a aussi le mérite de soulever (à défaut de pouvoir les théoriser en profondeur) des sujets complexes comme le rapport de la gauche à la question ouvrière, au catholicisme etc. Pour ma part je préfère revenir aux considérations de Leroux sur la France romaine contre la "France carthaginoise". Il faudrait peut-être reprendre la réflexion au point où en était le mouvement ouvrier à cette époque-là.
Certains diront peut-être qu'il y a des questions plus importantes et urgentes que de réfléchir à l'histoire des idées, mais je crois qu'il faut en permanence associer l'observation des faits actuels (y compris d'ailleurs et peut-être surtout sous leur angle spirituel - complètement absent de la discussion ci-dessous) avec une réflexion rétrospective sur l'histoire des concepts et des mouvements sociaux qui les ont portés.
La fille d'Ambroise Croizat
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Le Youtubeur Bolchegeek sur la chaîne YouTube du journal L'Humanité disait il y a deux ans, qu'il faudrait faire un film populaire sur Ambroise Croizat, le ministre communiste qui avait impulsé la création de la Sécurité Sociale.
J'écoutais aujourd'hui cette interview ci-dessous (réalisée à l'époque de la présidence de Sarkozy) de la fille de ce ministre, un bel exemple d'engagement et de désintéressement, et surtout d'action collective dans un contexte proprement héroïque (cela m'a rappelé l'interview que j'avais faite en décembre 2009 de Denise Albert à Sevran - 1922-2018 - , interview dont j'avais tiré un livre pour Le Temps des Cerises, Denise Albert avait témoigné du volet "création d'EDF" sous la houlette de Marcel Paul). Aujourd'hui l'influence de Bernard Friot sur la jeunesse permet de comprendre à nouveau qui fut Croizat, et le rôle du PCF et de la CGT (notamment leurs volontaires qui tenaient les premières caisses primaires d'assurance maladie) dans la création de la sécurité sociale (Friot dit que les gens qui ont une carte vitale ont dans leur porte-feuille une carte du Parti communiste français).
Je vous laisse regarder par vous mêmes, découvrir cette histoire du député du XIVe arrondissement qui habitait au 79 de la rue Daguerre (une rue que j'ai bien connue à 22 ans), arrêté en 1939, emprisonné dans dix-sept prisons puis au bagne de Maison-Carrée en Algérie où il perdit une trentaine de kilos (il allait mourir à 50 ans à cause de cela en 1951), - il connut De Gaulle quand il siégea à l'Assemblée consultative provisoire, à Alger -, séparé de sa famille et de sa fille Liliane pendant toute la guerre. Le récit de sa prise de fonctions au ministère du travail alors qu'il ne recevait toujours qu'une paie d'ouvrier, le décalage culturel de sa femme avec la haute bourgeoisie, la solidarité avec le maître d'hôtel Eugène qui avait une chambre de bonne dans le ministère et aucun congé fixe, la question de la visite au pape, le soulagement de quitter le gouvernement.
A Sciences Po on nous disait que Laroque a fondé la Sécu. Les médias disent que c'était De Gaulle. Liliane Croizat (1936-2018) fait justice de ces légendes.
A la mort de Croizat, Le Peuple (21 février 1951) rappela qu'il avait commencé son engagement politique dans la lutte contre la guerre colonialiste du Rif. Dans son éloge funèbre, Bernard Frachon, secrétaire général de la CGT, insistera aussi sur son engagement de métallurgiste : "Il fut secrétaire de la Fédération des Métaux au temps où le Comité des Forges exerçait avec férocité sa toute-puissance. Ce dernier, dans son fief de la sidérurgie de l’Est, avait émis la prétention d'interdire à jamais l’existence de véritables syndicats. Croizat fut de ceux qui relevèrent le défi. Les syndicats ne furent jamais chassés des usines du Comité des Forges. Ils y vivaient, clandestins sans doute, les réunions devaient se tenir à quelques-uns, dans les bois. La police n’était pas la police de l’État, elle était, dans ces régions, la police des magnats de l’acier. Le Comité des Forgés méprisait ce travail patient et tenace. Croizat, lui, savait où il le conduirait. Et quelques années plus tard, dans un élan unanime, les travailleurs de cette région occupaient les usines et faisaient capituler le Comité des Forges".
Des souvenirs du mouvement social français qui montrent le chemin pour l'avenir.
Lucien Goldmann et Blaise Pascal
Dans les années 1950, Blaise Pascal revient à la mode. Dans la revue communiste La Pensée de janvier 1957, Henri Weber rend compte de l'analyse qu'en fait le marxiste Lucien "Goldman" (son nom à l'époque dans La Pensée s'orthographiait avec un seul "n") dans "Le Dieu caché . Étude sur la vision tragique dans les «Pensées» de Pascal et dans le théâtre de Racine".
