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Le blog de Frédéric Delorca

Articles avec #ecrire pour qui pour quoi tag

Blogs, définition d'une juste voix, communautarismes, cohésion globale

24 Novembre 2009 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Ecrire pour qui pour quoi

J'ai reçu depuis avant-hier divers courriers me reprochant ma décision de suspendre les activités de ce blog. Certains m'ont fait remarquer, à juste titre, que si les blogs enferment auteurs et lecteurs dans le virtuel, supprimer son blog ne fera pas revenir les gens dans le réel pour autant, et laissera plus de latitude à d'autres blogs, moins justes (même si personne ne peut prétendre avoir le "ton juste" par excellence).

J'avoue que je suis sensible à leur argument, et j'admets qu'un abandon pur et simple serait par trop égoïste.

Faire de la politique sur la place publique, définir une position et en témoigner, est un art difficile.Je vous ai parlé il y a quelques mois d'une amie qui dirige un asile d'aliénés (ça ne s'appelle plus comme ça mais peu importe). Elle m'écrivait encore récemment qu'elle ne comprenait rien à la politique même si elle en subissait les conséquences chaque jour en termes de réduction des crédits pour son intitutions et pour le soin des malades. Je ne comprends pas qu'on puisse se vanter de refuser la politique. Car c'est une facilité. En revanche je conçois qu'on la trouve compliquée. Car c'est en effet un exercice délicat. Les questions ne sont jamais simples. On ne peut pas se contenter de dénoncer les crimes qu'on constate chaque jour. Il faut imaginer des alternatives, et concevoir des moyens pour que ces alternatives entraînent "un peu moins de crimes" que le système auquel on s'oppose (la politique n'a rien à voir avec des solutions idéales).

Trouver le ton juste pour des alternatives réellement défendables, ou du moins essayer, est un devoir auquel il est trop facile de se dérober. Et il faut le faire sur Internet aussi, parce que là aussi se rencontrent des errements auxquels il faut savoir résister. Et donc à cause de ça je reprends ce blog.

Ce soir je lisais sur Facebook un commentaire d'un garçon qui disait "Il y a vieil adage algérien qui dit que "Si tu es vraiment détesté, tu le resteras même si tu te tremps dans du miel". Il vaut mieux que Tariq Ramadan cesse de tenter de se faire passer pour une sorte de "fourest compatible"!". C'était une réaction à une citation de Khaled Satour : "Faire montre, donner des gages, voilà d’ailleurs à quoi Tariq Ramadan s’est appliqué sans cesse : il adore la culture et la littérature françaises, il est un défenseur de la laïcité, il aime la France, il voudrait même devenir français. Autant d’aveux qui lui furent arrachés dans un climat de discussion de comptoir tournant parfois à l’interrogatoire de garde à vue où les sommations pleuvaient sur lui de toutes parts. Aura-t-il pour autant convaincu ses détracteurs ? Ne sait-il pas, depuis si longtemps, que ses assauts d’honorabilité télévisuels s’apparentent à l’épreuve de Sisyphe et que son incontestable talent de débatteur ne lui fera jamais remporter que des victoires médiatiques sans lendemain ?"

