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Le blog de Frédéric Delorca

Articles avec #philosophie et philosophes tag

Philosophie existentielle

21 Juillet 2010 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Philosophie et philosophes

Si l'on se situe du point de vue de l'existence sensorielle brute, tout peut exister : Dieu, Satan, les anges, les dieux de tous les panthéons, les âmes errantes, les licornes, les êtres les plus improbables, idem le Paradis, l'Enfer, le Walhala, l'Atlantide etc.

 

Du point de vue de l'expérience rationnelle (de l'empirie corrigée par une réflexion cohérente), toutes ces croyances ne sont qu'illusion. La vie, est un phénomène chimique qui a pu apparaître ici (sur Terre) et en d'autres endroits de l'univers, qui est par essence limité dans ses possibilités (par les lois de la matière) et périssable dans le durée. La vie n'a pas de sens en dehors de son propre entretien et développement (via un usage raisonné du principe de plaisir) et sa reproduction. Chez l'humain la fonction symbolique (notamment le langage) concourt sur un mode spécifique au développement de la vie (avec des inconvénients eux aussi spécifiques).

 

Sur Terre, l'humain est hélas le seul animal qui, du fait de sa complexité, est susceptible de comprendre le mieux ses limites, et la relative absurdité d'une vie ainsi vouée au trépas (trépas individuel et disparition de l'espèce, voire de l'univers lui-même).

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Il n'y a aucune probabilité pour qu'un être surnaturel de quelque sorte éprouve le moindre intérêt pour les animaux nés sur terre (y compris l'humain) ni pour aucun phénomène vivant.

 

Voilà où s'arrête ce qu'on peut dire d'un point de vue rationnel. Après cela, il existe des questions auxquelles notre raison, façonnée par l'interaction avec la nature dans l'évolution darwinienne, est incapable de répondre. Ces questions sont : qu'est-ce que le temps ? pourquoi le temps ? qu'est-ce que l'espace ? pourquoi l'espace ? Pourquoi la matière est-elle apparue ? qu'y avait-il autour du point du bigbang si tout l'espace-temps était au début concentré en un point ? qu'y avait-il avant l'apparition de ce point ? Pourquoi des lois régissent-elles la matière ? Existe-t-il d'autres types de matière constitutives d'autres mondes que nous ne pouvont percevoir ? Voire des mondes qui ne seraient pas matériels ?

 

Aucune de ces questions ne permet de déduire a priori des réponses spiritualistes. Toute réponse spiritualiste est a priori suspecte d'anthropocentrisme (car l'hypothèse de l'existence de phénomèes spirituels est typiquement une production de l'esprit humain par amalgame et confusion de perceptions et de questionnements, comme l'a bien montré Dawkins). Et l'examen de ces questions, aporétique par définition, ne peut fonder aucun espoir pour l'existence humaine, ni aucun sens éthique particulier (sauf peut-être celui de la modestie pour notre espèce). Ces questions sont assez gratuites et n'auront jamais de réponse intelligible par le cerveau humain.

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La contingence, Bruckner, Pau,l'Occident

8 Juillet 2010 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Philosophie et philosophes

L'athéisme contemporain donne beaucoup de force au sentiment de hasard et de contingence, qui est des plus angoissants : à chaque instant on pressent que beaucoup de choses pourraient être différentes, et en même temps, on ne sait pas bien comment. Tout est contingent, sans pour autant qu'on puisse avoir le moindre pouvoir sur cette contingence.

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Bruckner faisait remarquer récemment que traiter quelqu'un de "fils de pute" était une façon de souligner la contingence de sa naissance, ce qui ne m'avait jamais sauté aux yeux.

 

Après avoir écrit sur la contingence de ma vie au nord de la Loire plutôt qu'auprès de mes parents dont la dernière heure approche dans le Sud, j'ai aussi songé à la contingence de ma ville natale : Pau.

