Articles avec #peuples d'europe et ue tag
Poésie donetskienne
Voilà qui m'apprendra à laisser mon téléphone portable au fond d'un tiroir (non, en fait j'ai bien l'intention de l'y laisser jusqu'à la fin du mois) : je tombe cet après midi sur un message déposé sur mon répondeur hier de... BBC Afrique... La journaliste me demande mon avis sur le convoi humanitaire russe à destination du Donbass...
Bon, je suppose que le sujet a un peu trop vieilli pour qu'il soit utile que je la rappelle (24 heures dans le milieu des médias c'est énorme...).
A part ça, mon camarade avec qui je vais écrire le livre sur la République populaire de Donetsk est arrivé dans le Donbass hier soir. Il m'écrit ce matin : "Cher Frédéric, Ce petit mail pour te confirmer que je suis bien arrivé sur le terrain des combats. Je suis entré ce matin à l’aube dans Dontesk (la nuit passée, à cause des bombardements sur la route, cela n’a pas été possible : mon chauffeur n’a pas voulu et nous nous sommes arrêtés dans une bourgade à quelques kilomètres de la ville). Un de mes contacts à Donetsk, pro-russe, est un poète ukrainien assez connu ici ; il parle très bien le français (sa femme réside d’ailleurs à Paris où ils ont un appartement). Il se bat avec les mots mais aussi avec les armes (il s’est enrôlé dans une milice, malgré son âge – il a plus de soixante ans)."
J'aime l'idée qu'il y ait des poètes dans l'armée de Donetsk. Je ne sais pas pourquoi ça m'a fait penser aux images de cette vidéo sur l'Abkhazie à la minute 2'35.
"La lente reconquête du Donbass et l’enlisement du régime de Kiev"
Bernard-Henri Lévy a une curieuse manière de présenter les mineurs et les ouvriers du Donbass enrôlés dans les milices d’auto-défense de la République populaire de Donetsk : «Dans l'est de l'Ukraine, le moins que l'on puisse dire est que Poutine a joué avec le feu, écrivait-il dans le bloc-note du Point fin juillet. Il a ramassé et mobilisé ce qu'il y avait de pire dans la région. Il a transformé en soldats des voyous, des voleurs, des violeurs, des repris de justice, des pillards.» Ses mots ont le mérite de mettre des images colorées sur l’opinion distillée par nos grands médias à longueur de journées à propos des milices d’auto-défense du Donbass.
Ces grands médias s’intéressent cependant davantage à leurs missiles. Et sur ce point, la destruction de l’avion de lignes MH 017 de Malaysia Airlines est devenu un enjeu majeur de propagande de guerre à l’Ouest.
Dans un premier temps, il ne s’était agi « que » de mettre en cause les séparatistes de Donetsk. La suite de cet article sur Esprit Cors@ire ici
Ukraine
Le site Esprit Cors@ire m'a commandé un article sur l'Ukraine, mais le temps me fait défaut pour trier les infos contradictoires sur la destruction de l'avion de Malaysia Airlines, comme sur le siège de Donetsk. Je vois que la coalition gouvernementale de Kiev explose. Rivalités entre le clan de Tymochenko et celui de Klitchko. Les néo-nazis de Sloboda retirent leurs billes. Comme lors de la première révolution orange, l'élan pro-occidental se brise sur les luttes de clans et sur la pénurie d'argent, car bien sûr, l'Union européenne ne met pas la main au porte-feuille. Porochenko se demande comment il va payer ses fonctionnaires et ses chars d'assauts. Décidément ce pays n'a pas fini d'osciller entre l'Est et l'Ouest. En attendant, les habitants de Donetsk meurent sous les missiles Grad selon Human Rights Watch (les missiles du gouvernement, il va sans dire)... alors que le parlement prépare une loi de décentralisation. L'absurde une fois de plus...
Commémoration de l'assassinat de François-Ferdinand, archiduc d'Autriche
Je désapprouve bien sûr les commémorations de l'attentat de Sarajevo de 1914 qui sont une réhabilitation de l'empire des Habsbourg et déplore la participation des autorités françaises à ce spectacle de pantomime aux côtés de l'histrion Bernard-Henry Lévy. Quiconque connaît un peu l'histoire sait que personne parmi les progressistes n'a jamais éprouvé la moindre nostalgie de l'Empire austro-hongrois à sa chute, et même un esprit progressiste mais aussi peu combattif que Stefan Zweig reconnaissait que personne en Autriche-Hongrie n'eût été enclin à déplorer le décès du très impopulaire archiduc François-Ferdinand, si la presse pangermaniste autrichienne n'avait joué sur les peurs de la population.