Je sais que la question de la compromission médiatique est très sérieuse (aussi sérieuse que celle de la compromission internautique). Mais je ne comprends pas la formulation de Satour. Reproche-t-il à Ramadan d'afficher son intérêt pour la culture française ? Personnellement je ne trouve pas que Ramadan se montre "fourest compatible", et il a raison de ne pas se lancer dans des stratégies de rupture stériles. S'il aime la culture française ce n'est pas une honte, et il aurait tort de le renier. Toussaint Louverture aussi a aimé la culture française dans ce qu'elle a de potentiellement universel. Je l'ai aimée aussi bien qu'elle ait interdit à une moitié de ma famille de parler l'occitan et ait placé une autre moitié dans des camps de concentration en 1939 (des réfugiés espagnols) - je précise cela pour ceux qui seraient un peu trop tentés de m'envoyer au diable du fait que j'aurais moins subi les effets négatifs de l'impérialisme français qu'eux. Il est bon de savoir être soi même tout en étant ouvert aux autres, y compris à ses persécuteurs. C'est un signe de force morale. Je vois beaucoup de gens parmi les intellectuels issus de l'immigration postcoloniale (on ne sait plus comment nommer cette catégorie sociale) refuser agressivement l'universalisme. Ce n'est pas la bonne approche. Bien sûr l'universalisme abstrait ne vaut rien, mais dire que seules les femmes violées peuvent dire quelque chose de pertinent sur le viol, seul les noirs issus de famille d'esclaves peuvent parler de la traite etc tout cela n'a pas de sens, et ne mènera à rien. De même que ne mène à rien par exemple cette indignation sélective d'un collectif musulman contre des exécutions d'Ouïgours et de Tibétains en oubliant bizarrement (et dans une logique bien communautariste) de citer aussi les Hans qui ont été exécutés, comme si eux n'étaient pas aussi dignes de solidarité (voir l'intéressant prolongement de cette réflexion sur le blog de Bernard Fischer en terme de vision du rapport entre Chinois et Musulmans). Et voilà le genre de propos qu'il faut tenir sur un blog pour contribuer à garder ce qu'on considère comme un juste cap, et un ton juste, dans le combat anti-impérialiste.

J'aurais beaucoup de choses à vous dire en ce moment car ce que je vis au jour le jour est très riche. C'est une des raisons lesquelles d'ailleurs je voulais abandonner ce blog, mais ne le puis. Il y a tous ces paradoxes des identités postcoloniales que j'affronte dans la ville ou je travaille.

Il y a tous ces gens d'origine maghrébine qui me parlent de leurs aïeux morts pour la France et rappellent qu'à cause de cela ils sont "plus français que Sarkozy". Il y a ce responsable d'une association de "hip hop" (ça existe encore) dont je ne connais pas l'origine culturelle (probablement l'Afrique subsaharienne) mais qui rêve de mener une action de coopération avec le Maroc. Quand je lui dis "Nous on voudrait organiser quelque chose sur l'Algérie". Il me répond : "ah oui, l'Algérie, oui pourquoi pas ? j'avoue que nous on a pensé au Maroc principalement à cause des publicités pour le tourisme". N'y a t il pas là une perversion de l'élan de solidarité par le capitalisme ?

Personnellement je n'apprécie guère la coopération nord-sud telle qu'elle existe (car c'est de la charité, et de la charité intéressée). C'est pourquoi je vais peut-être faire prochainement la recension du livre "En finir avec la dépendance à l’aide" de Yash Tandon (http://www.cetim.ch/fr/publications_details.php?pid=172). Mais je dois reconnaître qu'elle est actuellement un moyen essentiel d'initier les jeunes à l'internationalisme et de défragmenter leur imaginaire. Dans l'action concrète on ne peut faire l'économie d'un investissement dans cette dimension. C'est d'ailleurs ce que font aussi les Cubains, qui eux ont inventé semble-t-il une coopération vraiment altruiste, non condescendante, puisqu'ils lui consacrent une part très substantielle de leurs faibles ressources économiques. L'ambassadeur cubain Orlando Requeijo que j'ai rencontré il y a peu décrivait avec lyrisme ces centaines de pauvres descendus des montagnes en Haïti pour se faire soigner à l'hôpital cubain bien que les médias de droite sur les radios privés accusassent les chirurgiens cubains d'être des bouchers et de "casser le marché de la santé".

