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Le blog de Frédéric Delorca

Articles avec #philosophie et philosophes tag

Facebook und Zeit

12 Août 2009 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Philosophie et philosophes

Sur le q numéro 8 de la g de C en A hier, m rév a s d'une n d s, je lus ceci sur mon téléphone portable dans mes mails reçus sur Facebook :

"Bonjour, Nous ne sous connaissons pas mais vous devez vous rappeller de ma grande soeur avec qui vous étiez en classe de terminale à Louis Barthou : Sophie R.
Lorsqu'elle m'a surprise un soir sur Facebook, elle m'a demandé de faire la recherche de 2 ou 3 noms. Vous étiez le premier et elle avait l'air tellement émue d'avoir quelques nouvelles que face à son refus de créer son profil pour vous contacter, j'ai décidé de faire le lien secrètement.
Certaine qu'elle ne m'en voudra pas, je viens ici vous communiquer son adresse e-mail perso :
sophie-@-.fr
Voili voilou.
Bonnes retrouvailles !"


Etrange coïncidence. J'étais venu chercher en vain à C des voies de bifurcation dans mon exploration de l'avenir et me trouvais au petit matin rattrappé par un passé très lointain. Cette fille moi aussi j'avais recherché son nom une ou deux fois, ici ou là sur Internet. Comme elle j'avais cédé à la tentation du "retour vers le passé" que les nouveaux sites de rencontres offrent aux quadragénaires de notre génération. Nous avions été proches l'un de l'autre au lycée, sans pour autant "sortir ensemble", ce qui explique peut-être que je fusse démeuré haut placé dans son estime. J'avais, un jour, à son insu, placé dans un coffret un de ses longs cheveux blonds tombés subrepticements sur mon blouson. On a à dix-sept ans de ces délicatesses fétichistes que l'on perd par la suite.

Ce qui m'a surpris dans ce mail c'est le "tellement émue". Figure de style imposée comme le vocabulaire conventionnel de la République des Pyrénées quand elle rend compte d'une fête villageoise ("un feu d'artifice a clôturé comme il se doit les joyeuses agapes"), expression d'un fraîcheur affective gasconne dont nous avons perdu le goût au nord de la Loire ? Quelle est le statut de l'émotion provoquée par le surgissement du passé dans le présent, du mort dans le vif ? Il y a plus, pour nous, que ces retrouvailles d'anciens camarades de régiment sur le quai d'une gare qui étaient le lot occasionnel des générations antérieures. Facebook promet aujourd'hui à tout un chacun de "ne plus jamais quitter" les êtres qui ont croisé son horizon. Pour les jeunes générations, cela signifie que les ruptures n'auront lieu que pour autant qu'ils cliqueront sur "remove from friends", encore cette action n'est-elle jamais irréversible. Pour le reste pendant toute leur existence, où qu'ils soient, toutes leurs rencontres resteront dans leur horizon à portée de clic de souris comme dans un grand supermarché virtuel. Il n'y aura même plus l' "émotion" de cet effet "retrouvailles".

Pour nous demeure encore cette sensation étrange, étourdissante, qui, à la différence de la rencontre occasionnelle du camarade de régiment, se double d'un effet "on ne se quitte plus".

Sauf que la retrouvaille enjambe un vide de vingt années. Un vide durant lequel les visages se sont ridés, les accents ont changé, et des tas de choses se sont passées qui ne font qu'accuser un triste constat : le temps n'a épargné personne, et tout meurt inexorablement en nous et hors de nous, trop de choses déjà sont mortes. Quand la fille évoque dans son mail le "refus de créer son profil", elle désigne peut-être un saint effroi, confus, plus ou moins inconscient, devant le risque d'affronter la conscience de cette mort qu'implique toute retrouvaille, autant que l'effet "on ne se quitte plus dans le supermarché virtuel" que propose la technologie. Pauvre humanité. Et pauvre génération, la mienne, génération de transition qui cumule à la fois, à de nombreuses occasions, les dures prises de conscience des vingt ans de séparation avec les gens retrouvés sur Internet, et l'entrée dans une vie où le "on ne se quitte plus" qui sera la règle dorénavant. Les plus jeunes, eux, n'auront que le second effet. Leur conscience du temps qui passe s'en trouvera peut-être altérée. En même temps, on voit à quel prix sera pour eux le déni du temps qui passe : virtualisation de tous les rapports, conservation des traces des rencontres dans les fichiers comme si la vie n'était qu'une longue séquence d'archivage - nous sommes tous des stocks de données, et nous ne sommes que ça. Un déni du temps aux inconvénients aussi lourds que les liftings. Chassez le tragique, il revient au galop.

