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Le quotidien, les Balkans, l'Espagne austéritaire
J'ai assisté ce matin à des mondanités institutionnelles navrantes qui, une fois de plus hélas, m'ont montré la société française dans tout ce qu'elle a de plus imbécile, de plus vain, de plus lâche, de plus faux et de plus détestable. Et comme cela fait pratiquement 25 ans que j'encaisse ce genre de spectacle épouvantable (qui heureusement m'avait été épargné à Brosseville) j'étais à deux doigts de gerber et de donner ma démission de mes activités professionnelles, ce que j'eusse certainement fait si je n'avais une famille à charge.
A la fin d'une journée comme celle-là j'hésite entre m'investir à nouveau dans un travail d'écriture qui me soustraira à l'épouvantable stupidité de ce monde (même si mon lectorat et assez réduit), ou continuer à mener une action politique hors normes qui au moins me donnerait l'impression d'aider les gens à dépasser la gangue de bêtise qui les écrase dans un projet collectif un peu noble (même si le paysage de forces anti-systémiques est plutôt lunaire en ce moment, et je suis en panne d'idées susceptibles de lui donner un souffle réel...).
Je ne sais pas encore ce que je vais faire, mais l'âge venant je doute que je resterai longtemps dans un esprit de conciliation comme je l'ai été dans les années 2000.
Ceci étant posé, devrais-je vous parler des Balkans ? Le premier ministre serbe M. Dacic a déclaré aujourd'hui qu'il avait exprimé devant la baronne Ashton récemment (la soi-disant responsable de l'inexistante politique étrangère de la risible Union européenne) sa préoccupation de voir cette région "revenir à la période des conflits des années 1990".
C'est que, voyez-vous, il n'y a pas que dans mon milieu professionnel que le monde reste très con. Dans l' "Europe du Sud-Est aussi". Le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY), géniale invention de nos génialissimes élites diplomatiques et juridiques, vient d'acquitter deux criminels de guerre croates, des généraux (alors qu'il n'a jamais raté le moindre colonel serbe...), et, aujourd'hui, dans la bonne ville serbe de Bujanovac, des extrémistes albanais ont aposé une plaque en hommage au groupe de guérilla "Armée de libération de Preševo, Bujanovac and Medveđa". Pour les plus jeunes qui n'ont pas connu la guerre du Kosovo, ce groupe était une extension de l'Armée de libération du Kosovo (la bande armée si "cool" et si "démocratique", ami de Bill Clinton, qui a fait fructifier le trafic d'opium et le monoethnisme dans cette province à majorité albanaise), encouragé à l'époque par les stratèges du Pentagone à poursuivre leur action hors du Kosovo en 2000. Les partisans de ce groupe n'ont visiblement pas oublié ses faits d'armes, ni que la fête nationale albanaise est le 28 novembre (Ach ! la Grande Albanie !), ni que le soi-disant TPIY doit juger à partir du 29 M. Haradinaj, ex-chef de la guerilla (qui y comparaîtra en lieu et place de plus gros bonnets). Bref, vous voyez d'ici le tableau : les Balkans bouillonnent, je vous parlais récemment des souvenirs centenaires qui refleurissent en Bulgarie, on sent le règne de l'amour s'épanouir là comme à ma foutue cérémonie de ce matin.
Bon, je pourrais refaire un tour du monde pour trouver d'autres raisons de m'énerver sur les cinq continents. Mais je vous épargnerai ce pensum. Retenons juste une info qui nous vient d'Espagne : dans ce pays à partir d'aujourd'hui aller devant un juge d'appel dans le cadre d'un litige quelconque coûtera 800 euros . Merci l'Europe austéritaire, les agences de notation, les banques, etc. Je me devais de le signaler, puisque j'ai aussi la nationalité de cet Etat...