 

Beaucoup de gens s'étonnent souvent qu'une ville au milieu du désert gascon compte plus de 80 000 âmes.

 

En réalité Pau, selon toute logique, ne devrait compter que 10 000 ou 15 000 habitants comme Auch.

 

Elle a dû son succès démographique à 3 coups du sort successifs parfaitement contingents : d'abord la volonté des rois de Navarre d'en faire leur capitale, parce qu'elle était au centre presque géométrique de ce qu'il leur restait de territoire (ce qui en a fait une ville de robins, y compris ensuite sous la monarchie française), une lubie des anglais d'en faire un lieu de cure au19ème siècle (ils l'équipèrent alors d'hôtels, d'une gare etc), et enfin la découverte du gaz à Lacq au 20ème siècle. En principe après chacun de ces facteurs contingents, Pau aurait dû pérécliter, mais un autre a pris le relais d'une façon assez improbable. La fin du gaz aujourd'hui angoisse les élus locaux car ils savent que plus rien ne peut rendre leur ville attractive en comparaison de Biarritz et de Toulouse, sauf à unir leur destin à Lourdes et ses miracles (une autre contingence dans le désert gascon).

 

Le libéralisme économique dévoile encore plus crument la contingence, car il prohibe à l'Etat de verser des subventions pour camoufler et soulager la misère d'un lieu (c'est ce qu'on appelle "l'aménagement du territoire"). Cette crudité, cette violence, n'échappe à personne. Mais personne n'ose plus envisager de remède draconien (la fin du libéralisme).

 

D'une certaine façon tout le monde occidental est frappé par la prise de conscience de la contingence de son bien-être. Il ignore s'il le doit aux crimes coloniaux ou à sa dynamique intrinsèque (moi-même je n'ai pas d'avis là-dessus et diffère en cela de Chomsky), mais il sait qu'il peut tout perdre. Récemment un supplément d'une revue pour riches (peut-être les Echos ?) était consacré aux civilisations du passé anéanties. En arrière plan l'idée que nous sommes la prochaine sur la liste. Ici contingence et mort vont de pair. Et c'est assez paralysant. On cherche des voies d'actions, mais on pressent que le trop plein de contingence rendra l'action vaine quoi qu'il advienne.

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Philosophical memories

27 Juin 2010 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Philosophie et philosophes

Mon directeur de recherche en maîtrise  (j'ai trouvé cette vidéo par hasard sur You Tube, mais bon mes pédagogues à cette fac n'ont jamais été mes boussoles):

 

 

La Sorbonne en 1996 (4 ans - seulement ! - après ma maîtrise), filmée par mes soins (par le jeune homme que j'étais) :

 

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Le jeu des préférences idéologiques

9 Juin 2010 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Philosophie et philosophes

Il est un exercice auquel tout le monde devrait s'astreindre car c'est une bon test d'universalité de l'esprit, et de symbiose avec l'intérêt commun universel de l'humanité : il consiste à essayé de répérer dans les courants de pensée avec lesquels on n'est pas d'accord, la tendance qui nous semble la plus intéressante, ou la moins mauvaise, du point de vue de l'intérêt général de l'humanité. Dans les diverses idéologies que l'humanité a inventées, parfois sur les bases de croyances complètement fausses, quelle tendance était malgré tout la plus proche de l'intérêt universel de l'humanité.

 

Par exemple si vous me demandez dans les philosophies-religions asiatiques, laquelle me paraît la plus intéressante, je continuerais aujourd'hui à dire le bouddhisme (même si le taoïsme m'intrigue beaucoup et suscite de plus en plus mon intérêt). L'aptitude de cette doctrine (que pourtant sur le fond je n'approuve pas, pas plus d'ailleurs qu'aucune autre philosophie asiatique fondée sur des bases pré-scientifiques) à prendre en compte l'unité des espèces vivantes, à travailler sur une "sortie" de l'économie du plaisir et du déplaisir, et sa capacité de fonder des systèmes politiques durables à travers l'Extrême-Orient m'impressionne (même si je hais particulièrement celui des Tibétains).