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Délires européens

9 Août 2009 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Philosophie et philosophes

Je lis le Journal de Joseph Goebbels. Il faut lire ses ennemis toujours. Je lis Goebbels aujourd'hui, comme j'ai lu les néoconservateurs étatsuniens naguère. Je le lis dans le désordre, tantôt l'année 1942, tantôt 1923. J'essaie de comprendre comment il fonctionne, comme je l'ai fait avec Céline jadis.

Les ennemis n'ont jamais tort sur tout. Personne n'a jamais tort sur tout. Le grand tort des nazis, comme de beaucoup de courants idéologiques, ce fut leur religiosité. Celle des nazis se cristallisait dans leur antisémitisme obsessionnel odieux, leur romantisme décalé qui les rendait nihiliste. Pourtant au milieu de ces délires certaines de leurs analyses étaient lucides, sur le capitalisme anglosaxon par exemple, sur la rouerie de Roosevelt etc. C'est précisément parce qu'ils savaient par intervalle toucher justement le réel qu'ils ont pu entrainer les masses allemandes sur leur chemin. Contrairement à ce que prétendait Védrine à propos des Serbes, il n'y a pas de "peuple envoûté". Juste des peuples qui font des choix dans l'obscurité. Les philosophes ne sont pas mieux placés de ce point de vue là. Je suis frappé d'ailleurs par l'intérêt de Goebbels pour l'opinion des gens de la rue en pleine guerre. Le régime nazi était aussi à l'écoute de sa base, semble-t-il. Par ailleurs ce régime portait en lui, à côté de ses délires, non seulement des éléments de réalisme, mais aussi des traits culturels allemands et européens très profonds (je désapprouve Jankélévitch qui les trouvait seulement allemands). Tout en refusant toute téléologie, on doit admettre que la culture européenne portait le nazisme en germe, comme elle portait beaucoup d'autres possibilités (et heureusement des meilleures).

Tout cela nous renvoie à Nietzsche. Il y a beaucoup de nietzschéisme (même si c'est un nietzschéisme tronqué) dans Goebbels (notamment dans son admiration pour Dostoïevski) comme il y avait beaucoup du romantisme européen dans Nietzsche (un romantisme en lutte contre lui-même, ce qui le rendait plus subtil).

Je me demande si l'éradication de cet héritage et son remplacement par la culture Coca Cola était la bonne façon d'arracher l'Europe à ses folies. Pour tout dire je ne le pense pas. A la pathologie nazie qui prétendait synthétiser le meilleur de la culture européenne a succédé la barbarie de la Mac Donaldisation qui au demeurant à l'égard du Tiers-monde n'est pas moins meurtrière que le nazisme. Le pharmakon des erreurs de la culture européenne reste à chercher. Je ne crois pas non plus qu'il soit dans le scepticisme libertaire qui a grandi lui aussi à l'ombre de Nietzsche dans l'université française avant de se muer en scepticisme de combat puritain dans la political correctness des universités étatsuniennes. Le vrai remède est à rechercher ailleurs. Dans le rationalisme optimiste du Siècle des Lumières ? Rationalisme meutrier lui aussi. Ce serait supposer que la réaction romantique fut la cause de tous les maux... Si seulement c'était si simple !
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Islam et philosophie

22 Juin 2009 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Philosophie et philosophes

Je lisais tantôt sur http://www.lepoint.fr/actualites-societe/2009-06-22/vous-l-avez-dit-port-de-la-burqa-entre-emotions-et-convictions/920/0/354706

"caroline_chaïma demande la parole : "Laissez parler les premières concernées ! Je suis Française née en France, en pleine campagne picarde, de parents, grands-parents, arrière-grands-parents français et je suis musulmane, je porte le voile intégral et j'ai envie de dire : et alors ? Ce que j'aimerais dire, c'est que je suis heureuse derrière mon voile, j'ai juste décidé de me préserver des regards pervers. Ce n'est ni mon père, ni mon frère, ni mon mari qui m'ont forcée à porter le voile intégral, c'est un choix personnel.""