 

Et l'espace d'action pour la coopération est infini. Une dame hier qui mène un projet dans l'Est du Sénégal parlait de ces contrées horribles où il fait 48 degrés à l'ombre, où des mouches "pisseuses" infligent sur la peau des brûlures au cinquième degré, où seulement 150 enfants sur 500 ont accès à l'école, où les savoirs sont si déstructurés que les lits sont bancals parce qu'on ne sait pas mesurer les planches, et personne ne sait changer une rustine. D'un point de vue philosophique le sens de la vie de cette partie là de l'humanité - et ils sont des centaines de millions - pose autant de questions que celui du type qui a vécu 25 ans dans un état diagnostiqué à tort comme comateux, alors qu'il était conscient de tout mais ne pouvait rien exprimer. Or aucun système politique digne de ce nom ne devrait légitimement ignorer ce "poids mort" de l'humanité, toute cette masse de gens qui vivent dans un état pire que celui de nos bêtes, et ce à quelques kilomètres seulement des quartiers très riches de Dakkar. Des hommes comme Hugo Chavez ont fait de ces pauvres, de ces sans-voix, la boussole de leur politique, au niveau national, mais aussi international (il s'intéresse d'ailleurs de plus en plus à l'Afrique à cause de cela). Tout politicien digne de ce nom devrait faire de même. Et plutôt que de placer le soldat Shalit (voyez la glorieuse visite de Kouchner à sa famille au mépris de celle de Salah Hamouri) ou le bien être de nos banques au centre de leurs préoccupations, c'est à la reconstruction de la cohésion de notre humanité que nos gouvernants devraient travailler en priorité. C'est sur ce critère là que toute la réflexion devrait s'articuler.

Mais comme nous en sommes loin, et comme les idées restent confuses ! La lectrice de ce blog Catherine attirait mon attention avant hier sur le texte d'un Russe en faveur d'une réorientation de nos économies libérales(http://globalresearch.ca/index.php?context=va&aid=16200). La semaine dernière je recevais une délégation chinoise qui voulait copier le système de protection sociale français, mais ils prônaient aussi dans le même temps la privatisation de la gestion des parcs d'activité industrielle au nom du "pragmatisme". Chez beaucoup la cohérence semble très difficile à tenir.

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Recalibrage de mes activités

20 Novembre 2009 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Ecrire pour qui pour quoi

Je m'en excuse auprès des lecteurs de ce blog qui le consultent pour avoir des informations générales sur le monde, mais ce site est censé aussi informer les lecteurs du devenir de mes petits livres et de mon itinéraire.

Je fais donc le point ce soir (ou ce matin, puisqu'il est presqu'1 heure du matin), de retour d'une séance de signatures à laquelle presque personne n'est venu (malgré 50 promesses de visites sur Facebook). Je vais recalibrer mes activités en format très réduit et souterrain. J'ai envoyé à mon éditeur mes deux derniers manuscrits (qu'il ne publiera pas avant longtemps de toute façon, compte tenu de la faible affluence des lecteurs vers mes livres) et renonce pour longtemps à ce travail d'écriture auquel j'avais presque failli croire lors de la publication de "La révolution des montagnes". J'écrirai peut-être à l'occasion sous forme de livre un petit compte rendu de voyage en Abkhazie s'il est confirmé que je m'y rende prochainement (mais ce n'est pas sûr), et rien de plus (seuls ces petits travaux de journaliste sont appréciés par les lecteurs à cause de leur contenu informatif mais je les trouve personnellement assez dépourvus d'intérêt à la longue). De même je continuerai à l'échelle artisanale mon activité anti-impérialiste à Brosseville. Mais très modestement, et avec beaucoup de scepticisme (vu tous les biais que je découvre dans les stratégies et tactiques des groupes de "résistants"). Conséquence de mon recalibrage d'activité à un niveau très humble et invisible, le présent blog devrait prochainement se tarir, de sorte que j'invite d'ores-et-déjà ses rares lecteurs à l'éliminer de leurs signets et se reporter sur des sites plus utiles.

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Hiérarchies dans les petits salons du livre

14 Novembre 2009 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Ecrire pour qui pour quoi

Les petits salons se vantent d'échapper aux hiérarchies des prix littéraires. Pourtant l'égalitarisme n'y est que de façade. Exemple de celui où j'étais cet après-midi.