 

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Si vous me parlez des monothéismes, je continuerai à dire que le judaïsme est celui qui m'impressionne le plus. Parce qu'il fut le premier, parce qu'il est devenu d'une très grande intransigeance aussi bien sur l'éthique que sur les rituels. L'Islam me plaît beaucoup aussi par son pragmatisme, sa capacité d'organiser des systèmes politiques sous des latitudes culturelles très différentes, et sa fidélité à l'esprit du judaïsme, plus grande à mes yeux que celle du christianisme. Mais je continuerais à trouver au judaïsme le mérite d'avoir été pionnier et une impressionnante subtilité.

 

Dans la philosophie grecque ancienne le courant le meilleur, je l'ai déjà dit, selon moi est le stoïcisme, malgré certains de ses égarements (encore que je continue à réserver aussi une tendresse particulière à Platon qui est une sorte de Staline de la révolution philosophique, avec toutes les vertus et tous les travers qu'on peut reconnaître à ce genre de figure).

 

Dans l'école de pensée marxiste (à laquelle je n'adhère pas, pas plus qu'aux précédentes que j'ai citées), le courant le plus intéressant est sans doute le maoïsme. Parce qu'il a cru aux paysans autant qu'aux ouvriers, parce qu'il a pensé le colonialisme bien mieux que le marxisme classique (ce n'est pas un hasard si parmi les meilleurs anti-impérialistes en ce moment, parmi les plus sincères, on trouve beaucoup d'ex-maos), sa prise de distance à l'égard d'un certain mécanisme marxiste (il y a de la poésie chinoise dans le maoïsme), son courage à affronter la question du pouvoir (et des trahisons) des intellectuels (la révolution culturelle).

 

Dans le libéralisme, la version la plus intéressante est celle qui se tient à la limite de l'anarchisme. Principalement les libertariens, parce qu'ils ont une sainte horreur des oligopoles, des oligarchies, et du pouvoir militaire auquel elles s'associent.

 

Nous pourrions étendre ce petit jeu à des tas de domaines qui n'occupent pas une place centrale dans nos manuels scolaires (par exemple les cultures africaines ou amérindiennes, les religions païennes antiques etc). Je trouve cet exercice très salutaire pour les neurones.

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Les Normaliens

7 Juin 2010 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Philosophie et philosophes

Je lis dans Le Monde aujourd'hui : "Rarement les murs de l'auguste établissement de la rue d'Ulm auront connu telle affluence. Plus de 1 800 personnes, selon les organisateurs, se sont pressées dans la nuit du vendredi 4 au samedi 5 juin au sein des locaux de l'école normale supérieure, à Paris, pour la première édition de la "nuit de la philosophie"."

 

Je parcours l'article en diagonale, rien que les noms cités m'attristent : soeur Monique Canto Sperber, l'abbé André Glucksmann, grands prêtres de la mondialisation libérale, de la religion du fric, de l'exploitation, de la guerre. Ca ne donne pas très envie de lire. Et les déclarations des intervenants du genre "Il s'agissait de montrer qu'il n'existe pas de clivage entre la philosophie médiatique et la philosophie académique "... aïe aïe aïe.

 

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La Normale Sup' austère et bourgeoise d'autrefois n'était sans doute pas agréable à vivre. L'ENS soumise à la dictature de la bonne humeur médiatique obligatoire a l'air de l'être bien moins encore. Quand je vous dis qu'il devient impossible en ce bas monde d'aimer la culture pour elle-même, sauf à être dans une logique de résistance armée. Tout est fait pour détourner les gens de la lecture et de l'écriture sérieuses.