Voilà encore un exemple en Occident de ce qu'un ami, après avoir reçu le texte sur Foucault et l'Iran dont je parlais dans un commentaire, appelle un "mouvement plus général d'intérêt pour l'islam comme alternative au rationalisme". Je tiens à préciser que cet ami est heideggerien et que certains théologiens musulmans utilisent Heidegger.

 

Je dois dire ici que si sur le plan politique, je suis pour un dialogue ouvert avec la culture musulmane, sur le plan de l'interrogation ontologique (je n'ose pas dire de la philosophie), je ne vois pas du tout ce que l'islam peut apporter (ni d'ailleurs l'heideggerianisme). A mon sens, une seule question est légitime : pourquoi l'être ? (c'est à dire pourquoi la matière, je précise cela pour éviter les dérives spiritualistes qui étranglent la philosophie occidentale quand elle se confronte à cette question). Or cette question ne peut recevoir la moindre réponsedu point de vue de la rationalité humaine, laquelle pour répondre devrait avoir la faculté d'englober la possibilité du non-être autrement que comme limitation de l'étant, ce dont elle est incapable. Toutes les autres questions posées par la philosophie (qu'est ce que le beau, le bien, pourquoi l'art, pourquoi le politique etc) pouvant être par ailleurs "désamorcées" et renvoyées à leur illégitimité profonde par une approche adéquate sur le mode du "comment" (par exemple "qu'est ce que le beau" est une question qui se désamorce avec "comment le beau", "comment la naissance de l'art", "comment l'aspiration esthétique chez le primate humain", "comment le désir des formes dans le fonctionnement biologique des animaux soumis au mouvement et à la reproduction sexuée) .

 

Pour moi le rapprochement avec l'Islam en vue de "respiritualiser l'Occident " est un thème hors ontologie, ce n'est que de la construction doctrinale littéraire comme le sont les trois quarts de la philosophie depuis Platon et ce pourquoi je ne me reconnais plus dans la philosophie, sauf à la nommer littérature (et un genre mineur de la littérature, un genre saturé d'idéologie).

 

On me trouvera bien sévère avec la philosophie, et justement ce petit billet est l'occasion de faire le bilan. Que doit-on à la philosophie ? Son seul mérite à mes yeux aura été d'essayer de construire comme des problèmes universels (donc faiblement engagé dans des croyances, des pratiques, ou des conflits locaux) des dilemmes qui se présentaient en situation de façon "aigüe" : par exemple, qu'est ce que le bon gouvernement des hommes (Platon), quand Athènes se déchirait sur la question de la démocratie, ou qu'est ce que l'homme peut savoir et doit croire (Kant) quand l'Europe était secouée par la crise de l'Auflärung. Ces questions n'ont d'intérêt que comme effort de situer un propos sur un plan universel, sachant que les philosophes européens se sont toujours hâtés d'y trouver des réponses qui n'avaient rien d'universel (un peu comme Descartes qui dans les Médiations métaphysiques révoque en doute toutes les croyances locales qui l'habitaient pour finalement, à l'appui de  démonstration sur le cogito, réintroduire une croyance aussi locale que le "malin génie", et finalement la preuve ontologique de Dieu de Saint Anselme).

Le meilleur de la philosophie est le geste vers l'universalité, et c'est la seule partie que, pour ma part, j'en sauverais. Mais en rien l'ouverture à l'Islam, ni à aucune autre croyance ne peut la rendre plus universelle ni plus légitime. L'universalité véritable la philosophie ne la trouve in fine que dans la reconnaissance de sa propre impossibilité comme discours sur l'être et dans son humble effacement devant l'étude attentive du "comment" selon le règles universelles de la logique, c'est-à-dire selon une méthode scientifique.