Je comprends la décision des Serbes de Bosnie et de Serbie de ne pas s'associer à cet exercice de diabolisation de Gravilo Princip, militant yougoslaviste, qui fut traité dans toute la Yougoslavie, y compris sous la dictature de Tito qui pourtant n'était pas serbe, comme un héros. Sans doute le principe de l'assassinat politique est-il blâmable mais tout aussi blâmable était la survie des empires cléricaux racistes et rétrogrades en Europe centrale au début du XXe siècle.
Toujours les mêmes rouages...
En France l'UMP à 20 % derrière le FN, le PS à 14. En Espagne le PP qui dégringole à 26 % et le PS à 23 (avec une gauche de la gauche à pratiquement 10 % et un mouvement citoyen inspiré de la gauche équatorienne à 8 %).
Diputados | Votos | % | ||
---|---|---|---|---|
PP | | 16 | 4.074.307 | 26.06% |
PSOE | | 14 | 3.596.265 | 23.00% |
LA IZQUIE | | 6 | 1.562.555 | 9.99% |
PODEMOS | | 5 | 1.245.943 | 7.97% |
UPyD | | 4 | 1.015.989 | 6.50% |
CEU | | 3 | 850.690 | 5.44% |
OTROS | 6 | 1.748.601 | 11.16% |
ERC devance tous les autres partis en Catalogne. Au Royaume Uni Ukip écrase les autres partis avec 29 % (et perce même en Ecosse où le SNP arrive en tête) et les Verts se placent en quatrième position. En Italie si la gauche social-démocrate effectue une bonne poussée et dépasse les 40 % pratiquement dans toutes les régions, le parti 5 étoiles fait encore plus de 20 %.
Parmi les grands pays, il n'y a guère qu'en Allemagne (et l'on comprend pourquoi), que le paysage politique reste à peu près "traditionnel" avec une CDU à 30 %, et un SPD à 27 devant les Verts à 10 et Die Linke à 7 (et largement au dessus de 15 % dans tous les Länder est-allemands). On comprend pourquoi : l'Union européenne ne fonctionne qu'au profit de ce pays là... Dans les petits pays, la droite arrive en tête sauf au Portugal, en Grèce, en Roumanie, en Slovaquie et en Suède, au Danemark c'est même l'extrême-droite qui l'emporte
Ca dérive pas mal dans ce scrutin dépourvu de tout sens en termes de pouvoir politique réel. Nul doute que par delà la rhétorique les milieux dirigeants y verront encore argument pour continuer "comme avant" : négocier le traité transatlantique à Bruxelles sans consulter les élus, limiter les possibilités d'initiatives citoyennes etc.
Prochains enjeux : l'éventuelle sécession écossaise, le risque d'éclatement de la Belgique, voire de l'Espagne, la possible sortie du Royaume-Uni de l'UE (encore qu'on puisse compter sur la rouerie des pouvoirs en place pour n'agiter le spectre de ces transformations que pour faire en sorte que rien ne change)... La dialectique du défoulement et de la tromperie, qui est la logique du rapport citoyens/dirigeants sur notre continent depuis plus de vingt ans devient en soi une forme institutionnelle. Est-il d'ailleurs utile en quoi que ce soit de la commenter ? L'essentiel en politique ne se joue-t-il pas ailleurs, dans un impensé, dans une innovation créatrice qui n'a pas encore émergé, mais dont le terreau se trouve peut-être déjà là, quelque part, là où justement personne ne regarde ?
Restons attentifs...
Dites moi pour qui voter
Séjour dans le Sud-Ouest. Mais pour qui voter ? Voilà qui me rappelle la chanson de mon enfance (1977) ci-dessous. Depuis que les chevènementistes ont renoncé à présenter une liste à laquelle je devais être associé, ma libido electoralis est en berne dirais-je pour plagier le Doctor Angelicus... Je pourrais bien ne pas voter du tout puisque cette assembée européenne est bidon (déjà que je ne fais pas beaucoup d'efforts pour participer aux scrutins nationaux). Mais puisque je suis au pied de mes montagnes, difficile de ne pas faire le détour par l'isoloir.