 

En parlant de vieilleries, je visitais la cathédrale d'Abbeville samedi. Les vitraux dévastés par les bombardements de 45 jamais réparés. Et les bas-côtés de la nef ravagés par la propagande ecclésiastique contemporaine dans tout ce qu'elle a de mièvre, de pseudo-festif, et d'aussi peu convaincue de son propre bien-fondé que la propagande médiatique de Normale Sup. Des dessins d'enfants, des dessins d'enfants à tout va, comme si seule la foi des enfants pouvait encore attester d'un semblant de vérité dans toute cette histoire. L'enfance mobilisée (Dawkins serait scandalisé), mais maladroitement. On laisse des fautes énormes dans les titres des dessins : signes de l'inculture des catéchistes ? ou fautes volontaires pour faire croire que les enfants eux-mêmes ont trouvé et écrit librement les titres des dessins (ce que bien sûr nul ne peut croire une seule seconde) ?

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"Film socialisme" de Godard

17 Mai 2010 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Philosophie et philosophes

J'ai été fan de Godard jadis. J'ai cessé de l'être pendant la guerre de Yougoslavie, parce que Godard n'a pas eu de bonne position sur cette guerre (comme Derrida que j'ai toujours rapproché de Godard), ce qui m'a fâché avec le côté un peu "prophète bourré d'intuitions" qu'on vénérait encore en France à l'époque. Je n'ai pas vu le film. Je vous livre la bande annonce et le début d'une interview du réalisateur. La suite est sur Dailymotion. Je n'émets aucun jugement pour l'instant. Je m'offre le luxe de n'en rien penser, sans même savoir du reste si je le verrai un jour.

 

 

 

 

 

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Un post scriptum sur l'affaire Onfray-Freud

13 Mai 2010 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Philosophie et philosophes

Je remercie "frdm" d'avoir versé en commentaire sur ce blog un dossier assez complet sur la polémique à la mode "Onfreud", et surtout d'avoir fait dévier le débat vers une question plus importante que l'affrontement entre jouisseurs et psychanalystes : le débat sur la thérapie du mal être contemporain. Onfray, ayant une guerre de retard dans ce débat comme sur le reste joue la carte freudo-marxiste contre le conservatisme (selon moi avéré) de la psychanalyse. Qu'il faille penser politiquement le mal être des individus j'en suis convaincu, mais pas dans une spéculation métaphysique sur la connexion entre rapports de production et névrose comme entend le faire le freudo-marxisme (que j'appréciais pourtant beaucoup jadis). Bien sûr il faut penser le rapport au travail, le rapport au pouvoir politique, à l'espace public, les rapports de classe, le rapport au langage, à l'argent, pour réfléchir à l'émancipation de l'individu. Mais il faut le faire sans esprit de système, et avec une attention particulière à chaque cas et à ce que le sujet peut en dire.

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L'allusion au problème de la normalité est aussi importante. Pour ma part je trouve qu'il y a aussi un usage fonctionnaliste (et donc normativiste) de la psychanalyse, comme des neurosciences, dont il faut se méfier. Mais cela ne veut pas dire qu'il faille adhérer à un relativisme complet, voire verser dans l'apologie de la psychopathologie comme on le faisait un peu trop aisément dans les années 60. Si l'on raisonne du point de vue de l'intérêt de l'espèce, un intérêt dynamique (et non statique comme le pensent les thérapeutes comportementalistes), l'état psychique idéal est celui d'une certaine inadaptation sociale (et donc d'un certain mal être), assez perceptible pour maintenir le sujet dans une volonté de changer le réel (et l'ordre social), mais suffisamment bénin pour ne pas le plonger dans une trop grande négativité ou des fixations morbides.

 

Ajoutons que si Onfray était réellement conséquent avec le freudo-marxisme, au lieu de consacrer sa prochaine université d'été à ce sujet et de prôner la méditation comme thérapie (ce qui fait trop 17ème siècle cartésien), il organiserait, comme Wilhelm Reich, une communauté expérimentale qui, sans forcément rechercher "l'orgone", serait axée sur la praxis, politique et sexuelle.