Centenaire de la guerre des Balkans et du Congrès de Bâle
La guerre des Balkans, vous connaissez ? C'est cette guerre sur laquelle pour en première dans les années 80 on faisait un peu l'impasse, et sur laquelle en première de Sciences Po on faisait une fiche rapide (une demi-page) pour dire que la Serbie, la Grèce et la Bulgarie se sont agrandies et que la Turquie n'a gardé qu'Istanbul dans sa partie européenne.
Marrant comme dans un cadre scolaire tout devient abstrait... Un peu comme dans nos médias aujourd'hui.
CNN Turk commémore le centenaire du début de cette guerre en ce moment. En septembre la Radio Télévision Turque (TRT) organisait un concert intitulé « la Fête Balkanique (la Fête de l’Amitié) » ayant "pour objectif de montrer les liens historiques à travers la musique" le 1er septembre dernier à 20h00 à Skopje en Macédoine , puis le 8 septembre à Sarajevo en Bosnie.
Le 27 novembre il y aura sans doute à Sofia la célébration de la victoire bulgare à Merhamli. Le Parti socialiste bulgare propose de donner le nom du général Delov au poste de douane de Mazaka, sur la frontière bulgaro-serbe. Il avait élaboré la même proposition à Kardzhali mais s'était heurté à la résistance du parti communautaire turc dans cette ville. En Serbie les autorités commémorent la guerre sur une ligne d'apaisement et de pacifisme. Non sans raisons. Pour avoir une idée des fantasmes que suscitent ces souvenirs chez certains esprits sommaires, on peut regarder les deux vidéos tout en bas. Mais bon, le concours de l'Eurovision nous en donne déjà le spectacle tous les ans.
Commentaire de Jaurès au moment du Congrès Socialiste International de Bâle fin novembre "Hélas ! la rivalité haineuse des peuples balkaniques a depuis une génération fait un mal infini. Si les Grecs, les Serbes, les Bulgares, au lieu de se jalouser et de s’égorger pendant trente ans, s’étaient unis pour exiger des réformes comme ils se sont unis pour assaillir la Turquie, l’évolution de l’Orient aurait pu s’accomplir sans les violences et les souffrances de la guerre"... (sur ce congrès il faut relire le roman d'Aragon "Les Cloches de Bâle")
Considérations basques
Monsieur Valls livre à la justice espagnole Aurore Martin une ressortissante française qui a adhéré à un parti indépendantiste qui n'était pas interdit en France. La gauche s'insurge (le PCF, les Verts, le Syndicat de la magistrature), mais les souverainistes bon teint français ne trouvent rien à redire à cette atteinte au droit national. Pas un blog de cette mouvance pour en parler.preuve que chez eux la défense de l'hexagone est à deux vitesse. Il y a les bons français (ceux qui pensent comme eux) et puis il y a les autres.
De passage en Béarn cet après-midi je tombe sur l'aimable émission de Julie Andrieu qui célèbre le cochon basque des Aldudes noir et rose. On me précise dans ma famille qu'il était autrefois le dénominateur commun de toutes les fermes du Sud-Ouest avant d'être détrôné par le cochon anglais, plus facile à engraisser mais d'un caractère bien plus agressif.
Tout me renvoie aujourd'hui à ce que le Sud-Ouest doit à la culture basque. M. Valls et ceux qui le soutiennent , ne serait-ce que par leur silence complice, devraient savoir que l'Injustice ne grandit pas la France et ne nous la fera pas aimer.
La gauche, les nations, les valeurs universelles
Une polémique autour du PRCF (un petit groupe dont sans doute les lecteurs de ce blog n'ont jamais entendu parler) a conduit ce dernier récemment à prendre ses distances (à juste titre selon moi) à l'égard de toute perspective d'action commune avec le Front national même sous forme de pétition. Cela nourri des controverses, notamment avec des gens que je connais qui ont rejoint a mouvance du POI. Parmi ceux qui restent sur la rive "Front de gauche", un d'eux m'écrivait hier "La rupture entre le comité Valmy et le PRCF est un dommage collatéral de la guerre de Syrie. Il y en aura beaucoup d’autres, en France comme au Liban comme dans tous les pays."