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Les Pensées expriment selon Goldmann une position nouvelle, qui consiste à agir dans le monde tout en étant convaincu de la vanité de cette action, "avec une sorte d'humilité supérieure, qui reconnaît que l'homme ne saurait échapper à sa condition. C'est ce que Goldmann appelle le « refus intramondain du monde »". Il est la conséquence logique de la conception janséniste d'un Dieu caché. Le chrétien peut connaître l'existence de Dieu par la foi, mais Dieu ne se communique pas à lui pendant cette vie. L'homme ne peut échapper au monde, il ne peut qu'y vivre en le condamnant. L'entreprise des Pensées s'explique de la même façon : Pascal est convaincu que seule la grâce divine entraîne la conversion du libertin, il écrit cependant comme si son Apologie pouvait faciliter cette conversion.
Cette coexistence des contraires dans les mobiles de l'action humaine répond au paradoxe de notre condition dont les Pensées constituent l'analyse. Au centre de la réflexion de Pascal est l'idée qu'aucune affirmation n'est vraie, si on ne lui ajoute l'affirmation contraire. Il appliquer ce principe dialectique à tous les aspects de la condition humaine. Ainsi sont condamnées aussi bien l'attitude de celui qui se laisse prendre par une forme quelconque du divertissement (fût-ce celle d'analyser le divertissement) que l'attitude de celui qui prétend rester seul dans une chambre à penser à sa condition. La solution pascalienne consiste à vivre dans le divertissement, tout en en connaissant et en en dénonçant la vanité. D'une façon plus générale, le sentiment d'une opposition radicale entre la vie sociale, scientifique ou morale et l'aspiration à des valeurs suprêmes (vérité, justice, bonheur) constitue la vision tragique du monde. Cette prise de conscience du caractère dialectique de la vérité, comme du caractère tragique de notre existence, est un progrès de la pensée sur l'optimisme et le rationalisme cartésien. "Goldman reconnaît cependant qu'en se refusant à l'histoire, en s'attachant à une nature humaine éternelle, la dialectique pascalienne est sans issue, sinon religieuse ; tandis que le progrès décisif de Hegel est de mettre cette dialectique sur le plan du devenir auquel Marx donne son contenu concret et réel : l'histoire de la lutte des classes". Goldman, dira que Marx aussi raisonne en termes de pari pour l'avènement de la société sans classe après la lutte des classes.
Cependant le pari n'amène jamais un véritable dépassement car il ne conduit pas vraiment à la foi. Il y dispose seulement.
Goldmann a cependant bien vu, reconnaît Weber, "la liaison solide entre la vision tragique du jansénisme et la situation de la noblesse de robe au XVIIe siècle". "Il signale dans les années 1635-1638 une coïncidence remarquable entre le renforcement de l'administration centrale, le pouvoir donné aux intendants, qui réduit considérablement l'influence des officiers royaux, et la retraite éclatante du brillant avocat Antoine Lemaître autour de qui vont bientôt venir se grouper les premiers solitaires de Port-Royal. La condamnation du « monde » serait bien l'idéologie d'une classe qui voit l'avenir se fermer devant elle, et son influence condamnée à périr". A cette nuance près, note Weber, que la noblesse de robe serait une sous-classe de la bourgeoisie.
"Henri Lefebvre, objecte Weber, a tenté une explication beaucoup plus large de l'idéologie janséniste ; il y voit notamment la déception de l'individu bourgeois détaché des liens de la communauté médiévale et mesurant son impuissance ; elle serait en même temps une protestation contre l'absolutisme en face duquel les solitaires constitueraient une sorte de république idéale, de caractère aristocratique"
Goldmann était alors chercheur au CNRS. Henri Lefebvre, de douze ans son aîné, était aussi au CNRS, spécialiste de sociologie rurale et venait de soutenir sa thèse trois ans plus tôt.
L"analyse sociologique du jansénisme a été depuis lors efficacement critiquée par René Pommier ici. Bien sûr il manquait à l'approche de Goldmann une étude sérieuse des courants religieux de l'époque. Plutôt que d'un enfantement du jansénisme par la crise (très contestable) de la noblesse de robe, il faudrait parler de convergences de préoccupations.