Je lis toujours Simone de Beauvoir, par petites touches, son "Tout compte fait". Des récits de voyages. Toujours un peu stéréotypés dans le style, avec ses formules "obligées" depuis Chateaubriand : "les paysages nus", "les rochers escarpés". Beauvoir était une grande bourlingueuse comme chacun sait. Elle a le mérite du parti pris de la sobriété, comme Cocteau, c'est toujours un signe d'honnêteté. Mais sur Anaïs Nin, sur George Sand, elle se plante largement, je trouve. Sur Malraux je lui donne raison.
J'ai pris un TER hier entre Pau et Saint-Gaudens. Charmant tortillard à flanc de montagnes qui à chaque station - Lourdes, Tarbes, Lannemezan, Montréjeau - se remplit de collégiens excités (mais moins fumeurs de teush que dans mes trains franciliens c'est déjà cela). Le paysage s'orne de fleurs sauvages, de champs où paissent les moutons et les chevaux. Le domaine pyrénéen, patrie de Phoebus, est une aire géographique si étrange, coupée de tout, le "bout" de la France, celle dont la France ne sait rien faire. L'église de Saint-Gaudens qui toise avec mépris la grosse papèterie fumante en contrebas, anachronique comme un extrait de Dickens dans un discours de François Hollande, rappelle les vicomtes de Foix, et le temps des principautés montagnardes. Au bistrot en face de la Gare ce matin, les quinquagénaires à l'accent gascon rivalisaient de théories en philosophie politique avec ceux du pays d'oïl, de plus en plus nombreux dans ces contrées (mon chauffeur de taxi hier en était un, après 20 ans de bons et loyaux services dans l'Essonne). Tous s'entendaient pour dire que "De toute façon l'Europe ça ne peut pas se faire" - ce qui est déjà moins tragique que les "L'Europe nous tue" de mon chauffeur de taxi sicilien de 2012.
Il faut que j'écrive un petit billet pour le blog de l'Atlas alternatif sur les pressions américaines sur l'Algérie. Demain peut-être...
Crimée : la spirale du « devoir de protection »
Six ans après la reconnaissance unilatérale du Kosovo par les Occidentaux, la boite de Pandore du « devoir de protection » (« responsibility to protect » dans la logomachie onusienne) ne peut plus être refermée. Après que la Russie ait reconnu l’indépendance de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud – suite au coup de force de Mikheil Saakachvili allié aux néo-conservateurs américains –, voilà qu’elle réplique au coup d’Etat de Kiev par l’annexion de la Crimée. La suite sur Esprit cors@ire ici.
"Le viol de l'Ukraine"
Bon, on tente d'oublier les violences et les actes de piraterie en tout genre subis cet hiver. On essaie de reprendre le travail minutieux, patient, lent, inscrit dans la durée, que nous menons depuis 15 ans. Vous savez que je suis un défenseur des libertés individuelles et collectives, adversaire résolu des actes de viol de toutes sortes, viol des individus, viol des consciences, viol des peuples, tout ce qui s'apparente au côté "je refuse le dialogue, j'impose mon point de vue, ma violence, je pille et je me tire avec la caisse après avoir profité des situations" (quels que soient les alibis qu'on s'invente pour se comporter de la sorte). C'est pour cela que j'ai intitulé mon premier article pour l'excellent site "Esprit corsaire" sur l'Ukraine "le viol de l'Ukraine", car justement, pour le coup, on est effectivement dans une situation de viol...
Voici donc l'article :
Le viol de l’Ukraine
Le 7 février, la sous-secrétaire d’Etat aux affaires européennes et eurasiatiques de l’administration Obama, Victoria Nuland a défrayé la chronique après la publication sur You Tube d’une conversation téléphonique entre elle et l’ambassadeur des Etats-Unis en Ukraine, Geoffrey Pyatt, dans laquelle l’intéressée émet des recommandations sur la formation du futur gouvernement de l’Ukraine.