J'ai trouvé un peu cavalier qu'on compare un grand drame national comme celui que connaît (itérativement) le Liban depuis plusieurs décennies et les petites querelles d'intenautes engagés. Bien sûr il faut savoir remettre les combats d'activistes dans leur juste proportion, mais il me semble que je devais quand même dire un mot de celui-ci sans verser dans l'anecdotique, car il y a un air du temps actuel favorabe au FN (et à d'autres mouvements à droite de la droite) dont il faut tout de même un peu parler.
Aujourd'hui par exemple Acrimed cite sur Facebook une lettre qu'ils ont reçue dont on peut mentionner deux lignes : "En quoi, critiquer l’immigration de peuplement, est-il un crime, alors que la majorité des citoyens européens (de souche) en ont soupé, de la racaille arrogante et fanatisée ? Criminogène et pathogène, de surcroît? / Ne seriez-vous pas mieux inspirés, de fondre vos récriminations, sur les véritables responsables de cette invasion organisée ? Ah mais... c’est que... Dame ! On ne s’en prend pas aussi facilement à la... Synagogue !" Peut-être cette lettre est-elle une réaction à l'article de Henri Maler et Blaise Magnin publié le 18 octobre.
Bon, ne nous voilons pas la face. La montée de la droite de la droite en France et dans bien d'autres pays a des causes multiples. Il est idiot de la traiter avec des imprécations creuses comme le fait M. Mélenchon. Lui-même a une responsabilité très lourde dans ce processus, car comme beaucoup de gens à gauche de la gauche il a manqué de clarté sur l'analyse du rapport entre globalisation et Etat-nations, sur les frontières (et donc la question de la régularisation ou non des sans-papiers), sur l'euro, sur l'ingérence. Toute la gauche ou presque (à l'exception de gens comme Chevènement et encore souvent avec mollesse, et avec un oeil dans le rétroviseur) ont cru pouvoir traiter ces questions cruciales avec des anathèmes internationalistes. Seule leur bonne conscience les intéressait (et accessoirement la petite clientèle qu'ils se constituaient dans les mairies de banlieues), lançant ainsi avec une inconscience folle ce qu'il reste de prolétariat d'origine européenne vers le vote frontiste.
Il serait plus que temps que la gauche (MM. Laurent, Mélenchon, Montebourg) posent à nouveaux frais la question des nations (avant que celle-ci ne leur explose à la figure). Mais cela ne peut se faire à coups de clichés (favorables ou hostiles), avec des insultes ou avec des marinières. Il faut poser par exemple la question de l'ingérence, qui n'est pas simple : accepte-t-on que des médias marchands de canons gardent une hégémonie sur l'information à ce sujet ? Qui va-t-on former et encourager à faire de l'info alternative là dessus ? Comment ? Passé le problème de l'info restera la question philosophiques : oui ou non défend-on la souveraineté des nations du Sud ou pas ? Si oui comment faire pour ne pas laisser tomber pour autant les forces qui en leur sein, ou dans leur diaspora (et qui souvent ont la double nationalité) veulent faire avancer des valeurs "occidentales" en leur sein ? ces valeurs "occidentales" d'ailleurs sont-elles occidentales ? peut-on les présenter autrement ? leur trouver une universalité qui les fasse échapper à toute récupération possible par l'OTAN ? et où et comment collecter des fonds pour la promotion de ces valeurs (celles de la libération des femmes, de la défense de droits collectif et individuels, du droit de l'environnement) sans les laisser glisser sous la coupe des grandes fondations américaines ou nord-européennes ? Il y a des concepts à repenser, des modes d'action nouveaux à définir, ce que la gauche refuse d'examiner par pur nombrilisme moralisateur.