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L'Un et le multiple dans les religions et la métaphysique

10 Juin 2009 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Philosophie et philosophes

J'écrivais hier en réponse à un militant communiste qui vantait les mérites de l'Un et, par voie de conséquence, du monothéisme qualifiant, comme il est d'usage dans l'histoiographie classique :


"Cela dit la "vieille religion d'Israël"  a eu aussi pas mal de déviation polythéistes au cours de son histoire (soigneusement camouflées ou diabolisées a posteriori par la bible) au point qu'on peut se demander si ce n'est pas le monothéisme qui est en fait une "déviation" du vieux polythéisme israélite

 

Mais j'avoue que philosophiquement  je ne suis pas un fan de l'Un, qui correspond à la notion d'indifférenciation, et, au fond, renvoie soit au solipsisme, soit à la dissolution du soi dans le monde, c'est à dire à la mort (je suis de ce point de vue assez d'accord avec la critique nietzschéenne de l'unité schopenhauerienne, et, à travers elle, de l'unité platonicienne). Je ne suis pas sûr qu'historiquement ni logiquement un devienne deux (schéma métaphysique et monothéiste). Il me semble plutôt que le multiple est premier, et le multiple retourne toujours au multiple. Je sais que l'hypothèse du big bang, va plutôt dans le sens des partisans du Un... mais le point de départ du big bang était il déjà "un", ou n'est ce pas un réductionnisme mathématique qui nous le fait penser ?

Je te suivrai pour dire que le monothéisme a parfois des vertus. Tout comme, dans d'autres sphères, le socratisme, le zoroastrisme, le bouddhisme, le taoïsme, et diverses autres grandes réformes idéologiques antiques ont eu le mérite de faire avancer chez l'être humain l'idée de révolution comme processus de changement radical, volontaire et organisé de soi-même et de l'ordre social. 

Mais alors il vaut mieux que ce soit un monothéisme "philosophique" comme celui du néoplatonisme ou du stoïcisme, car au moins celui-là ne produit pas de guerres armées entre sectes.
 
Il est vrai qu'il ne faut pas idéaliser le polythéisme et que, comme le disent Zizek et Veyne, le polythéisme devait être plus ennuyeux à vivre que la saga vivifiante du monothéisme autour de la faute et de la rédemption individuelle
 
Toutefois le polythéisme permettait une certaine cohabitation entre les dieux de différentes cultures, ce qui avait du bon. Et je ne crois pas du tout qu'il ait favorisé  l'esclavage et le productivisme plus que le christianisme - qui a quand même réduit 50 millions de Noir au rand d'esclaves.
 
L'explosion de l'esclavagisme romain après la conquête du bassin méditerranéen sous la république finissante était plutot perçu comme une sorte d'hubris peu compatible avec la morale de la vieille religion romaine"

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Libéralisme

26 Mai 2009 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Philosophie et philosophes

L'age venant je ne cesse de me demander : qu'eût été ma vie si j'étais retourné vivre en Béarn en 1995, comme il en avait été question, ou si, comme une mienne amie le fit, je m'étais installé à belgrade en 2003?  Kundera remarque dans l'Insoutenable légèreté de l'Etre qu'on ne sait jamais la valeur de ses choix car il faudrait connaitre toutes les conséquences des autres choix possibles pour fixer les échelles de valeur. On se situe ainsi aux antipodes de l'économie néo-classique qui présuppose l'omnisciense des agents. Or cette liberté de choix de vie dont nous autres petits et moyens bourgeois bénéicions résulte en grande partie de l' application du liberalisme aux moeurs. Une fois de plus Polanyi a raison : le liberalisme ne marche pas, ni en économie, ni dans les choix de vie, et mon ami Edgar de la Lettre volée ne le sauvera pas en tentant d' opposer le libéralisme classique à celui dé néo- libéraux.

A propos du premier d'ailleurs je viens de lire six lignes drôles d'Howard Zinn sur une constitution que Locke fit pour une colonie anglaise d'Amérique. Il faudra que je vous reparle de tout cela plus tard.
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L'approche littéraire de la politique

28 Avril 2009 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Philosophie et philosophes

Bon, je suis bien conscient que la petite visite de mon salon de juin 1997 n'aura fait sourire personne, et que tout cela est bien dérisoire, mais je me disais ce matin qu'il était plus que nécessaire de mêler de l'humour à son engagement, et même, pour tout dire, d'avoir une approche littéraire de la politique. Littéraire ne veut pas dire destructurée, mais fluide, pouvant situer son angle d'attaque à divers niveaux (humain, individuel-collectif, pratique- théorique), en se nourrissant d'une tournure d'esprit littéraire. Le fait que les partis soient disloqués (sauf pour la conquête du pouvoir, mais un pouvoir de plus ne plus factice), que la politique est affaire de réseaux d'individus, rend les situations fluides, instables, et il les faut appréhender avec une sorte de souplesse littéraire qui fasse place aussi à sa propre subjectivité, et ses petites marottes individuelles.