Quant à la thèse selon laquelle Pascal a anticipé sur le dialectique, qui semblait fâcher Weber et Lefebvre, je pense qu'on ne pourrait la mettre au crédit de Pascal si tel était le cas, la démarche dialectique en philosophie étant par essence très panthéiste (le pessimisme de Pascal est en réalité plutôt l'opposé du panthéisme puisqu'il ne voit Dieu à l'oeuvre dans aucune praxis humaine, et ce faisant il constitue aussi un excès hérétique).
Pour ma part, je trouve tout de même intéressant le geste de Goldmann de valoriser Pascal contre le structuralisme qui dominait le marxisme dans les années 1950. Cela permettait de rendre à l'engagement politique sa dimension éthique, dans un esprit de désintéressement, sans anticipation de succès, qui n'est pas sans rapport avec ce que je soulignais dans mon livre sur le stoïcisme.
Les démons de Tel Quel (une page d'histoire)
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Rien de tel qu'un démon pour dénoncer d'autres démons. Avec le journal de Jacques Henric "Les Profanateurs" qui vient de sortir chez Plon, on plonge dans ceux de la revue Tel Quel dont les effluves empoisonnaient ma jeunesse du temps où j'écoutais France Culture.
Par exemple en 2002 il révèle l'homosexualité d'Aragon lors d'un colloque au centre Pompidou et ses fantasmes sur les SS ce qui exaspéra Régis Debray. A la page du 26 juin 1976, il raconte l'histoire de Louis Dalmas (un type que j'ai croisé le 8 février 2001 au comité de rédaction de Balkans Infos), qui a épousé une ex-cover girl serbe fondatrice du premier sex-shop de Paris en 70 (qui a maintenant 93 ans). "Le bonhomme semble naïf, un peu con, plus con que méchant, d'une vulgarité sans nom", commente-t-il (c'est en effet l'impression qu'il m'avait laissée, ainsi que sa revue bien qu'il y publiât certains de mes articles). Le 2 juillet 1977 il dénonce un mensonge de Kristeva qui dans le Nouvel Obs fait croire qu'elle est arrivée en France comme dissidente, alors qu'elle y est arrivée comme "étudiante communiste bulgare reçue par le Parti communiste français".
Ou encore on y lit à la date du 24 janvier 1999 que la femme de Kundera, Vera au restaurant sortit un pendule en présence de Sollers pour juger le repas. Sollers voulut en rire, Kundera fit les gros yeux. Quelques jours plus tard rebelote chez les Kundera : Vera sort le pendule sur la bouteille de Château d'Yquem. Sollers devra la jeter. Ambiance glaciale pour le reste de la soirée. Commentaire d'Henric "J'aimerais que notre ami Philippe Muray, spécialiste des mages et de la théosophie (...) nous explique comment son très admiré Kundera en est arrivé là". Je regrette de n'avoir pas connu cette anecdote quand j'ai écrit mon livre sur Prague.
Des échos de la guerre de Serbie cette année là bien sûr. Henric soutient Sollers contre Debray mais dit du bien de la revue d'extrême droite Eléments. Puis il juge "insensée" la position (anti-OTAN) de son ex-camarade maoïste Badiou, juge Debray "influencé par la propagande serbe" et son article dans Marianne "assez nul" - normal : cet Henric aimait tant Saint Germain des Prés et hurler avec les loups. Il fait de même ensuite aux côtés de BHL sur la Tchétchénie. Il nuancera un peu son jugement sur Debray en 2000 quand celui-ci lui dédicacera son livre L'Emprise. Des pages de l'affaire Renaud Camus dont je me rappelle qu'elle avait été au menu de mon dîner chez Elisabeth Lévy.
Amusantes ses attaques contre Baudrillard pour défendre Catherine Millet en 2001, puis sur le même sujet contre Elisabeth Lévy "dévouée et très énamourée admiratrice" de Philippe Muray son coach. Etrange description d'un spectacle de l'ex- strip-teaseuse Rita Renoir le 4 décembre 1972. L'auteur lisait aussi les mystiques chrétiens, mais apparemment sans profit.
L'utilisation des gaz militaires pendant la guerre d'Algérie
Un très bon documentaire de Claire Billet pour France Télévision, et une très bonne interview au micro de Youssef Boussoumah (chaîne Paroles d'Honneur) dont on a déjà salué le travail sur le Proche-Orient.
Puisque cette documentariste mentionnait son intérêt pour les crimes de guerre, notamment quand elle était en Afghanistan (c'est ce qui l'a aiguillée vers l'Algérie), je lui ai écrit pour lui signaler aussi ceux de l'OTAN en Serbie en 1999 (indépendamment même de la problématique des armes à uranium appauvri) - notamment avec les substances étranges déversées sur Gornji Milanovac.