Nous étions 4 à attendre le minibus à la gare RER (sur les 50 auteurs invités). Nous ne nous connaissions pas. Une femme et trois hommes. Dans le minibus, la femme - qui publie chez un petit éditeur, mais diffusé par le Seuil... - me dit "comment ça, vous ne restez pas pour diner ? mais si vous avez le prix ça la fichera mal". Elle a déjà songé au fait qu'on ne peut partir après le prix, ce qui ne m'a pas effleuré - et pour cause : je n'ai jamais pensé avoir el prix.

Nous arrivons au théatre où se passe le salon. Nous nous attendons à ce que les 4 soyons logés à la même enseigne et fassions la visite des lieux ensemble. Mais là, surprise : la femme qui était avec nous est prise à part. On ne la reverra plus. Première entorce à l'égalité : certains sont plus attendus que d'autres.

Deuxième source d'inégalité : dès que nous entrons dans le théatre, quelqu'un interpelle une des personnes parmi les trois qui restions. Il la connaît et lui parle de son livre. Les deux autres (moi et un vieux du minibus dont je n'ai jamais su le nom) seront livrés à eux-mêmes et priés de déjeuner par leurs propres moyens : outsiders d'emblée.

Après le déjeuner j'apprends que certains écrivains seront conviés à des tables rondes pour évoquer leur parcours, ce qui ne sera pas mon cas. On m'indique que les tables rondes ont été constituées par les personnels administratifs de la ville (une ville de droite, je le mentionne à toutes fins utiles quand on sait combien la fonction publique territoriale est politisée).

Au stand où je suis il y a trois écrivains. Une femme qui a publié chez un gros éditeur et qui a déjà fait six ou sept salons (dont celui de Paris). Une autre qui publie chez un petit en province et qui a fait un salon à Lyon (elle a connu cet éditeur en grenouillant dans le milieu littéraire et artistique de sa province).

La femme qui bosse chez le gros éditeurs en est presque une salariée. Elle vend pas mal, mais toujours avec des contraintes de délais et doit accepter que l'éditeur sabre ses textes (ce qui n'est pas mon cas). Je ne sais même pas si elle a le droit de choisir ses sujets. Celui de son roman est une biographie romancée d'une femme d'artiste (sujet en or, proche de l'essai, et cependant délassant pour le lecteur, qui attire beaucoup de monde). Elle signera beaucoup de livres.

Deux membres du jury successivement passent à notre stand - deux personnes âgées. L'une n'a pas lu mon livre, l'autre dit "c'est politique" en ayant du mal à cacher le mépris que le mot "politique" lui inspire. Il est clair que ce jury - quatre fois dix personnes, dont vingt dit ont ont lu tous les livres - sont des bourgeois retraités.

Le public qui vient au salon présente le même profil. Du coup la petite dame de Nice à ma droite  a un avantage comparatif sur moi parce que son sujet - sur la mémoire des exilés italiens - ne choque pas et même attendrit les vieilles dames qui viennent assez nombreuses (peut être cinq ou six dans l'après-midi) demander des dédicaces. Il va sans dire que personne ne m'en demandera. De toute façon je ne suis pas venu pour ça. L'étude des mécanismes du salon m'intéresse davantage et dès 16 h j'ai quitté mon stand pour aller prendre un verre avec un pote à la buvette.

Le prix sera finalement remis par Dominique de Villepin (un ami du maire) à la jeune femme qui était dans le minibus le matin (et qui avait sans doute été briefée  à ce sujet dès son arrivée). La machine littéraire bourgeoise aura tourné sur elle-même à plein rendement.