Sans cela tout devient trop dogmatique, trop hystérique. Je songe par exemple à cette liste anti-sioniste qui se constitue et qui, en se focalisant sur un seul aspect de la politique, devient le symétrique des monomaniaques de l'autre bord qui voudraient qu'on bombarde l'Iran et le Soudan. Il faut desserrer l'étau de la rigidité mentale, ne pas répondre à des tendances totalitaires réelles de notre société par un autre totalitarisme symétrique (allez, si Kundera n'était pas tant récupéré par la pensée dominante, j'oserais une référence à son premier roman La Plaisanterie - il faut encore plaisanter un peu, encore un peu faire le mariole en ayant conscience qu'on le fait).

Au fait, ce matin j'étais en Seine-Saint-Denis pour y préparer mon projet d'anti-impérialisme municipal. J'y ai trouvé un ami membre du staff d'un maire de gauche, dans un rôle que je ne lui connaissais pas : celui du chargé de mission qui va remonter les bretelles d'une directrice de centre culturel qui fait de la rétention d'information à l'égard du maire. Lui qui est si doux pourtant d'ordinaire, il semblait fort impliqué dans ce conflit où se jouaient la crédibilité et l'autorité du chef de l'exécutif local. Puis j'ai déjeuné avec le directeur des services dans un restaurant sympathique, traditionnel, à 22 euros le repas. L'intéressé, un quinquagénaire communiste (ou proche du PC) en entrant dans le resto a tout de suite reconnu des élus (je suppose que c'étaient des élus) d'une ville voisine, sans doute des gens du même bord que lui. On ne se croyait d'ailleurs plus du tout en banlieue dans ce petit restaurant qui donnait sur la place d'une église médiévale. C'aurait pu être en Aveyron. Tout ce petit staff municipal qui mange bien à midi constitue un monde inconnu de moi. J'en ignore tous les codes sociaux, les tics de langage, les automatismes. Tout cela est complètement nouveau à mes yeux - et d'ailleurs certains me trouvent bien fou de m'essayer à ce genre de découverte au seuil de la quarantaine, mais que voulez-vous, j'aime la diversité et les expériences insolites.

Je suis toujours très étonné de voir des êtres humains prendre très au sérieux des pratiques quotidiennes au service de fonctions dont la plupart des gens se foutent éperdument. Ce fut vrai dans les professions juridiques où j'ai officié, c'est vrai aujourd'hui de ce petit monde de notables de banlieues. Je suis bien conscient que leur travail est utile, mais est-il légitime qu'il soit assuré par ces gens, qui en fait consacrent la moitié de leur énergie à défendre un groupe contre un autre (le PS contre le PC, la gauche contre la droite, tel député PC contre tel maire du même parti, le staff du maire contre celui du centre culturel etc). Ne serait-il pas plus simple que l'Etat prenne en charge tout ça ? - adieu les libertés municipales ! Ce seraient les services de la culture de l'Etat contre ceux du préfet, mais sans les luttes partisanes, c'est déjà ça. Mais on dit que l'empire romain n'a tenu que grâce à la richesse de sa vie municipale ponctuée par des campagnes électorales. Donc peut-être le théâtre d'ombres dont je fus témoin en banlieue ce matin, et serai sans doute encore témoin à l'avenir, sert-il quand même à quelque chose. Toutefois combien d'énergie absorbée dans ce qui, de l'extérieur, ressemble à de la pure comédie. Mais bon, je sais, je suis trop extérieur. Rentrons un peu plus dans les rouages de la vie sociale.
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Pourquoi j'ai cessé d'être bourdieusien

16 Avril 2009 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Philosophie et philosophes

Les lecteurs de ce blog sont fort aimables je dois dire, je reçois plus de fleurs que d'insultes et ceux qui daignent laisser des commentaires le font souvent dans un esprit constructif. JD hier dans son commentaire estimait utile (au moins utile pour lui, peut-être pour moi aussi, et donc, quand une chose est utile à deux personnes, elle peut l'être à quinze) que je précise pourquoi j'ai cessé d'être bourdieusien. Ce genre de sujet pour être traité correctement doit l'être dans la forme livresque, et donc je le réserve pour une publication ultérieure.