Je suis plus réservé sur les propos de la réalisatrice concernant l'usage du gaz en Syrie compte tenu des enquêtes de Seymour Hersh là dessus, mais ce n'est pas un point central pour le thème abordé.
Elsa Triolet, Trump
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Je lis "Le Destin Personnel" d'Elsa Triolet. C'est la revue communiste "La Pensée" de 1970 (celle qui prononçait son éloge funèbre) qui m'en a donné l'idée. Elle disait qu'Elsa Triolet avait pâti de l'ombre que lui faisait Aragon - l'Eragon et la triolette comme disait Céline - qu'elle était une véritable écrivaine, qu'elle écrivait du réalisme socialiste, le sien, ce qu'elle entendait par là, elle qui n'avait jamais été membre du PCF. J'ai acheté ce qu'on trouve en poche d'elle. "Le Destin personnel". C'est vrai que c'est bien écrit. C'est particulier, ça vous captive d'une page à l'autre. Ca vous tient en haleine.
Je retrouve des mots du XXe siècle, des mots de la génération de mes parents comme "se pomponner". Et même des gestes de cette génération-là, des choses qu'on ne ferait pas aujourd'hui, comme de marcher tous les soirs jusqu'au portail pour attendre le retour quotidien de quelqu'un. Ce n'est rien, quelques pas. Je sais qu'aujourd'hui on ne le ferait pas : on resterait chez soi à regarder son téléphone portable en attendant qu'il rentre dans la maison. Simplement parce qu'on trouverait inutile ou trop servile de marcher. Notre monde est ainsi fait.
Peut-être que si je lis Elsa Triolet, c'est pour sortir du monde actuel, de l'investiture de Donald Trump, du soutien des socialistes à Bayrou, de tous les sentiments de tension que ces nouvelles futiles provoquent chez les gens. Voyez par exemple le déchaînement de satisfaction mêlée de haine violente parce Von Der Layen n'a pas été invitée à l'inauguration présidentielle. Dieu sait combien j'ai combattu l'européisme, le covidisme, la corruption, mais ces sentiments trumpistes contre une "élite" qu'on veut aujourd'hui troquer contre une autre me semblent assez malsains.
Donc ce soir je lis la Triolette...
Jacques-Marie Bourget : un vestige de ce que fut le vrai journalisme
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Je m'en étais déjà bien rendu compte quand j'étais conseiller du maire de Brosseville : le dernier pays qui institutionnellement, viscéralement défend la mémoire de la résistance à l'impérialisme, au colonialisme, et la défense des opprimés, reste l'Algérie.
Je ne suis donc pas plus surpris que cela de voir que c'est un média algérien, la chaîne de Rafaa Jazayri (cf ci-dessous), qui interviewe (il y a 11 mois) ce monument du journalisme français qu'est Jacques-Marie Bourget, l'homme qui fut le premier Occidental sur place après les massacres de Sabra et Chatila en 1982, puis qui révéla l'affaire du Rainbow Warrior en 1985 (un mérite qui fut ensuite usurpé par Edwy Plenel, mais c'est bien Bourget qui a reçu le prix du scoop à ce titre, et, dans l'interview qu'il donne ci-dessous il révèle que ce navire de Greepeace avait été coulé parce qu'il s'y trouvait des espions britanniques et un Français qui cherchaient à identifier les missiles de nouvelle génération sur le site des tests nucléaires dans le Pacifique). Après la chute de l'URSS Bourget a appris que Maxwell, le magnat de la presse, père de la rabatteuse d'Epstein, qui était agent du Mossad avait servi d'intermédiaire pour des livraisons d'armes de destruction massive russe à l'Irak (au début des années 1990, rien à voir avec la fausse affaire des armes de destruction massive de 2003). Il avait obtenu l'info par un membre du Shin Bet qui le paya dix ans de prison. Bourget, lui, le paya d'une balle d'un sniper israélien dans le poumon. Il a fini par obtenir au bout de longues années de procédure la reconnaissance par le fonds français d'indemnisation des victimes du terrorisme de la responsabilité israélienne et de la qualification d'acte terroriste. Les Palestiniens l'avaient généreusement secouru avec des litres de sang de leur peuple.
L'épouse de Bourget, décédée récemment, était algérienne et Bourget a pris des positions courageuses dans l'affaire Daoud-Sansal.
Je ne suis bien sûr pas d'accord avec lui sur tout, par exemple quand il dit qu'il n'y a pas de peuples qui aient subi "pire saloperie" que les Palestiniens... Quid des Papous et des Timorais en Indonésie ? Quid des Karens en Birmanie ? Des Tutsis au Rawanda ? Des Hutus à l'Est du Congo ? Des Indiens d'Amérique du Nord ? Sans même remonter à la Haute Antiquité... Mais je salue un homme qui a incarné un journalisme courageux et de haut niveau, comme Seymour Hersh aux Etats-Unis, Günter Wallraff en Allemagne, John Pilger en Australie.