Bien choisir l'argument
On ne peut pas se réjouir de ce qu'est devenu l'espace de la contestation en France, avec ses trois blocs : le Front de gauche, le Front national et, au milieu, cette mouvance hétéroclite gaullo-marxo-nationale qui signe des pétitions de bas étage sur la Syrie (mouvance qui n'existe guère dans le paysage électoral, mais qui s'agite beaucoup sur le Net).
Je ne me reconnais guère dans aucune de ces trois sphères (même si je garde une proximité culturelle avec le Front de gauche). Le Front national me heurte par sa xénophobie (non pas que je sois un xénophile naïf, mais la culture de l'excès qui sévit à l'extrême-droite n'est pas ma tasse de thé), le Front de gauche me dépait pour sa complaisance à l'égard de l'atlantisme et du fédéralisme européen, les gaullo-marxo à cause de leurs réflexes passéistes et leur manque d'imagination (par exemple quel projet sociétal cette mouvance nous propose-t-elle en termes de progrès culturels, progrès dans les relations humaine, conquête de libertés nouvelles ?).
Ces trois mouvances se contentent de peu, et sont loin, bien loin d'être à la hauteur des enjeux de notre époque.
Ou sont par exemple les réflexion nécessaires sur les nouvelles technologies ? Jean-Luc Mélenchon m'avait fait sourire pendant la campagne avec sa trouvaille "il faut conquérir le fond des océans". C'est quand même un peu court par rapport au flot d'innovation que chaque année charrie. Qui pense cela ? Qui réfléchit sur l'impact politique d'Internet sur les rapports entre les citoyens, avec les Etat etc ?
Bon, à part ça j'écoute en ce moment les partisans du Traité européen "TSCG". Leurs arguments "3 % de déficit structurel, c'est moins bête que les critères de Maastricht", "il y a des mécanismes de consultation des parlements plus intelligents qu'à l'époque de Maastricht". Et Henri Guaino (un homme respectable, qui m'intrigue toujours un peu depuis qu'il est devenu sarkozyste) qui sousentend que de toute façon ce traité ne sera pas appliqué.
Pour ma part je suis hostile à ce traité parce que je refuse le fédéralisme européen, voilà tout. Nos parlements sont les seuls qui puissent voter le budget des Etats au nom des peuples, un point c'est tout. Halte au règne du néo-libéralisme, de la finance, halte à la spéculation, à la fraude, à la marchandisation de tout.
Ensuite je n'entre pas dans les grands débats sur le fait de savoir si l'austérité nous renvoie au temps de Zola ou pas. Ca ne m'intéresse pas. Il y a beaucoup d'exagérations dans ces débats là. L'antieuropéiste Edgar aujourd'hui nous fait pleurer sur l'Espagne. Mais il y a une telle opacité dans la situation de peuples.
A l'échelle mondiale depuis 20 ans on nous dit que les inégalités dans le monde augmentent. C'est exact au sein de chaque pays. Mais l'on oublie de nous préciser, que l'analphabétisme a reculé partout, que l'espérance de vie a fait des bonds, que la famine ne touche plus guère que l'Afrique. On m'explique que la Grèce a connu une tragédie parce qu'on ne vaccine plus les enfants dans les écoles. Mais en quoi la suspension pendant trois ou cinq ans des vaccinations est-elle réellement tragique ? Bien sûr qu'il y a de vrais drames. Et bien sûr ces drames sont choquants au regard de richesses éhontées qu'une petite minorité accumule. Mais qui va vraiment bien, et qui va vraiment mal ? Les Grecs, comme les Espagnols, ont encore le matelas du bien-être des années 80. Beaucoup ont des résidences secondaires, des familles pour les aider. Je veux bien plaindre les Espagnols, mais savez vous combien de jeunes chez eux étaient des ninistas (qui en veulent "ni étudier ni travailler") comme on disait ? Je ne critique pas le fait de refuser de bosser. Je suis un grand défenseur du droit au néant, à la paresse, à la lenteur, que moi-même je m'impose comme un devoir quand je le peux. Mais quand une société compte de larges pans adeptes de cette phlosophie-là, je ne prends pas des accents à la Zola. Moi je ne sais pas ce qu'il se passe en Espagne. Mes cousins quand ils en reviennent me disent des trucs bien sûr, mais je ne prétends pas en savoir assez pour juger.