Mais le blog permettant d'user d'un ton expérimental et personnel, je me contenterai ici d'expliciter les trois ou quatre étapes de mon itinéraire qui m'ont éloigné de Bourdieu, mais il me faut d'abord préciser dans quelles conditions je m'en suis rapproché. Et je livre, en forme de clin d'oeil, au bas de cet article une petite vidéo d'un message que m'a laissé Bourdieu en mai 2001 (un message parmi beaucoup d'autres).

Bourdieu au départ n'incarnait rien de positif à mes yeux parce qu'il n'était pas apprécié des philosophes. Je ne sais pourquoi, en 1990, mon ex prof de philo de terminale que j'avais revu aux vacances m'avait dit avec une sorte d'ironie : "Vous êtes plutôt du côté de Bourdieu non ?" et j'avais rejeté l'accusation avec véhémence. D'une manière générale, les philosophes n'aimaient pas les sciences humaines. Même lorsqu'on n'était pas spécialement heideggerien, on avait le sentiment que les sciences humaines (comme les sciences de la nature) décrivaient des choses très triviales : des mécanismes de causalité un peu stupides, un peu artificiels qui imposent a priori des articulations entre des phénomènes aléatoires. Les sciences humaines traitaient de l'étant, tandis que la philosophie traitait de l'Etre . D'une manière générale, notre commerce intime avec l'Etre justifiait notre supériorité sur tout, notre dédain à l'égard de tout... même et surtout à l'égard de nos souffrances intimes.

Le hasard m'a conduit à rencontrer Bourdieu en personne en 1990 au début des opérations américaines dans le Golfe arabo-persique. Un entrepreneur béarnais voulait me présenter un sien ami d'enfance "prof d'université" (je croyais que c'était un prof de Toulouse) pendant les vacances d'été. Cet ami était prêt à nous accueillir dans sa maison familiale à Lasseube. Seulement quelques jours avant la rencontre j'appris que cet ami se nommait Pierre Bourdieu. Paniqué, moi qui n'avais jamais rien lu de lui je lus "Ce que parler veut dire" que l'entrepreneur avait chez lui. C'est une chance d'ailleurs que ce fût ce livre précisément et non un autre L'attaque sociologique du langage qui fondait mon engouement philosophique était peut-être un des meilleurs moyens de déstabiliser ma croyance. Lors de notre rencontre je parlai à Bourdieu de ma déception face à l'ennui des cours de la Sorbonne. Bourdieu répondit qu'en effet la faculté de philosophie "baignait dans le ronron" académique. Lui me conseillait de faire de la sociologie. Il était clair à ses yeux que les jeunes agrégés dans les lycées ne parvenaient pas à faire de la véritable philosophie, faute de temps. Au contraire, en me consacrant aux sciences sociales, je redécouvrirais des questions que les philosophes ne se posent plus.

 Dans les années qui suivirent, je lus "Homo academicus", "La Noblesse d'Etat", "La Distinction", qui parlaient à mon expérience de fils d'ouvrier devenu étudiant à Sciences Po. J'explorai aussi l'ouvrage de Bourdieu sur Heidegger qui me laissa des impressions très mitigées, et je suivis le cours de Bourdieu au Collège de France chaque semaine. Je me payai même le luxe d'envoyer une carte au sociologue l’interrogeant sur son rapport au relativisme et il me renvoya aimablement à un sien article publié dans les "Actes de la Recherche en sciences sociales" à ce sujet. Mais finalement je ne suivis pas le conseil de Bourdieu de m'inscrire en DESS de sociologie à Sciences Po et entrai dans une autre grande école dont je tairai le nom ici; Je me suis à nouveau rapproché du bourdieusisme vers 1998, au début de ma carrière  professionnelle, et arrêtai en 2001 en concertation téléphonique et épistolaire avec Bourdieu le sujet de ma thèse que je fis dans son labo (le CSE) de 2001 à 2006.

Voilà pour le contexte.

Les éléments qui m'ont éloigné du bourdieusisme.