Richard Labévière, du temps où je collaborais à Esprit Corsaire, m'en disait du bien. Les deux ont en commun le fait de pouvoir exposer une photo d'eux aux côtés d'Arafat, avec tout l'itinéraire qui va avec. En l'écoutant j'ai songé aux raisons pour lesquelles les Palestiniens ne sont pas très aimés des pays arabes - ils sont des Cananéens.
Quand Piccinin a publié son livre sur l'Ukraine en août dernier, il pensait le transmettre à Afrique-Asie, une revue proche de l'Algérie. Il ne l'a finalement pas fait, mais il est clair que ce n'est que vers cet horizon là que la parole des dissidents oubliés peut être entendue.
Ci-dessous donc les 3 interviews de Bourget par Rafaa Jazayri
Syrian Girl (Mariam Susli) et le déclin du nationalisme arabe
A un certain moment dans mon livre sur Cuba, je m'amuse à comparer ce qu'un Que-sais-je? du début des années 1980 que j'avais dans ma bibliothèque d'adolescent, reflet de la doxa universitaire de l'époque, disait sur ce pays, avec l'idéologie actuelle. Il y avait aussi sur mes étagères un livre sur l'Irak, un sur la Libye, un sur la Syrie.
C'était une époque où les Etats-nations comptaient pour assurer aux gens la sécurité et le progrès matériel ou intellectuel, et tous ceux qui voulaient le bien des pays "en voie de développement" comme on disait, souscrivaient naturellement à leur légitimité dans le cadre de l'ordre "post-colonial" instauré en 1945 par l'ONU, même si on ne savait pas très bien quelles frontières donner à ces Etats (fallait-il créer une "nation arabe" comme l'avait tenté Nasser, une nation panafricaine etc ?).
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L'influenceuse Mariam Susli alias "Syrian Girl" qui fut pendant des années une militante active de la défense d'Assad sur les réseaux sociaux et le demeure, petite fille d'un général de l'armée syrienne qui combattit en 1973, a quelque chose d'attachant parce qu'elle est restée profondément attachée à cette tournure de pensée et a sacrifié les meilleures années de sa très jeune vie (ainsi que le souligne Patrick Henningsen à la fin de l'interview ci-dessous). On retrouve d'ailleurs le même état d'esprit chez la journaliste proche du parti socialiste nationaliste syrien libanais Ghadi Francis.
C'est très touchant, à l'heure où la Syrie envahie par les HTC (c'est à dire les Turcs, Syrian Girl parle même de nouvelle invasion turco-mongole à cause de la présence turkmène et ouïghoure dans ces milices, en référence à la catastrophe pour le monde arabe à l'époque du sac de Bagdad par le petit fils de Gengis Khan) au Nord, et Israël au Sud, disparaît de la carte et où on redoute que le Proche-Orient ne soit plus comme au XIXe siècle qu'un champ de luttes entre empires (néo-ottoman, persan, russe et occidental).
Je vous laisse écouter Mariam Susli en anglais ci-dessous, notamment sa remarque savoureuse sur le fait qu'en 2019 Trump s'est vanté d'avoir sauvé la poche d'Idlib et ses terroristes, ce qu'elle rapproche du fait qu'il fut aussi le caniche de Fauci sur la question des vaccins (Trump fut le sauveur d'HTC comme il le fut de Bill Gates).
On a vraiment l'impression que le nationalisme arabe disparaît et avec lui les Arabes eux-mêmes qui, dominés par des milices sectaires dans de nombreux pays, finissent par être totalement vassalisés. Ils ne peuvent compter que sur Ansarallah au Yémen pour sauver encore leur honneur en bombardant avec des missiles étonnamment sophistiqués l'entité qui écrase les Palestiniens.
Le flambeau du sens de l'Etat nation dans le monde arabe ne paraît conservé que plus à l'Ouest, en Algérie. Et encore il y subit des assauts : accusations de financement de djihadistes par la France, prix Goncourt suspect accordé à un plagiaire de dossiers médicaux etc.
L'histoire n'est jamais figée, mais le ressac du nationalisme est assez spectaculaire en ce moment. Il ne l'est pas seulement dans le monde arabe d'ailleurs mais partout sur la planète. Tout le monde, dans l'intelligentsia du moins, semble accepter le retour des empires et le musèlement des peuples. C'est très étrange. Un symptôme de plus de la trahison des clercs.