J'en ressors avec la conviction qu'il ne faut pas publier de livre (même si j'essaierai encore de caser un ou deux manuscrits qui restent dans mes tiroirs), en tout cas pas de la fiction. Un roman n'est publiquement défendable que s'il s'inscrit dans une thématique acceptable par des publics conservateurs. Les fictions qui sortent de ce créneau sont partout marginalisées. Il faut avoir le sentiment d'une profonde nécessité de ce qui est écrit pour ensuite le soumettre au public (ce qui était mon cas pour le premier roman mais ne le serait sans doute pas pour un second). Aussi bien les jurys que les visiteurs des salons (même des plus petits) sont extrêmement formatés dans leurs goûts. Seule une légitimation forte par un grand éditeur et un fort travail relationnel (par exemple des attachés de presse) avant le salon pourrait aider à infléchir un peu ce formatage, mais il est peu probable qu'aucun grand éditeur fournisse le moindre effort dans ce sens pour des ouvrages qui sortent du goût dominant. Autant dire par conséquent que le système est parfaitement verrouillé. Et qu'il vaut mieux donc soit écrire des essais solides, soit tenir des blogs sur Internet : ces deux voies sont les seuls moyens "d'écrire utile".

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Crépuscule de l'écriture

10 Septembre 2009 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Ecrire pour qui pour quoi

Je relisais l'Art du Roman de Kundera ce soir. J'avais oublié à quel point ce livre était réactionnaire (son anti-soviétisme, son apologie des Habsbourg, dire que j'ai baigné là dedans il y a 20 ans). Et puis cette façon qu'il avait de partir de Husserl et Heidegger pour les concurrencer sur leur propre terrain. Un peu pathétique. Reliquat du temps où la philosophie régnait en maitre (en maîtresse ?) sur les classes littéraires. Ce livre est daté.

Comme sont datés les films de la série Magnum que je regarde le soir avant de m'endormir. Ces scènes de violence si stylisées, ce machisme de pacotille, avec du romantisme facile, chronique d'un sexisme ordinaire. Tout cela sentait encore son petit univers bien ordonné encadré par les valeurs scolaires (celles du majordome anglais). Vraiment un autre monde.

Aujourd'hui je lis dans l'Express (sur Internet) des horreurs sur les jeunes ados qui demandent aux filles de leur envoyer des photos d'elles nues. On avait la même chose hier dans Le Monde. Encore l'attendrissement des journalistes sur le sort des filles est-il sans doute un fait de génération (l'influence de Magnum), parce que dans la réalité la jeune gent féminine n'est sans doute pas en reste pour elle aussi renverser les tabous, si j'en juge par ce que je vois sur Facebook.

Ce qui frappe surtout en ce moment c'est l'abandon généralisé des références culturelles classiques. En 1989 on jouait encore avec elles. En 2009 on les ignore complètement (c'est ce qui permet aux articles d'une Hassina Méchaï de ressortir par effet de contaste). Or on y perd. Et beaucoup. Notamment en recul à l'égard du réel. Nous souffons tous d'un excès d'émotivité dû au manque de culture. Tout devient hystérique en nous, parce que nous perdons le sens du style, et cela est vrai parmi les partisans du système comme chez ses adversaires (voyez par exemple certains articles délirants sur les "mensonges de la grippe A", presque aussi stupidement excités que le martelage dans l'autre sens, sur le même thème, par le journal de 20 h).

Naguère on s'appliquait à contrer la culture dominante. Maintenant ça n'a plus de sens. Puisqu'il n'y a même plus de culture nulle part (au sens où on l'entendait autrefois). C'est vrai particulièrement dans le domaine de l'écriture qui n'est plus qu'informative. Même ceux qui écrivent des romans ne cherchent qu'à "informer" les autres de leur imaginaire (voire de leur propre vie). Mon éditeur me disait hier que pour un manuscrit de sciences humaines il en recevait 10 de littérature (roman, poésie). Chaque petit égo doit cracher son petit sperme littéraire. Pauvres éditeurs !

Mais la nostalgie ne sert à rien. Et puis cette vieille culture c'était largement de la fausse monnaie indexée à des valeurs de hiérarchie sociale, à des prétentions spiritualites aussi (l'héritage chrétien). Il fallait l'amender de toute façon. L'était-elle ans subir un bazardage complet ? Je ne sais.

Pour ma part j'ai écrit (et publié) un roman. Il n'y en aura jamais d'autres, malgré certains éloges qu'il m'a valu.