1) La guerre de Yougoslavie (je le raconte dans "10 ans sur la planète résistante") - la question pour moi fut la suivante : une pensée qui empêche de réfléchir sur l'Etat, la souveraineté des nations, l'impérialisme, la guerre, au point de conduire son auteur à signer un texte aussi inapproprié que l' "Appel pour une paix juste et durable dans les Balkans" au début de la guerre contre la Serbie, est-elle une pensée pertinente ? Bien sûr Bourdieu a ensuite approuvé des textes que je lui envoyai (notamment mes comptes rendus de voyage à Belgrade) et signé l'Appel de Bruxelles en 2000 qui fut un très bon texte, mais rien n'est vraiment sorti de sa plume ni de celles de sa mouvance pour analyser correctement ce tournant essentiel de l'histoire de l'Europe. Il est d'ailleurs intéressant de constater que les bien-pensants bourdieusiens d'Agone n'aient pas repris l'Appel de Bruxelles dans le recueil des pétitions importantes signées par leur maître qu'ils ont publié dans les années 2000.

2) La rencontre des chomskyens en 1999-2000 (ceux que j'appelle Boris et le Scientifique belge dans mon livre). J'ai détaillé dans le Cahier de l'Herne sur Chomsky (dans un chapitre consacré à Bourdieu et Chomsky)  les implications épistémologiques et politiques pour moi de cette rencontre, et les raisons qui m'ont fait sur ces deux volets préférer Chomsky à Bourdieu.

3) Mes travaux en sociologie du corps. J'ai commencé un DEA tard, à 30 ans, en 2000, alors que j'avais déjà un statut social confortable. Je travaillai (juste cette année là - et je n'ai repris ce travail ensuite qu'après ma thèse) sur un sujet qui n'intéressait guère les bourdieusiens. Donc je l'ai fait à Paris 5 avec des bourdieusiens dissidents, ce qui m'a sensibilisé à d'autres aspects de la sociologie (le weberisme notamment) dont Bourdieu prétendait injustement "capter" tout l'héritage. En outre, j'explorais aussi dans le cadre de cette étude la psychologie évolutionniste américaine que l'on commençait à peine à étudier en France et qui faisait vieillir d'un coup tous les présupposés structuralistes du bourdieusisme (même si je ne suis ps un inconditionnel de toute la psychologie évolutionniste). 

4) Les travaux du jeune anthropologue anarchiste David Graeber sur le don, qu'il faudrait traduire en français, et qui sont une porte de sortie hors de la "sociologie de l'intérêt" à laquelle se rattache le bourdieusisme.

Voilà, pour faire court, dans un format adapté à ce blog, les raisons de ma prise de distance à l'égard de Bourdieu.  Je pense aujourd'hui que les profs de Sciences po qui raillaient les côtés "bourdivins" de sa sociologie propre à "plaire aux jeunes esprits naïfs" n'avaient pas tout à fait tort, car il y avait dans sa tournure d'esprit une façon quasi-religieuse d'enchanter les concepts, et les mettre en système, avec une manière proprement épiscopale d'écarter les objections, bref quelque chose qui n'est pas digne d'un bon débat rationnel (et ce vice est hélas commun à toute la pensée française, aux gens de sa génération, toute cette façon "postmoderne" de penser, et qui remonte peut-être au "Jazz Age" de la philosophie que Stove situe dans les années 1920). En même temps c'est peut-être à ce prix que les paradoxes de la domination (pour les dominants et les dominés) ont reçu un statut académique, ont été jugés dignes de débat chez les lettrés et les savants (même si ce n'est pas toujours dans les termes qu'il faudrait, et même si c'est souvent sur un mode obsessionnel et monomaniaque, comme beaucoup de discussions universitaires).

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"The Plato cult" et la foi dans les philosophes

14 Avril 2009 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Philosophie et philosophes

Je parcourais aujourd'hui, sur les conseils du Scientifique belge, "The Plato cult and other philosophical follies" de l'Australien David Stove, en vente pour 19 euros sur Amazon, un très bon livre qui décape tout ce que la philosophie porte d'idéaliste de Platon à Popper en passant par Kant. Le livre a été justement encensé par Daniel Dennett, WV Quine, et tout ce que la philosophie américaine compte ou a compté de grands noms à la fin du 20 ème siècle (Stove a toutes sortes de qualités, sauf sur le plan politique : c'est un fieffé conservateur). Il est temps que les Français le traduisent !