Par exemple, puisque nous parlons de technologies, savez vous qu'en Espagne comme en Italie les gens ont en moyenne plus d'un abonnement de téléphone portable par personne ? Je ne sais pas du tout si c'est en soi une richesse. Nous autres en France sommes les moins bien équipés d'Europe en la matière. Nous sommes moins bien lotis que les Serbes et les Albanais ! Je n'ai jamais eu le temps de faire une analyse sur l'impact du portable sur le bien-être (à nos chers partis contestataires de le faire ! ou aux universitaires, mais vu leur ineptie je sais que ces derniers s'en abstiendront). Je soupçonne juste que ça encourage une société de la parlotte, que cela suscite des sources de mal-être nouveau, et des tonnes de gaspillages (car on change son téléphone tous les trois ans). Accessoirement ça a financé une guerre horrible au Congo, je referme la parenthèse. Non, vraiment, je ne sais pas où l'ordre libéral apporte du mieux, apporte du pire. Il faut manifester dimanche contre cet ordre en tant qu'il prive les peuples de leur droit de décider, mais pas sur des spéculations oiseuses sur le bien-être matériel de chacun.
Pour finir sur les illusions de la représentation du monde que chacun se fait, je songe à cette conversation que j'ai eue cette semaine avec des fonctionnaires d'âges mur qui oeuvrent en Seine-Saint-Denis. Tous se complaisaient dans un discours apocalyptique "ici trois quarts des gens vivent de l'assistanat, c'est une pauvreté terrible" disaient-ils. J'ai corrigé : "Le taux de chômage est de seulement deux points supérieur à la moyenne nationale, et c'est un département qui crée énormément d'emploi. Les poches de pauvreté existent. Elles expliquent par exemple que la mortalité infantile dépasse la moyenne nationale. Je ne nierais pas le taux de chômage de certaines cités, l'immensité du problème du logement, la détérioration de nombreux services publics, mais je ne peux pas laisser dire que tout le monde y vit du RSA". On m'a écouté avec intérêt, le misérabilisme est tellement à la mode dans une certaine fonction publique d'Etat, qui du coup se sent dans le "93" dans la peau des administrateurs coloniaux d'autrefois (ce qui lui permet ensuite d'y dépoyer un paternalisme à deux balles, dans un jeu sado-masochiste des plus malsains). Je soupçonne beaucoup de gens d'avoir le même regard sur l'Europe du Sud, y compris et surtout parmi ceux qui critiquent l'européisme. Mes amis ne critiquez pas, avec des arguments incertains, notamment d'ordre économique. Défendez le principe du social empowerment, du progrès des consciences, et laissez de côté tout le reste.
Chemins de traverse
Les Verts (EELV) redeviennent ce que José Bové avait voulu faire d'eux (avant de devenir vice-président de commission au Parlement européen) : un parti de contestation. Cela rend furieux les fanatiques de la religion européiste : leur fétiche favori est de nouveau menacé. Quoi qu'on en dise, l'histoire n'est pas écrite, et bien malin qui peut dire quels chemins de traverse elle prendra.
Post spiritum omne natio tristis est
J'entendais tantôt à la radio un publiciste rappeler que Paul Nizan en 1938 avait écrit une apologie de Descartes puis exhorté en 1939 le PCF à définir une ligne autonome à l'égard de l'URSS. Il était sans doute un penseur potentiel du "socialisme à la française" fauché par la seconde guerre mondiale, comme Péguy l'avait été par la première.