Je voudrais tirer toutes les conséquences de la mort de l'écriture en ne postant plus sur ce blog que des vidéos. Qu'en dites vous ? Tous les jours je me filme parlant d'un sujet pendant 10 mn, je le poste sur You Tube puis sur ce blog. Une manip' un peu lourde, mais pourquoi ne pas essayer ? Mieux encore : il faudrait que vous me donniez un sujet chaque jour. Ca me donnera encore plus envie d'en parler. C'est trop vous demander n'est-ce pas ? Vous aimez tant, chers lecteurs, la passivité et le zapping... Allons relevez le défis ! envoyez moi des sujets, n'importe lesquels : Brejnev, Kierkegaard, le sextoys, les feuilles de menthe, les poils de chats, n'importe. Donnez moi des sujets, je vous ferai la causette. Ainsi nous cesserons de mobiliser de l'écriture pour rien.

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Les "dingues de l'écriture"

5 Septembre 2009 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Ecrire pour qui pour quoi

Irene Delse, qui, je crois, écrit des livres pour enfants, m'a envoyé un lien avec un site qui dit : "Ca vous dirait, une nuit blanche ? Samedi 5 septembre au soir, de 21 heures 30 à 4 heures, je vous propose d'écrire 10 000 mots du texte de votre choix." Ce forum prétend réunir des gens qui se perçoivent comme des "dingues de l'écriture..."

C'est marrant - dans l'Occident démocratique devenu "néolibéral", les gens qui écrivent sont devenus comme les cathos intégristes, les buveurs de bière, les fétichistes du pied et les collectionneurs de timbres : une association, une "communauté" parmi d'autres. Plus rien de sacré là dedans (je me rappelle les textes ennuyeux de Walzer sur cette cohabitation des inclinations dans la diversité libérale). L'écriture n'est plus qu'une marotte, une perversion de "dingue" même. Tout cela devient d'un ennui infini... à hurler... En ce siècle il n'y aura plus de Gide, mais il y aura des Lafcadio, je le crois bien.

J'ai reçu le programme du salon du premier roman de Draveil en novembre. Beaucoup de gens qui y sont allé disent qu'ils y furent traités comme des princes. Je crois bien que c'est le cas au vu de ce que je lis dans cette lettre. Peut-être les jeunes romanciers y éprouvent-ils pour la première et dernière fois de leur vie ce à quoi les écrivains de la jet set ont droit toutes les semaines pendant des années.

Au même moment je reçois des mails sur la manière de constituer un front syndical uni à la base en France malgré les trahisons des appareils. Des mails qui accusent la direction de la CGT de capituler devant Sarko et le Medef. Il y a des gens en France qui continuent à prendre ce genre de question très au sérieux et à lui consacrer beaucoup d'énergie. Ils ont sans doute raison car on ne changera pas notre société sans une mobilisation syndicale audacieuse. Les partis politiques ne suffisent pas. En même temps le combat syndical pour aussi nécessaire qu'il soit n'est pas l'omega de toutes les luttes. Il recherche une sécurité indispensable pour les travailleurs, mais il faut aussi leur proposer un horizon au delà de la sécurité. Des formes d'égalité et de liberté auxquelles ils ne songent même pas. Cet horizon là, c'est aux "dingues de l'écriture" de l'apporter, pour un peu qu'ils arrivent à se penser autrement que comme une "communauté" de fétichistes. Mais ils furent rares dans l'histoire les moments où les hommes et les femmes de plumes eurent conscience d'une complémentarité entre leur oeuvre et les nécessités du changement social. Et ça ne va pas en s'arrangeant.
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La flèche et la cible

14 Juillet 2009 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Ecrire pour qui pour quoi

C'est une vieille métaphore nietzschéenne : un penseur lance une flèche, un autre, parfois quelques siècles plus tard, la ramasse;

Pour un type comme moi qui n'a guère de réseau (même si parfois on pense à lui pour un congrès internationaliste ici ou là), qui ne vend guère ses livres, ne visite pas les médias etc, il est très difficile de savoir où tombera la flèche qu'il lance. L'avantage est que l'on a ensuite du temps, tout son temps même, pour s'intéresser à la personne qui l'a ramassée.