Dans cette conversation elle décrit l’ancien ministre de l’économie Arseni Iatseniouk (qu’elle appelle “Yat”) comme “le mec qui a l’expérience économique et celle de la gouvernance” (“the guy with the economic experience, the governing experience”) qui devrait être le premier ministre. Elle suggère qu’il devrait accepter d’être premier ministre comme l’a proposé le 25 janvier le président Viktor Ianoukovitch. Selon elle l’ancien boxeur Klitschko (“Klitch” dans son vocabulaire) devrait rester à l’extérieur (“on the outside”) ainsi que Oleg Tiagnibog, chef du parti d’extrême droite Svoboda, les trois constituant selon elle un trio crucial qu’elle appelle “the big three.”
Cet entretien piraté a nourri divers commentaires, notamment en Allemagne, parce que Nuland y propose en des termes peu amènes (« Fuck the EU ») d’exclure l’Union européenne de la vaste réorganisation politique dont elle se croit l’organisatrice, et recommande que ce soit plutôt l’émissaire de l’ONU Robert Serry qui persuade Klitschko de rester hors du gouvernement (Klitschko était en effet souvent présenté comme l’homme de l’Union européenne et de l’Allemagne où il est résidant).
Devant la levée de boucliers provoquée par son « Fuck the Europe », Nuland s’est excusée pour son vocabulaire, ce qui revenait à confirmer l’authenticité de l’enregistrement, mais n’a pas émis de regret sur le fait d’avoir véritablement cherchée à « téléguider » la composition du futur gouvernement ukrainien.
En France, la directrice de la rédaction de l’ancien journal de référence « Le Monde », Sylvie Kauffmann, dans un article titré « Les cinq leçons du "fuck the EU !" d'une diplomate américaine », est montée au créneau le 9 février pour minimiser la gravité des propos de Victoria Nuland, en reconnaissant qu’il y avait là « une étonnante maladresse, voire arrogance, dans la méthode » (sic) mais en dénonçant surtout l’utilisation des « vieilles ficelles du KGB » par le gouvernement russe accusé d’avoir publié la conversation. Etrangement d’ailleurs, la journaliste ne trouve pas la responsable américaine arrogante dans l’absolu, mais « compte tenu des échecs américains à installer des équipes au pouvoir dans des pays étrangers depuis dix ans ». On retrouve là un codex subliminal très répandu dans l’esprit des atlantistes en France et déjà très visible au lendemain de l’invasion de l’Irak : on approuverait plus aisément la prétention des Etats-Unis à façonner le monde conformément à leurs intérêts si ceux-ci se montraient un peu plus efficaces dans leur politique d’ingérence…
L’agacement de Sylvie Kauffmann se comprend. Les propos de Victoria Nuland apportent de l’eau au moulin de la thèse du gouvernement russe (et de divers cadres du parti des régions au pouvoir en Ukraine) selon laquelle les manifestations qui ont lieu en Ukraine depuis le refus de Kiev de signer un accord d’association avec l’Union européenne seraient un acte 2 de la « révolution orange » de 2004, impliquant le gouvernement américain et les oligarques. Sergeï Glaziev, conseiller du président Poutine, a accusé les Etats-Unis d’investir 22 millions de dollars par semaine dans le soutien aux manifestants, une accusation pour l’heure assez difficilement vérifiable et qui n’a donné lieu à la publication d’aucun rapport circonstancié – mais les coulisses des précédentes « révolutions de couleur » n’avaient été connues qu’après coup, et encore d’une manière fort incomplète.
Pour l’heure en tout cas, malgré les appels des chantres habituels de l'ingérence (A. Glucksman, A. Finkelkraut, A. Besançon) à la mobilisation pour l’Ukraine (dans « Le Monde » du 21 janvier), les plans de l’administration Obama semblent avoir échoué. Arseni Iatseniouk a refusé le poste de premier ministre, et le président Ianoukovitch joue plutôt intelligemment la carte de la temporisation et de l’apaisement, face à une opposition au sein de laquelle l’extrême droite anti-sémite (Svoboda, Pravyi Sektor), qui s’est emparée de sièges d’administrations dans l’Ouest du pays, assume un rôle de plus en plus actif, dans le silence assourdissant de ses partenaires et de l’Occident. Mais le risque de guerre civile perdure, pour la plus grande inquiétude notamment des milieux d’affaire allemands… et du gouvernement de Mme Merkel, qui pourrait bien trouver dans l’affaire ukrainienne, comme sur la Libye et la Syrie, un nouveau point de désaccord avec ses bouillants alliés de l’Alliance atlantique…
Frédéric Delorca