Il faut reconnaître que la seconde guerre mondiale a enterré l'idée française parce qu'elle en a liquidé le potentiel utopique (dont peut-être le programme du Conseil national de la Résistance fut l'ultime avatar). Les deux générations qui ont suivi cette liquidation n'ont fait que gérer l'héritage sur un mode bureaucratique tandis que le pays s'alignait sur les Etats-Unis et se déconsidérait dans sa lenteur à décoloniser (tandis que les intellectuels, eux, se perdaient en folies idéologiques), même pendant la parenthèse anachronique de la présidence de De Gaulle.
Voilà pour le XXe siècle. Il est bien plus évident encore au XXIe que l'idée française est morte. Cependant au XXIe siècle la mort de la France ne peut plus nous arracher de regrets, car, à la vérité, toutes les nations sont aujourd'hui mortes, et ne sont plus que les ombres de dieux morts projetées sur les parois de la caverne peut-on dire ici pour plagier Nietzsche.
Et il y a à cela une raison simple que Sloterdijk a très bien entrevue dans certaines de ses pages sur l'humanisme : c'est que l'existence des nations européennes était solidaire d'une quête morale et spirituelle, oui, spirituelle, immatérielle. Or tout le spirituel a complètement déserté notre monde (et qu'on ne me parle pas des transes du renouveau religieux un peu partout qui ne sont que des thérapies de souffrances pathologiques bien éloignées de la finesse de ce qu'on entendait autrefois par le spirituel !).Lorsque je voyage dans mes souvenirs je trouve un écho de ce que pouvaient être les projets nationaux au XIXe siècle (tous les projets nationaux) dans les vagues impressions que j'ai gardées en 2003 d'un jardin public (déjà anachronique) à Riga que je sillonnais aux côtés d'une jeune Lettonne réellement éprise de son pays. Ce jardin peuplé de statues de "grand hommes" non loin du minuscule palais de la présidence, était rempli d'un calme un peu mélancolique qui pouvait faire penser à la Suisse. Les projets nationaux étaient solidaires de ce calme là, de cette poésie des parcs dans laquelle pouvait germer une aspiration morale personnelle à laquelle la nation pouvait apporter une réponse.
Les nations aujourd'hui ne sont plus que des coquilles vides, des conservatoires de vieilles habitudes, dont le seul projet peut être d'incarner ce que les autres ne sont pas, sans pour autant porter le moindre souffle ni le moindre avenir. Qu'est-ce que la nation russe par exemple, sinon un projet collectif purement négatif : celui de ne pas être asservi par encore plus vulgaire et plus abject que soi - ne pas être asservi par Mac Donald's, les pétroliers texans et l'hypocrisie de l'administration Obama ? La nation américaine devenant à son tour et symétriquement une simple volonté de ne pas tomber sous le joug d'autres projets identifiés comme tyranniques (l'étatisme russe ou chinois, que sais-je encore). Ce qui est obscène dans le projet national russe, comme dans tout projet national, ce n'est pas quil soit incarné par un rustaud qui veut "buter les terroristes au fond des chiottes". Car des rustaud, la nation russe en a porté bien souvent au pouvoir, à commencer par Ivan le Terrible. C'est que ce rustaud ait pour seule perspective ontologique de consolider Gasprom face à Exxon, ou l'agroalimentaire russe face à Monsanto, sans que son peuple puisse être poussé vers l'avenir par la moindre rêverie spirituelle.
L'acte de décès de la France en tant que nation s'ajoute ainsi à celui des Etats-Unis, de la Russie, de la Chine, de l'Inde, etc dan un très long registre d'Etat Civil. La spiritualité jadis, dans ses formes plus ou moins raffinées, n'était peut-être qu'une illusion, mais qui tenait debout l'humanité. En son absence l'humain se parodie lui-même dans tout ce qu'il essaie d'être et ses nations ne sont que de décors de carton pâte (mais de décors hélas armés, et capables de s'entredétruire de la pire des manières).