Aujourd'hui je reçois un message d'une des rares lectrices de mes textes. Elle a 35 ans, elle prépare une thèse en histoire dans une université de la côté est états-unienne ... sur la polémique du foulard islamique en France...

Elle m'écrit en anglais "Do you have any opinion about Sarkozy and the Burqa? Thanks, PS: My apologies for writing in English but my written French isn't that good. "

Malgré les apparences, elle est italienne. Elle a obtenu une bourse pour les Etats-Unis en 2002.

Pour elle, tout ce que j'écris sur la burqa et le niqab est juste et évident. Oui, bien sûr, ce discours universaliste de la laïcité et de la libération de la femme est une forme de racisme subtil, ça ne fait aucun doute. Non seulement c'est clair pour elle, mais ça l'est aussi pour les gens qui l'entourent dans son université outre-atlantique. Elle ne comprend même pas que ça ne crève pas les yeux des gens en France.

Elle s'intéresse au racisme des classes populaires, et celui des petits bourgeois de gauche. Elle veut écrire là dessus. Aux Etats-Unis on ne connaît que "Fadela Amara et Ni putes ni soumises" me dit-elle. Elle est d'accord pour que je lui fasse rencontrer des gens en France. Elle ne demande pas mieux.

Quand on creuse un peu son background, on apprend que ses parents sont nés en Libye. Des familles de petits colons. Maman votait communiste, papa était un chef de PME apolitique. Voilà la troisième jeune femme italienne que je rencontre dont un ou deux parents votaient pour le PCI ou y militaient... toujours cet héritage du 20 ème siècle, étonnant, qui plonge ses tentacules dans le nôtre. Pourquoi sont-ce toujours les filles qui reprennent le flambeau ?

Et donc cette lectrice dit du bien de mes textes, m'encourage à continuer, sousentend qu'ils sont utiles, qu'ils l'aident à formaliser sa propre pensée sur son sujet de thèse. Pour un peu je cèderais à la tentation de la croire, et penserais qu'il sert vraiment à quelque chose que j'écrive. Heureusement au bout du compte mon scepticisme l'emporte à nouveau. Mais au moins j'aurai vu cette fois ci où l'une de mes flèches est tombée.
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Routine de la glauquitude

11 Juillet 2009 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Ecrire pour qui pour quoi

Un type a déboulé sur ce blog pour expliquer que les gens de gauche ne devraient pas frayer avec les islamistes, qu'ils devraient en revanche être menaçants envers les Chinois qui massacrent les "yogourts" comme dit Kouchner (je rends hommage à la modération de M. K sur ce coup là, même si sa culture générale ne décolle pas)... blabla solipsiste d'un garçon (un de plus) qui veut se sentir équanime et équitable, au risque de tout mélanger (mais le mélange est si tendance n'est-ce pas), donneur de leçons en herbe, gastronome en culotte courte, bref, le parfait blogueur devant son écran.

Mon éditeur veut bien publier l'espèce d'autobiographie intellectuelle qu'en désespoir de cause je lui ai adressée par mail il y a 3 trois jours (une autobio pour expliquer un peu ma vision de la philo, de la socio etc, qui m'éviterait d'avoir à tout expliciter à chaque fois que je prends la plume) mais il voudrait que je fasse (que je fisse) une séance de dédidaces à la rentrée à Paris pour en vendre. Maudit star system. Les éditeurs en ont besoin pour vendre (et je vends terriblement peu, je fais perdre des sous même). Mais "parler c'est sale" disait Deleuze. Parler avec qui ? avec des blogueurs qui vont m'expliquer qu'il faut haïr le "régime chinois", et bombarder tous les barbares de la planète ? Amis de Brzezinsky je ne suis pas des vôtres !



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Mols oreillers

16 Mai 2009 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Ecrire pour qui pour quoi

Ma vie psychologique était mille fois plus confortable il y a 20 ans qu'aujourd'hui, et ce notamment parce que je cultivais alors trois croyances toutes plus futiles et plus puériles les unes que les autres, mais qui avaient encore droit de cité dans la France de l'époque.