 

Au fait : un texte anti-Onfray assez juste : http://camarade.over-blog.org/article-proposition-de-loi-pour-l-interdiction-de-michel-onfray-dans-l-ensemble-de-l-espace-public-une-initiative-citoyenne-par-spinoza-45854267.html

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Badiou, Onfray, Freud........... Dawkins, Zénon

12 Mai 2010 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Philosophie et philosophes

plato-copie-1.jpgUn débat s'est engagé sur ce blog, comme ailleurs dans la grande presse, sur le livre d'Onfray. J'en suis coupable car je fus le premier à en parler en citant un article de Badiou dans Le Monde.

 

Ma philosophie personnelle m'impose de ne pas m'embarquer dans des discussions sur des sujets dictés par l'air du temps qui ne font pas avancer une réflexion réellement utile au bien être de notre espèce. Voilà pourquoi vous constaterez que ce blog évite soigneusement depuis 3 ans 80 % des grands thèmes de l'actualité. La volonté de montrer que l'on est capable d'avoir un avis sur un grand thème à la mode (surtout un thème à la mode chez les gens lettrés) est un ressort puissant qui permet aux ados d'investir de l'énergie dans la lecture et la réflexion, mais dont il faut se défaire à partir de 30 ans sous peine de devenir le jouet d'un conformisme totalitaire.

 

Comme il est 4 heures du mat' et que j'espère me rendormir bientôt, je ne dirai que quelques mots très brefs.

 

La psychanalyse, comme le marxisme académique, ou le structuralisme, fait partie de ces maladies de l'esprit qui ont empoisonné la vie intellectuelle du continent européen pendant toute la deuxième moitié du XXème siècle - en réalité elles sont plus anciennes, mais elles ne sont vraiment devenues dominantes qu'à ce moment-là, et encore même dans ma jeunesse, en 1990, l'université qui formait 50 % des agrégés de philo en France (la matière reine des lettrés), la vieille Sorbonne, avait le bon goût de mépriser ces maladies.

 

Ces trois doctrines doivent leur succès au fait qu'elles permettent à une certaine petite bourgeoisie professorale de s'affirmer en rupture avec un ordre social dont elle peut prétendre dénoncer les ressorts intimes, tout en entretenant autour d'un vocabulaire abscons une forme de domination sur son propre public tout aussi dangereuse que les illusions dont elle prétend libérer le reste de la société.

 

La force de ces doctrines tient aussi au fait qu'elles n'ont trouvé pendant longtemps en face d'elles que de vieux barbons qui récitaient Platon, Malebranche - et à la rigueur Kant - sur un ton ennuyeux et pédant, ce qui, par effet de comparaison, donnait à ces doctrines un côté presque ludique et sexy (du moins quand on les consommait à doses homéopathiques, de loin, sans subir leur logomachie à longueur de journée).

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Je dois dire tout de suite que j'ai aimé la manière dont les nietzschéens comme Deleuze ont assez tôt (dès les années 1960-70) démonté ces doctrines, sur un ton souvent plaisant, et je pense qu'Onfray n'a pas fait beaucoup plus que de vouloir prolonger le geste de Deleuze. Ce qui était agréable dans ce geste là, c'était qu'il ne visait pas à imposer aux esprits une nouvelle dictature professorale, mais à libérer des énergies créatrices. Cette force de la critique nietzschéenne était aussi sa faiblesse : elle demeurait esthétique, et ne prétendait pas opposer un discours de vérité à ce discours de mensonge.