Je ne suis pas nostalgique quand j'écris cela. Je ne vois pas du tout comment les choses auraient pu évoluer différemment. Je prends acte de la réalité voilà tout.
Et ceux qui ont cru que les empires (fussent-ils des empires de la Paix et des bons sentiments) prendraient le relais des nations mortes se sont trompés. Les Jacques Delors, les François Mitterrand, se sont égarés. Ils n'ont créé que des machines sans âmes comme l'eurocratie actuelle, car pas plus dans les empires que dans les cadavres des pays l'esprit humain ne survivait.
En parlant de Mitterrand, je dois dire que j'ai à nouveau pensé à lui quand je suis allé traîner cette année encore dans le Charentes. L'an dernier c'était du côté d'Angoulême et de Jarnac, cette année à Saintes. Le douceur et le calme des villes moyennes de cette région ne cessent de me surprendre. Dans ma province natale, le temps à maints égards s'est arrêté, dans bien des domaines (la musique par exemple), mais les gens cherchent à combler leur anachronisme en affichant des passions actives, notamment pour le sport (et les médailles d'or de M. Estanguet leur en ont encore donné le prétexte). En Charente, au contraire l'immobilité semble se vivre dans un plaisir tranquille, comme la lente dérive des gabares touristiques sur le fleuve... On comprend que cette région ait encouragé Mitterrand à rester toute sa vie un homme des années 30, un étudiant ligueur nostalgique du temps d'avant. Sa spiritualité à lui ne lui a donné aucune inspiration en politique (il fut un des politiciens les moins inventifs de notre histoire) et a fini par dériver vers un pharaonisme de pacotille à l'image de la crise morale que son pays traversait. La Charente, je pense, l'aidait au moins à vivre sans douleur l'ensevelissement collectif dans le matérialisme publicitaire. Les Charentais, comme les Lettons, ont encore des jardins publics très silencieux qui au moins enveloppent de calme les égarements des dernières décennies.
Remarques économiques d'Edgar et prolongement géopolitique
Je signale ici un intéressant article d'économie d'un des rares membres de la blogosphère qui parle parfois de mes travaux.
Je me garderai de commenter l'aspect économique de ce billet n'étant pas spécialiste. Sur le volet politique, le billet lance un appel à la préservation des espaces de discussion démocratiques, mais je doute que cet appel puisse avoir des effets. La mondialisation aurait pu être démocratique si le désarmement militaire avait eu lieu (comme c'était prévu dans la dynamique de discussion Est-Ouest sous Gorbatchev). Mais dans les années 1990 les USA n'ont cessé de s'armer et de s'inventer des ennemis-alibis, ce qui a provoqué les guerres (car l'armement doit servir comme l'a dit Mme Albright) ainsi que le réarmement des concurrents (russes, chinois, iraniens etc). Aujourd'hui l'heure est à la constitution de grand pôles militaires (occidental, russe, chinois etc) qui cohabitent dans un équilibre de la terreur (course à la conquête de l'espace, à la piraterie informatique etc) façon guerre froide, tempéré par l'échange commercial (un équilibre qui inclut le développement de guerres aux périphéries pourvoyeuses de matières premières - Proche Orient et Afrique en particulier). Dans ce dispositif, les pôles rivaux ne peuvent tolérer de débat démocratique que sur les sujets non vitaux, c'est-à-dire autres que les sujets qui sont les causes même de leur constitution et de leur surarmement. Ils peuvent débattre de "plus ou moins de social" "plus ou moins d'environnementalisme", mais pas sur la raison d'être de leur existence ni de leur rivalité avec les autres. C'est pourquoi même si l'Union européenne éclatait, elle serait remplacée par un autre système de hard ou soft power qui maintiendrait ses composantes sous le joug de l'idéologie occidentale et de ses principaux présupposés.