1) Je croyais en la Providence. Je n'avais plus le mauvais goût de croire au Dieu chrétien et en ses Evangiles, mais en la Providence oui, une force, quelque chose, qui se préoccupait de l'humanité et de ma propre vie, qui ne me laisserait pas crever de la manière la plus sordide et la plus absurde. Croyance d'enfant gâté habitué à ce qu'un regard bienveillant soit posé sur lui depuis la naissance. Avec ce genre de croyance, on est loin de penser que notre espèce est animale "comme les autres" évidemment, et l'on fait confiance à l'avenir, quelles que soient les difficultés du moment.

2) Je croyais en la Femme. C'est à dire en la transcendance du sexe opposé, ou du moins de certaines de ses composantes. Je croyais que quelqu'une quelque part pouvait réunir en elle toutes ces qualités idéales qu'on nous avait conditionnés, nous autres mâles, depuis l'enfance, à grand coups de films hollywoodiens, à prêter aux êtres femelles. Qualités idéales bien typées, sans doute pas aussi "passives" que ne l'ont dénoncé les féministes, mais susceptibles, certainement, d'enfermer les personnes réelles. Sans doute fallait-il bien qu'un jour cet idéal fût renversé, mais à l'époque il transformait l'itinéraire des jeunes gens ambitieux en une quête onirique du Graal.

3) Je croyais au Génie, et aux Oeuvres culturelles. Une croyance sans doute dérivée de l'imaginaire scolaire. Je pensais qu'un bon Livre, un grand Livre, valait toutes les existences, et qu'un tel livre s'il venait à être produit s'imposerait de lui-même comme une Lumière, veritas index sui. Qu'un tel livre s'écrivait par la magie du Génie, et que le Génie, partiellement inné, se travaillait et se perfectionnait dans l'écriture. Voilà pourquoi je pouvais passer des soirées d'été à écrire un roman et d'autres choses plutôt qu'à tenter d'exister autrement (par exemple en me faisant des amis). Et j'étais certain qu'en produisant un grand Livre, un jour, j'aurais ma revanche sur les abrutis que j'avais dû supporter pendant des années.

Si j'avais gardé cette dernière croyance, je ne supporterais tout simplement pas maintenant les imbéciles qui, en particulier dans mon milieu professionnel, à longueur d'année me détournent de l'écriture de mes essais et de mes romans, et surtout, j'en voudrais à mort à tous ceux qui par leur négligence, leur indifférence, ou leur hostilité, m'empêchent d'accéder à une reconnaissance sociale par laquelle je pourrais plus aisément trouver le temps et la force d'écrire. Car ils sont légions en ce moment, par leurs actions ou par leur inaction, à me contraindre à reporter indéfiniment mon travail sur des livres que j'ai commencé à écrire il y a un an, il y a cinq ans. Mais aujourd'hui je suis bien loin de penser pouvoir tenir ces gens à distance, ni même avoir le droit d'espérer prendre une revanche un jour sur eux, car je sais que les livres, tous, même les meilleurs, ne valent presque rien dans le monde actuel, et que les oeuvres sont vouées, même si elles sont bonnes (ce que ne sont pas encore les miennes), à ne plus éblouir personne.

C'est ainsi qu'en vingt ans cette mythologie qui avait sa place partout, naguère, chez les esprits lettrés a été évincée de son piédestal et qu'il m'a fallu, qu'il nous a fallu (car je me souviens d'amis qui la partageaient peu ou prou) apprendre à vivre sans elle, à vivre dans l'ombre, dans la froidure, loin de toute la chaleur qu'elle nous procurait. Certains disent qu'en perdant cela notre époque s'est enfoncée dans la barbarie, d'autres qu'elle s'est libérée et a acquis une vision plus noble du combat : un combat sans filet, et sans récompense à attendre. Je ne sais. Le prix du deuil fut élevé. C'est ma seule certitude.
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