 

Ce qui est plus intéressant depuis quelques décennies, c'est qu'un autre discours incompatible avec le marxisme académique, le structuralisme, et la psychanalyse, s'est développé, sur la base de découvertes passionnantes. Il s'agit du discours des sciences dures : neurosciences, éthologie animale, psychologie évolutionniste etc. Les sciences dures présentent plusieurs avantages : comme les doctrines maladives que je citais plus haut, elles permettent de démystifier certaines croyances que l'être humain a sur lui-même, mais, à la différence de ces doctrines, elles le font sur la base d'un travail rationnel collectif (qui neutralise les égos et leurs délires, il n'y a pas de Lacan des neurosciences), sur des segments de savoir toujours clairement limités, avec toujours des remises en cause possibles, des débats ouverts sur des bases modestes, et d'autant plus solides qu'elles sont modestes (l'étude minutieuse des cas, des expériences, le refus des effets de manche).

 

Autant il était utile que Deleuze ressorte Nietzsche dans les années 1970 contre le freudisme et le marxisme (je dis bien le marxisme académique car il y a des aspects de l'oeuvre de Marx que j'admire profondément). Autant le fait qu'aujourd'hui Onfray fasse la même chose (en moins bien d'ailleurs car c'est au nom d'une philosophie du désir extrêmement pauvre) est nuisible à la santé mentale du public lettré européen, parce que cela contribue à relancer pour un tour le débat entre les esthètes libertaires et les apparatchiks de la doctrine freudienne (façon Roudinesco si l'on veut), alors que ce dont le public européen a besoin aujourd'hui, c'est de lire des auteurs rationalistes proches du monde scientifique encore trop peu connus et même très partiellement voire pas du tout traduits : Richard Dawkins, Noam Chomsky, David Stove etc.

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Aujourd'hui, je défends la lecture sérieuse de ces auteurs là (ce qui justifie aussi que je ne puisse pas suivre un Badiou, on s'en doute bien, même si quelques intuitions de Badiou, dans son livre sur Saint Paul par exemple, me semblent avoir une utilité). Cela ne veut pas dire que je veuille limiter la philosophie à une réflexion ultramodeste sur les sciences. Je pense que cette réflexion doit en effet être prioritaire, mais que cette réflexion bien sûr ne peut pas à elle seule donner toutes les réponses à notre besoin de penser notre vie (nos itinéraires individuels et collectifs). Aussi, à côté de cette priorité cognitive que j'accorde aux sciences dures, j'encourage chacun à se constituer une philosophie personnelle qui ne peut avoir qu'une valeur de second rang par rapport au savoir scientifique, mais qui satisfait le "besoin de sens" que les sciences ne peuvent combler. Cette philosophie doit autant que possible se fonder sur une lecture honnête et subtile (ce que ne sait pas faire Onfray) des anciens, tout en faisant la part de ce qui, chez les anciens, relevait des particularismes de leur temps et de leur culture, et de ce qui peut parler aux constantes universelles (et en tout cas celles qui ont perduré jusque dans notre culture) de la condition humaine.

 

A la différence d'Onfray qui se fonde sur une vision populaire (et mal comprise, car débarrassée de la religiosité profonde qui l'animait) de l'épicurisme, je défends moi une morale stoïcienne, qui s'inspire du premier stoïcisme, celui de Zénon et Chrysippe, qui ne se refusait aucune audace (notamment sur le plan de la théorie sexuelle), mais restait arrimé à une ferme volonté de comprendre la nature humaine et de définir des devoirs individuels et collectifs en harmonie avec l'insertion de l'animal humain dans son environnement. Je sais que mon propre parcours ne me permettra jamais de passer des mois à écrire des bouquins sur ma vision de ce stoïcisme-là comme a pu le faire Onfray (et tant d'autres profs de philo) sur son épicurisme, mais au moins je tente, de temps à autre, sur ce blog, de rappeler la possibilité d'une telle option intellectuelle, par delà les modes intellectuelles de notre époque.

 

Voilà, cette petite mise au point s'imposait. Elle explique pourquoi je n'entends pas continuer à écrire sur l'opposition entre Onfray et les freudiens qui me paraît, telle qu'elle est posée dans le débat public en ce moment, assez stérile.

 

 

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