Pour des raisons qui tiennent peut-être à mon idiosyncrasie personnelle, je suis au fond plus intéressé par les tentatives de démystifier les religions philosophiques, que les grands débats, à la mode dans le monde anglosaxon en ce moment, sur les religions tout court (leur utilité, leur danger - songez au dernier livre de Dawkins sur ce thème par exemple). J'ai adhéré, je l'avoue, à ce vice qui consiste à "diviniser" (ou presque) les philosophes, auxquels nous prêtions jadis toutes les vertus intellectuelles, aux pensées desquels nous accordions toute notre foi. Moi et mes condisciples considérions leur pensée comme des tableaux. Nous les choisissions selon nos goûts, renonçant à leur appliquer notre raison critique, et, qui plus est, leur accordions de surcroît une valeur de vérité objective - ce qu'heureusement personne n'accorde à l'art.

Je me demande aujourd'hui pourquoi nous étions allés si loin dans le culte des grands philosophes (et pas seulement nous, mais avant nous tous les autres philosophes, depuis que la philosophie est philosophie). Cela incontestablement nous aidait à vivre, et à supporter les inquiétudes de notre jeunesse. Sans mon cursus de philosophie à la Sorbonne, je n'aurais sans doute supporté ni Sciences Po (où j'étudiais en parallèle), ni ma solitude, ni la nullité de mon statut social, alors pourtant que l'enseignement sorbonnesque était des plus rébarbatifs. J'avais besoin de cette proximité avec Kant, avec Nietzsche, avec Heidegger, avec des problématiques que je croyais plus radicales et plus élevées que celles qui travaillaient les autres jeunes de mon âge. C'était peut être de l'ordre de la consolation philosphique à la Boèce. Je me consolais d'une existence en pointillés.

Aujourd'hui je trouve surtout chez des anglo-saxons comme Chomsky, Dennett, Stove, Dawkins, une très grande capacité à réfuter en bloc des pans entiers de bibliothèques sans même se donner la peine de les lire (la "dismissive attitude", comme on dit). Russell aussi était comme ça. Cette façon de procéder n'a pas beauoup de succès en Europe continentale où, si les écoles de pensée s'affrontent sans se lire, elles se respectent néanmoins suffisamment pour faire mine de se juger l'une l'autre respectivement dignes de lectures. Peut-être parce que la philosophie continentale n'est pas engagée dans le même Kulturkampf anti-religieux que la philosophie anglosaxonne, ni animée par la même radicalité puritaine. Je pense que cette radicalité a du bon car elle permet de ne pas perdre de trop précieuses années à assimiler des théories qui sont fausses.

Stove en adresse le reproche aux marxistes, mais je crois qu'on peut mettre en oeuvre une critique semblable à l'égard de la pensée de Bourdieu, qui est une philosophie "laïcisée" dans un savoir empirique. J'ai passé beaucoup de temps (quelques années avant de ma lancer dans une thèse de sociologie, que j'ai d'ailleurs rédigée en commençant à perdre la foi, comme j'avais perdu la foi chrétienne quelques mois avant la confirmation). Avec le recul, je pense que j'aurais dû abandonner le bourdieusisme plus tôt. Garder du bourdieusisme ses intuitions puissantes sur la "domination symbolique" mais laisser de côté tout le côté systématique de cette pensée, qui était aussi son côté le moins honnête (le plus chargé en "pirouettes" intellectuelles). Mais c'est la peur qui a retardé cet abandon, comme elle peut retarder l'abandon d'une religion. On hésite à cesser de croire en Dieu par peur de la vie que l'on devra endurer après la perte de cette foi (c'est la même chose aussi dans la passion amoureuse). J'avais peur qu'en cessant d'être bourdieusien je deviendrais un connard de droite, résigné devant les injustices de ce monde.

C'est une erreur. On affine d'autant mieux sa compréhension de l'humain, et donc sa force critique sur le plan politique, qu'on refuse les dogmes.

La difficulté est ensuite de ne pas être humainement trop sévère avec les pensées qu'on a réfutées, sans pour autant rationnellement les réhabiliter. Je n'ai pas d'affection pour Marx, je ne sais pas trop pourquoi, mais j'en ai gardé une pour Bourdieu, peut-être parce que je comprends mieux l'époque dans laquelle il a vécu, son contexte social et affectif. J'ai aussi, je l'ai déjà dit sur ce blog, une grande sympathie humaine pour Platon, et pour sa façon de positionner la philosophie dans le contexte humain de son époque. Mais la sympathie vient quand la passion est morte. Elle porte le costume du deuil.



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